Nuit et brouillard

Plaque commémorative des victimes françaises du camp de concentration de Hinzert, qui montre l'expression Nacht und Nebel.

« Nuit et brouillard » (en allemand Nacht und Nebel, ou NN) est le nom de code des « directives sur la poursuite pour infractions contre le Reich ou contre les forces d’occupation dans les territoires occupés » (Richtlinien für die Verfolgung von Straftaten gegen das Reich oder die Besatzungsmacht in den besetzten Gebieten). Elles sont l'application d'un décret du signé par le maréchal Keitel et ordonnant la déportation de tous les ennemis ou opposants du Troisième Reich.

En application de ce décret, il était possible de transférer en Allemagne les ressortissants des pays occidentaux occupés (France, Norvège, Pays-Bas, Belgique et Luxembourg[1]) représentant « un danger pour la sécurité de l'armée allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou réfractaires à la politique ou aux méthodes du Troisième Reich) et à terme, de les faire disparaître dans un secret absolu.

L'article 10 de l'armistice du entre la France et l'Allemagne disait : « Art. 10. — Le gouvernement français s’engage à n’entreprendre à l’avenir aucune action hostile contre le Reich allemand avec aucune partie des forces armées qui lui restent ni d’aucune autre manière. Le gouvernement français empêchera également les membres des forces armées françaises de quitter le territoire français et veillera à ce que ni des armes ni des équipements quelconques, ni navires, avions, etc., ne soient transférés en Angleterre ou à l’étranger. Le gouvernement français interdira aux ressortissants français de combattre contre l’Allemagne au service d’États avec lesquels l’Allemagne se trouve encore en guerre. Les ressortissants français qui ne se conformeraient pas à cette prescription seront traités par les troupes allemandes comme francs-tireurs »[2].

Se fondant sur de tels articles, les dirigeants nazis considéraient que les résistants des pays qui avaient signé un armistice avec l'Allemagne ou capitulé n'étaient pas protégés par les conventions de La Haye (la première en 1899 et la seconde conférence de La Haye en 1907). Ces conventions définissaient des devoirs non seulement envers les membres des armées nationales, mais envers tous les belligérants qui portaient les armes ouvertement et respectaient eux-mêmes les lois et coutumes de la guerre[3].

Le point de vue allemand a été combattu du côté français. Le procureur François de Menthon a déclaré au procès de Nuremberg : « Certes, les membres de la résistance ne remplissaient que rarement les conditions prévues par les conventions de La Haye pour être considérés comme des combattants réguliers. Ils pouvaient être condamnés à mort comme francs-tireurs et exécutés. Mais ils furent assassinés sans jugement dans la plupart des cas et après avoir été souvent affreusement torturés »[4]. Les arguments suivants ont également été soutenus par des Français : l'armistice n'est pas la paix[5], leur pays est toujours en guerre contre l'Allemagne[6] ; en France, l'occupant a, dès le départ, violé les stipulations de accords de Rethondes par la création de la zone interdite[7] et le rattachement au Reich de la Moselle et de l'Alsace[8],[9], avant l'invasion de la zone libre. Les nazis ont cherché une base juridique de justification de mauvais procédés qui auraient été pratiqués de toute façon.[réf. nécessaire]

Le , le chef des SS Himmler fait parvenir ces instructions à la Gestapo : « Après mûre réflexion, la volonté du Führer est de modifier les mesures à l'encontre de ceux qui se sont rendus coupables de délits contre le Reich ou contre les forces allemandes dans les zones occupées. Notre Führer est d'avis qu'une condamnation au pénitencier ou aux travaux forcés à vie envoie un message de faiblesse. La seule force de dissuasion possible est soit la peine de mort, soit une mesure qui laissera la famille et le reste de la population dans l'incertitude quant au sort réservé au criminel. La déportation vers l'Allemagne remplira cette fonction »[10].

Le maréchal Keitel publie une lettre qui dit explicitement :

« A. Les prisonniers disparaîtront sans laisser de trace
   B. Aucune information ne sera donnée sur leur lieu de détention ou sur leur sort[10].
 »

Précédents en Allemagne

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Dès 1934, les Allemands sont exposés à trois mesures d'exception :
  • « Schutzhaft » (détention de sûreté) sans jugement pour une durée indéterminée dans une prison ou un camp ;
  • peine de prison à temps après une procédure devant des tribunaux spéciaux, les « Sondergerichte » ;
  • « mise au camp » pour une durée indéterminée au terme de la peine de prison à temps.

