Le terme est notamment utilisé par des anti-féministes dans les médias sociaux, ainsi que par des mouvements pour les droits des hommes. Son emploi peut avoir plusieurs motifs tels que discréditer les arguments de son interlocuteur ou empêcher les femmes de s'exprimer.
« Feminazi »[1] est un mot-valise composé à partir des noms « feminist » et « nazi ». Selon The Oxford Dictionary of American Political Slang[2], il fait référence de manière péjorative à une « féministe engagée ou une femme témoignant d'une forte volonté ».
L'expression a été popularisée par l'animateur de radio conservateur Rush Limbaugh[4],[5]. Ce terme apparait dans les années 1990 dans une des phrases de Limbaugh ; une « féminazi » serait selon lui une féministe pour qui la chose la plus importante dans la vie est de s'assurer que le plus d'avortements possibles se produisent[6]. Il continue d'utiliser ce terme dans son émission The Rush Limbaugh Show[7]. La féministe Gloria Steinem explique de son côté « Je n'ai jamais rencontré personne qui corresponde à cette description [de vouloir promouvoir le maximums d'avortements] bien que [Limbaugh] m'arrose copieusement de ce qualificatif parmi de nombreux autres »[8].
Bien qu'ayant affirmé en 2000 avoir abandonné le terme, Limbaugh continue à l'employer pour attaquer les féministes, ainsi que certains mouvements pro-choix ou défenseurs de la contraception aux États-Unis[7],[9],[10]. L'expression est vue comme étant sa marque de commerce contre les femmes (Trademark Slur Against Women)[11].
Selon Moi Toril, Limbaugh s'inscrit auprès de Pat Roberson dans une campagne conservatrice extrémiste des années 1990 contre le féminisme[12].
Pour les sociologues Michael Kimmel et Michael Kaufman, le terme « féminazi », popularisé par la droite, est un bon exemple de réaction à l'encontre des féministes et pour le maintien des « privilèges masculins »[15].
L'expression semble avoir pour but de réduire les femmes au silence[6].
Selon notamment Candi S. Carter Olson et Victoria LaPoe, la tolérance envers un vocabulaire tel que « féminazi » a pour effet de nuire et réduire la présence active des femmes et des personnes LGBTQIA qui se sentent harcelées et brimées de leur droit de s'exprimer par ce trolling[16].
Des critiques du terme au sein du mouvement féministe apparaissent rapidement[18]. Il est relevé que l'effet visé et effectif de l'utilisation de tels termes agressifs envers les féministes et les communautés LGBTIQ est de réduire les personnes visées au silence par autocensure[19].
Aux États-Unis, l'expression est employée pour décrire certaines femmes comme étant « extrêmement vigilantes à l'égard des préjugés, au point de percevoir à tort des actes de sexisme et de racisme qui, selon certains, n'existeraient pas réellement »[20].
La féministe Jessa Crispin(en) dit entendre plus souvent des jeunes femmes que des hommes de droite utiliser ce terme, de la même façon, c'est-à-dire pour porter honte et se dissocier des féministes[25]. Les personnes œuvrant dans le soutien aux victimes de viol, sont forcées de se défendre contre les conséquences (financière, refus d'accès à l'aide aux victimes, marginalisation politique) engendrées par l'étiquetage en tant que « féminazis » par des autorités ou des citoyens[26].
Le philosophe Paul B. Preciado observe qu'en employant le terme de féminazi, les « pères du technopatriarcat » renversent « les positions d’hégémonie et de subalternité », conférant par conséquent « un pouvoir absolu aux minorités sexuelles » et leur « transfèrent fantastiquement les violences totalitaires qui ont été et sont encore les leurs ». Il s'interroge : « Comment est-il possible d’appliquer l’adjectif «nazi» précisément aux corps que le nazisme considérait infrahumains et dispensables[27] ? ».
Dans son livre Angry White Men(en), le sociologue Michael Kimmel note que le terme « féminazi » est souvent utilisé pour discréditer des campagnes féministes visant à promouvoir l'égalité salariale et à protéger contre le viol et la violence conjugale, en les associant à des idéologies extrêmes, comme celles du génocide nazi[5].
En Australie, le terme gagne en popularité à la suite de la publication en 1995 du livre The First Stone(en), où il est utilisé dans les médias pour présenter les féministes comme menaçantes, « vindicatives » et « puritaines »[réf. nécessaire].
