En mathématiques, une fonction multivaluée (aussi appelée correspondance[1],[2], fonction multiforme[2], fonction multivoque ou simplement multifonction) est une relation binairequelconque[2], improprement appelée fonction car non fonctionnelle : à chaque élément d'un ensemble elle associe, non pas au plus un élément mais possiblement zéro, un ou plusieurs éléments d'un second ensemble. On peut néanmoins voir une multifonction comme une fonction classique prenant ses valeurs dans l'ensemble des parties du second ensemble[3]. Par contraste, si l'image de chaque point est un singleton, on dit que la correspondance est univoque.
Un exemple simple de fonction multivaluée est la fonction réciproque d'une application non injective : à tout point dans son image on fait correspondre l'image réciproque formée des antécédents de ce point.
Les fonctions multivaluées apparaissent en analyse complexe où l'on peut en considérer des déterminations, c'est-à-dire des restrictions sur ces relations qui en font des fonctions et qui permettent de calculer certaines intégrales réelles par le biais du théorème des résidus comme ce sera illustré plus bas ; l'utilisation en est cependant malaisée et a été remplacée par la considération plus abstraite de fonctions (univaluées) sur des surfaces de Riemann.
Dans les réels, à chaque élément positif x, la relation fait correspondre deux éléments et avec . On se restreint de manière habituelle à la valeur positive pour avoir alors la fonction racine carrée.
Dans les complexes, en définissant un élément z du plan complexe par avec l'argument de z, les racines carrées de z sont les nombres () donnés par :
on vérifie en effet que puisque pour tout entier k.
Soient et deux ensembles. Une multifonction est une application de dans l'ensemble des parties de .
L'application qui, à une multifonction , associe la relation binaire « », est une bijection entre les multifonctions de dans et les relations entre et . C'est pourquoi l'on appelle graphe de le graphe de la relation binaire associée, c'est-à-dire l'ensemble
De même, l'image d'une partie et l'image réciproque d'une partie par une multifonction sont définies comme l'image et l'image réciproque par la relation binaire associée :
Le domaine et l'image de sont donc respectivement l'image et le domaine de et plus généralement, l'image réciproque par d'une partie de est égale à son image directe par , et l'image directe par d'une partie de est égale à son image réciproque par .
L'analyse multifonctionnelle s'intéresse à l'étude des multifonctions, à leur hémicontinuité, à leur caractère borné, à leur lipschitzianité, aux multifonctions polyédriques, à la recherche de leurs zéros (des points qui contiennent zéro dans leur image), à l'effet de perturbations, etc.
Soient et des espaces topologiques. On dit qu'une multifonction est semi-continue supérieurement en si pour tout voisinage de , l'ensemble est un voisinage de [5].
En termes simples, cela veut dire que lorsque , peut à la limite subitement grossir en mais pas rapetisser. Des exemples classiques de multifonctions semi-continues supérieurement sont le sous-différentiel d'une fonction convexe et le différentiel de Clarke d'une fonction lipschiztienne.
Théorème de l'application ouverte pour les multifonctions
Soient et des espaces de Banach, dont on note respectivement et les boules unité ouvertes, et une multifonction.
Le résultat ci-dessous[6] affirme que si est une multifonction convexe fermée et si est intérieur à son image , alors est intérieur à l'image par de toute boule ouverte centrée en un point arbitraire de l'image réciproque de par On note l'intérieur d'une partie
Théorème de l'application ouverte pour les multifonctions — On suppose que et sont des espaces de Banach, que est une multifonction convexe et fermée et que Alors
On retrouve bien le théorème de l'application ouverte dans le cas où est une application linéaire continue (d'où son nom), lequel affirme que est intérieur à l'image de la boule unité . En effet, dans ce cas est une multifonction convexe (son graphe est un sous-espace vectoriel) et fermée (sens évident du théorème du graphe fermé), est bien dans l'intérieur de (car est surjective) ; le théorème ci-dessus affirme alors que est intérieur à l'image par de toute boule de rayon non nul centrée en (ou tout autre point de d'ailleurs).
Pour la racine carrée complexe et le logarithme complexe, on appelle détermination une restriction sur l'argument de la valeur correspondante. Plus explicitement, une détermination pour la racine carrée est donnée par :
avec un angle quelconque caractérisant la détermination.
De même, une détermination pour le logarithme complexe est donnée par :
Remarquons que, à une détermination près, la fonction racine carrée complexe et le logarithme complexe sont des fonctions holomorphes sur tout le plan complexe excepté la demi-droite partant de l'origine et d'angle par rapport à l'axe des abscisses. Dans le cas de la détermination principale, les deux fonctions sont holomorphes sur . La discontinuité sur l'axe réel négatif est illustrée sur les deux figures ci-dessous.
Détermination principale
Figure 1 : Illustration de la détermination principale du logarithme complexe.
Figure 2 : Illustration de la détermination principale de la racine carrée complexe.
Considérer une détermination particulière permet, en s'aidant du théorème des résidus, de calculer certaines intégrales réelles qu'il serait autrement ardu de calculer.
Remarque : la relation suivante est souvent utilisée comme ce sera illustré dans l'exemple ci-dessous : .