Contenu du décret NN

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Le décret NN dispose :

  • ne sont à juger dans les pays occupés que les crimes à coup sûr justiciables de la peine de mort et à condition que celle-ci puisse être appliquée dans un délai inférieur ou égal à huit jours ;
  • les inculpés qui ne rempliraient pas ces deux conditions sont à déporter en Allemagne sous le secret absolu. Ils seront isolés du monde et, soit jugés en Allemagne, soit internés dans un camp ;
  • la seule réponse à faire à des organismes étrangers ou allemands qui poseraient des questions sur ces disparus est : « l'état de la procédure ne permet de donner aucune information. »

Texte du Décret

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Directives pour la poursuite des délits commis dans les territoires occupés contre l'État allemand ou la puissance occupante, du 7 décembre 1941.

Dans les territoires occupés, les éléments communistes et autres cercles hostiles à l’Allemagne ont intensifié leurs efforts contre l’État allemand et les puissances occupantes depuis le début de la campagne russe . L'ampleur et le danger de ces machinations nous obligent à prendre des mesures dissuasives sévères. Tout d’abord, les directives suivantes doivent être appliquées :

I. Dans les territoires occupés, la peine adéquate pour les délits commis contre l'État allemand ou la puissance occupante et mettant en danger leur sécurité ou leur état de préparation est en principe la peine de mort.

II. En règle générale, les délits énumérés au premier paragraphe, ne doivent être traités dans les pays occupés que s'il est probable qu'une condamnation à mort soit prononcée contre l'auteur de l'infraction, au moins l'auteur principal de l'infraction, et si le procès et l'exécution peuvent être menés à leur terme. en très peu de temps. Dans le cas contraire, les contrevenants, au moins les contrevenants principaux, doivent être emmenés en Allemagne.

III. Les prisonniers emmenés en Allemagne ne sont soumis à la procédure militaire que si des intérêts militaires particuliers l'exigent. Si les autorités allemandes ou étrangères s'enquièrent de ces prisonniers, elles doivent être informées qu'ils ont été arrêtés mais que la procédure ne permet pas d'obtenir d'autres informations.

IV. Les Commandants dans les territoires occupés et les autorités judiciaires, dans le cadre de leur juridiction, sont personnellement responsables de l'observation du présent décret.

V. Le Chef du Haut Commandement des Forces Armées détermine dans quels territoires occupés le présent décret doit être appliqué. Il est habilité à expliquer et à émettre des décrets et des compléments. Le ministre de la Justice du Reich édictera des décrets dans son propre ressort[11].

Application du décret NN

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Au départ, les détenus NN tombent sous le coup d'une Schutzhaft aggravée par le strict isolement individuel (strenge Einzelhaft, mise au secret), jusqu'au jugement éventuel par un Sondergericht (tribunal d'exception) local ou par le 2e Sénat du Volksgerichtshof en tournée[réf. nécessaire].

Majoritairement Français, Belges, Hollandais et Norvégiens, les détenus ainsi marqués n'auront connaissance de leur statut qu'après la guerre. Ils voient bien qu'ils ne reçoivent ni courrier ni colis. Ils n'ont pas le droit d'écrire. Tous les déportés ne sont pas NN, mais tous les NN sont déportés. Ils ne sont pas tous condamnés à mort ; nombre d'entre eux sont sous le coup de condamnations à des peines de prison ou de travaux forcés. Les détenus en fin de peine sont « mis au camp » sans spécification de durée. Dès l'arrivée de ces détenus dans les camps, les lettres NN, de couleur rouge ou jaune selon les catégories[12], sont peintes sur leurs vêtements. Ils subissent particulièrement les sévices des gardiens SS ou des kapos[13].

En 1943, la Gestapo décide, sans en informer la Wehrmacht, d'un autre type de déportation NN. Elle transfère une partie des prisonniers de la Wehrmacht, qui auraient dû être jugés, directement en camps de concentration. Ainsi, il existe désormais deux sortes de déportés NN : les « déportés NN-Wehrmacht » et les « déportés NN-Gestapo »[13],[14].

