La céramique japonaise (陶磁器, tojiki ), yakimono (焼きもの ) ou tōgei (陶芸 ) est l'une des formes d'art les plus anciennes du Japon. Elle remonte à la période Jōmon (vers 15000 - 300 av. notre ère). La production s'est poursuivie sans discontinuer jusqu'à l'époque actuelle, donnant une large gamme de terres cuites brutes ou vernissées, poteries, grès et porcelaines selon des techniques de tradition japonaise mais aussi importées ou inspirées par les céramiques coréennes, chinoises et thaïlandaises.
L'apparition de la céramique pratiquée par des populations de chasseurs-cueilleurs à la période Jōmon (15000 - 300 avant notre ère) montre que la céramique n'est pas nécessairement le fait de cultures néolithiques. L'exemple japonais est particulièrement significatif sur ce point. Les premières poteries sont cuites sur feu ouvert, à basse température. Le décor est constitué, dans le Proto-Jomon, de bandes d'argiles appliquées ou de bandes en relief à motifs incisés. Parfois les décors sont limités à l'embouchure du vase, mais le plus souvent, ces décors vont de l'embouchure au milieu du corps. D'après les témoins archéologiques, ces poteries sont parmi les premières réalisées au monde.
Les poteries du Jōmon moyen sont bien plus élaborées que précédemment, elles atteignent même des sommets en tant que créations artistiques au Jōmon récent. Les bords des pots deviennent beaucoup plus complexes et décorés d'ornements graphiques[2]. Les ornements totalement exubérants des récipients du Jōmon récent, avec leurs motifs de « flammèches » en haut relief, les rendaient non fonctionnels, en tout cas pour un usage utilitaire.
L'art céramique du Jōmon moyen et surtout final se distingue par d'innombrables variantes sur des motifs de figurines essentiellement féminines (dogū) et des masques (domen) de terre cuite[3]. Les petites statuettes, d'une vingtaine de centimètres de hauteur, sont considérées comme des trésors nationaux au Japon. La stylisation très poussée de ces figurines donne lieu à des jeux formels complexes, mais chaque fois parfaitement cohérents du point de vue plastique : jeux de formes aux courbes tendues et couvertes de zones striées, aux grands yeux ronds ; jeux de formes rondes et couvertes d'arabesques proliférantes, contrastant avec de grands yeux immaculés, ouverts d'un unique trait horizontal.
Les émigrants continentaux, coréens, vers 800 av. n. ère, au début de la période Yayoi, introduisent l'usage de la roue et la culture du riz. La céramique d'usage courant tout comme les céramiques funéraires sont toujours dans une terre cuite plus ou moins brun rougeâtre, obtenue par une cuisson en oxydation désignée sous le nom de hajiki (céramique haji)[4]. Celle-ci continuera d'être produite jusqu'au XIIe siècle pour les besoins de la vie quotidienne. Mais des formes nouvelles apparaissent au contact des nouveaux arrivants, dont la jarre globulaire, pour les réserves de riz, teinte en rouge.
Entre, environ, 250 et 550 de notre ère — époque des kofun (Grandes Sépultures) , période Kofun — la céramique haji (en particulier pour les haniwa) cuite à faibles températures (450–750 °C) suit la tradition de l'époque Yayoi, reste poreuse, et est utilisée pour les jarres destinées à contenir des grains.
Au début du Kofun moyen, à la suite d'un nouveau flux de migrants coréens, à la fin IVe ou au début du Ve siècle, on commence à cuire à une température supérieure à 900° et en réduction[5]. Ainsi apparait une céramique, appelée sue-ki (poterie sue)[6], plus fine que précédemment, cuite à une température située entre 1 000 et 1 300 °C et qui prend une couleur gris bleuté à gris foncé. En général mat, sans glaçure ce grès peut recevoir, par projection involontaire de cendre au cours de la cuisson, une glaçure partielle à la cendre de bois. Ces grès peuvent contenir des liquides, des boissons. Selon les « Chroniques du Japon » rédigées au VIIIe siècle, la nouvelle technique est introduite au Japon par des potiers coréens[7]. De fait, elle dérive directement de la céramique coréenne à l'époque des Trois Royaumes[8]. Les objets produits sont associés à des cérémonies rituelles et aux pratiques funéraires.
