Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’opération Fortitude (« Bravoure » en français) est le nom de code collectif pour des opérations de désinformation (intoxication) et de diversion menées par les Alliés dans le but de :
Fortitude est la pièce maîtresse d'un ensemble plus large d'opérations de dissimulation appelé opération Bodyguard visant à cacher aux Allemands l'ensemble des projets de débarquement alliés en Europe, dont ceux de Méditerranée.
Ces opérations sont planifiées et dirigées par le colonel John Bevan (en) de la London Controlling Section, située à Londres et conduite par l'état-major suprême allié (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force ou SHAEF)[1].
À partir de début 1944, l’imminence d'un débarquement dans le nord-ouest de l'Europe ne peut plus être cachée, à la vue de la concentration de troupes qui a commencé à la fin de l’année 1943[2].
L'objectif est, dans un premier temps, de cacher son lieu réel, en Normandie, en confortant les hypothèses émises par le haut commandement allemand :
Dans un deuxième temps, il s'agit de faire croire le plus longtemps possible aux Allemands que le débarquement, une fois commencé, n’est qu’une diversion ou un débarquement secondaire. L’objectif est de retenir les forces allemandes dans le nord de la France et aux autres points du mur de l'Atlantique. Ceci, pour permettre aux Alliés de consolider leur tête de pont jusqu'à atteindre la parité des forces, puis la supériorité numérique[3].
L'opération repose sur des activités majeures :
Des mesures passives sont également prises, comme le secret généralisé quant au lieu du débarquement, des mouvements de troupes de diversion, l'absence d'information aux militaires chargés des reconnaissances et leur répartition, pour masquer les priorités réelles.
Pour faire croire à l'hypothèse d'un débarquement dans le Pas-de-Calais, il est important de déplacer le centre de gravité des armées alliées vers le sud-est de l'Angleterre, de l'île de Wight vers le Kent[5]. Un groupe d'armées américain fantôme, le premier groupe d'armées des États-Unis (First United States Army Group, FUSAG), est donc créé de manière artificielle.
Parfaitement organisé, avec un chef prestigieux, le général George S. Patton, un état-major, de fausses infrastructures et des équipements comme des chars gonflables fabriqués par Goodyear et Goodrich[6] ou de l'artillerie fictive, en bois, notamment réalisés par l'industrie du cinéma[7], jusqu'aux badges d'épaule des « ghost divisions » créées pour la circonstance, il entretient une activité radio-électrique intense[8].
Pour faire croire à l'hypothèse d'un débarquement en Norvège, les Britanniques, sous la supervision du colonel R.M. McLeod[9], font croire à une concentration de leur IVe armée en Écosse. L'opération est divisée en quatre secteurs :
L'animation du dispositif est essentiellement assurée par la 52e (Lowland) Division, dont l’activité, dans le cadre de Fortitude, est principalement de produire des communications à la radio. Elle commence le et atteint sa capacité opérationnelle maximum le .
Pour soutenir Fortitude, des mesures passives de consolidation des hypothèses sont prises, les unes spécifiques, les autres plus générales :
Les mesures générales de secret et de sécurité qui entourent l'opération Overlord, regroupées sous le nom de « Bigot », ont aussi indirectement contribué au succès de l'opération Fortitude. Parmi les plus importantes, on peut citer :
Les Allemands disposent d'environ 50 agents secrets en Grande-Bretagne. La plupart ont été localisés, arrêtés et retournés par le service de contre-espionnage du MI-5. La teneur des messages qu'ils envoient à leurs officiers traitants en Allemagne est composée par les services secrets britanniques, qui créent ainsi l'image opérationnelle qu'ils souhaitent présenter aux Allemands.
Les trois agents doubles les plus importants[réf. souhaitée] sont :
Pour appuyer la véracité de l'opération Skye, les diplomates britanniques engagent des négociations avec les Suédois pour obtenir certaines autorisations, dont le droit, en vue des reconnaissances aériennes, de survoler leur territoire et la permission de faire ravitailler les avions qui se poseraient en urgence en Suède, contrairement aux règles juridiques de la stricte neutralité.
En avril et mai 1944, un nouveau poste radio fourni par la LCS britannique, « Ayesha », permet aux Résistants français de communiquer directement avec Londres. L'arrestation par l'armée allemande le 19 mai de plusieurs chefs des réseaux Mithridate et Phratrie (réseaux de renseignement militaire du BCRA) a contribué à détourner l'attention de l'ennemi à quelques semaines du débarquement[10],[11],[12].
Pour faire croire à l'imminence du débarquement dans le Pas-de-Calais, les bombardements sont intensifiés sur certaines parties de la prétendue zone de débarquement. C'est ainsi que les villages du Portel et d'Équihen-Plage [réf. nécessaire] sont détruits en (destruction à environ 94 % et 95 %), avec environ 500 civils tués[13] sur la seule commune du Portel. En , les bombardements alliés sont très importants, une centaine de bombes tombe notamment sur la station balnéaire du Touquet-Paris-Plage, dont la plage est densément fortifiée.
Une grande partie des troupes américaines de la première vague se trouve cantonnée dans la partie centrale et nord-ouest de l'Angleterre. Ce positionnement présente de multiples avantages. Au plan de la protection, elles sont plus loin des terrains d'aviation allemands et limitent ainsi à la fois leur vulnérabilité et leur détection. Au plan de la logistique, elles sont plus proches des grands ports de la côte ouest de l'Angleterre, dont les approches sont plus sûres. Au plan du renseignement, cette disposition renforce la crédibilité de l'opération Quicksilver. En effet, ces troupes peuvent faire croire qu'elles sont les forces américaines de deuxième échelon derrière le FUSAG factice censé représenter la première vague destinée au Pas de Calais.
Dans la journée et la nuit du ,
Les Alliés peuvent juger facilement de l'efficacité de ces stratagèmes. Ultra ayant révélé le codage de la machine Enigma assez tôt, les Alliés déchiffrent quasiment en temps réel les réponses du haut commandement allemand à leurs actions.
Il est à peu près certain que les Allemands ont cru au débarquement dans le Pas-de-Calais jusqu'au redéploiement de la XVe armée allemande face aux Alliés en et qu'ils n’abandonnent définitivement l’hypothèse qu’en septembre. Entretemps, Hitler a pris personnellement la direction stratégique des opérations dès le complot du 20 juillet 1944 à Rastenbourg.
L'opération Fortitude est décisive pour le succès du plan allié en forçant les Allemands à garder une masse de troupes concentrées dans le Pas-de-Calais en réserve en attente d'une attaque jugée par eux probable. Elle permet ainsi aux Alliés de maintenir, puis de consolider, leurs positions en Normandie. Elle ne permet toutefois pas l'offensive décisive des Britanniques le long de la côte vers l'est, comme le prévoyait le plan initial de l'opération Overlord et comme l'espérait Montgomery. Elle oblige les Américains à prendre l'initiative en direction du sud de la tête de pont, par l'opération Cobra en direction d'Avranches puis du Mans, avant de reprendre le chemin de l'Allemagne.