Chartreuse | |
Une bouteille de Chartreuse verte, accompagnée d'un verre. | |
Pays d’origine | France |
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Type | Liqueur |
Degré d'alcool | 55° |
Site web | www.chartreuse.fr |
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La chartreuse est une liqueur fabriquée à la distillerie d'Aiguenoire à Entre-deux-Guiers en Isère, en plein cœur du massif de la Chartreuse, sous la supervision des moines de la Grande Chartreuse. Liqueur à très haut degré d'alcool (55° pour la verte), sa vente est la principale ressource financière des chartreux.
Selon la tradition, la chartreuse naît en 1605, lorsque les moines de la Chartreuse de Vauvert à Paris (au sud de l'actuel jardin du Luxembourg), réputés être de bons herboristes, reçoivent de François-Annibal d'Estrées un mystérieux manuscrit avec la formule d'un Élixir de Longue Vie[1],[2],[3].
Trop complexe, la recette n'est pas exploitée immédiatement, mais fait cependant l'objet de travaux menés par l'apothicaire de la Grande-Chartreuse, frère Jérôme Maubec. En 1764, le monastère de la Grande-Chartreuse, près de Grenoble, produit l'élixir dans sa pharmacie et commence à en faire commerce. Sa commercialisation se fait par un frère à dos de mulet et reste donc limitée aux proches villes de Grenoble et Chambéry, où il devient populaire. Cet élixir est toujours commercialisé de nos jours, sous le nom d'Élixir Végétal de la Grande Chartreuse.
À partir de l'élixir, les chartreux développent rapidement un digestif au goût original. Mais il faut attendre 1840 pour que la chartreuse verte, élaborée à partir de la recette originale, soit commercialisée sous le nom de liqueur de santé.
Poursuivis pendant la Révolution française, les moines sont dispersés en 1793. La distillation de la chartreuse s'interrompt alors, mais les chartreux réussissent à conserver la recette secrète : le manuscrit est emporté par un des pères et une copie est conservée par le moine autorisé à garder le monastère ; lors de son incarcération à Bordeaux, ce dernier remet sa copie à un confrère qui finit par la céder à un pharmacien de Grenoble, un certain Liotard. Afin de faire usage de la recette, ce dernier la soumet en 1810 au ministère de l'Intérieur de Napoléon Ier, lequel la lui renvoie avec la mention « refusé » car jugée trop complexe. À la mort de Liotard, les documents reviennent au monastère de la Grande-Chartreuse, que les moines ont réintégré en 1816, et la distillation reprend.
La chartreuse jaune, développée comme une version plus douce de la liqueur, est commercialisée pour la première fois en 1840. En 1860, une distillerie est bâtie à Fourvoirie, dans la commune de Saint-Laurent-du-Pont, afin de produire les chartreuses verte et jaune. Une chartreuse blanche est également proposée pendant un temps (43° de 1860 à 1880, puis 37° de 1886 à 1900).
La liqueur est très souvent contrefaite au XIXe siècle, ce qui fut l'objet de nombreuses procédures judiciaires[4].
De nouveau expulsés de France en 1903, les chartreux emportent avec eux la recette de la liqueur et installent leur nouvelle distillerie à Tarragone, en Espagne, où ils se sont implantés. La distillerie de chartreuse est construite dans la partie basse de la ville, sur la Plaça dels Infants, près du port et de la gare. Ils commercialisent leur liqueur sous le même nom, avec une étiquette identique, en ajoutant cependant la mention « liqueur fabriquée à Tarragone par les pères chartreux ». Leur liqueur se fait connaître en France sous le surnom de Tarragone.
