Julia Traducta

Monnaie de Julia Traducta avec représentation d'une couronne civique ; ce motif était courant au Ier siècle de notre ère.

Julia Traducta est un port de Méditerranée mentionné par Pline l'Ancien, Marcien d'Héraclée et Pomponius Mela. C'était une ville romaine d'Andalousie, malgré les indications contradictoires trouvées dans l'Histoire naturelle (Pline l'Ancien), qui est aujourd'hui identifiée avec l'antique noyau de la ville d'Algésiras.

Identification

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Localisation de Julia Traducta et ses alentours

L'emplacement de cette ville a longtemps été débattu entre les historiens. L'interprétation traditionnelle des écrits des géographes antiques[1] identifie Julia Traducta à la ville de Tarifa, ou l'un de ses quartiers. Selon Pline l'Ancien, il s'agissait d'un comptoir de Maurétanie ; mais Strabon mentionne un comptoir appelé Julia Joza sur les côtes de Bétique[2]. Quelques historiens ont rapproché Julia Traducta de la ville de Baelo Claudia, en Bétique[3], mais la multiplication des vestiges retrouvés sur divers sites archéologiques dans la banlieue d'Algésiras a relancé les débats.

La Cosmographie de Ravenne place le séjour de Transducta entre Gartegia (Carteia) et Cetraria (Cætaria), dont les contours littoraux ont été identifiés avec le nord et le sud de la baie d'Algésiras. L'une des principales sources pour localiser les villes antiques d'Hispanie est l’Itinéraire d'Antonin, une description des villes desservies par les voies romaines traversant la péninsule ; or ce document ne porte aucune mention d'une Julia Traducta dans la baie de Gibraltar : entre Carteia et Mellaria, il indique un comptoir nommé Portus Albus. L’hypothèse largement acceptée aujourd’hui affirme que Portus Albus se trouvait entre l'actuelle ville d’Algésiras, au nord de Julia Traducta, dans la vieille ville ; mais on ne doit pas écarter la possibilité qu'elle ait pu être le nom donné localement à cette ville, voire le nom de son port[4],[5].

Pline l'Ancien, dans un passage obscur ou mal retranscrit, place cette cité en Maurétanie[6]. Selon Strabon, entre 33 et 25 av. J.-Chr., une partie de la population de la Colonia Iulia Constantia Zilitanorum (Zilis) aurait été déportée dans la peninsule ibérique pour former la colonie de Julia Traducta[note 1],[7]. Strabon ajoute qu'une partie des colons venaient de Tingi (l'actuelle Tanger), raison pour laquelle la ville aurait aussi été appelée Tingentera, contraction de Tingis Altera[7]. L'historien latin Pomponius Mela[8], qui était précisément natif de Tingentera, affirme que sa ville natale avaité été fondée par transfert de populations depuis Zilis et Tingis dans la péninsule. Les pièces de monnaie frappées à Tingis portent l’inscription Tingis Major, ce qui appelle l’existence d'une Tingis Minor, ou d'une « autre Tingis » (Tingis Altera).

Selon les historiens modernes, la fondation de cette ville serait une tentative de l'empereur Octavien de regrouper ses partisans dans une ville de Bétique (Andalousie) qui avait ardemment soutenu Pompée au cours de la guerre civile. Il aurait ainsi prélevé une partie de la population de Zilis pour l'envoyer en Espagne, avec une partie des effectifs démobilisés des légions.

Cippe du Ier siècle dédié à la déesse Diane, retrouvé dans la Villa Nueva d'Algésiras.

Le complexe artisanal dégagé dans la ruelle San Nicolas, dans la Villa Vieja d'Algésiras, qui remonte au Ve siècle[9], montre que l'économie locale reposait sur la pêche et les salaisons. On a retrouvé plusieurs meules à grains dans ces 5 ateliers, et des fragments d'os qui suggèrent qu'on y broyait des os pour la préparation de farine de poisson[10]. Ces ateliers recouvraient une grande partie de la Villa Vieja, sans doute de la ruelle San Nicolas jusqu'à la façade sud de l'Hôtel Reina Cristina. On a retrouvé des morceaux de caques au pied de la tour des Adalides[11].

