Un derecho, aussi orthographié dérécho[1]), est un phénomène météorologique rare de convection profonde extratropicale, qui se déplace rapidement et qui produit de très fortes rafales descendantes causant d'importants dommages généralisés[2]. Il se classe dans la catégorie des systèmes convectifs de méso-échelle. Le derecho dure plusieurs heures, voire plus de 10 heures, parcourant donc une très grande distance (jusqu'à plus 1 000 km. La ligne orageuse s'étend également sur au moins 300 km de longueur, donne des vents en rafales d'au moins 120 km/h assez généralisés et se déplace plus rapidement que le vent moyen de la basse troposphère[3]. Sa trajectoire est une ligne droite, d'où son appellation, empruntée à l'espagnol, signifiant « tout droit ».
Sur les données d'un radar météorologique, il prend l'allure d'un grain en arc de longueur exceptionnelle avec des zones de tourbillon à chaque extrémité et plusieurs encoches d'air sans précipitations derrière la ligne. Dans un premier temps, de nombreux cas ont été documentés en Amérique du Nord mais peu dans les autres parties du monde. Cependant ses conditions de formation peuvent se retrouver à de nombreux endroits[4] et pourraient devenir plus fréquente dans le contexte du dérèglement climatique.
Le derecho peut posséder à la fois certaines caractéristiques des complexes convectifs à moyenne échelle (CCM) et à la fois celles des lignes de grain. C'est par la structure radar qu'on le distingue le mieux de ces deux autres systèmes orageux. L'imagerie radar montrent une ligne de grain orientée perpendiculairement au vecteur des vents moyens entre 3 000 m et la tropopause, et se déplaçant plus vite que ces mêmes vents[3]. Une crête dans l'onde des précipitations est située à l'extrémité nord de cette ligne de grain. On retrouve également un renflement ou arc sur la ligne de grain. Ce renflement s'étire dans la direction des vents moyens en altitude et c'est le long de sa trajectoire qu'on observe du temps violent[3].
De fortes contributions dynamiques et thermodynamiques favorisent la formation de derechos. L'instabilité qui en résulte doit se maintenir pour conserver l'état du système. Hirt et Johns[3] ainsi que Duke et Rogash[5] expliquent qu'on doit retrouver une grande quantité d'énergie potentielle de convection disponible (EPCD), et une forte instabilité conditionnelle résultant d'une humidité abondante à bas niveau et d'un air froid et sec à moyen niveau.
Des vents forts, dépassant les 20,5 m/s (75 km/h) accompagnent cet air aux niveaux moyens. Entre la genèse du complexe orageux et celui de la maturité, le niveau où la convection peut se déclencher doit se rapprocher de la surface. En plus, un fort cisaillement de vents à bas niveau, sous les 2 km, doit y provoquer une forte circulation relative pénétrant dans le nuage. Pendant ce temps, dans les niveaux moyens entre 4 et 6 km, le cisaillement doit faiblir et perdre cette composante directionnelle vers le nuage, afin qu'il y ait plus d'air chaud entrant près du sol que d'air frais sortant en altitude. Ceci conserve la structure instable de la masse d'air, et concentre l'air froid dans les niveaux moyens, nécessaire au maintien du derecho.
Ces fortes valeurs d'énergie hydrostatique, ou de flottabilité, expliquent - partiellement - le fait que la propagation du derecho excède la vitesse des vents moyens (plus de 100 km/h, souvent (Lilly[6]). De plus, l'intrusion dans l'orage d'air sec des niveaux moyens cause un refroidissement par évaporation de l'air au sein du complexe. Le faible cisaillement de vent à ce niveau atténue le mélange de cet air refroidi avec l'air ambiant et permet une accélération de cet air refroidi vers le bas par équilibre hydrostatique. Ces vents, une fois à la surface, contribuent en partie aux fortes rafales rencontrées. Le transport vers le bas du fort moment cinétique des vents de la mi-troposphère ainsi que l'entraînement de l'air provoqué par la chute des précipitations constituent les autres contributions[5]. Les plus fortes rafales et, plus rarement, des tornades se trouvent donc tout juste derrière et au centre du renflement en forme d'arc observé sur la ligne de grain.
On observe deux types de derechos : l'un en saison chaude, et l'autre en saison froide. Bien que partageant les conditions synoptiques et la structure radar décrites plus haut, certaines conditions les distinguent également.
À la fin du printemps et en été, le derecho du premier type se développe le long d'une perturbation dans la circulation à mi-troposphère (pression de 500 hPa à environ 6 km d'altitude), sur ou à l'est d'une crête de pression relativement aplatie. Les vents y soufflent d'ouest ou d'ouest-nord-ouest. Le derecho se forme le long, ou parfois du côté froid, d'un front quasi stationnaire généralement orienté est-ouest où il commence à y avoir un apport significatif d'air chaud.