Les biens français des chartreux sont confisqués par le gouvernement, lequel essaie de remettre en route la distillerie de Fourvoirie. Les liquoristes de la Compagnie Fermière de la Grande-Chartreuse sont chargés d'exploiter le nom « Chartreuse ». Malgré plusieurs tentatives, la recette ne parvient jamais à être imitée et l'entreprise se solde par un désastre financier. Dès 1927, la société de production est en faillite. Ses actions sont rachetées pour un prix dérisoire par des hommes d'affaires de la région de Voiron, lesquels les envoient en cadeau aux moines de Tarragone. Ceci leur permet de récupérer le nom commercial en France en 1929. Cependant, les chartreux ont réinstallé dès 1921, avec l'accord tacite du gouvernement, une distillerie à Marseille, où ils produisent leur liqueur sous le nom de Tarragone.
Un glissement de terrain détruit la distillerie de Fourvoirie dans la nuit du 4 au 1935. Les caves n’ont que peu souffert et la liqueur qui vieillissait dans les foudres a pu être récupérée. Malgré la loi d'expulsion contre les moines, le gouvernement français affecte des ingénieurs de l'armée afin de la reconstruire à Voiron, près des caves et de l'entrepôt de distribution précédemment établi en 1860 par les moines, à 25 km du monastère.
Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement lève l'ordre d'expulsion, rendant aux frères chartreux leur statut juridique de résidents français.
Depuis 1989, date à laquelle la distillation a été arrêtée à Tarragone, la liqueur est exclusivement produite en Isère : à Voiron jusqu'en 2018, puis sur le site d'Aiguenoire à Entre-Deux-Guiers[5].
La signature se trouve toujours en bas à droite de l'étiquette de la bouteille qui s'utilise comme une image de marque. Elle a été créée en 1852 par le père François Dom Louis Garnier, né le 8 novembre 1804 aux Garniers de Lissac, avec l'aide de ses frères Jean-Pierre, Jean Baptiste et Jean-Rémy Garnier tous également moines et sa sœur Marie Garnier. Cette famille est surnommée les Pères Chartreux.
Aujourd'hui, les liqueurs sont produites à Aiguenoire en utilisant un mélange de plantes et d'herbes préparé par deux moines liquoristes du monastère de la Grande-Chartreuse qui préparent le mélange végétal. La recette exacte de la chartreuse demeure secrète et n'est connue que de trois moines qui ne connaissent chacun que deux tiers de la recette finale. De cette manière seuls 2 moines sont nécessaires pour la reconstruire, mais un seul ne suffit pas (un exemple de Secret de Shamir). La recette ne faisant pas l'objet d'un brevet, son secret n'expire pas et permet donc de préserver le monopole de l'ordre cartusien. Depuis 1970, la société Chartreuse Diffusion se charge du conditionnement, de la publicité et de la vente.
La méthode de fabrication reste donc peu connue. Aucun additif artificiel n'entre dans la composition de la chartreuse. Les Hommes de Saint Bruno ont d'abord sélectionné près de 2000 plantes dans le désert de Chartreuse situé non loin de Grenoble avant d'en sélectionner 130[réf. nécessaire]. Les 130 plantes qui la composent sont d'abord mises à macérer dans un alcool de raisin puis distillées. Les alcoolats sont additionnées de miel distillé et de sirop de sucre. Les liqueurs vertes et jaunes sont ensuite vieillies longuement en foudres de chêne de Russie ou de Hongrie pour les plus anciens, ou en chêne de l'Allier pour les plus récents. Leur couleur respective est principalement due à la chlorophylle et au safran, qui sont leurs colorants naturels.
Principale ressource financière des Chartreux, la distillerie met en bouteille chaque année un million cinq cent mille flacons, tous formats et tous produits confondus, dont environ quatre-vingt mille élixirs[6].
La chartreuse reste la liqueur traditionnelle de Tarragone et compose la boisson des fêtes patronales de Santa Tecla (nommée la mamadeta) : chartreuse verte, chartreuse jaune et granité. Depuis l'arrêt de sa production, la liqueur est devenue encore plus populaire à Tarragone et fait même l'objet de collections.