En mars 2019, le groupe conservateur catholique traditionaliste espagnol Hazte Oír lance une campagne de bus contre les « Féminazis », illustrée par une image d'Hitler portant du rouge à lèvres, pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une « discrimination envers les hommes »[28],[29]. Cette campagne est interprétée par García López comme une démonstration de patriarcat et de violence nationaliste[30]. Le gouvernement de Catalogne intente une action en justice contre cette campagne, arguant qu'elle constituait « un crime de haine et discriminait sur la base du sexe et du genre ». Cependant, le juge statue que, bien que le message puisse être jugé « odieux et même répugnant », il était protégé par la liberté d'expression[31].
Le parti d'extrême droite espagnol Vox utilise également ce terme lors de la campagne des législatives de 2019[32],[33].
Selon la sociologuequébécoiseFrancine Descarries, le terme « féminazi » est un terme parmi d'autres, du discours de l'antiféminisme ordinaire, et de certains masculinistes[34]. Selon Elizabeth Bridges, le féminisme est perçu comme un mot péjoratif dans de nombreuses sociétés contemporaines, tant chez les hommes que chez les femmes. Elle souligne que la lutte pour les droits des femmes et l'équité devrait être mieux présentée pour contrer la perception selon laquelle les femmes seraient autoritaires et détesteraient les hommes. Cette stigmatisation sociale est en partie alimentée par l'utilisation du terme « féminazi »[35].
Juliette Rennes, sociologue française, souligne que l'antiféminisme a une histoire ancienne, mais que sa version actuelle tend à prendre la précaution de se dire féministe et de distinguer deux formes de féminisme : celui qui serait acceptable (l'ancien) et celui des « féminazi » qui correspondrait au féminisme contemporain[36].
Dans un article intitulé « Voyage au coeur de la manosphère » et publié dans le magazine L'Actualité, Marc-André Sabourin estime que l'expression est un exemple de propos haineux visant les femmes et utilisé dans un tel environnement social[42].
Selon Zoe Williams(en), le terme « féminazi » véhicule avant tout les traits de son utilisateur, de celui qui y a recours, et elle cite Helen Lewis, « l'idée de confondre un mouvement de libération avec le nazisme est tout simplement profondément ignorante. Il s’auto-sape, car il est tellement exagéré. »[6].
Gloria Steinem lance l'idée d'un boycott de Limbaugh pour protester contre l'utilisation de ce terme en déclarant « Hitler vint au pouvoir contre le puissant mouvement féministe en Allemagne, détruisit les cliniques de planification familiale et déclara l'avortement crime d'État, toutes opinions ressemblant fortement à celles de Limbaugh »[43],[44].
Virginie Fortin crée un spectacle humoristique intitulé Feminazie pour offrir une critique humoristique et féministe à cette expression péjorative[45],[46],[47],[48],[49].
↑(en) Roger Chapman, Culture Wars : An Encyclopedia of Issues, Viewpoints, and Voices, M.E. Sharpe, , 768 p. (ISBN978-0-7656-2250-1, lire en ligne)
↑ a et b(en) Michael Kimmel, Angry White Men : American Masculinity at the End of an Era, PublicAffairs, , 352 p. (ISBN978-1-56858-962-6, lire en ligne)
↑(en) Tom Dalzell et Terry Victor, The New Partridge Dictionary of Slang and Unconventional English, Routledge, (ISBN978-1-317-37251-6, lire en ligne)
↑(en-US) Katharine Q. Seelye, « Republicans Get a Pep Talk From Rush Limbaugh », The New York Times, (ISSN0362-4331, lire en ligne, consulté le )
↑Michael Kaufman, Michael Kimmel, The Guy's Guide to Feminism. 2011 - 224 pages
↑Candi S. Carter Olson et Victoria LaPoe. Journal of public interests communications. Vol. 1 No. 2. “Feminazis”, “libtards”, “snowflakes”, and “racists”: Trolling and the Spiral of Silence effect in women, LGBTQIA communities, and disability populations before and after the 2016 election. DOI: https://doi.org/10.32473/jpic.v1.i2.p116
↑(en) Jackson Katz, The Macho Paradox : Why Some Men Hurt Women and and how All Men Can Help, Sourcebooks, Inc., , 34 p. (ISBN978-1-4022-5376-8, lire en ligne)
↑(en) Tara Wood, « Guess What: Gloria Steinem is Not a Castrating Feminazi! », Ethos, vol. Volume 50 Issue 2, (lire en ligne)
