Le terme microcystine désigne une famille de toxines produites par différents genres de cyanobactéries. On désigne les microcystines comme des cyanotoxines dans la mesure où elles représentent une famille de composés produits par les cyanobactéries qui présente un effet délétère sur l'activité biologique d'un organisme dans un environnement donné[1]. Les cyanobactéries productrices de microcystine ont principalement été identifiées en eau douce. Cependant, en milieux marins certains genres de cyanobactéries tels que Geitlerinema ou Synechococcus ont également été décrit comme producteurs de microcystines[2]. En 2004, la présence de microcystines en milieux terrestres a également pu être mise en évidence. Les microcystines seraient également produites par des cyanobactéries du genre Nostoc évoluant en symbiose avec certains lichens[3].
Les microcystines sont à ce jour les cyanotoxines les mieux caractérisées et les plus répandues au sein du phylum des cyanobactéries[4]. Cette molécule, très résistante, est dite « heptapeptide » car constituée de sept acides aminés qui se rejoignent aux extrémités pour former une structure cyclique.
Les pullulations (sous forme d'efflorescences planctoniques le plus souvent) de cyanobactéries produisant de la microcystine semblent en augmentation depuis quelques décennies, en raison de l'eutrophisation générale de l'environnement et elles pourraient être sous-estimées.
Elles causent la mort d'animaux sauvages et domestiques (bétail, chiens, chats, etc.)[5] et peuvent aussi affecter les humains[6] (ex. : soixante personnes mortes en 1996 lors d'une intoxication à l'hôpital de Caruaru au Brésil[7]).
Les microcystines sont le type de cyanotoxine le plus étudié à ce jour. En France elles sont notamment suivies en Bretagne depuis 1995 où leur présence a été détectée dans près de 65 % des sites étudiés[8],[9]
En 2004, les toxicologues et biologistes en avaient déjà identifié plus de soixante-dix variantes[10]. Elles sont produites par plusieurs genres de cyanobactéries qui regroupent de nombreuses espèces présentes sur tous les continents où elles produisent occasionnellement (et de plus en plus souvent – chaque année dans certains lacs) des efflorescences potentiellement hépatotoxiques. Ces bactéries appartiennent principalement aux genres Oscillatoria, Nodularia, Microcystis, Planktothrix, Anabaena et Aphanizomenon. Une même efflorescence peut associer plusieurs espèces appartenant à plusieurs de ces genres de bactéries et leurs toxines peuvent avoir des effets synergiques.
Ils sont toxicologiques et sanitaires (qualité des eaux de baignade, qualité de l'eau potable[11],[12],[13], qualité de la viande de gibier ou du bétail, et même du lait dans lequel la toxine peut passer (chez la vache par exemple[14])), mais aussi écotoxicologiques et de connaissance, et relèvent notamment de l'évaluation environnementale, de la surveillance environnementale[15] et de l'évaluation et la gestion des risques[16].
Squelette de la microcystine : 1, D-Alanine ; 2, X (variable) ; 3, D-MeAsp (D-érythro-b-méthyl-D-acide aspartique) ; 4, Z (variable) ; 5, Adda (acide (2S, 3S, 8S, 9S)-3-amino-9-méthoxy-2-6-8-triméthyl-10-phényldéca-4,6-diènoïque) ; 6, D-glutamate ; 7, Mdha (N-méthyldéshydroalanine). R1 et R2 sont H (déméthylmicrocystines) ou CH3[17].
Elles proviennent majoritairement de substitution d’acide aminé en position 2 et 4 ou bien du retrait/ajout d’un groupe méthyle sur les fonctionnalités 3 et 7.
Les acides aminés les plus communs à la position X sont la leucine (L), l’arginine (R) et la tyrosine (Y), alors qu’à la position Z on retrouve généralement l’arginine (R), l’alanine (A) et la méthionine (M)[10]. Le tableau suivant présente les différents acides aminés retrouvés à chaque position. La combinaison de ces possibilités explique le fait qu’il y ait autant de microcystines.
