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Mathurin Veyssière de La Croze, né le à Nantes et mort le à Berlin, est un érudit orientaliste et bibliothécaire prussien de naissance française. Huguenot, il a travaillé à la cour de Berlin et laissé en manuscrit quatre dictionnaires des langues copte, arménienne, slave et syriaque[1].
Le père de Veyssière de La Croze, qui avait réalisé une fortune assez considérable dans le commerce, ne négligea rien pour l’éducation de son fils, qui apprit le latin avec une telle facilité qu’il le parlait et l’écrivait correctement à l’âge où les autres enfants n’en connaissaient pas encore les premières règles. Ayant reçu sa première éducation des leçons privées de son père et de la bibliothèque de ce dernier, la sévérité excessive de son précepteur mit fin à ses progrès, et, décidé à renoncer pour toujours à l’étude, il obtint de son père la permission de passer dans les possessions françaises d’Amérique dans le dessein d’apprendre le commerce. Embarqué pour la Guadeloupe à l’âge de quatorze ans, il ne fit, pendant son séjour dans cette ile, qu’y apprendre l’anglais, l’espagnol et le portugais, moins à l’aide des livres que par la fréquentation des étrangers. De retour à Nantes, en 1677, et son père ayant fait plusieurs faillites qui désorganisèrent ses affaires, Lacroze abandonna le commerce pour étudier la médecine. Bientôt rebuté par sa nouvelle profession, et pensant à s’assurer une retraite ainsi que les moyens de satisfaire sa passion d’apprendre, il crut les trouver dans une maison religieuse. Entré comme novice dans la congrégation de Saint-Maur du monastère de Saint-Florent de Saumur, en 1677, il étudia la théologie au Mans, et prit l’habit de Saint-Benoit dans la congrégation de Saint-Maur, en 1682, et fut affecté à l’abbaye-mère de la congrégation à Saint-Germain-des-Prés où il travailla sur la grande question des Pères de l'Église. On ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait reçu de la nature un caractère indépendant ; en conflit avec son ordre, il eut le tort de lutter ouvertement contre ses supérieurs, et seule la fuite lui permit d’échapper à la prison à laquelle il avait été condamné. Un ami lui procura les vêtements qui lui servirent à se déguiser ; il traversa la France, et arriva en 1696 à Bâle, où il se fit immatriculer sous le nom de « Lejeune » à l’université où il trouva l’appui des professeurs Peter Werenfels (de) et Johann Jakob Buxtorf (de)[2],[3].
Au bout de quelques mois il fit profession publique de la religion réformée et, ayant obtenu des soutiens, il s’en servit pour se rendre à Berlin, où il eut d’abord quelque peine à vivre, d’abord en donnant des leçons de français et d’italien, dont le produit suffisait à peine à ses premiers besoins. Ses amis agissaient cependant pour lui obtenir un emploi et, en 1697, il fut nommé bibliothécaire du prince-électeur de Brandebourg, mais avec des appointements si modiques qu’il lui était impossible de faire aucune épargne. Il profita des loisirs que lui laissait son poste pour publier quelques ouvrages qui étendirent sa réputation sans améliorer son sort. Il se chargea aussi de l’éducation du margrave de Schwedt, qui fut terminée en 1714 et, à cette époque, il se trouvait si dépourvu qu’il se vit obligé de recourir à la bienveillance de Leibniz, qui le fit nommer à une chaire de l’académie d’Helmstadt, mais le refus de Lacroze de signer la profession de foi luthérienne l’empêcha d’être installé. Une somme gagnée à la loterie de Hollande vint atténuer un peu sa situation, et, bientôt après, il fut rappelé à Berlin pour diriger l’éducation de la princesse royale, depuis margrave de Bayreuth princesse Wilhelmine, la sœur très proche de Frédéric II. Son auguste élève fit augmenter son traitement de bibliothécaire, et il eut la permission, en 1725, de cumuler ce poste avec celui de professeur de philosophie au collège français de Berlin.
