Dans le catch, le mot anglais kayfabe (prononcé : ['keɪfeɪb], KAY-fayb), en français vinak, désigne le principe de donner et d'entretenir l'illusion que les combats de catch ne sont pas arrangés[1],[2]. Par le passé, il s'agissait clairement de tromper l'audience et cette obligation était imposée dans le métier pendant et en dehors des galas, pour préserver à tout prix l'illusion de la réalité des combats.
Dans son sens moderne, il s'agit d'une simple convention d'immersion dramatique, celle de « rester en personnage », comme lors d'une représentation théâtrale. Le principe du kayfabe vise à susciter et protéger la suspension consentie de l'incrédulité du spectateur afin qu'il s'immerge pleinement dans les rivalités, les storylines et les gimmicks qui lui sont présentées. Un catcheur qui brise cette convention pendant un show est comme un acteur qui dévoile qu'il n'est pas son personnage devant la caméra[3], ce qui constitue une faute professionnelle. Mais les professionnels du métier s'expriment maintenant plus volontiers sur la réalité du spectacle en dehors des rencontres.
Le catch lui-même et certains termes qui y sont liés tirent leurs origines des fêtes foraines qui prospèrent au tout début du XXe siècle[4] de par l'Europe, et en France en particulier. Les origines précises des termes kayfabe et vinak n'ont pas été établies avec certitude[1],[5] mais l'explication suivante est la plus courante : en Amérique du nord, les forains de l'époque se nomment carnies (en) et utilisent un jargon codé, le carny (issu de l'anglais carnival qui désigne un carnaval itinérant, autrement dit une fête foraine). Ce langage est une forme de pig latin qui use d'une technique proche du verlan pour former des mots-clefs secrets qui ne seront reconnus que par les seuls initiés. Les mots anglais « be fake » ( "sois faux", que l'on pourrait traduire en français par « joue la comédie »), deviennent en intervertissant syllabes et mots ke-fa be, ce qui donne avec la prononciation anglaise le mot kayfabe. Dans l'éventualité où un lutteur forain serait surpris agissant différemment de ce que l'on pourrait attendre du personnage inventé qu'il incarne, ce mot, prononcé rapidement par un complice vigilant, lui rappelle d'ajuster rapidement son attitude pour préserver l'illusion.
Sur le même principe, kayfabe est par la suite à l'origine de Kay Fabian, une autre astuce utilisée par les forains pour donner de leurs nouvelles à leur famille sans payer de dispendieux appels téléphoniques interurbains. Un forain appelait chez lui en PCV (à frais virés) et demandait à l'opérateur de l'annoncer sous le nom de Kay Fabian. C'était un code préétabli : la famille refusait l'appel, mais savait que cela voulait dire que tout allait bien, et que le forain avait rejoint la ville suivante de sa tournée[6]. D'autres mots-clefs et gestuelles secrètes alimenteront ainsi le langage de ce qui allaient devenir les catcheurs modernes.
Par la suite, le mot kayfabe évoluera pour désigner également par métonymie, et de façon générale, le principe du secret à propos de la nature des combats. Le principe de kayfabe restait strictement maintenu pour l'intérêt du catch, en dissimulant l'organisation prédéterminée des combats, de peur que l'aveu ne gâche le plaisir des spectateurs. En pratique, cet impératif interdisait aux catcheurs, aux promoteurs et à leurs familles de parler franchement de leur travail aux fans ou à la presse. La crainte était double : les enjeux de chaque match perdraient tout intérêt dans un milieu ou la compétition n'est que feinte ; les prouesses exécutées sur le ring se trouveraient dégradées par leur exposition au public (comme un prestidigitateur qui dévoilerait ses « trucs »)[5].
Si les spectateurs se doutaient depuis longtemps déjà de l'aspect scénarisé du catch, ceci a fait pendant la majeure partie du XXe siècle l'objet d'un tabou dans la communication publique des promoteurs. Vince McMahon, magnat du catch américain et alors propriétaire de la WWF, décide de changer de posture dans le but d'obtenir une législation plus favorable au catch et se voir dispensé des taxes, attributions de licences et autres règlements propres aux commissions athlétiques américaines présentes dans chaque État[7]. Le , il témoigne devant le Sénat du New Jersey et indique que le catch doit être défini comme « une activité dans laquelle les participants combattent ensemble dans le but de divertir les spectateurs et non pas de disputer une authentique compétition athlétique ». Le « secret » est révélé et assumé publiquement ; la WWF abandonnera par la suite de son vocabulaire le terme pro wrestling (« lutte professionnelle ») au profit de sports entertainment (« divertissement sportif »)[8].
À la fin du XXe siècle, le terme kayfabe a été adopté (et même employé abusivement) par des éléments extérieurs aux métiers du catch (les fans et quelques journalistes) avec la popularisation des bulletins d'information et plus tard des brèves disponibles sur internet. L'usage moderne du mot kayfabe désigne souvent de façon plus particulière la convention narrative appliquée lors d'un combat par chaque participant de « rester en personnage », comme il en est nécessaire pendant toute représentation fictionnelle afin de donner au spectateur une impression de réel. Cette pratique déborde parfois pendant des apparitions publiques hors du domaine du catch, mais ne constitue plus pour la profession le tabou total qu'elle a été par le passé[2].
Certaines publications sur le catch, comme des bulletins de nouvelles issues des promotions elles-mêmes ou certains magazines, « respectent » toujours le kayfabe, dans le sens où elles relatent et commentent des éléments de scénarios comme d'authentiques faits, présentant l'univers fictionnel du catch comme s'il était réel. Cette pratique connaît un fort déclin depuis le milieu des années 1980, en conséquence de l'exposition publique du secret à la WWF, puis plus tard du partage élargi de l'information à l'ère d'internet[4].
Durant les rencontres, on fait parfois fi du kayfabe pour passer sans transition à une nouvelle storyline, pour expliquer le prolongement d'une absence à cause de la blessure (legit ou non) d'un lutteur, pour rendre hommage à un catcheur (disparu ou non), ou même pour un effet comique. Il arrive aussi que le spectacle « dérape » et que certains intervenants « brisent » volontairement le principe du kayfabe, en paroles ou en actes, par exaspération ou pour régler des comptes, réels ou non (pipebomb).
Quand il s'agit de vouloir démêler le vrai du faux, les anglophones utilisent dans le domaine du catch les mots « work » et « shoot » pour désigner deux cas de figure :
Le public aime à chercher à percer à jour les subterfuges et peut parfois entrevoir la réalité derrière le jeu lors de moments involontairement authentiques[4]. Le monde du catch aime cependant brouiller les pistes pour maintenir une part de mystère et d'excitation. Un retournement de situation est d'autant plus inattendu lorsque le spectateur pense qu'il vient de quitter le domaine du spectacle et que tout ce qu'il voit est maintenant réel. Les catcheurs ou promoteurs eux-mêmes peuvent même parfois en venir à chercher à se tromper les uns les autres à la suite de différends personnels ou par simple escroquerie (les célèbres « screwjobs »). Il devient donc parfois difficile de réussir à déterminer ce qui était prévu, ce qui ne l'était pas, ou même ce qu'il était prévu de faire passer pour de l'imprévu (« worked shoot »).