AA 1 | AA 2 | AA 3 | AA 4 | AA 5 | AA 6 | AA 7 |
---|---|---|---|---|---|---|
D-Ala | L-Leu | D-MeAsp | L-Arg | Adda | D-Glu | Mdha |
D-Ser | L-Arg | D-Asp | L-Aib | ADMAdda | D-MeGlu | Dha |
L-Ala | L-Ala | DMAdda | E(OMe) | Dhb | ||
L-Glu | L-Glu | (6Z)Adda | L-Ala | |||
L-GluMe | L-GluMe | L-MeSer | ||||
L-Har | L-Har | L-Ser | ||||
L-Hil | L- Hph | Mdhb | ||||
L-Hph | L-Hty | MeLan | ||||
L-Hty | L-Leu | |||||
L-Met | L-Met | |||||
L-Met(O) | L-Met(O) | |||||
L-Phe | L-Phe | |||||
L-ThTyr | L-Trp | |||||
L-Trp | L-Tyr | |||||
L-Tyr | L-Val |
Aib = Acide aminoisobutytique
ADMAdda = O-Acétyl-O-déméthylAdda
Dha = Déshydroalanine
Dhb = Déshydrobutyrine
DMAdda = O-DéméthylAdda
E(OMe) = Acide glutamique méthylester
Har = Homoarginine
Hil = Homoisoleucine
Hph = Homophénylalanine
Hty = Homotyrosine
MeLan = N-Méthylanthionine
Met(O) = Méthionine-S-oxyde
MeSer = N-Méthylsérine
ThTyr = 1,2,3,4-Tétrahydrotyrosine
(6Z)Adda = Stéréoisomère de Adda
Selon leur composition, les microcystines présentent une gamme de poids moléculaires située entre 900 et 1 100 Da.
Ces molécules sont très solubles dans l’eau et peu volatiles.
Il existe une importante diversité d'organismes producteurs de microcystines.
À cause de leurs structures cycliques, elles sont très résistantes face aux conditions ambiantes et elles tolèrent différentes conditions de pH et de températures. De plus, elles peuvent rester stables pendant des années[19], voire sous forme de traces durant des siècles, millénaires[7] voire centaines de milliers d'années si elles ne sont pas en contact avec la lumière.
Bien que la première mort par empoisonnement bactérien de groupes d'animaux n'ait été rapportée qu'au XIXe siècle (par Georges Francis en 1878 dans le journal Nature[20]), des épidémies zoonotiques de ce type ont été rapportées sur tous les continents au XXe siècle, préoccupant en raison de l'augmentation estimée des blooms saisonniers dans de nombreux pays, et de nombreux indices laissent penser que de tels phénomènes sont plus anciens encore ; les populations indigènes amérindiennes du Nord de l'Amérique, d'Afrique et d'Australie connaissaient la nature toxique de certaines pullulations de cyanobactéries[21].
Ainsi, des analyses paléobiochimiques de sédiments anciens composés de cyanobactéries très probablement décomposés par d'autres bactéries, benthiques montrent ce qui semble être des pigments et des toxines caractéristiques des cyanobactéries. Ceci laisse penser que des pullulations de cyanobactéries toxiques ont autrefois périodiquement eu lieu de manière saisonnière, par exemple dans des lacs de cratères volcaniques où l'on trouve des accumulations inhabituelles de cadavres de vertébrés aujourd'hui fossilisés (par exemple à Neumark-Nord ou dans d'autres sédiments lacustres tertiaires tels que le schiste bitumineux de Messel (ancien lac volcanique)), y compris des mammifères[22]. La position de certains squelettes laisse penser que leurs propriétaires aient pu mourir empoisonnés[23].
Dans ce pays, les premiers signalements de blooms planctoniques à cyanophycées dans les rivières, mares et réservoirs d'eau potable (lacs de barrages) ont été effectués en Bretagne au milieu des années 1990, avec 25 réservoirs identifiés, le plus souvent colonisés par la cyanobactérie Microcystis aeruginosa[24].
La cyanophycée filamenteuse Planktothrix agardhii a par exemple été trouvée dans un lac peu profond et eutrophe, utilisé pour les loisirs et la pêche et relié à la Seine par un canal artificiel, avec dans ce cas une biomasse élevée toute l'année, même en hiver (7,9 × 104 à 4,5 × 106 trichomes/L)[25]. était dans ce cas associé à une autre cyanobactérie (Limnothrix redekei) toutefois moins présente. Les analyses ont révélé la présence de cinq microcystines différentes dans ces eaux.
Les variants les plus toxiques le sont autant que le curare (à dose égale)[7].