Tranquille désormais sur son sort, Lacroze aurait pu se livrer entièrement à l’exécution de ses projets de recherche, dans lesquels il avait été empêché jusque-là, faute de ressources suffisantes, mais bien que le début de son séjour à Berlin avec Friedrich Ier se soit passé dans de bonnes conditions et que l’ascension de Frédéric Ier du rang d’électeur à celui de roi ait fait de lui, en 1701, le bibliothécaire royal à Berlin, en dépit de la faiblesse du budget alloué aux acquisitions de la bibliothèque de Berlin, les intérêts du roi-soldat étaient hostiles à l’éducation. Le budget fut donc complètement retiré aux nouvelles acquisitions d’ouvrages et parfois même au salaire du personnel de la bibliothèque. La Croze ne put continuer son travail de bibliothécaire que grâce à ses gains à la loterie et à d’autres revenus[4], cataloguant l’inventaire manuscrit complet et rendant la bibliothèque accessible à la recherche. Des incommodités, suites ordinaires d’un travail excessif, vinrent assombrir sa vieillesse, et la perte d’une épouse affectionnée acheva d’obscurcir le reste de sa vie. Le P. Pez, qui aimait Lacroze, crut le moment favorable pour l’engager à retourner au catholicisme, en lui offrant de la part de l’abbé de Göttweig (de) le poste de garde de la célèbre bibliothèque conservée dans cette abbaye, mais il échoua dans ce dessein. Après avoir langui quelques années dans des souffrances presque continuelles, Lacroze mourut d’un ulcère à la jambe. Considéré comme l’un des hommes les plus instruits de son temps, décrit comme « doué d’un esprit pénétrant et d’une mémoire prodigieuse[5] », il a mené une vaste correspondance avec de nombreux autres chercheurs importants. Ses qualités personnelles lui valurent de nombreux amis, parmi lesquels Leibniz, Spanheim, Bayle, Fabricius, Wolff, Beausobre, Lenfant, Cuper, etc. Il a écrit beaucoup d’ouvrages dans le domaine de l’orientalisme[6], publiant plusieurs ouvrages sur l’histoire des missions en Inde, en Éthiopie et en Arménie. Il a laissé une bibliothèque privée importante et une grande propriété avec de nombreuses œuvres inédites. Ses manuscrits sont allés à Charles-Étienne Jordan et Theodor Hirsch. L’un des hommes les plus érudits de son temps, Adolf von Harnack a dit de lui : « Il maitrisait non seulement toutes les langues culturelles, mais il pénétrait également, bien qu’essentiellement autodidacte, les langues slaves et sémitique, le basque, l’arménien, le chinois, et surtout le copte[7]. » Il a, en effet, laissé notamment en manuscrit un dictionnaire copte-latin, publié à titre posthume par Karl Gottfried Woide (de) et enrichi par le prédicateur du roi de Prusse, Christian Scholz (de) à Oxford en 1775, sous le titre de Lexicon Ægyptiaco-Latinum, et dont s’est servi Jean-François Champollion pour son travail. Il a laissé en manuscrit un Dictionnaire arménien, qui lui avait, dit-on, couté douze ans de recherches ; un Dictionnaire sclavon-latin ; un Dictionnaire syriaque, et des Notes curieuses sur Lycophron et sur le Théâtre d’Aristophane. Il a, en outre, publié plusieurs Dissertations dans les Miscellanea Berolinensia, dans la Bibliotheca Bremensis, et un grand nombre d’articles dans les journaux publiés de son temps en Allemagne et en Pays-Bas. Il a aussi eu part à l’Histoire de Bretagne, par Dom Lobineau, qui a négligé de faire connaitre les services qu’il en avait reçus.
Jordan a publié une Histoire, beaucoup trop diffuse, de la vie et des ouvrages de Lacroze, Amsterdam, 1741, in-8°. La seconde partie contient ses remarques détachées sur différents sujets. On trouvera, dans le Dictionnaire de Chauffepié, un article sur Lacroze, plus intéressant et plus exact que l’ouvrage de Jordan. On l’a confondu quelquefois avec le littérateur Jean Cornand de La Crose, d’une autre famille.