À l'automne 1944, devant l'échec manifeste de la politique NN (la dissuasion est nulle, le nombre d'insurgés augmentant sans cesse), le régime NN est partiellement levé. Les Allemands vident leurs prisons et leurs bagnes surpeuplés des détenus NN qui sont mis au régime commun dans les camps de concentration où les résistants sont envoyés sans procédure ni jugement. Du statut NN, seule subsiste la privation de colis et de courrier qui, dans bien des cas, sera fatale.[réf. nécessaire]

Origine de l'expression

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Selon certains, le statut Nacht und Nebel aurait été nommé ainsi par allusion à un passage de l'opéra de Wagner L'Or du Rhin, dans lequel Alberich, roi des Nibelungen, coiffé du casque magique, se change en colonne de fumée et disparaît tandis qu'il chante « Nacht und Nebel, niemand gleich » (« Nuit et brouillard, plus personne »)[15].

En fait, « bei Nacht und Nebel » était, dès avant la création de cet opéra (1869), une expression allemande courante pour dire « à la faveur de la nuit »[16].

Selon certains historiens, « Nacht und Nebel » serait une interprétation surajoutée (par les nazis eux-mêmes) à l'abréviation NN de Nomen nescio (latin signifiant « je ne connais pas le nom »), utilisée en allemand (et en néerlandais) pour désigner une personne qu'on ne veut pas ou ne peut pas nommer. C'est dans le sens de Nomen Nescio que l'administration des camps aurait d'abord utilisé les lettres NN[17]. D'après Jean-Luc Bellanger[18], on trouve dès le l'expression « Nacht und Nebel-Erlass » (« ordonnance Nacht und Nebel ») pour désigner l'ordonnance de Keitel, mais l'ordonnance elle-même ne contient ni l'abréviation « NN » ni les mots « Nacht und Nebel ».

Notes et références

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  1. Joseph de la Martinière, Le décret et la procédure Nacht und Nebel, Orléans, Édité par l'auteur, , 71 p., page 12
  2. Consultable sur le site de l'université de Perpignan et sur Wikisource.
  3. « Article Premier. Les lois, les droits et les devoirs de la guerre ne s'appliquent pas seulement à l'armée, mais encore aux milices et aux corps de volontaires réunissant les conditions suivantes :
    1. d'avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés ;
    2. d'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ;
    3. de porter les armes ouvertement et
    4. de se conformer dans leurs opérations aux lois et coutumes de la guerre. » (Premier article de la Convention de La Haye de 1907 [PDF]).
  4. Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, vol. V, séance du 17 janvier 1946, p. 408; édition en langue anglaise, Trial of the Major War Criminals before the International Military Tibunal, vol. V, 1947, p. 405, consultable sur un site gouvernemental américain (p. 411 du PDF).
  5. « L'armistice n'est pas la paix : la mission de l'armée d'armistice est de préparer l'encadrement et l'armement de futures unités de combat et plus encore d'entretenir la flamme de la revanche qu'il ne faut à aucun prix laisser s'éteindre »

    — Général Weygand, cité in Christine Jordis, Une vie pour l'impossible, Éditions Gallimard, 455 p. (ISBN 978-2-07-247381-4, lire en ligne)

    .
  6. Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazera, Les patrons sous l'Occupation, Éditions Odile Jacob, , 874 p. (ISBN 978-2-7381-0328-4, lire en ligne), p. 51

    « Il est formellement rappelé aux chefs d'entreprise, écrit M. Noël, que l'armistice n'est pas la paix, et que cela ne constitue qu'une suspension des hostilités, que, juridiquement, la guerre continue […] »

    .
  7. Gilles Gauvin, Bénédicte Vergez-Chaignon et Eric Alary, Les Français au quotidien : 1939-1949, EDI8 - Plon, , 516 p. (ISBN 978-2-262-03907-3, lire en ligne)

    « Si la ligne de démarcation principale de la France est contraignante, les Allemands en ont tracé d'autres à l'intérieur de la zone occupée, ce qui est une violation manifeste de la convention d'armistice signée à Rethondes »

  8. Jacques Le Groignec, Pétain et les Allemands, Nouvelles Éditions latines, , 459 p. (ISBN 978-2-7233-1995-9, lire en ligne), p. 361-362

    « […] le gouvernement français élève une protestation solennelle contre les mesures prises, en violation de la Convention d'Armistice, à l'égard des départements alsaciens et lorrains […] »

    .
  9. Michel Catala, Les relations franco-espagnoles pendant la Deuxième Guerre mondiale : rapprochement nécessaire, réconciliation impossible, 1939-1944, Éditions L'Harmattan, , 383 p. (ISBN 978-2-7384-5715-8, lire en ligne), note 2, p. 131

