Fils de médecin, Maine de Biran est né dans une famille de notables. Son père est médecin, son grand-père et son arrière-grand-père ont été maires de sa ville natale, et, à partir de 1787, il signe « Maine de Biran », du nom d'une terre de son père[3], près de Mouleydier.
Après ses études secondaires au collège de Bergerac, d'où il sort bachelier, il s'inscrit à l’université de Poitiers. Il y obtient sa licence en droit civil et canon. À dix-huit ans, il est admis dans les gardes du corps et, en octobre 1789, participe à la défense du château de Versailles[4] ; à la fin de 1792, il juge prudent de se retirer dans ses terres du château de Grateloup[5], près de Bergerac. Suivent le départ pour la Hollande, puis une période de méditation, entièrement tournée vers la compréhension du monde. Il ne se cloître pas, néanmoins : amateur de sciences, curieux des lois de la physique, de l'optique, il ne cesse de voyager, de se déplacer dans toute l'Europe du Nord, mais dans la solitude et la discrétion. Résistant aux curieux, étranger aux tentations des cours qui pourtant le sollicitent, il arpente l'Europe en voyageur insatiable, toujours attentif à soumettre à l'épreuve de l’expérience les intuitions qui nourrissent sa pensée. Ses fonctions en tant qu’administrateur du département de la Dordogne après la chute de Robespierre, sa création de la Société médicale de Bergerac[6] et les Mémoires qu'il a soumis à ses séances sous le Premier Empire, sa participation à la Commission des cinq[7], font de Maine de Biran à la fois un personnage de l'histoire locale et une figure de l'histoire de la philosophie ; mais ce sont ses efforts pour donner un fondement aux sciences de l'homme qui le distinguent particulièrement.
Il se maria deux fois en 1795 et 1814 et aura un fils Félix en 1796 et deux filles Eliza 1797 et Adine 1800 qui portèrent tous trois le nouveau patronyme de Maine de Biran.
Son fils Félix n'ayant eu que des filles le nom Maine de Biran s'éteint en 1879 avant d'être relevé à la fin du XIXe siècle par Alexandre de Biran, le fils naturel d'une lointaine nièce, Françoise Gontier de Biran, dite Nelly, avec un homme inconnu.
Homme du XVIIIe sièclefrançais par sa date de naissance et le milieu culturel de sa formation, Maine de Biran se détache peu à peu d'un sensualisme inspiré de Condillac pour élaborer une psychologie de la subjectivité.
Dans l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser, Maine de Biran sépare deux classes d'impressions : « Je distingue toutes nos impressions en actives et passives »[8].Les deux pôles que sont l’activité et la passivité forment l'un des prismes de l'œuvre de jeunesse de Biran : il situe d’un côté la volonté, l’attention et la motricité du côté de l’activité[9],[10],[11], et de l’autre côté, il situe l’affectivité, l’habitude et un certain genre de perception du côté de la passivité. Maine de Biran dépeint en effet la passivité inhérente aux automatismes engendrés par l'habitude. Selon lui, l'habituation ôte au sujet le caractère volontaire de son action en le privant de la conscience de son activité :
« Que les opérations de la sensibilité, de la volonté, et de la pensée peuvent s’obscurcir graduellement par l’effet de l’habitude, ou la répétition fréquente des mêmes actes ou mouvements, au point de ne plus effleurer même le sens interne, et de disparaître tout à fait aux regards de la conscience : la même obscuration peut être produite par l’inattention de l’esprit préoccupé par d’autres impressions ou mouvements (…) »[12].
Maine de Biran distingue la « psychologie pure » et la « psychologie mixte »[13]. La première, en tant qu'elle est introspective, consiste en un rapport intime du sujet avec lui-même. La psychologie pure est une description des faits de conscience tels qu'ils sont subjectivement vécus. La psychologie mixte, en revanche, tient le psychologique comme solidaire du physiologique. L'approche "mixte" en psychologie s'applique à réunir deux ordres de faits dissemblables[14]. En insistant sur la difficulté à faire coïncider ces deux ordres[15], Biran relativise la prétention d'associer certaines fonctions psychologiques à certaines aires physiologiques, comme c'est le cas, entre autres, dans les théories de Gall. Les décompositions anatomiques de Gall paraissent arbitraires aux yeux de Biran parce qu'elles « accordent de petites places dans le cerveau pour y loger » des facultés n’ayant pas d’existence individuelle[16]. Gall et Biran s'accordent néanmoins sur l'impossibilité de localiser un siège physiologique au sein duquel lequel l'âme serait logée[17],[18].