Des empoisonnements dus à la consommation d'eau contaminée par la cyanobactérie toxique Cylindrospermopsis raciborskii ont été étudiés à Palm Island (nord du Queensland, Australie)[26]. Sa toxine a été finement étudiée et même biosynthétisée in vitro, et sa détection et quantification par analyse chimique et biologique ont été améliorées[26]. Les facteurs favorisant la production de toxines par les isolats de culture de C. raciborskii sont mieux compris de même que ceux qui provoquent leur libération dans l'environnement. Diverses stratégies de gestion sont testées dans le monde visant à minimiser la production de toxine ou diminuer ses effets néfastes, par traitement de l'eau ou du milieu ou en cherchant à neutraliser la toxine ou à empêcher la prolifération des cyanophycées. On cherche encore à mieux comprendre les facteurs de risque, la génétique de ces espèces[26], mais des techniques moléculaires permettent maintenant de caractériser les souches « toxiques » et « non toxiques »[26].
Les microcystines sont des molécules hépatotoxines (qui détruisent les cellules du foie en désorganisant leur cytosquelette).
Ce sont des inhibiteurs de protéines de types phosphatases (PP1 ou PP2A) qui exécutent la déphosphorylation de phosphoprotéines intracellulaires chez les eucaryotes. Cette inhibition entraîne un dérèglement de la structure de la cellule qui conduit à sa nécrose ; une nécrose massive d'hépatocytes entraîne une hémorragie interne et éventuellement la mort.
De plus, la phosphorylation excessive de protéines anti-tumorales fait en sorte que les microcystines sont considérées comme des promoteurs de tumeurs[17].
La toxicité de cette molécule varie fortement d'une part selon l'espèce qui est en contact avec la toxine (certaines espèces y sont naturellement plus résistantes), et d'autre part selon la forme (variant moléculaire) de la molécule de microcystine.
La toxicité des différentes variantes de la microcystine semble dépendre du degré de méthylation de certains acides aminés.
Lorsque l’entité ADDA est méthylée, la toxicité de la microcystine diminue considérablement, suggérant que cette partie de la molécule est le site d’interaction majeur avec les phosphatases[27]. De plus, la forme linéaire des microcystines est reconnue pour être cent fois moins toxique[17].
Une saisonnalité des mortalités par intoxication est observée et peut l'être rétroactivement par l'étude des sédiments.
Certains événements attirent l'attention par leur importance géographique (ex. : bloom observé sur 1 000 km environ sur la Darling en Australie, qui a tué au moins 2 000 bovins[7]) ou par une espèce qui semble particulièrement vulnérable (ex. : 320 alligators morts empoisonnés de 1997 à 2001 à la suite des blooms observés sur le lac Griffin (Floride)[7]). En France, en 2003, plusieurs chiens sont morts après avoir bu de l'eau de la Loue[7], dont les sources coulent sur une décharge de munitions non explosées datant de la première Guerre mondiale.
Les morts animales surviennent souvent durant mêmes saisons avec certaines conditions météorologiques identiques (pas de vent durant une certaine période[28]), aux mêmes endroits (mêmes points d'eau stagnante) et généralement quand les animaux n'ont pas d'accès à un point d'eau sain à proximité[28]. Mais les eaux contaminées par les toxines de certaines cyanophycées semblent attirer certains animaux, et en laboratoire, la souris se montre plus attirée par une eau contaminée que par une eau propre ou une eau contenant d'autres bactéries, buvant l'eau toxique jusqu'à en mourir[29]. Il est possible qu'une telle attraction « fatale »[28] se produise parfois dans la nature ou que des espèces n'aient pas su choisir entre deux points d'eau, l'un contaminé et l'autre ne le semblant pas (ex. : 15 chiens et 20 moutons morts au Royaume-Uni après avoir bu dans le Rutland water (Leicestershire en 1989[28],[30])).
Certains oiseaux qui se nourrissent en filtrant l'eau (canards, flamants roses[31]…) y sont plus exposés.
Ils sont liés au risque d'exposition en cas de :
Les blooms algaux sont de plus en plus fréquent en eaux intérieures (lacs de barrages, lacs et étangs urbains protégés du vent) et des contaminations aux microcystines sont problématiques, en Europe y compris[41].
Une microcystine peut être évoquée quand un animal présente des symptômes d'empoisonnement ou qu'il meurt dans un contexte où un bloom bactérien de cyanophycées a été constaté. Des analyses biochimiques peuvent permettre de trouver des traces de ces toxines ou de la bactérie qui les produit dans l'estomac. Une nécropsie pratiquée lors d'une autopsie précoce montre une attaque du foie avec nécroses cellulaires. Une étude plus poussée permet de trouver des traces de la toxine dans les tissus.