Les potiers emploient des fours tunnels (anagama) qui leur permettent d'atteindre 1 100 à 1 200 °C. Des coulées vitrifiées brunâtres à verdâtres, causées par des cendres de bois déposées en fin de cuisson, donnent, parfois, à ces céramiques un revêtement partiel. Montées au colombin, leur aspect de surface montre aussi le travail d'égalisation approximatif réalisé au battoir sur la tournette. Un enfumage en fin de cuisson fait pénétrer du carbone qui lui donne cette couleur. Les premiers fours tunnels (fours couchés à une chambre, anagama) se situent, au début, près de la péninsule coréenne (au nord de l'île de Kyushu, face à la Corée), puis se concentrent dans la région centrale, où siègent le gouvernement et la cour impériale, en particulier dans la préfecture d'Osaka.
Cette technique continue à être en usage jusqu'au XVe siècle et est à l'origine de plusieurs productions médiévales. Les fours médiévaux permirent, ensuite, d'affiner la production de grès[10] qui était encore produite à la fin du Xe siècle, particulièrement dans le centre de Honshu près de la ville de Seto dans la préfecture d'Aichi. Les articles issus de cette production étaient si couramment utilisés que seto-mono devint le terme générique pour la céramique au Japon. Les « grands fours », ōgama, restent des fours piriformes (en forme de poire) à chambre unique[11].
À l'époque de Nara, la culture chinoise est largement importée et assimilée. Ainsi la couverte aux trois couleurs, sancai, provient directement de la technique en faveur sous la dynastie Tang.
Dans les temples zen et à la cour[13] du shogun Ashikaga Yoshimasa (1435-1490) un climat de liberté favorise l'émergence de nouvelles valeurs qui remettent en cause l'ancienne suprématie de la culture chinoise. Cette révolution esthétique conduit au style de préparation du thé dit wabicha.
À la demande des maîtres de thé, de nombreux articles, réalisés à la main, comportent une couverte répandue de manière aléatoire, parfois sous forme de taches qui s'écoulent, et, lorsqu'il y en a, la peinture manifeste la trace des gestes ; enfin certains articles sont volontairement déformés avant cuisson. Toutes ces « imperfections » soulignent ainsi l'originalité de chaque pièce[14]. Le contexte de l'apparition de ces ustensiles et des valeurs qu'elles incarnent est ici essentiel. La mode s'en répand dans le contexte violent de la fin du XVe siècle (Guerre d'Ōnin), dans le cadre de la cérémonie du thé[15]. Les valeurs qu'incarnent ces céramiques évoquent la noblesse de la simplicité, en relation avec les critères esthétiques et poétiques anciens du Japon (et en se détachant de la traditionnelle suprématie de la Chine en matière d'art). Ces critères — wabi - sabi - shibui — prônent des qualités « froides, desséchées, solitaires ». Par ailleurs, le lieu lui-même, le pavillon de thé, évoque une simple chaumière. Les ustensiles dédiés au thé sont adaptés à cet espace exigu. Ils sont posés à même la natte de paille, face aux personnes assises sur le sol. Ils forcent le respect et sont exaltés par la couleur de la natte et par la lumière naturelle. À la place des ustensiles luxueux d'importation chinoise, ces objets qui se réfèrent à des critères esthétiques propres à la culture japonaise deviennent l'objet de commentaires esthétiques, après la consommation du thé.
L'ancienne province de Mino est située dans la partie sud de l'actuelle préfecture de Gifu. À l'origine c'est un grand "pays", divisé en trois régions, Seino, Chuno et Tono. D'Ouest (Tono) en Est (Chuno) on rencontre les municipalités de Tajimi et Kasahara, Toki, Mizunami et Kani qui constituent l'espace où étaient situés les anciens fours de Mino[16].
Les céramiques de Mino, en japonais Mino-yaki (美濃焼 ), ont fait la richesse de cette région du Japon, à l'époque Momoyama et ensuite, plus précisément à partir de 1570-1580 lorsqu'elle devient, grâce à la mode de la cérémonie du thé, le centre de la céramique à couverte appliquée[17]. Dans les grands fours (ōgama) les potiers ont, alors, mis au point trois types de nouvelles couvertes : « seto noir », « seto jaune » et « shino ». La référence aux fours de Seto pour des productions de Mino tient au fait que l'on a longtemps cru qu'il s'agissait de productions des fours de Seto, au moins jusqu'à la découverte en 1930 de tessons de ces trois types sur le site d'un ancien four de Tajimi.