Solution : en considérant le contour illustré à la figure 3 ainsi que la détermination suivante du logarithme :
(le contour « entoure » donc la discontinuité de la détermination que nous avons choisie), on obtient :
Développement
La fonction f définie par a deux pôles simples () tous deux d'indice +1 par rapport à (pour et ). À la limite et , le théorème des résidus nous donne donc :
En décomposant l'intégrale curviligne en ses quatre parties principales et en appliquant le lemme d'estimation pour montrer que l'intégrale le long de et celle le long de tendent vers zéro à la limite, il reste :
En utilisant la détermination choisie ci-dessus, on a
À la limite , le long du chemin , l'argument tend vers zéro ; le long du chemin , l'argument tend vers , on a donc :
et
On a donc :
Il nous reste à calculer via les résidus de la fonction en :
et
où l'on a utilisé que, dans la détermination choisie, l'argument de +i (resp. –i) est (resp. ). On obtient donc :
et finalement pour :
Cette formule reste vraie pour , par passage à la limite ou par un calcul classique.
Problème : calculer l'intégrale suivante par la méthode des résidus :
(la fonction est uniformisée par la coupure le long de l'axe réel reliant à -1 et 1 à .)
Solution : l'intégrande a une primitive (à savoir ) et on a donc immédiatement . On obtient ce même résultat en considérant le contour illustré à la figure 4 ci-contre et en utilisant :
Pour le premier facteur du produit, on considèrera la détermination suivante :
,
pour l'autre, on considérera la détermination principale :
.
sous ces déterminations, la fonction est holomorphe sur .
Développement
La fonction f définie par a trois singularités[9] : les deux points de branchement (±1) et le pôle simple (l'origine) qui est la seule singularité d'indice non nul par rapport au contour ; à la limite et , le théorème des résidus nous donne donc :
et , on a donc
En décomposant l'intégrale curviligne en ses sept parties principales et en appliquant le lemme d'estimation pour montrer que l'intégrale le long de , et tendent vers zéro à la limite, il nous reste :
à la limite , le long du chemin , l'argument tend vers zéro pour les deux déterminations, le long du chemin , l'argument tend vers (resp. zéro) pour la première détermination (resp. la détermination principale), le long du chemin l'argument tend vers pour les deux déterminations et pour , l'argument tend vers (resp. ) pour la première détermination (resp. la détermination principale).
On a donc en notant symboliquement (resp. ) l'argument dans la première détermination (resp. la détermination principale) :
avec pour la partie . On a de même :
avec , et . Finalement on a aussi :
où on a utilisé dans les deux égalités précédentes que la fonction est paire et que l'intégrale sur est égale à l'intégrale sur .
La théorie peu opérante des fonctions multivaluées pour les fonctions de la variable complexe est remplacée dans les mathématiques modernes par le concept plus abstrait de fonction (univaluée) définie sur une surface de Riemann.
Ce point de vue consiste à considérer le domaine de définition d'une fonction multivaluée comme un objet plus élaboré que le plan complexe : une variété complexe de dimension 1.
(en) Claude Berge (trad. du français par E. M. Patterson), Topological Spaces : Including a Treatment of Multi-valued Functions, Vector Spaces, and Convexity [« Espaces topologiques, fonctions multivoques »], Dover, (lire en ligne), p. 109 ;
(en) R. T. Rockafellar et R. Wets, Variational Analysis, Springer, coll. « Grund. math. Wiss. » (no 317), (lire en ligne), p. 193.
↑Dû à (en) C. Ursescu, « Multifunctions with convex closed graph », Czechoslovak Mathematical Journal, vol. 25, no 3, , p. 438-441 et (en) S. M. Robinson, « Regularity and stability for convex multivalued functions », Mathematics of Operations Research, vol. 1, no 2, , p. 130-143 (DOI10.1287/moor.1.2.130).
↑Le contenu de cette section est issu du § 2.3.2 de (en) J. F. Bonnans et A. Shapiro, Perturbation Analysis of Optimization Problems, New York, Springer, (lire en ligne).
↑C'est ici qu'entrent en conflit les appellations ouverte et fermée. Elles sont pourtant utilisées comme cela.
↑On parle ici de singularité au sens large du terme (et donc pas uniquement d'une singularité isolée) c'est-à-dire que la fonction n'est pas analytique en la singularité mais que n'importe quel voisinage ouvert non vide de la singularité contient au moins un point pour lequel la fonction est analytique. Cf. (en) John H. Mathews et Russel W. Howell, Complex Analysis for Mathematics and Engineering, Jones & Bartlett(en), , 3e éd. (lire en ligne), p. 232.
(en) Jean-Pierre Aubin et Arrigo Cellina, Differential Inclusions, Berlin, Springer, coll. « Grund. math. Wiss. » (no 264), (lire en ligne), « Set-Valued Maps »
(en) Stanisław Migórski, Anna Ochal et Mircea Sofonea, Nonlinear Inclusions and Hemivariational Inequalities, Springer, (lire en ligne)
Murray R. Spiegel (trad. de l'anglais), Variables complexes, New York/Montréal/Paris, MacGraw-Hill / Ediscience, coll. « Schaum(en) », , 314 p. (ISBN2-7042-0020-3, lire en ligne)