↑(en) Candi S. Carter Olson et Victoria LaPoe, « “Feminazis,” “libtards,” “snowflakes,” and “racists”: Trolling and the Spiral of Silence effect in women, LGBTQIA communities, and disability populations before and after the 2016 election », The Journal of Public Interest Communications, vol. 1, , p. 116 (ISSN2573-4342, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Deborah L. Brake, « Perceiving Subtle Sexism: Mapping the Social-Psychological Forces and Legal Narratives That Obscure Gender Bias », Columbia Journal of Gender and Law, vol. 16, , p. 679 (lire en ligne, consulté le )
↑(en) Rosalind Gill, Elisabeth K. Kelan et Christina M. Scharff, « A Postfeminist Sensibility at Work », Gender, Work & Organization, vol. 24, no 3, , p. 226–244 (ISSN1468-0432, DOI10.1111/gwao.12132, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Steve Kirkwood, Viviene Cree, Daniel Winterstein et Alex Nuttgens, « Encountering #Feminism on Twitter: Reflections on a Research Collaboration between Social Scientists and Computer Scientists », Sociological Research Online, vol. 23, no 4, , p. 763–779 (ISSN1360-7804, DOI10.1177/1360780418781615, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Kaitlyn Regehr et Jessica Ringrose, « Celebrity Victims and Wimpy Snowflakes: Using Personal Narratives to Challenge Digitally Mediated Rape Culture », dans Mediating Misogyny: Gender, Technology, and Harassment, Springer International Publishing, (ISBN978-3-319-72917-6, DOI10.1007/978-3-319-72917-6_18, lire en ligne), p. 353–369
« I hear the word feminazi coming from young feminists' mouths today way more often than I have ever heard it coming from the mouths of right-wing men. And they're using it in a similar way, to shame and dissociate themselves from the activists and revolutionaries. »
↑« Haro sur le bus transphobe en Espagne », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
↑(en-GB) Jessica Jones, « Spanish conservatives launch bus campaign against 'Feminazis' with image of lipstick-wearing Hitler », The Telegraph, (ISSN0307-1235, lire en ligne, consulté le )
↑(en) Elizabeth Bridges, « Reacting to “The F-Word”: How the Media Shapes Public Reactions to the Feminist Movement », 2015 Honors Council of Illinois Region Student Research Symposium, (lire en ligne, consulté le )
↑Francis Dupuis-Déri, « Le discours de la « crise de la masculinité » comme refus de l'égalité entre les sexes : histoire d'une rhétorique antiféministe », Cahiers du Genre, vol. 52, no 1, , p. 119 (ISSN1298-6046 et 1968-3928, DOI10.3917/cdge.052.0119, lire en ligne, consulté le )
↑Mathieu Jobin, « Cyberviolence : le discours masculiniste sur les femmes », dans M. Blais et F. Dupuis-Déri, Le mouvement masculiniste au Québec : l’antiféminisme démasqué, Montréal, Remue-ménage, cité par Germain Dulac, « BLAIS, Mélissa, et Francis DUPUIS-DÉRI (2008), Le mouvementmasculiniste au Québec, l’antiféministe démasqué, Éditions duremue-ménage, Montréal, 257 pages », Reflets, vol. 15, no 1, (DOI10.7202/029593ar)
↑Francis Dupuis-Déri, « Féminisme au masculin et contre-attaque « masculiniste » au Québec », Mouvements, no 31, (lire en ligne).
↑Nolwenn Weiler, « « Les hommes se disent en crise mais ils possèdent 70 % des richesses mondiales et 80 % des terres de la planète ! » », Basta !, (lire en ligne).
↑Josée Blanchette, « La manosphère en calvaire », Le Devoir, (lire en ligne).
(en) Myra Max Ferree, Authority in Contention, vol. 25, Emerald Group Publishing, coll. « Research in social movements, conflicts and change: an annual compilation of research », , 305 p. (ISBN978-0-7623-1037-1, ISSN0163-786X, lire en ligne), « Soft Repression: Ridicule, Stigma, and Silencing in Gender-based Movements », p. 90.
(en) Thomas Winslow Hazlett, « H.L. Mencken: The Soul Behind the Sass », Reason, (lire en ligne) :
« We could really use him now, what with Jimmy Carter and Ronald Reagan, Tip O'Neill and Jerry Falwell, Gary Hart and Donna Rice, the Moonies, the feminazis, the Naderite crusaders, and the television evangelists. »
(en) Jessica Jones, « Spanish conservatives launch bus campaign against 'Feminazis' with image of lipstick-wearing Hitler », The Telegraph, (ISSN0307-1235, lire en ligne).
(en) Don Waisanen, Venomous Speech : Problems with American Political Discourse on the Right and Left, Santa Barbara, Calif., ABC-CLIO, , 308–9 p. (ISBN978-0-313-39867-4, lire en ligne), « An Alternative Sense of Humor: The Problems With Crossing Comedy and Politics in Public Discourse ».