Au Ier siècle av. J.-C., Julia Traducta possédait un atelier de battage de monnaie particulièrement actif (émission de dupondius, d'as, de semis et quadrants, entre 12 et 10 av. J.-C.), témoignant de l'importance de ce port de pêche : les pièces portent les symboles de l'économie locale, comme le thon[12]. L'émission de cette monnaie s'inscrivait dans la propagande d'Octave, destinée à affirmer le caractère divin de sa personne. Les pièces étaient marquées à l'effigie de l’empereur, de ses fils Gaïus et Lucius et des attributs religieux du princeps de Rome.

Une partie de la population a sans doute pratiqué la viticulture : plusieurs amphores ont été retrouvées sur la plage de Chorruelo[13] ; mais la production d'amphores était sans doute une activité marginale de Traducta Julia, compte tenu de l'importance des poteries de la ville voisine de Portus Albus. Les fours à céramique ont été datés du Ier siècle. Peut-être ces fours ont-ils pris le relais de ceux de Portus Albus, déjà inactifs à cette époque ; cela témoignerait de la prééminence économique de la ville[14], aux dépens de Carteia, qui dépendait des ateliers de céramique de Portus Albus.

On ignore quelle était au juste l'étendue de Julia Traducta ; elle aurait en tout cas occupé le site de la Villa Vieja d'Algésiras. Les vestiges ont été exhumés jusque dans le Villa Nueva, le long du Río de la Miel. L'estuaire de ce ruisseau, aujourd'hui envasé, abritait sans doute les quais de déchargement du poisson.

Destin de la ville romaine

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L’« Histoire des Francs » de Grégoire de Tours indique que c'est à Julia Traducta que les premiers Vandales ont débarqué au début de leur conquête de l'Afrique romaine, en 429[15],[16],[note 2]. On ne dispose plus de sources écrites après cette date, ce qui semble impliquer que Julia Traducta aurait été abandonnée jusqu'à la conquête musulmane en 711. Mais depuis les années 2000, on a dégagé dans la Villa Vieja des structures de la période byzantine, notamment un cimetière du VIe siècle, un atelier de poterie et même un calice byzantin à côté de l'ancienne mosquée. Cela suggère que, non seulement la ville n'a jamais été abandonnée, mais que même après la conquête arabe, sa population était probablement la plus importante du détroit de Gibraltar[18].

Notes et références

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  1. Le nom même, Julia Traducta, indique assez explicitement un déplacement de population. Cette nouvelle colonie était aussi appelée Joza (« débouché » en langue punique)[7]
  2. Julia Traducta occupait la pointe méridionale de l'Espagne. Plutôt que d’affirmer que les Vandales ont quitté ce port, Grégoire de Tours a peut-être simplement voulu dire qu'ils étaient "repoussés jusqu'au sud de l'Espagne" par les Suèves[17].

Références

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  1. « The Princeton Encyclopedia of Classical Sites, IULIA TRADUCTA (Tarifa) Cádiz, Spain. », sur www.perseus.tufts.edu (consulté le )
  2. Le nom Joza signifie « débouché » en langue punique : cf. Lipiński (2004), p.451.
  3. Fear 1996, p. 114.
  4. Gozalbes Cravioto 2001b.
  5. Gozalbes Cravioto 2001a.
  6. la Martiniere 1737, p. 259.
  7. a b et c Lipiński 2004, p. 451.
  8. (en) « Mela, Pomponius », dans Encyclopædia Britannica [détail de l’édition], (lire sur Wikisource)., volume 18 , par Edward Herbert Bunbury et Charles Raymond Beazley, p. 87
  9. Mrabet et Rodriguez 2007, p. 191.
  10. Dominguez-Bella et Bernal Casasola 2011, p. 2011.
  11. Bernal Casasola 2003.
  12. Bravo Jiménez 2005, p. 83-96.
  13. Lagóstena Barrios 2001, p. 128.
  14. Tomassetti Guerra 2009.
  15. Martín Gutiérrez 1997, p. 49.
  16. Kulikowski 2010, p. 372.
  17. Merrills et Miles 2009, p. 265-266.
  18. Gozalbes Cravioto 1995.

