L'opéron lactose, ou opéron lac, est un opéron nécessaire au transport et au métabolisme du lactose chez Escherichia coli, ainsi que d'autres bactéries de la flore intestinale. L'opéron lactose est composé de trois gènes structurels : lacZ, lacY et lacA. Il est régulé par plusieurs facteurs, notamment la disponibilité en glucose et en lactose. La régulation des gènes de l'opéron lac est le premier mécanisme de régulation génétique complexe à avoir été élucidé et est l'un des exemples des plus connus de la régulation des gènes procaryotes.
Dans son environnement naturel, l'opéron lac permet la digestion efficace du lactose. La cellule peut utiliser le lactose comme source d'énergie en produisant l'enzyme β-galactosidase et ainsi digérer le lactose en glucose et en galactose. Toutefois, la production de l'enzyme est inutile quand le lactose n'est pas disponible, ou s'il y a une source d'énergie plus facilement exploitable de disponible comme le glucose.
L'opéron lac utilise un mécanisme de contrôle en deux parties qui font que la cellule ne dépense d'énergie pour produire la β-galactosidase, la perméase β-galactoside et la thiogalactoside transacétylase (ou galactoside O-acétyltransferase) que lorsque c'est nécessaire. Il y parvient avec le répresseur lac, dont il active la production en l'absence de lactose, et la protéine activatrice des catabolites (CAP), dont il active la production en l'absence de glucose. Ce mécanisme à double contrôle entraîne l'utilisation séquentielle de glucose et le lactose en deux phases distinctes de croissance, connue sous le nom diauxie. Des patrons de croissance similaires (diauxiques) ont aussi été observés dans la croissance bactérienne sur des substrats contenant d'autres mélanges de sucres, comme des mélanges de glucose et d'arabinose, etc. Les mécanismes de contrôle génétique sous-jacents à ces schémas de croissance diauxiques sont connus sous les noms d'opéron xyl, opéron ara, etc.
L'opéron lac est dit « inductible », car son expression est réprimée en temps normal mais activée sous l'action d'un inducteur, ici l'allolactose. Le « système lac » a valu, entre autres, à François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff le Prix Nobel de physiologie ou médecine de 1965 « pour leurs découvertes concernant le contrôle génétique des synthèses enzymatiques et virales ».
L'opéron est constitué de :
En amont de cet opéron l'on trouve aussi un gène régulateur :
Le contrôle spécifique des gènes lac dépend de la disponibilité en lactose du substrat de la bactérie. Les protéines ne sont pas produites par la bactérie lorsque le lactose n'est pas disponible comme source de carbone. Les gènes lac sont organisés en un opéron, c'est-à-dire qu'ils sont orientés dans le même sens, immédiatement adjacents sur le chromosome et sont co-transcrits en une molécule d'ARNm polycistronique unique. La transcription de tous les gènes commence avec la liaison de l'ARN polymérase, une protéine se liant à l'ADN sur un site de liaison spécifique, ici sur le promoteur, immédiatement en amont des gènes. De cet emplacement l'ARN polymérase transcrit les trois gènes (lacZYA) en ARNm. La séquence d'ADN de l'opéron lac, de l'ARNm lacZYA et du gène lacI de la bactérie E. coli sont disponibles sur GenBank.
Le premier mécanisme de contrôle est la réponse régulatrice au lactose, qui utilise une protéine régulatrice intracellulaire, le répresseur lactose, pour stopper la production de β-galactosidase en l'absence de lactose. Le gène régulateur lacI codant le répresseur se trouve à proximité de l'opéron lac et est toujours exprimé (transcrit constitutivement). Cette répression est inhibée en présence de lactose.
Le second mécanisme de contrôle est une réponse au glucose, qui utilise la protéine activatrice des catabolites (CAP), pour augmenter considérablement la production de β-galactosidase en absence de glucose. L'adénosine monophosphate cyclique (AMPc) est une molécule signal dont la prévalence est inversement proportionnelle à celle du glucose. Il se lie à la CAP (connue aussi sous le nom de CRP pour AMP Cyclique Receptor Protein), qui permet à son tour au complexe formé de se lier au site de liaison CAP (une séquence d'ADN de 16 paires de bases en amont du promoteur), qui aide l'ARN polymérase à se lier à l'ADN. En absence de glucose, la concentration d'AMPc est élevée et la liaison de CAP-AMPc à l'ADN augmente de manière significative la production de β-galactosidase, permettant à la cellule d'hydrolyser le lactose et de libérer le galactose et le glucose.
