Dans Les Travaux et les Jours, poème didactique composé en grec ancien au VIIIe siècle av. J.-C., le poète Hésiode distingue cinq races d'êtres humains successives, dans lesquelles l'existence, d'abord idéale, se dégrade progressivement. Chacune de ces races est créée par les dieux de l'Olympe, et vient à s'éteindre après un temps déterminé.
La race d'or est créée lorsque Cronos règne encore au ciel :
« les Hommes à cette époque ne travaillaient pas et vivaient en accord parfait avec la faune et la flore, les sacrifices étaient donc inexistants. Les Hommes n'étaient pas à proprement parler « humains » ; ainsi, ils ne se reproduisaient pas, mais étaient « semés ». Les saisons étaient inexistantes, ils vivaient dans un printemps éternel. La nature était d'ailleurs bienfaitrice (mère nourricière) et leur fournissait tout sans aucun effort. « Ils vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, à l'écart et à l'abri des peines et des misères : la vieillesse misérable sur eux ne pesait pas ; mains, bras et jarret toujours jeunes, ils s'égayaient dans les festins, loin de tous les maux. Mourants, ils semblaient succomber au sommeil[1]. »
Ceux-là vivent des récoltes que la terre donnait d'elle-même et, après leur mort, sont changés par Zeus en « bons génies de la terre, gardiens des mortels, dispensateurs de la richesse ».
La race d'argent, parce qu'elle se montre coupable d’hybris, connaît le mal et la douleur : « Ils ne savaient pas s'abstenir entre eux d'une folle démesure. » C'est aussi le début de l'agriculture ; pour la première fois les Hommes doivent creuser la terre afin d'obtenir le blé. Elle fut finalement ensevelie par Zeus, courroucé de ne les voir rendre aucun hommage aux dieux.
La race de bronze est une race guerrière, « fille des frênes, terrible et puissante » : également coupable d’hybris, elle finit par s'anéantir elle-même.
La race des héros, « plus juste et plus brave », est celle des demi-dieux engendrés par les immortels venus s'unir avec les mortelles. Leurs histoires sont racontées dans les épopées antiques ; la plupart périssent lors de la guerre des sept chefs à Thèbes puis à la guerre de Troie, et les plus méritants sont placés par Zeus dans les Îles des Bienheureux.
La race de fer, actuelle, trouve encore « quelques biens mêlés à tant de maux ». Mais un temps plus dur attend cette race, où : « [...] l'hôte n'est pas à l'abri de son hôte, ni le beau-père de son gendre ; même entre frères, la bonne entente est rare. Le mari médite la mort de sa femme, et la femme celle de son mari ; de redoutables marâtres mélangent les sucs livides de l'aconit ; le fils se demande combien d'années va vivre encore son père. » Indignées, Aidos et Némésis quitteront alors la terre pour se réfugier dans l'Olympe, alors « il ne restera plus aux mortels que les chagrins dévorants, et leurs maux seront irrémédiables ».
Platon, évoquant explicitement l'œuvre d'Hésiode, propose une interprétation du mythe dans sa République[2] : il est censé justifier les inégalités sociales auprès du peuple par le droit naturel. On y apprend que les Hommes sont naturellement divisés en trois races que leur éducation révèlera et à chacune desquelles correspond un groupe social. Selon le métal avec lequel chaque Homme est mélangé, il appartiendra à l'une ou l'autre de ces races et se verra ainsi attribuer une fonction spécifique dans la cité : les Hommes « ayant reçu » de l'or à la naissance, seront philosophes ; ceux d'argent seront gardiens, et enfin, ceux d'airain et de fer se verront affectés aux « professions manuelles ». Une « transmutation » vers un autre métal, quel que soit le métal, est possible par filiation : les parents donnent souvent mais pas nécessairement naissance à des « rejetons » du même métal qu'eux.
Ovide, dans ses Métamorphoses, ne cite pas cinq races mais quatre âges successifs : l'or, l'argent, le bronze et le fer.
Selon Jean Haudry, le mythe des âges chez Hésiode dérive de la conception du cycle cosmique présente chez les Indo-Européens : celui-ci comprend initialement une phase ascendante, une phase descendante et une période obscure. Hésiode ne garde plus que les phases de la décadence[3].
Plus que le métal dont ils sont faits (car rien ne précise dans les textes que ces Hommes sont réellement métalliques), les vertus qui président à leur façon de conduire leur vie, la façon dont se répartissent diké, c'est-à-dire « Justice » (qui est aussi une déesse) et hybris, c'est-à-dire « Démesure » (au sens de rivalité avec les Dieux, ou de comportement déraisonnable : la race de bronze, par exemple, ne cessait de guerroyer) dans leur vie détermine leur sort dans la vie future. Chez les Hommes de la race d'or comme chez ceux de la race d'argent, c'est la justice qui oriente leur vie en sorte que, après leur mort, les uns comme les autres deviendront des daimones (esprits intermédiaires entre les Dieux et les Hommes). On peut comprendre cette détermination comme une forme de prédestination ou comme un accès possible à une forme de sainteté. Le mythe est alors une forme de compréhension de l'humanité et du projet de dépasser le sort commun à sa qualité d'être périssable.
« Le Mythe hésiodique des races. Essai d’analyse structurale », « Le Mythe hésiodique des races. Sur un essai de mise au point » et « Méthode structurale et mythe des races », dans Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, La Découverte, coll. « Poches », Paris, 1996, respectivement p. 19–47, 48–85 et 86–106 (ISBN2707126284),
« Le Mythe prométhéen, le mythe des races et l'émergence de la Cité-État », dans Fabienne Blaise, Pierre Judet de la Combe et Philippe Rousseau (dir.), Le Métier du mythe. Lectures d'Hésiode, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Cahiers de Philologie / Apparat critique » (ISBN2-85939-508-3).
Pierre et André Sauzeau, « Le Symbolisme des métaux et le mythe des races métalliques », Revue de l'histoire des religions, rhr 3/2002 (lire en ligne)
Alain Ballabriga, « L'Invention du mythe des races en Grèce archaïque », Revue de l'histoire des religions, rhr 3/1998 (lire en ligne)
J.-P. Brisson, Rome et l’âge d’or, de Catulle à Ovide, vie et mort d’un mythe, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui / Histoire classique », (ISBN2707121576)
Jacqueline Fabre-Serris, Mythologie et littérature à Rome : La réécriture des mythes aux Iers siècles avant et après J.-C., Lausanne, Payot, (ISBN2601032286), p. 27–38
Monique Mund-Dopchie, « De l'âge d'or à Prométhée : Le choix mythique entre le bonheur naturel et le progrès technique », Folia Electronica Classica, no 2, (lire en ligne)
Monique Mund-Dopchie, « L’âge d’or et Prométhée : Destins croisés de deux mythes fondateurs chez les Grecs », Folia Electronica Classica, no 14, (lire en ligne)