Les Caves de la Chartreuse (164 mètres de long) à Voiron sont ouvertes au public[7]. La distillerie d'Aiguenoire ne se visite pas. D'autres boissons alcoolisées y sont fabriquées : le génépi, l'eau de noix, des liqueurs de fruits et de la liqueur de gentiane.
Les principales liqueurs Chartreuse sont[8] :
Les cuvées spéciales sont :
Bien que généralement dégustée en digestif, la Chartreuse entre dans la composition d'un nombre croissant de cocktails, parmi lesquels certains sont devenus traditionnels. On peut citer, de manière non exhaustive :
1 dose de chartreuse verte, 1 dose de vodka et 3 doses d'Orangina (peut être remplacé par du jus d'orange)
La chartreuse peut également être utilisée en cuisine pour aromatiser le chocolat, les crêpes, la crème glacée ou les sorbets (notamment pour un trou normand original), ainsi que certains plats de volaille ou de poisson.
Rubén Darío parle de la chartreuse dans son conte parisien La nymphe, publié en 1888 dans le recueil Azul.... « C'était l'heure de la chartreuse, dit-il, l'heure des liquides émeraude de menthe. »
Dans la nouvelle Reginald on Christmas Presents, qui fait partie de la collection de 1904 de l'auteur anglais édouardien Saki, le personnage du titre déclare que « les gens peuvent dire tout ce qu'ils veulent sur le déclin du christianisme, mais le système religieux qui a produit la chartreuse verte ne peut jamais vraiment mourir » (« people may say what they like about the decay of Christianity; the religious system that produced green chartreuse can never really die »).
Dans le roman le plus célèbre de Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique (1925), Gatsby partage une bouteille de chartreuse avec Nick, le narrateur.
Dans la nouvelle de G.K. Chesterton, Le poète et les fous (1929), Sir Owen réunit ses invités autour d'un flacon de Chartreuse verte, car il "avait ses habitudes de luxe" et son invité poète "fixait le liquide vert dans son verre, comme si c'était le vert des profondeurs marines".
Dans le roman Retour à Brideshead (1945) d'Evelyn Waugh, Anthony et le narrateur, Charles Ryder, boivent de la chartreuse après le dîner. Anthony songe que c'est « de la vraie ch-ch-chartreuse verte, produite avant l'expulsion des moines. On sent cinq saveurs distinctes comme elle s'écoule sur la langue. C'est comme avaler un sp-spectre » (« Real g-g-green chartreuse, made before the expulsion of the monks. There are five distinct tastes as it trickles over the tongue. It is like swallowing a sp-spectrum. »).
Hunter S. Thompson parle de la chartreuse verte dans plusieurs des histoires rassemblées dans Generation of swine: tales of shame and degradation in the '80s (1988). Curieusement, les personnages semblent être attirés par elle dans leurs moments de grand désespoir et juste avant de mourir.
Dans le roman Âmes perdues de Poppy Z. Brite (1992), un groupe d'adorateurs de vampires boit de la chartreuse pour son pouvoir et sa couleur verte caractéristique.
Dans le roman Paris-en-Fantasy : la légende du Saint-Crââne, de Brett Nephaeus (2020), le manuscrit du duc d’Estrées révèle une véritable potion d’éternité, qui est le saint Graal. Cela explique pourquoi les moines chartreux ont mis plus d’un siècle à reconstituer cet Élixir de Longue Vie. Mais ils l’ont finalement gardé secret et proposé au public une version dépourvue de ses principes actifs de jouvence…
Dans le roman La Chartreuse d'Or[9] (2021), l'auteur joue sur l'association des mystères spirituels du monastère et des secrets commerciaux de la fabrication des liqueurs. L'intrigue se déroule dans un contexte contemporain où sont mis en lumière les enjeux économiques de cette coexistence : le marketing joue ici pleinement son rôle.