    « Cette zone occupée n'est pas uniforme : les départements du nord sont rattachés au commandement militaire de Bruxelles, l'Alsace et la Lorraine sont de facto incorporées au Reich, en violation de l'armistice, et une large zone interdite couvre l'essentiel des départements du nord-est. »

    .
  10. a et b Le décret Nuit et brouillard.
  11. « Nuit et brouillard » (consulté le )
  12. « Photo de tenue de déporté avec inscription NN », sur www.struthof.fr
  13. a et b Claudine Cardon-Hamet, Les déportations « NN » ou « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard), sur deportes-politiques-auschwitz.fr, .
  14. « en juin 1943, la police (RSHA) du IIIe Reich annonce, à la grande surprise et indignation des juristes de la Wehrmacht, qu’elle a créé une nouvelle catégorie de NN, et qu’il y aura désormais des NN « ‘nouvelle manièreʼ », Joseph de la Martinière, Le décret et la procédure Nacht und Nebel, 2e édition, p. 47., cité sur http://www.monument-mauthausen.org/nuit-et-brouillard.html
  15. Ministère de la Défense, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, Collection « Mémoire et Citoyenneté » no 36, « NN - Déportés condamnés à disparaître dans la nuit et le brouillard ». Consultation en ligne.
  16. Mozin's kleines, deutsch-französisch und französisch-deutsches, aus dem vollständigen Taschen-Wörterbuch Mozin's von ihm bearbeitetes Hand-Wörterbuch, enthaltend die gemeinnützlichen Wörter nebst Aussprache zum Gebrauche der Realschulen und Lehranstalten beiderlei Geschlechtes, Éditeur Christian Gottlieb Hoelder, Dr phil. und Professor am königlichen Gymnasium in Stuttgart, Ier Theil (1re partie) Deutsch-Französisch, Stuttgart und Augsburg, J. G. Cotta'scher Verlag, 1855, 768 p., article « Nebel », p. 300.
  17. François Delpech, « La persécution nazie et l'attitude de Vichy », Historiens et Géographes, revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie de l’enseignement public (APHG), no 273, mai - juin 1979. cCercle d'étude de la déportation et de la Shoah.
  18. Jean-Luc Bellanger, « Comment les NN sont-ils devenus 'Nuit et Brouillard' ? », Le Patriote résistant, février 2005 (rééd. d'un article publié dans la même revue en septembre 1995).

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Articles connexes

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Bibliographie

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  • Karol Jonca et Alfred Konieczny (trad. Teresa Janasz), Nuit et brouillard NN : L'opération terroriste nazie, 1941-1944, La vérité, Imprimerie « Le Dragon », Draguignan, Documentation historique, Association Souvenir de la déportation, 83122 Claviers, coll. « Souvenir de la déportation », , 582 p. (OCLC 496178401)
  • Jean Manson (dir.), Leçons de ténèbres : résistants et déportés, Paris, Plon, (réimpr. 2004), 253 p. (ISBN 978-2-259-18231-7, OCLC 835825043).
  • Bernard Fillaire, Jusqu'au bout de la Résistance, Paris, Éditions Stock, (ISBN 978-2-234-04734-1).
  • Joseph de La Martinière, Le Décret et la procédure "Nacht und Nebel" (Nuit et brouillard), FNDIRP, (OCLC 79994190).
  • Archives Joseph de La Martinière (musée de la Résistance et de la déportation de Besançon).
  • Denis Gallais, Il était nuit et brouillard : Pierre Mignon, du refus du STO aux géôles nazies, Saint-Denis, Éditions Édilivre, , 327 p. (ISBN 978-2-332-66518-8, OCLC 887493239).
  • Marie José Masconi, Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA), « Les déportés NN, dans la nuit et le brouillard », dans Bertrand Merle (préf. Victor Convert, intro. Marie-Claire Vitoux), 50 mots pour comprendre la Résistance alsacienne, Strasbourg, Éditions du Signe, , 196 p. (ISBN 978-2-7468-4334-9), p. 116-117
  • Marie José Masconi et Bertrand Merle, Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (AERIA), « Des Alsaciennes et Alsaciens classés NN », dans Bertrand Merle (préf. Victor Convert, intro. Marie-Claire Vitoux), 50 mots pour comprendre la Résistance alsacienne, Strasbourg, Éditions du Signe, , 196 p. (ISBN 978-2-7468-4334-9), p. 118-120

Liens externes

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