Les grès de Karatsu, produits essentiellement entre 1597 et les années 1630[19] ont initialement bénéficié du savoir faire des potiers coréens déplacés après 1597[20]. Les potiers ont fait preuve d'une remarquable créativité en matière de formes et de couvertes. Ils ont bénéficié de la nouvelle mode de la cérémonie du thé. À cette époque les grès de Karatsu sont classés, par les amateurs, en troisième place, juste après ceux de Hagi, Hagi-yaki, et les bols raku[21].
La période qui s'étend de 1580 à 1600 est marqué par l'importation des fours à chambres successives (renbōshikigama) de type « grimpant » (noborigama) dont le volume utile est sans commune mesure avec celui des fours précédents[11]. Les campagnes coréennes de Toyotomi Hideyoshi à la fin du XVIe siècle (1592-1598) furent surnommées « guerres de la céramique » en raison du grand nombre de potiers déportés au Japon, après que les fours coréens eurent été détruits[22]. Ces potiers introduisent alors une grande variété de techniques nouvelles et de styles qui sont, alors, particulièrement appréciés pour la cérémonie du thé. Au nord de l'île de Kyushu un potier coréen, Ri Sampei (Yi-Sam-p'yong), fait la découverte, en 1616, d'un gisement de kaolin[11] au voisinage d'Arita, au sud-ouest de Karatsu. Rapidement sont rassemblés les ingrédients nécessaires à la production de porcelaine. On est dans la période d'Edo, avec la paix à l'extérieur comme à l'intérieur et avec le développement d'une nouvelle aristocratie qui favorise le commerce des produits de l'artisanat de luxe. Ce sont en particulier le travail de la laque et la confection de tissus. Et bientôt, le shogun et les daimyo peuvent aussi recevoir les invités de leurs banquets avec de la porcelaine japonaise et non plus chinoise. Il sera, alors, devenu possible de concurrencer les fabrications chinoises.
Les grès coréens buncheong, peints d'un geste rapide, et les grès des fours populaires de Cizhou, en Chine, ont certainement[23] joué un rôle décisif dans l'adoption, fin XVIe siècle, de grès à décors peints (à l'oxyde de fer) sous couverte, qui ont ouvert la voie aux décors peints sur porcelaine. Ces grès des fours de Mino et Karatsu conservent cette vivacité de trait des grès coréens. À ce moment les potiers japonais possèdent aussi les fours grimpants, en escalier qui peuvent cuire des céramiques à plus haute température qu'auparavant, inspirés des modèles coréens, et qui permettent le contrôle de l'atmosphère de cuisson. Dans ce type de four, à Kyōto, le potier Nonomura Ninsei est le premier à utiliser sur le grès les émaux colorés. Ses couleurs sont chatoyantes, associées à l'or et à l'argent[24]. Suivant cette nouvelle notion de céramique individuelle, Ogata Kenzan[25] produit, en collaboration avec son frère, le peintre Ogata Korin, une importante quantité d'objets usuels et non pas d'ustensiles de thé, destinés à la bourgeoisie urbaine. Il réalise des objets à la plaque ou au moule de bois qui permettent des formes de feuilles et de fleurs. Il se spécialise aussi dans des poèmes calligraphiés, et son frère peint des décors, suivant des thèmes chers à la poésie japonaise et à l'école Rinpa.
Les fours grimpants vont également permettre de produire les premières porcelaines japonaises. Elles apparaissent dans l'ancienne province de Hizen, et principalement dans les fours de la ville d'Arita. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle les porcelaines de la province sont regroupées et exportées depuis le port d'Imari, sous l'appellation « porcelaine d'Imari». Les premières porcelaines (v. 1620-1650) sont de plusieurs types : l'un reprend le style des grès coréens buncheong au tracé simple et rapide (dans le goût Karatsu), les autres transposent le « bleu et blanc » chinois dans des objets et des décors spécifiquement japonais. Enfin apparaissent, vers 1640-1650, les premiers émaux sous couverte, à plusieurs couleurs. La guerre entre les partisans de la dynastie Ming et les Mandchous, aboutit, en 1675, à l'interruption des exportations de porcelaine chinoise. Cette situation a stimulé la recherche des secrets de fabrication chinois pour la réalisation d'émaux de couleur sous couverte. La famille Kakiemon en revendique la découverte et les premiers succès dans les années 1680[26].
