En analyse réelle, une branche des mathématiques, l'intégrale de Darboux est construite à partir des intégrales de Darboux inférieure et supérieure, elles-mêmes définies, soit avec les sommes de Darboux, soit avec des fonctions en escalier. Il s'agit d'une manière de définir l'intégrale d'une fonction à valeurs réelles définie sur un segment de la droite réelle. L'intégrale de Darboux (du mathématicien français Gaston Darboux) est équivalente à l'intégrale de Riemann (du mathématicien allemand Bernhard Riemann), c'est-à-dire qu'une fonction est Darboux-intégrable si et seulement si elle est Riemann-intégrable, et, le cas échéant, ses intégrales au sens de Darboux et de Riemann sont égales. La définition de l'intégrale de Darboux a l'avantage d'être plus simple à implémenter dans les calculs ou les preuves que l'intégrale de Riemann. Par conséquent, la plupart des manuels d'introduction en analyse développent l'intégrale de Riemann à partir du formalisme de Darboux[1]. De plus, la définition selon Darboux est facilement extensible à l'intégrale de Stieltjes[2].
Intuitivement, l'intégrale de Darboux d'une fonction à valeurs réelles bornée sur un segment est l'aire algébrique délimitée par la courbe dessinée par , l'axe des abscisses, la droite verticale passant par et celle passant par . L'idée est de majorer et minorer cette aire par l'aire formée par une succession de rectangles. L'aire de cette succession de rectangle est simplement la somme des aires de chaque rectangle qui se calculent aisément (par la formule base × hauteur). L'intégrale de Darboux s'obtient alors en faisant tendre vers 0 la base des rectangles. La définition de l'intégrale de Darboux considère les intégrales de Darboux supérieure et inférieure, bien définies pour toute fonction à valeurs réelles bornée sur un segment . L'intégrale de Darboux existe si et seulement si les intégrales inférieure et supérieure sont égales. Les intégrales inférieure et supérieure sont les limites respectives des sommes de Darboux inférieure et supérieure qui sous-estiment ou sur-estiment l'aire sous la courbe. Plus concrètement, pour une subdivision donnée de l'intervalle, les sommes de Darboux représentent la somme des aires des tranches rectangulaires dont les hauteurs sont prises respectivement aux suprema et aux infima de sur chaque sous-intervalle de la subdivision.
Soit un segment inclus dans . Une subdivision de ce segment est la donnée d'une suite finie de points telle que .
Définition (Sommes de Darboux) — Soit une fonction bornée et une subdivision de . On définit, respectivement, les sommes de Darboux inférieure et supérieure associées à et de la manière suivante :
Supposer que la fonction est bornée est indispensable pour définir les sommes de Darboux. En effet, cela permet d'assurer que possède bien un infimum et un supremum finis sur chaque sous-intervalle de la subdivision .
Il est clair que, pour une même subdivision, on a toujours que la somme de Darboux inférieure est plus petite que la somme de Darboux supérieure.
Puisque est bornée, il existe deux réels et tels que . Il est alors clair que pour toute subdivision on a .
Soit un segment inclus dans et l'ensemble de ses subdivisions.
Définition (Intégrales de Darboux inférieure et supérieure) — Soit une fonction bornée. On définit, respectivement, les intégrales de Darboux inférieure et supérieure associées à de la manière suivante :
Du fait que soit bornée, les intégrales de Darboux sont toujours bien définies et à valeurs réelles. De plus, si , alors et .
Dans certains ouvrages, un symbole intégral souligné ou surligné représentent les intégrales de Darboux inférieure et supérieure :
Lorsque , cette valeur commune est appelée intégrale de Darboux[3].
Définition (Intégrale de Darboux) — Soit une fonction bornée. On dit que est Darboux-intégrable (ou intégrable au sens de Darboux) si les intégrales de Darboux inférieure et supérieure sont égales :
.
Dans ce cas, on appelle cette valeur commune l'intégrale (au sens de Darboux) de sur et on la note
Plutôt que de passer par les sommes de Darboux, il est possible de définir les intégrales inférieure et supérieure de Darboux via des fonctions en escalier, pour lesquelles l'intégrale se définit aisément. En effet, pour une fonction en escalier, l'aire sous la courbe correspond simplement à la somme des aires des rectangles formés par cette dernière.
Plus formellement, une fonction en escalier sur un segment est une fonction telle qu'il existe une subdivision de ce segment telle que est constante, sur chaque sous-intervalle de la subdivision. Certains ouvrages imposent que soit constante sur les intervalles ou encore sur les intervalles . Cela n'aura aucun impact sur la notion d'intégrale puisque cette dernière ne dépendra pas des valeurs prises en un nombre fini de points.
Pour une fonction en escalier adaptée à la subdivision , on définit son intégrale de la manière suivante :
où correspond à la valeur prise par sur . A noter que cette définition est compatible avec ce qui précède car on peut montrer que l'intégrale de Darboux (telle que définie auparavant) d'une fonction en escalier est bien donnée par la formule ci-dessus.
On constate que les sommes de Darboux peuvent alors s'interpréter comme des intégrales de fonctions en escalier. En effet, soit une fonction bornée et une subdivision. Si l'on définit deux fonctions en escalier et telles que vaut et vaut sur pour tout (et prennent des valeurs quelconques en les ) alors
Ce simple constat permet aisément de réinterpréter les intégrales de Darboux inférieure et supérieure de la manière suivante :
Ici sont répertoriées des propriétés portant sur les sommes de Darboux ainsi que sur les intégrales de Darboux inférieure et supérieure. Des propriétés sur l'intégrale de Darboux peuvent être trouvées dans la section propriétés de l'article sur l'intégrale de Riemann (qui est équivalente à l'intégrale de Darboux, donc satisfait exactement les mêmes propriétés).
