Kutadgu Bilig | |
Kutadgu Bilig écrit en alphabet ouïghour (XVe siècle, à la 4e ligne, la basmala est écrite en alphabet arabe) | |
Auteur | Yusuf Khass Hajib |
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Pays | Kirghizistan |
Genre | Œuvre poétique Miroirs des princes |
Date de parution | XIe siècle |
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Le Kutadgu Bilig (moyen turc :qʊtɑðˈɢʊ bɪˈlɪɡ), est une œuvre poétique écrite au XIe siècle par Yūsuf Balasaguni à l'attention du prince de Kashgar. Le texte dépeint les croyances, les sentiments et les usages de l'auteur et de sa société. Il décrit de façon intéressante les facettes et les aspects de la vie au royaume des Qarakhanides.
L'écrivain parle de lui à plusieurs reprises dans son ouvrage, ce qui nous permet de connaitre un certain nombre de choses sur lui. L'auteur du Kutadgu Bilig s'appelait Yūsuf, il est né à Balasagun, qui était à l'époque la capitale d'hiver de l'empire karakhanide. Cette ville était située près de l'actuel Tokmok au Kirghizistan. Il avait environ 50 ans quand il a terminé son œuvre et après l’avoir présentée au prince de Kashgar, celui-ci lui donna le titre de Khāṣṣ Ḥājib, titre qui peut se traduire par « Chambellan particulier »[Note 1].
Certains chercheurs pensent que le prologue du Kutadgu Bilig, qui a un ton beaucoup plus islamique que le reste du texte, a été écrit par un auteur différent. Le premier prologue se démarque particulièrement car il est écrit en prose, contrairement au reste du texte.
Le Kutadgu Bilig a été achevé en 1070 et a été présenté à Tavghach Bughra Khan, le prince de Kashgar. L'ouvrage était connu à l'époque timouride[Note 1]. Seuls trois manuscrits sont parvenus jusqu’à nous, on leur a donné le nom de la ville où ils ont été découverts :
Le Kutadgu Bilig est écrit dans une langue ouïghoure connue sous le nom de « langue karakhanide » ou « moyen turc ». Elle est similaire à la langue des inscriptions de l'Orkhon, écrites en vieux turc. En plus de la base turque, elle comporte des éléments de vocabulaire persan et arabe. Robert Dankoff mentionne également la présence de calques linguistiques sur le persan.
Voici un l'extrait du Kutadgu Bilig : la première colonne est le texte dans la langue originale (moyen turc) translittéré en lettres latines. La deuxième colonne est la traduction du texte en turque[1], tandis que la troisième est sa traduction française.
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Pour composer son ouvrage, l'auteur a utilisé la métrique arabe. Celle-ci est constituée de distiques de deux lignes de 11 syllabes rimées, souvent elles-mêmes décomposées de la façon suivante : les six premières syllabes forment le premier groupe de chaque ligne et les cinq dernières syllabes forment un autre groupe. Il s'agit de la première application connue de cette métrique à une langue turque. La métrique d'origine est composé de voyelles courtes et longues qui se succèdent :
Voyelle 1 | Voyelle 2 | Voyelle 3 |
---|---|---|
courte | longue | longue |
courte | longue | longue |
courte | longue | longue |
courte | longue |
Comme la langue turque ne faisait pas de distinction entre les voyelles courtes et longues, il les a remplacées par des syllabes ouvertes et des syllabes fermées, comme dans l'exemple suivant :
Voyelle 1 | Voyelle 2 | Voyelle 3 |
---|---|---|
ya (ouverte) | ġiz (fermée) | yir (fermée) |
yı (ouverte) | par (fermée) | tol (fermée) |
dı (ouverte) | kaf (fermée) | ur (fermée) |
ki (ouverte) | tip (fermée) | |
be (ouverte) | zen (fermée) | mek (fermée) |
ti (ouverte) | ler (fermée) | dun (fermée) |
ya (ouverte) | kör (fermée) | kin (fermée) |
i (ouverte) | tip (fermée) |
(La neige fondue, la terre pleine de parfum, enlevant les vêtements d'hiver, le monde est dans une nouvelle élégance. ——Kutadgu Bilig·Volume 4·2)
Le Kutadgu Bilig est construit autour de la relation entre quatre personnages principaux qui représentent chacun un principe abstrait (ouvertement énoncé par l'auteur). Robert Dankoff résume bien les spécificités sous la forme d'un tableau[Note 1] :
Nom du personnage | Traduction | Rôle | Principe |
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küntoğdı | "Soleil levant" | roi | la Justice |
aytoldı | "Plaine lune" | vizir | la Fortune |
ögdülmiş | "Glorifié" | Vieux sage | l'Intellect (ou la Sagesse) |
oðğurmış | "Eveillé" | Dervish | La fin de l’existence |
L’ouvrage débute par des louanges faites à Dieu, au prophète Mahomet, aux quatre califes et enfin au souverain. Il énumère ensuite une à une les qualités que doivent posséder les hommes d'État et comment un souverain ou un vizir doivent faire pour être exemplaires face au peuple. L'écrivain tente d’apporter aux hommes les connaissances nécessaires pour atteindre le but de chaque être vivant : être un homme aboutit, c’est-à-dire un homme heureux et bien dans la vie. Il rapporte que les hommes sages, c'est-à-dire tous ceux qui ont des connaissances en matière scientifique ou humaniste, sont des exemples à suivre et à respecter car ils sont comme le « bélier devant le mouton »[2]. Yusuf fournit dans son ouvrage de nombreuses informations sur les connaissances scientifiques et philosophiques de l'époque et dresse un tableau complet de la société de son époque[3]. On y découvre que Yusuf connaît la philosophie de Platon et d'Aristote. La conception platonicienne de l'État et de la société apparaissent dans le traité de façon assez nettes. L'influence de philosophes tels que Al-Fârâbî et Avicenne apparaît clairement dans l’ouvrage.
Dankoff émet l’hypothèse que l'auteur du Kutadgu Bilig tentait de réconcilier les deux traditions présentes chez les Karakhanides : la sagesse irano-islamique, aux racines urbaines, et la tradition turque, aux racines nomades. L’intention du Kutadgu Bilig semble d'avoir été de donner des conseils de bonne gouvernance à un souverain. D'autre part, l'auteur déclare dans le texte qu'il a tenté de faire une version turque du Shâhnâmeh.
Les influences suivantes peuvent être retrouvées dans l'ouvrage :
Outre les influences irano-islamiques et turques, Dankoff présent des influences grecques et bouddhistes dans le texte.