L'écologisme a des racines anciennes et plutôt anglo-saxonnes, qui ont évolué à la fin du XXe siècle. Il est passé du statut de science de protection patrimoniale, qui le plus souvent enregistrait et tentait de traiter localement des catastrophes écologiques, à une science d'action plus globale cherchant à mieux les anticiper. Le terme a été inventé par le premier ingénieur forestier américain Gifford Pinchot.
Cette discipline a pour origine une bataille politique sur l'utilisation de la vallée d'Hetch Hetchy en 1895 et opposait l'approche « préservationniste » du naturaliste John Muir, promoteur de la protection de grands espaces vierges, et l'approche « conservationniste » (ou « ressourciste ») de Gifford Pinchot, avec une approche managériale des ressources[2].
L'écologue Robert Michael Pyle(en) a introduit en 1978 le concept de l'« extinction de l'expérience de nature » selon lequel les individus humains des sociétés occidentales perdent progressivement leurs liens à la nature, ce qui peut avoir des effets insidieux et profonds sur la protection de la nature et de la biodiversité[3].
Le terme de conservation ne bénéficie d'aucune définition dans la Convention de Rio alors que le mot y est très employé. Il n'existe pas de définition officielle et arrêtée de la conservation de la nature, mais les termes employés sont souvent les mêmes que ceux utilisés pour expliquer le développement durable. La stratégie globale pour l'environnement biophysique et la biodiversité parle ainsi de la conservation comme étant « la gestion de l'utilisation par l'homme de la biosphère permettant aux générations présentes de profiter des bénéfices durables, tout en maintenant son potentiel de répondre aux besoins et aspirations des générations futures »[4].
Pour Carl Jordan[5], c'est une « philosophie de la gestion de l'environnement qui n'entraîne, ni son gaspillage, ni son épuisement, ni son extinction, ni celle des ressources et valeurs qu'il contient »[6].
Un domaine scientifique : la biologie de la conservation
Michael E. Soulé, biologiste américain et l'un des fondateurs de cette science nouvelle, décrit la biologie de la conservation comme la « science de la rareté et de la diversité » (Science of Scarcity and Diversity, titre d'un ouvrage de Michael Soulé).
«
Une nouvelle discipline qui s'adresse aux dynamiques et problèmes d'espèces, communautés et écosystèmes perturbés. […] Son objectif est de fournir des principes et outils pour la préservation de la diversité biologique[8]. »
Il décrit également cette discipline comme une « science de la crise » : où les gestionnaires et les biologistes doivent apporter des solutions rapides et efficaces à des problèmes de conservation importants, comme préserver une population d'espèce menacée d'extinction par exemple. Le biologiste de la conservation doit souvent trouver des réponses et des méthodes de gestion à des problèmes de conservation dont il n'a pas toutes les données, puisque les outils et principes théoriques sont encore en cours d'élaboration, et que nous ne disposons pas de toutes les informations sur la biologie des espèces à gérer[8].
La biologie de la conservation peut être appliquée à de multiples échelles spatio-temporelles, en fonction de l'objet visé par le programme de conservation :
protéger une espèce rare, ce qui implique la protection ou la restauration de ses conditions de vie ou de survie ;
une protection ex situ (ex : en jardin conservatoire, en élevage conservatoire), avec éventuellement culture in vitro ou conservation dans une banque de graines ou de gènes. Certains zoos contribuent à des programmes de protection ex situ d'espècesanimales avant une éventuelle réintroduction dans le milieu naturel d'origine quand il peut à nouveau les accueillir.
Il peut enfin s'agir du patrimoine agricole, avec la conservation génétique et la culture de variétés traditionnelles (ou l'élevage de races traditionnelles).
Un système de suivi et d'évaluation (basé par exemple sur des bioindicateurs) permettent aux gestionnaires ou conservateurs d'espaces naturels de mesurer les progrès faits en fonction des objectifs définis, généralement écrits dans un Plan d'action ou Plan de gestion du milieu, régulièrement mis à jour (par exemple tous les 5 ans dans les réserves naturelles françaises).