Soit une fonction bornée et une subdivision de . Si est un raffinement de , c'est-à-dire, si
alors on a les inégalités
Autrement dit, en raffinant une subdivision, les sommes de Darboux se rapprochent de la véritable valeur de l'intégrale de (lorsqu'elle est Darboux-intégrable).
Soit une fonction bornée. les sommes de Darboux inférieures sont minorées par l'aire du rectangle de largeur et de hauteur sur . De même, les sommes de Darboux supérieures sont majorées par l'aire du rectangle de largeur et de hauteur . Ainsi pour toute subdivision :
Si et sont deux subdivisions, alors il existe une subdivision qui est, à la fois, un raffinement de et de . Ainsi on a
Les intégrales de Darboux inférieure et supérieure satisfont la relation de Chasles (tout comme l'intégrale de Darboux). Plus précisément, soit une fonction bornée et . Alors
Les intégrales de Darboux inférieure et supérieure ne sont pas nécessairement linéaires (contrairement à l'intégrale de Darboux). En revanche elles satisfont certaines inégalités. soit deux fonctions bornées. Alors
De plus, pour tout :
Soit une fonction bornée. Alors la fonctionest lipschitzienne donc continue. Un résultat identique est vérifié pour F définie à partir de l'intégrale de Darboux supérieure.
Un critère équivalent, parfois utile pour démontrer qu'une fonction est Darboux-intégrable, est donné par le résultat suivant[1],[4].
Théorème (critère d'intégrabilité, version somme) — Soit une fonction bornée. Cette fonction est Darboux-intégrable si et seulement si pour tout , il existe une subdivision de telle que
.
En termes de fonctions en escalier, cela donne :
Théorème (critère d'intégrabilité, version escalier) — Soit une fonction bornée. Cette fonction est Darboux-intégrable si et seulement si pour tout , il existe deux fonctions en escalier et telles que et
La fonction f(x) = x est Darboux-intégrable sur tout intervalle [a , b].
On considère la subdivision de [a, b] en n sous-intervalles de même longueur (b – a)/n.
Comme f est strictement croissante, les infimum sur tout sous-intervalle sont atteints en a+(b – a)(k – 1)/n, et les supremum y sont atteints en a+(b – a)k/n. Ainsi
et
On a alors
Alors pour tout ε > 0, en choisissant une subdivision avec on a
ce qui prouve que f est Darboux-intégrable. La valeur de l'intégrale est alors
Sommes de Darboux
Sommes de Darboux supérieures pour la fonction y = x2
Sommes de Darboux inférieures pour la fonction y = x2
Comme les ensembles des nombres rationnels et irrationnels sont tous deux denses dans ℝ, sur tout sous-intervalle de toute subdivision , la fonction prend les valeurs 0 et 1 donc
si bien que les intégrales de Darboux inférieure et supérieure sont
Comme elles sont différentes, la fonction n'est pas Darboux-intégrable.
Les intégrales de Darboux inférieure et supérieure sont définies comme le supremum et l'infimum des sommes de Darboux sur l'ensemble des subdivisions. De manière équivalente, ces intégrales peuvent aussi être définies comme la limite des sommes de Darboux lorsque le pas de la subdivision tend vers 0. Cette vision permet de se rapprocher de la notion d'intégrale de Riemann, telle que définie originellement par le mathématicien Bernhard Riemann, c'est-à-dire, en tant que limite des sommes de Riemann lorsque le pas de la subdivision marquée tend vers 0. A partir de là, il est alors relativement aisé de montrer l'équivalence entre l'intégrale de Darboux et celle de Riemann[5],[6],[7].
Soit un segment inclus dans . Le pas d'une subdivision de est la distance maximale entre deux consécutifs, c'est-à-dire, .
Théorème (intégrales inf et sup comme limites des sommes de Darboux) — Soit une fonction bornée. Pour tout , il existe tel que pour toute subdivision de pas inférieur ou égal à on a
.
On peut résumer le contenu du théorème précédent en écrivant
où désigne l'ensemble des subdivisions de dont le pas est inférieur ou égal à .
Démonstration du théorème
Montrons le théorème pour l'intégrale de Darboux inférieure uniquement (le cas de l'intégrale supérieure étant similaire). Soit . Par définition de l'intégrale de Darboux inférieure, il existe une subdivision telle que
.
Soit deux réels tels que . Fixons et une subdivision de pas inférieur ou égal à . Notons
.
Pour chaque il existe tel que et ainsi
.
Parallèlement, pour chaque il existe tel que et
.
Puisque la fonction est injective on déduit que le complémentaire de contient au plus éléments. Finalement, on obtient
On obtient alors le résultat désiré.
Démonstration de l'équivalence Darboux-Riemann
Supposons d'abord que soit Darboux-intégrable sur et notons son intégrale au sens de Darboux. Soit . Il existe tel que pour toutes subdivisions de pas inférieur ou égal à on a
.
Or pour toute subdivision marquée de pas inférieur ou égal à on a :
.
Donc
.
Réciproquement, supposons que soit Riemann-intégrable sur et notons sont intégrale au sens de Riemann. Soit . Il existe tel que pour toutes subdivisions marquées de pas inférieur ou égal à on a
.
Soit une subdivision de pas inférieur ou égal à . Pour chaque , prenons tel que
.
Ainsi on a
.
On procède de la même manière pour la somme faisant intervenir le supremum.