Bibliographie

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  • Antoine-Augustin Bruzen de la Martinière, Le Grand Dictionnaire Geographique et Critique, vol. 6,
  • François Cadiou, Hibera in terra miles : Les armées romaines et la conquête de l'Hispanie sous la république (218-45 av. J.-C.), Casa de Velázquez, , 872 p. (ISBN 978-84-9096-123-0, lire en ligne), p. 280
  • Abellatif Mrabet et José Remesal Rodriguez, In Africa et in Hispania : études sur l'huile africaine, Edicions Universitat Barcelona, (ISBN 978-84-475-3257-5), p. 191
  • (es) Darío Bernal Casasola, « Las factorías de salazones de Iulia Traducta », Almoraima, no 29,‎ « Las factorías de salazones de Iulia Traducta » [PDF] (version du sur Internet Archive)
  • (es) Salvador Bravo Jiménez, « La ceca de Iulia Traducta y la implantación de la politica de Octavio Augusto en el Campo de Gibraltar », Caetaria, nos 4–5,‎ (ISSN 1695-2200)
  • (en) S. Dominguez-Bella et D. Bernal-Casasola, Proceedings of the 37th International Symposium on Archaeometry, 13-16 mai 2008 à Sienne : Archaeometric and Archaeological Evidence from the Fish Factories at Traducta (Algésiras, Cadix, Espagne), Springer, (ISBN 978-3-642-14678-7), « Fish-Based Subproducts in Late Antiquity », p. 458
  • (en) A. T. Fear, Rome and Baetica : Urbanization in Southern Spain c.50 BC-AD 150: Urbanization in Southern Spain c.50 BC-AD 150, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-159164-8), p. 114
  • (es) Enrique Gozalbes Cravioto, « Aspectos de la crisis del Bajo Imperio romano en la comarca del Campo de Gibraltar », Almoraima, no 13,‎ (ISSN 1133-5319) « Aspectos de la crisis del Bajo Imperio romano en la comarca del Campo de Gibraltar » [PDF] (version du sur Internet Archive)
  • (es) Enrique Gozalbes-Cravioto, « Tarifa en el mundo antiguo (1) », Aljaranda, no 41,‎ 2001b (lire en ligne)
  • (es) Enrique Gozalbes-Cravioto, « La supuesta ubicación de Iulia Traducta en Tarifa », Aljaranda, no 21,‎ 2001a « La supuesta ubicación de Iulia Traducta en Tarifa » (version du sur Internet Archive)
  • (en) Michael Kulikowski, Late Roman Spain and Its Cities, JHU Press, (ISBN 978-0-8018-9949-2)
  • (es) Lázaro Lagóstena Barrios, La producción de salsas y conservas de pescado en la Hispania Romana, II a. C. - VI, Edicions Universitat Barcelona, (ISBN 9788447526246), partie 3
  • (en) Edward Lipiński, Itineraria Phoenicia, Peeters Publishers, (ISBN 978-90-429-1344-8), p. 451
  • (es) Diego J. Martín Gutiérrez, « Sociedad política campogibraltareña », Centro Universitario de Derecho de Algeciras (UCA),‎ (lire en ligne [PDF])
  • (en) Andrew Merrills et Richard Miles, The Vandals, John Wiley & Sons, (ISBN 978-1-4443-1808-1)
  • (es) José María Tomassetti-Guerra, « Hornos de Ivlia Traducta (Algeciras) : la figlina Garavilla y su entorno paleogeográfico », Caetaria, nos 6–7,‎ (ISSN 1695-2200)

Voir également

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