Restaurer, protéger et gérer la nature a un coût, qui peut être comparé à l'estimation de ce que coûterait le fait de ne pas le faire. En mai 2008, l'économiste indien Pavan Sukhdev[9] avait conclu que l'érosion de la biodiversité coûtait déjà de 1 350 à 3 100 milliards d'euros par an. En laissant disparaître une grande partie des services écosystémiques rendus par la Nature à la société, l'humanité se priverait encore de nombreuses richesses et d'atouts vitaux pour le futur. Selon Pavan Sukhdev, chaque milliard investi en faveur de la diversité animale et végétale permet à long terme un « retour sur investissement » au moins cent fois supérieur ; Par exemple, avec 45 milliards de dollars/an affectés aujourd'hui à la création d'aires protégées, ce sont 4 à 5 000 milliards de dollars de revenus et d'économies qui seront - selon lui - permis par an dans quelques décennies. Autres exemples : bloquer la déforestation, c'est l'équivalent de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre qui ne serait pas émis, rappelle l'auteur. En 2008, 1 million de dollars a servi à restaurer 12 000 hectares de mangroves au sud Vietnam ; mais cela économisera l'entretien de digues qui coûtent plus de 7 millions de dollars/an. Si on ne sauve pas les récifs coralliens, ce sont 500 millions de personnes qui seront touchées[10].
Un grand nombre de méthodes, outils et stratégies et outils d'évaluation ont été mobilisés depuis le XXe siècle.
De nombreuses variantes existent qui toutes posent des questions en termes d'éthique environnementale ; les communautés doivent faire des choix difficiles parmi des solutions qui peuvent être classées entre deux grandes tendances :
une protection locale très ciblée allant jusqu'à la « protection intégrale » de milieux et espaces naturels (avec interdiction de la plupart des activités humaines, parfois irréalistes) ; c'est l'approche des parcs et réserves naturelles, utiles mais non suffisantes, car ne protégeant pas les réseaux écologiques aux échelles biogéographiques ;
une approche visant à atteindre des seuils quantitatifs (tiers-paysage, 50 % de chaque écosystème protégé... Un mouvement international demande que 50 % du globe terrestre soit consacré à la conservation[11]. Une étude a montré en 2017 que pour de nombreuses écorégions, cet objectif peut encore être atteint, et des propositions d'étapes ont été faites pour y arriver[11] ;
des stratégies dites « intégrées », plus holistiques, qui tentent de rendre globalement compatibles les activités humaines et le maintien de la biodiversité par la sensibilisation et en responsabilisant les groupes et individus ; cette approche est politiquement plus facile à mettre en œuvre, et c'est l'approche dominante depuis le sommet de Rio, mais son efficacité globale et réelle a également été mise en défaut[12] avec un échec reconnu à la Conférence mondiale sur la biodiversité de Nagoya en 2010 (les objectifs de l'ONU ou de l'Europe et d'aucun pays qui visaient sur ces bases à stopper ou freiner la régression de la biodiversité pour 2010 n'ont pas pu être atteint). Basé sur la recherche et conçu dans les années 60 et 70, le Programme Sans trace est maintenant enseigné dans près d'une centaine de pays dans le monde. Ce programme d'éthique du plein air contribue efficacement à aider les visiteurs et professionnels qui fréquentent les milieux naturels à limiter sur eux leurs impacts négatifs.
La directive habitat vise l'état de conservation favorable pour les sites Natura 2000, afin de contribuer au maintien de la biodiversité[13].
L'un des objectifs que l'Union européenne s'est donné dans son sixième programme d'action pour l'environnement, est de « protéger et restaurer la structure et le fonctionnement des systèmes naturels, en mettant un terme à l'appauvrissement de la biodiversité dans l'Union européenne et dans le monde »[14].
Pour ce faire, elle veut, avec les États-membres :
coordonner les réactions des États membres face aux accidents et catastrophes naturelles ;
étudier la « protection des animaux et des plantes face aux rayonnements ionisants » ;
protéger, conserver et restaurer les paysages (réseau écologique paneuropéen)[15] ;
protéger et promouvoir le « développement durable des forêts » ;
établir une stratégie communautaire de protection des sols (incluant une Directive sol attendue pour fin 2007) ;
protéger et restaurer les habitats marins et le littoral, et étendre le réseau Natura 2000 à ceux-ci ;
renforcer l'étiquetage, le contrôle et la traçabilité des OGM ;
intégrer la protection de la nature et de la biodiversité dans la politique commerciale et de coopération au développement ;
établir des programmes de collecte d'information relative à la protection de la nature et à la biodiversité ;
soutenir les travaux de recherche dans le domaine de la protection de la nature, en étroite collaboration avec l'Agence européenne pour l'environnement.