Une fois formé, il se déplace le long du ruban thermique des niveaux moyens (850 à 700 hPa selon Duke, Rogash, 1992). Il tend à se développer surtout dans l'entrée droite d'un courant-jet qui se trouve au nord de la crête, parfois à plus de 400 km au nord[3]. L'humidité de surface et de bas niveau, d'où il tire son énergie, se concentre en un bassin près de la zone frontale et le maximum d'humidité se trouve près du centre de la trajectoire du derecho[3].
Comme ce type de derecho se forme dans une circulation relativement faible, il commencera par se déplacer relativement lentement mais accélèrera rapidement à mesure qu'il se renforce. Tous les apports étant bien placés, il durera très longtemps en formant une ligne arquée (ligne tiretée de la figure) qui déferlera sur une très grande distance.
Le derecho de saison froide se produit surtout à la fin de l'hiver et au printemps mais peut être rencontré en hiver dans les régions très méridionales. Contrairement au premier type, on dénote, à 500 hPa, un creux de pression ou une dépression bien formé. En surface, on note un front froid en déplacement. Dans le secteur chaud à l'avant du front, l'humidité de bas niveau ne se présente plus en bassin mais forme une crête d'humidité s'étirant vers le nord. Le derecho se déplace à travers le ruban thermique de 850 à 700 hPa, vers l'air plus chaud.
L'air sec des niveaux moyens se retrouve ici en amont de la zone de formation du derecho. Le courant jet de haut niveau circule dans la même courbe cyclonique observée à 500 hPa et le derecho se développe surtout dans son entrée droite (Duke, Rogash, 1992). Le tout donne une ligne d'orage jusqu'à 400 km de long avec de multiples arcs (ligne tiretée du dessin) qui se suivent et se remplacent. Donc chaque arc dure moins longtemps que celui d'un derecho de saison chaude mais l'ensemble perdure aussi longtemps. Ce type de derecho est plus susceptible de donner des tornades.
Parfois, un derecho présente un mélange des caractéristiques des deux précédents. Il est associé à une dépression comme les derechos de saison froid, mais est plus courts et se comporte plus comme ceux de saisons chaudes ou progressifs. Il se produit donc en général au printemps ou à l'automne, lors du changement de régime de la circulation atmosphérique[4].
En moyenne aux États-Unis, il y a une quinzaine de derechos par an, principalement dans deux corridors : le premier affecte le nord de la vallée du Mississippi et de l'Ohio alors que le second se trouve dans le centre et le sud des Grandes Plaines américaines[7]. Au Canada, il y a des épisodes de derechos environ tous les trois ou quatre ans près de la frontière américaine où les conditions météorologiques sont favorables.
Voici quelques-uns de ces événements marquants[8] :
Longtemps, peu d’études ont porté sur l'Europe, mais les conditions favorables peuvent s'y retrouver, à différents endroits.
Quelques cas décrits dans la littérature scientifique se retrouvent en Europe :
Le groupe Keraunos[12], une équipe de consultants en météorologie, climatologie, hydrologie et gestion des risques, fait des enquêtes sur le terrain et analyse des cas de temps violents en France et Europe. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un organisme officiel, la qualité de son travail rivalise avec celui de Météo-France pour ce qui est des analyses a posteriori. Ainsi certaines études sérieuses mais non publiées dans un journal scientifique se retrouvent sur leur site et montrent :
Certains autres événements sont probablement des derechos :
En 2024, un étude rétrospective montre qu'entre 2000 et 2022 il y a eu 38 événements de ce type, avec une fréquence moyenne de 1,7 événement par an, soit près de cinq événements tous les trois ans. Ces orages, souvent associés à un flux de sud-ouest, touchent presque tout le territoire français mais leur fréquence est plus élevée dans le nord-est et l'est du pays, avec des événements qui concernent aussi souvent la Suisse, le Benelux et l’Allemagne. Dans la période récente, une augmentation de l'instabilité coïncide avec des températures de surface plus élevées pour des situations analogues à celles associées aux épisodes orageux identifiés, en accord avec de précédentes études qui font un constat similaire en Europe. Cet accroissement de l'instabilité, qui traduit un potentiel pour des orages plus intenses, est un effet attendu du réchauffement climatique d'origine humaine, quoique l'étude n'exclue pas une influence de la variabilité naturelle du climat[22],[23].
En Asie, des tempêtes convectives appelées « Nor'wester » se produisent parfois au printemps au Bangladesh et semblent être des derechos progressifs[24].
Comme toute ligne d'orages, le derecho peut causer des dommages matériels et humains à cause des vents violents qui l'accompagnent et même de quelques tornades. Comme il perdure sur une longue distance, son effet est ressenti sur zone plus grande, où l'envergure des dégâts peut être décuplée. De plus, comme il se forme surtout en fin de journée et continue son chemin durant la nuit, il peut surprendre beaucoup de victimes dans leur sommeil. Enfin, étant plus fréquent en saison chaude, il risque plus de frapper des vacanciers dans des lieux à découvert (en canot sur un lac, sous la tente, etc.).