Parti d'un agnosticisme discrètement teinté de religiosité sous l'influence de Rousseau, il aboutit à une métaphysique fondée sur l'expérience religieuse, selon une acception moderne, et sur la foi chrétienne. La présence du christianisme peut se lire à travers certains commentaires que Biran fait de Plotin, Proclus et Saint-Augustin[19].
Maine de Biran entend rester le plus possible près des faits : ils lui sont donnés par les sciences de la vie et l'observation de soi. Nous lui devons le premier journal philosophique[20] qui annonce un siècle et demi plus tard le Journal Métaphysique de Gabriel Marcel.
C'est pour lui autour de l'effort et de sa répétition que se construisent la pensée et la personnalité humaines[21]. Merleau-Ponty distingue dans ses travaux un germe de ce qu'on nommera plus tard la phénoménologie. D'autres trouvent en lui un précurseur de Freud[22], et de l'école spiritualiste en France.
Sous-titre : Ouvrage qui a remporté le prix sur cette question, proposée par la classe des sciences morales et politiques de l'Institut national : « Déterminer quelle est l'influence de l'habitude sur la faculté de penser ; ou, en d'autres termes, faire voir l'effet que produit sur chacune de nos facultés intellectuelles, la fréquente répétition des mêmes opérations »
Essai sur les fondements de la psychologie et sur ses rapports avec l'étude de la nature, 1812
Exposition de la doctrine philosophique de Leibnitz, Paris, Michaud, 1819
Nouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral de L'Homme. Ouvrage posthume publié par Victor Cousin, Paris, Ladrange, 1834
Œuvres philosophiques de Maine de Biran, Ladrange, édition de Victor Cousin, 1841, 4 vol.
Œuvres inédites, publiées par Ernest Naville, avec la collaboration de Marc Debrit, Paris, Dezobry, E. Magdeleine et Paris, 1859 (3 vol., ainsi qu'une Introduction aux œuvres inédites)
« [R]éunissant […] l'édition historico-critique des Œuvres de Maine de Biran, établie sous la direction de François Azouvi, le Journal édité par Henri Gouhier aux Éditions de la Baconnière et la Correspondance privée[24] »
↑F. Maine de Biran, Influence de l'habitude sur la faculté de penser, Paris, Vrin, , 432 p. (ISBN978-2-7116-2061-6), p. 134-135
↑François Azouvi, Maine de Biran - La science de l'homme, Paris, Vrin, , 483 p. (ISBN978-2711612482), p. 61 :
« "Nous pouvons déjà apercevoir que l’activité (…) se rattache immédiatement à la faculté de mouvoir, qui doit être distinguée de celle de sentir, comme on distingue un rameau principal du tronc de l’arbre, ou plutôt deux arbres jumeaux qui se tiennent et se confondent dans la même souche" »
↑Victor Delbos, MAINE DE BIRAN et son œuvre philosophique, Paris, Vrin, , p. 88-89
↑Henri Gouhier, Les conversions de Maine de Biran, Paris, Vrin, , p. 147
↑Maine de Biran, Rapports du physique et du moral de l’homme, Paris, Vrin, , 224 p. (ISBN978-2-7116-2065-4), p. 31
↑Maine de Biran (trad. du français), Essai sur les fondements de la psychologie et sur ses rapports avec l’étude de la nature, Paris, Tisserand, , p. 81-82 :
« Il y a [...] une psychologie pure, savoir la science de l’esprit ou du moi, de ce qui lui est propre et inhérent, et une psychologie mixte, savoir la science de l’homme soit moral soit physique. La première [...] est la seule qui puisse jouir de toute l’évidence du sens intime. La seconde, qui admet le mélange et la complication d’éléments hétérogènes, ne considère les faits de l’intelligence que dans leur point de contact avec ceux de la sensibilité, ceux de la sensation dans leur rapport aux objets et aux organes, les actes de la volonté dans les affections sensibles qui les déterminent, les passions dans leur influence sur les phénomènes physiologiques, et réciproquement. »