Il existe une grande variété d'outils pour protéger la nature : ils peuvent viser la protections d'espèces particulières, d'espaces naturels ou de services écosystémiques. On peut distinguer les outils réglementaires, issus de la loi, définissant ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas et les incitations financières, positives (subventions, paiements pour services de restauration), ou négatives (taxes, amendes).
↑Selon les textes ou les personnes, on parlera de conservation de la nature, conservation de la biodiversité ou de diversité biologique, conservation des écosystèmes.
↑Virginie Maris, Philosophie de la biodiversité : petite éthique pour une nature en péril, Paris, Buchet Chastel, , 224 p. (ISBN978-2-283-02456-0)
↑(en) R.M. Pyle, « The extinction of experience », Horticulture, no 56, , p. 64–67.
↑« The management of human use of the biosphere so that many yield the greatest sustainable benefit to current generations while maintaining its potential to meet the needs and aspirations of future generations : Thus conservation in positive, embracing preservations, maintenance, sustainable utilisation, restoration and enhancement of the natural environment. »Global Biodiversity Strategy: Guidelines for Action to Save, Study, and Use Earth's Biotic Wealth Sustainably and Equitably, 1992.
↑Chercheur en écologie à l'université de Géorgie, États-Unis d'Amérique. [(en) Présentation en ligne].
↑inLa Recherche, no 333 juillet-août 2000 : Les multiples facettes de la conservation, Vernon Heywood, p. 97.
↑« BIODIVERSITÉ », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
↑ a et b(en) Michael E. Soulé, « What is conservation biology ? : A new synthetic discipline addresses the dynamics and problems of perturbed species, communities and ecosystems », Biosciences, vol. 35, no 11, , p. 727-734 (résumé)
↑Pavan Sukhdev (Chef de projet du projet UNEP-WCMC intitulé « Green Economy ») ; et coordinateur de l'étude L'économie des systèmes écologiques et de la biodiversité, dont diverses phases ont été publiées en 2008 puis en 2009, et qui devrait être terminée en octobre 2010. Cette étude initiée par la Commission européenne en 2007 a été soutenue par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE)
↑ a et bJames E. M. Watson & Oscar Venter (2017) Ecology: A global plan for nature conservation |Nature ; News & Views |doi:10.1038/nature24144, mis en ligne le 27 septembre 2017 (résumé)
↑Reinventing a Square Wheel: Critique of a Resurgent "Protection Paradigm" in International Biodiversity Conservation Society & Natural Resources: An International Journal Volume 15, Issue 1, 2002, Pages 17 - 40 ; DOI: 10.1080/089419202317174002 (Résumé)
↑Commission sur le sixième programme communautaire d'action pour l'environnement, « Sixième programme d'action pour l'environnement », sur SCADPlus : Synthèses de la législation de l'Union, (consulté le ), Chapitre « Nature et biodiversité ».
↑Loi n°76-629 du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature, publiée au Journal Officiel du 13 juillet 1976.
(en) John R. McNeill (2000): Something New Under the Sun - An Environmental History of the Twentieth-Century World (New York: Norton). Tr. fr. Du nouveau sous le soleil: Une histoire de l'environnement mondial au XXe siècle (Seyssel: Champ Vallon, 2010)
(en) Michael E. Soulé, « What is conservation biology ? : A new synthetic discipline addresses the dynamics and problems of perturbed species, communities and ecosystems », Biosciences, vol. 35, no 11, , p. 727-734 (résumé)
(en) Michael E. Soulé, Bruce M. Wilcox, Conservation Biology : an evolutionary ecological perspective, Sinauer Associates Inc., , 395 p. (ISBN978-0-87893-800-1)
(en) Michael E. Soulé, O. H. Frankel, Conservation and Evolution, Cambridge et New York, Cambridge University Press,
(en) Aldo Leopold (1966), A Sand County Almanach, Oxford University Press, New York
(en) Devictor, V., et al. (2010), « Spatial mismatch and congruence between taxonomic, phylogenetic and functional diversity: the need for integrative conservation strategies in a changing world » Ecology Letters (13): 1030-1040
Patrick Blandin, De la protection de la nature au pilotage de la biodiversité, Quæ, , 124 p. (lire en ligne)