Au début du XXe siècle à l'ère tsariste, les élites russes considéraient généralement que seuls les tribunaux itinérants possédaient une véritable compétence juridique, car c'étaient les seuls à avoir des juges formés professionnellement[2]. Les tribunaux municipaux employaient des gens sans ce type de formation, issus de la paysannerie, et pour lesquels le rapport au droit était différent, puisqu'ils étaient chargés d'appliquer la loi impériale sans avoir aucun moyen de l'influencer[2]. Néanmoins, dès leur instauration, ces tribunaux municipaux ont permis des négociations et adaptations locales en encourageant des débats juridiques parmi la paysannerie[2].
Pendant la période staliniste, la justice a travaillé étroitement avec les forces de l'ordre pour criminaliser l'opposition politique[3]. La justice a aussi participé à cette époque à juger les dirigeants nazis lors des procès de Nuremberg[4].
Vers la fin de l'URSS, des hommes d'affaire ont fait de l'activisme judiciaire pour défendre les droits humains de leurs entreprises[5].
La journaliste Zoïa Svetova(en) a publié le livre Les Innocents seront coupables: Comment la justice est manipulée en Russie, traduit en français en 2012, où elle dénonce l'ingérence du gouvernement dans les affaires judiciaires[6]. Bien que ce témoignage soit romancé, il est considéré comme un ouvrage important par Cécile Vaissié et Michel Eltchaninoff[7],[8]. De nombreuses réformes sont néanmoins entreprises pour tenter de résoudre ce problème[9]. Sur la question de la sélection des juges cependant, malgré une loi dans les années 1990 en faveur d'un recrutement au mérite, la chercheuse Aryna Dzmitryieva constate en 2021 que les choix des nouveaux juges en poste reste largement à la discrétion des présidents des tribunaux, lesquels s'assurent ainsi de garder l'ascendant sur les magistrats employés[10].
Vladimir Poutine est considéré par Margareta Mommsen(de) et Angelika Nußberger comme ayant particulièrement contribué à sauvegarder et perpétuer le contrôle gouvernemental de la justice concernant les litiges politiques[11]. C'est notamment à partir de son immixtion dans le procès de Mikhaïl Khodorkovski que l'on a commencé à parler de « justice à la Basmanny » (Басманное правосудие(ru)) pour évoquer le contrôle du pouvoir judiciaire par le gouvernement de Poutine[12].
En Ukraine, la situation est similaire mais plus ouverte à des décisions de justice favorables aux opposants politiques[13].
En 2010, une nouvelle loi a été promulguée afin de favoriser la médiation encadrée par les tribunaux avant d'entamer un procès[15]. La justice de paix a aussi gagné en importance[16].
Ces dernières décennies, de nombreux cas de vigilantisme – une forme d'auto-justice où des civils décident d'en punir d'autres au nom de la défense de la société – ont eu lieu au sein de la Fédération, et ces illégalismes ont été traité de différentes manières par la justice et le reste des pouvoirs publics[17]. Alors que ces pratiques généralement très violentes sont tolérées lorsque les cibles sont des revendeurs de drogues ou des manifestants LGBT, on constate qu'elles ne sont réprimées que quand elles visent à faire la chasse aux pédophiles ou à venger les violences policières[17].
Comme ailleurs, les gens ont tendance à ne pas faire recours à la justice pour des affaires qu'ils jugent mineures, car les coûts financiers et émotionnels de préparer un procès sont importants[18].
La Russie était partie à la Convention européenne des droits de l'homme jusqu'en 2022, et la justice devait donc refléter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, qui lui avait notamment reproché un rôle trop important de l'instance de surveillance (nadzor) dans la procédure civile[19]. L'exécution insuffisamment efficace des décisions de justice avait aussi été considérée comme dommageable aux droits garantis par la CEDH[20].
↑(en) Gary Rosenshield, Western law, Russian justice: Dostoevsky, the jury trial, and the law, University of Wisconsin Press, (ISBN978-0-299-20930-8)
↑ ab et cJane Burbank, Russian peasants go to court : legal culture in the countryside, 1905-1917, Bloomington, IN : Indiana University Press, (ISBN978-0-253-34426-7, lire en ligne)
↑Immo Rebitschek, Die disziplinierte Diktatur: Stalinismus und Justiz in der sowjetischen Provinz, 1938 bis 1956, BV, Böhlau Verlag, coll. « Beiträge zur Geschichte Osteuropas », (ISBN978-3-412-51127-2, OCLCon1031331482, lire en ligne)
↑David M. Crowe, Stalin's Soviet justice: "show" trials, war crimes trials, and Nuremberg, Bloomsbury Academic, (ISBN978-1-350-08334-9)
↑Gilles Favarel-Garrigues, « Milieux d'affaires, défenseurs des droits de l'homme et réforme de la justice pénale soviétique (1987-1994): », Droit et société, vol. n°63-64, no 2, , p. 411–423 (ISSN0769-3362, DOI10.3917/drs.063.0411, lire en ligne, consulté le )
↑Zoâ Svetova et Galia Ackerman (dir.) (trad. Natalia Rutkevich), Les innocents seront les coupables: comment la justice est manipulée en Russie, F. Bourin, coll. « Les moutons noirs », (ISBN978-2-84941-348-7)
↑Cécile Vaissié, « Zoïa Svetova, Les innocents seront coupables : comment la justice est manipulée en Russie, traduit du russe par Natalia Rutkevich sous la direction de Galia Ackerman, 2012 », La Revue russe, vol. 40, no 1, , p. 111–112 (lire en ligne, consulté le )
↑(de) Margareta Mommsen et Angelika Nußberger, Das System Putin: gelenkte Demokratie und politische Justiz in Russland, Verlag C.H. Beck, coll. « Beck'sche Reihe », (ISBN978-3-406-54790-4)
↑Jeffrey Kahn, « The Richelieu Effect: The Khodorkovsky Case and Political Interference with Justice », dans A Sociology of Justice in Russia, Cambridge University Press, , 231–258 p. (ISBN978-1-108-18271-3, DOI10.1017/9781108182713.010, lire en ligne)
↑Maria Popova, Politicized justice in emerging democracies : a study of courts in Russia and Ukraine, New York : Cambridge University Press, (ISBN978-1-107-01489-3, lire en ligne)
↑Elena Bogdanova, Complaints to the authorities in Russia: a trap between tradition and legal modernization, Routledge, coll. « Studies in contemporary Russia », (ISBN978-1-138-30872-5 et 978-1-032-00307-8)
↑Chantal Kourilsky-Augeven, « La justice alternative en Russie : de la valorisation de la répression à celle de la médiation », Droit et cultures. Revue internationale interdisciplinaire, no 65, , p. 111–124 (ISSN0247-9788, DOI10.4000/droitcultures.3055, lire en ligne, consulté le )
↑ a et bGilles Favarel-Garrigues, « Justiciers amateurs et croisades morales en Russie contemporaine: », Revue française de science politique, vol. Vol. 68, no 4, , p. 651–667 (ISSN0035-2950, DOI10.3917/rfsp.684.0651, lire en ligne, consulté le )
↑Anatole I. Kovler, « L’instance de supervision (Nadzor) dans la procédure civile en Russie. Regards de Strasbourg », Revue internationale de droit comparé, vol. 61, no 3, , p. 537–550 (DOI10.3406/ridc.2009.19875, lire en ligne, consulté le )
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