Vers la fin du XIXe siècle, à l'époque Meiji, une large production de grès destinés à l'exportation se développe dans la région de Tokyo. Ces céramiques prennent le nom de « Sumida Gawa » en référence à la rivière du même nom située dans le district d'Asakusa. Le style particulier de ces céramiques, aux couleurs vives et aux décors en relief, est mis au point vers 1890 par le potier Inoue Ryosai Ier, membre fondateur d'une dynastie qui a exporté la majorité de sa production essentiellement vers les États-Unis.
L'intérêt pour l'art humble des potiers de village progressa dans un mouvement de retour aux traditions dans les années 1920 grâce aux maîtres potiers tels que Shōji Hamada et Kanjirō Kawai (河井 寛次郎, Kawai Kanjirō ) du mouvement Mingei. Ces artistes étudièrent les techniques traditionnelles de laques afin de les conserver pour le futur.
Un nombre d'établissements se mirent sous l'égide de la Division de la Protection des Biens Culturels. Les fours à Tamba, donnant sur Kōbe, continuèrent de réaliser la production quotidienne utilisée pendant la période Tokugawa, tout en y ajoutant des formes modernes. La plupart de la production des villages était faite anonymement par des potiers locaux pour l'usage de la population. Les modèles locaux, indigènes et importés tendent à rester les mêmes. À Kyūshū, les fours établis par les Coréens au XVIe siècle, tels que celui de Koishiwara (小石原 ) et ses dépendances d'Onta (小鹿田 ), perpétue la fabrication d'articles ruraux coréens de l'époque. À Okinawa, la production villageoise continua sous plusieurs maîtres tel Jirō Kaneshiro (金城 次郎, Kaneshiro/Kinjō Jirō ) qui fut honoré comme un mukei bunkazai (無形文化財 , litt. « trésor culturel vivant »).
Les maîtres modernes des fours traditionnels utilisent toujours les anciennes formules pour la poterie et la céramique pour atteindre de nouvelles limites dans l'accomplissement à Shiga, Ige, Karatsu, Hagi, et Bizen. Masao Yamamoto de Bizen et Kyūsetsu Miwa (三輪 休雪, Miwa Kyūsetsu ) de Hagi furent designés comme mukei bunkazai. Seulement une demi-douzaine de potiers ont été honorés depuis 1989, pour leurs articles ou comme créateurs de techniques supérieures de lustrage ou de décoration. Deux groupes sont chargés de préserver les articles des anciens fours distingués.
Dans la vieille capitale, Kyōto, la famille Raku continue de produire les bols à thé qui firent la joie de Hideyoshi. À Mino, on continue d'utiliser la formule classique de l'époque Azuchi Momoyama pour faire des articles à thé de type seto, tels que la laque cuivre-vert d'Oribe et la laque laiteuse des articles de Shino.
Les artistes potiers expérimentent sans fin dans les universités d'arts à Kyōto et Tokyo pour recréer la porcelaine traditionnelle et ses décorations sous la conduite de maîtres de céramique tels que Yoshimichi Fujimoto (藤本 能道, Fujimoto Yoshimichi ), un mukei bunkazai. Les anciens fours à porcelaine autour d'Arita sur l'île de Kyushu étaient encore maintenus par la lignée de Sakaida Kakiemon XIV et Imaizume Imaiemon XIII, fabricants héréditaires de porcelaine du clan Nabeshima ; les deux dirigeaient des groupes désignés mukei bunkazai.
En contraste, à la fin des années 1980, beaucoup de maîtres potiers ne travaillaient plus pour des fours majeurs ou anciens, mais fabriquaient des articles classiques un peu partout au Japon. Un exemple notable est Seimei Tsuji (辻 清明, Tsuji Seimei ), qui importait son argile de la région de Shiga mais réalisait ses poteries dans la région de Tōkyō.
Un nombre important d'artistes s'occupèrent à redécouvrir le style de décoration et de laque chinois, spécialement le bleu-vert celadon, et vert eau qingbai. L'une des laques chinoises préférées au Japon est la laque brun chocolat tenmoku qui couvre les bols à thé rapportés du sud de la Chine de la dynastie Song (aux XIIe et XIIIe siècles) par les moines zen. Pour leurs utilisateurs japonais, ces articles brun chocolat ont incarné le zen esthétique de wabi (la simplicité rustique). Aux États-Unis, un exemple notable de l'utilisation de la laque de tenmoku se trouve dans les pots cristallins innovants créés par l'artiste japonais Hideaki Miyamura.
Classement chronologique :
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