↑Maine de Biran, Mémoire sur la décomposition de la pensée (ISBN978-2-7116-2062-3), chap. III, p. 48
↑Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie et sur ses rapports avec l’étude de la nature, Paris, Tisserand, , p. 81-82 :
« Cette psychologie mixte, qui offre le plus d’attrait à la curiosité, le plus d’aliment à l’imagination, n’en est pas moins la plus incertaine, la plus obscure, la plus sujette à ces écarts et à ces illusions qui prennent naissance dans les éléments mêmes, divers et hétérogènes, dont elle se complique »
↑Maine de Biran, Mémoire sur la décomposition de la pensée, Paris, Vrin, (ISBN978-2-7116-2062-3), chap. III, p. 329
↑Franz Joseph Gall, Recherches sur le système nerveux en général et sur celui du cerveau en particulier, Paris, , p. 232-233 :
« On est obligé de reconnaître plusieurs cas où le cerveau entre en action par lui-même, hors de l’instinct et des excitations venues des organes internes, et pourtant les mouvements qui naissent de cette action organique ou ne sont sentis en aucune manière, ou ne le sont que comme de simples impressions musculaires sans effort ou sans volonté »
↑Maine de Biran, Observations sur les divisions organiques, Paris, Vrin, chap. V (« Appendice XI »), p. 152 :
« [il n’existe point] dans le sens physiologique pas plus que dans l’acception métaphysique, de siège de l’âme proprement dit, c’est-à-dire de point tel que tous les nerfs en partissent, comme par irradiation, ou vinssent y converger comme dans un centre unique »
↑Mémoire sur la décomposition de la pensée, p. 157.
↑Serge Nicolas, Claude Mouchet et Laurent Fedi, Un débat sur l’inconscient avant Freud : la réception de Eduard von Hartmann chez les psychologues et philosophes français, Paris, L’Harmattan, , 364 p. (ISBN978-2-296-19837-1, lire en ligne), p. 15.
↑Ampère faisait partie du cercle qui se réunissait chez Cabanis, à Auteuil, et qui comprenait : de Biran, Cabanis, Ampère, Royer-Collard, Guizot et Cousin.
Jean-Amable de La Valette Monbrun, Essai de biographie historique et psychologique : Maine de Biran (1766-1824), d'après de nombreux documents inédits, Paris, Fontemoing, 1914.
Georges Legrand, Maine de Biran et Descartes, dans Revue Philosophique de Louvain, 1914, no 81, p. 71-78 [lire en ligne]
Victor Delbos, Maine de Biran et son œuvre philosophique, Librairie philosophique J. Vrin, Paris 1931 — publication posthume à la base de son cours à la Sorbonne, effectué dans l'année 1910 - 1911 [lire en ligne]
Gaston Fessard, « La méthode de réflexion chez Maine de Biran », dans Cahier de la Nouvelle Journée, no 39, Bloud et Gay, 1938
Rédigé en 1923
Henri Gouhier, Les conversions de Maine de Biran, Paris, Vrin, 1948
Michel Henry, Philosophie et phénoménologie du corps. Essai sur l'ontologie biranienne, coll. « Epiméthée », PUF, 1965
Gilbert Romeyer-Dherbey, Maine de Biran ou le Penseur de l'immanence radicale, Paris, Seghers,
Lucien Even, Maine de Biran, critique de Locke, avant-propos de Henri Gouhier, coll. « Bibliothèque philosophique de Louvain », Louvain-la-Neuve, Peeters, 1983, 116 p. (ISBN978-2-8017-0193-5)
François Azouvi, Maine de Biran. La science de l’homme, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie »,
Su-Young Hwang, L'habitude dans le spiritualisme français : Maine de Biran, Ravaisson, Bergson, Lille, 1996
Masaki Furukawa, Philosophie et religion chez Maine de Biran, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1998 (ISBN2284014348 et 9782284014348)
(it) Gustavo Gamna, Oltre l'esistenza : M. F. P. Maine de Biran, N. Berdjaev, D. Bonhoeffer e l'antropofenomenologia, Turin, Castalia, 1998, 152 p.
Gabriel Tarde, Maine de Biran et l'évolutionnisme en psychologie, Paris, Institut d'édition Sanofi-Synthélabo, 2000.