Dans le roman La Pierre du Remords (Tregasteinn - 2019), de Arnaldur Indriðason, la chartreuse verte est mentionnée par Kónrað : « Les plus malins commandaient plusieurs verres de chartreuse verte au comptoir avant la fermeture pour s’assurer une quantité d’alcool maximale pour un coût minimum. »
Dans le roman Le Secret de la cité sans soleil (Paris, Flammarion), de Gilles Legardinier, le narrateur goûte un alcool élaboré par Benoît et se laisse à penser que « Dans le meilleur des cas, ces aventuriers de la gnôle avaient inventé la chartreuse, l'hydromel ou la blanquette. »
Au XXe siècle, pour assurer sa promotion, la marque a fait appel à des illustrateurs réputés : Charles Lemmel, les frères Neurdein, Charles Plessard[10]...
En 1976, à la 82e minute du film Un éléphant ça trompe énormément, Claude Brasseur propose à Jean Rochefort de boire de la chartreuse jaune.
Dans le film Cet obscur objet du désir, dernier film réalisé par Luis Buñuel (1977), à la 16e minute, Mathieu Faber interprété par Fernando Rey demande à Martin, le valet de chambre, de prévenir la servante Conchita qu'il désire une Chartreuse. Ce dernier lui demande de préciser s'il souhaite une Chartreuse jaune ou verte. Martin demande une Chartreuse verte en précisant qu'elle est plus stimulante. Le valet de chambre ajoute que la Chartreuse verte est également légèrement aphrodisiaque. Une bouteille de Chartreuse verte est finalement apportée sur un plateau par la servante Conchita dans la scène suivante.
Dans le film Ma vie est un enfer (1991), le démon Abargadon (Daniel Auteuil) ingère un cocktail préparé par Léah Lemonnier (Josiane Balasko) contenant de la Chartreuse. Etant préparée par des moines, elle a sur lui un effet délétère. Il boit de la soude caustique comme antidote.
Dans le film L'Autre Sœur (1999), Danny, qui est simple d'esprit, veut faire sa déclaration à Carla lors d'une grande réception et demande au bar quelque chose qui « lui donne du courage » ; le serveur lui sert un grand verre de chartreuse verte dans un verre à vin, en lui expliquant que ça va lui donner beaucoup de courage. Peu après, il en boit un deuxième, puis tente de faire son discours…
Dans le film Boulevard de la mort de Quentin Tarantino (2007), le logo en néon Chartreuse apparaît plusieurs fois au mur du bar tenu par Warren, personnage joué par Tarantino lui-même. À la fin de la scène, Warren, qui a toutes les peines du monde à prononcer « chartreuse », sert une tournée aux héroïnes du film avant de lancer : « Chartreuse, the only liquor so good they named a color after it » Soit, littéralement : « la chartreuse, la seule liqueur si bonne qu'elle a donné son nom à une couleur ». Elle est d'ailleurs présente dans le générique de fin.
Également, dans le film Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009), une vieille bouteille de chartreuse est placée juste derrière le Sergent Wilhelm lors de la scène du bar dans une cave.
Dans le 3e acte de l'opéra-bouffe L'Étoile d'Emmanuel Chabrier (1877), un duo (Ouf/Siroco) prône les qualités de remise en forme de la chartreuse verte.
Il est également question de chartreuse dans la chanson ’Til the Money Runs Out de Tom Waits (tirée de l'album Heartattack and Vine, 1980) avec les paroles suivantes : « with a pint of green chartreuse ain't nothin' seems right » (traduisible approximativement par « après une pinte de chartreuse verte, il n'y a rien qui paraisse normal »).
Le groupe texan ZZ Top publie la chanson Chartreuse en juin 2012 sur son EP Texicali, puis en septembre 2012 sur son nouvel album LP La futura.
Dans le second couplet de la chanson Mon 50 cents des Frères à Ch'val, on fait mention de cette liqueur (demandée par la compagne du chanteur).