Le promoteur de l'opéron lac est un promoteur faible, c'est-à-dire que l'holoenzyme d'initiation de la transcription a une faible affinité pour cette séquence, la reconnait peu. En amont des séquences promotrices se trouve une séquence CRE, reconnue par le facteur CRP lié à un AMP cyclique. Lorsque l'holoenzyme est liée à CRP-AMPc, ces deux protéines voient leur affinités pour leurs séquences cibles augmenter: l'holoenzyme se fixe beaucoup plus facilement sur le promoteur et la transcription de l'opéron est élevée. Mais ceci nécessite donc la présence d'AMPc... Or, lorsque le glucose pénètre dans les cellules, il est phosphorylé par une protéine (IIB-P). Cette protéine "récupère" elle-même le groupement phosphate au bout d'une chaine moléculaire de transfert de phosphates. Dans cette chaine est présente la molécule IIA qui, sous sa forme phosphorylée, est un activateur de l'adénylate cyclase (enzyme produisant de l'AMPc à partir d'ATP).
Ainsi, lorsque beaucoup de glucose pénètre dans la cellule :
⇒ De nombreux phosphates doivent être transférés à ce glucose ⇒ La molécule IIA est souvent sous forme déphosphorylée ⇒ L'adénylate cyclase n'est pas activée. ⇒ Faible quantité d'AMPc ⇒ CRP-AMPc en faible quantité, ne se lie donc pas à l'holoenzyme. ⇒ Faible affinité de l'holoenzyme pour le promoteur. ⇒ Faible transcription des cistrons de l'opéron.
Au contraire, lorsque peu de glucose entre dans la cellule :
⇒ IIA reste sous forme phosphorylée ⇒ Active l'adénylate cyclase. ⇒ Qui produit de l'AMPc. ⇒ Qui se lie à CRP. ⇒ CRP-AMPc se lie à l'holoenzyme. ⇒ Qui peut se fixer sur le promoteur. ⇒ Forte transcription des cistrons de l'opéron, si le répresseur n'est pas fixé sur l'opérateur bien sûr (c'est-à-dire en présence de lactose).
Diauxie signifie « deux croissances » en grec. La présence de l'opéron explique le phénomène de diauxie[1]. Une population bactérienne mise dans un milieu de culture minimum contenant deux sucres présente une courbe de croissance biphasique. Après une première phase de croissance exponentielle, la croissance s'arrête puis reprend à nouveau de façon exponentielle. Après avoir épuisé le premier sucre, la répression de l'opéron est levée et le second sucre peut être utilisé. La latence entre la phase I et II s'explique par le temps pris pour synthétiser les protéines de l'opéron.
Une percée conceptuelle de François Jacob et Jacques Monod est de faire la distinction entre les substances régulatrices et les sites sur lesquels elles agissent pour changer l'expression des gènes. Jacob, ancien soldat, utilise l'analogie d'un bombardier qui largue sa cargaison mortelle lors de la réception d'une transmission radio spéciale ou d'un signal. Pour fonctionner ce système exige à la fois un émetteur au sol et un récepteur dans l'avion. Si l'émetteur est cassé, ce système peut fonctionner avec un deuxième émetteur fonctionnel. En revanche, dit-il, si l'on envisage un bombardier avec un récepteur défectueux, le comportement de ce bombardier ne peut pas être changé par l'introduction d'un deuxième avion fonctionnel[1].
Pour analyser les mutants de la régulation de l'opéron lac, Jacob a développé un système dans lequel une deuxième copie des gènes lac (lacI avec son promoteur, et lacZYA avec le promoteur et l'opérateur) pourrait être introduite dans une même cellule. Il teste alors le phénotype de la régulation d'une culture de ces bactéries, uniquement diploïdes pour les gènes lac. Cette expérience révèle en particulier que LacZ et LacY sont produits même en l'absence d'IPTG. Cette expérience, dont les gènes ou groupes de gènes sont testés par paires, est appelé un test de complémentation.
Il existe de nombreux analogues ou dérivés du lactose permettant d'induire l'opéron lactose. Ces composés sont principalement des galactosides substitués, où le glucose du lactose est remplacé par un autre groupe chimique :