Le principe d'Anna Karénine (ou Anna Karenina principle) stipule qu'une déficience dans un quelconque facteur limitant condamne une tentative à être un échec. Par conséquent, une entreprise réussie (sous réserve de ce principe) est celle où toute lacune possible a été évitée[1].
Le nom du principe dérive d'Anna Karénine[1], roman de Léon Tolstoï de 1877, dont l'incipit est :
« Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon. »
En d'autres termes, les familles heureuses partagent un ensemble commun d'attributs qui mènent au bonheur. À l'inverse, de nombreux attributs différents peuvent provoquer une famille malheureuse. Ce concept a ensuite été généralisé pour s'appliquer à plusieurs domaines d'études.
En particulier, en statistique, le terme Anna Karenina principle a un sens dans le cadre des tests statistique : il existe un certain nombre de façons permettant au jeu de données de violer l'hypothèse nulle, cependant il n'existe qu'une seule façon d'avoir toutes les hypothèses satisfaites[2].
Le principe d'Anna Karenina a été popularisé par Jared Diamond dans son livre de 1997 De l'inégalité parmi les sociétés[3]. Diamond utilise ce principe pour illustrer pourquoi peu d'animaux sauvages ont été domestiqués avec succès au cours de l'histoire, car une seule carence parmi de nombreux facteurs peut rendre une espèce non domesticable. Par conséquent, toutes les espèces domestiquées avec succès ne le sont pas à cause d'un trait positif particulier, mais à grâce à l'absence d'un certain nombre de traits négatifs possibles. Au chapitre 9, six groupes de raisons de l'échec de la domestication des animaux sont définis :
Dwayne Moore décrit les applications du principe Anna Karénine en écologie[4].
Beaucoup plus tôt, Aristote énonce un principe similaire dans l'Éthique à Nicomaque (Livre 2)[5],[6] :
« Ajoutons que nos fautes peuvent présenter mille formes (la faute, selon les Pythagoriciens (54), se caractérisant par l'illimité, le bien par ce qui est achevé), en revanche, il n'y a qu'une façon de réaliser le bien. C'est pourquoi il est facile de manquer le but et difficile de l'atteindre. Toutes raisons qui font que l'excès et le défaut dénoncent le vice, tandis que la juste moyenne caractérise la vertu : Il n'est qu'une façon d'être bon, il y en a mille d'être mauvais »
— Aristote, Éthique à Nicomaque
Le nombre d'États organisés dans un système thermodynamique ("familles heureuses" dans l'analogie) est beaucoup plus faible et moins diversifié que le nombre d'États désorganisés à haute entropie ("familles malheureuses"), une autre variante du principe d'Anna Karénine[7],[8]. Le deuxième principe de la thermodynamique stipule que tout état organisé dans un système isolé évolue spontanément vers un état d'entropie maximale, pour lequel il existe de nombreuses autres options.
De nombreuses expériences et observations de groupes d'humains, d'animaux, d'arbres, de plantes herbacées, des cours de bourse et ont montré une version du principe d'Anna Karénine. Alexander Gorban, du département mathématiques de l'Université de Leicester[9], avance que :
« En étudiant la dynamique de corrélation et de variance dans différents systèmes confrontés à des facteurs externes ou environnementaux, nous pouvons généralement, avant même l'apparition de symptômes évidents de crise, prédire quand celle-ci pourrait se produire, car la corrélation entre les individus augmente, et, dans le même temps, la variance (et la volatilité) augmente. Tous les systèmes bien adaptés se ressemblent, tous les systèmes non adaptés connaissent une mauvaise adaptation à leur manière. Mais dans le chaos de l'inadaptation, il y a de l'ordre. Il semblerait que, paradoxalement, à mesure que les systèmes deviennent de plus en plus différents, ils deviennent en fait de plus en plus corrélés dans un certain cadre. »
— Alexander Gorban
Cet effet est prouvé dans systèmes dont l'adaptation des personnes en bonne santé à un changement des conditions climatiques ou l'analyse des issues fatales dans les cliniques oncologiques et cardiologiques[10]. Le même effet se retrouve en bourse. Un exemple est donné par la crise économique et politique ukrainienne de 2014 : il y a eu une augmentation simultanée de la corrélation totale entre les 19 principales craintes du public dans la société ukrainienne (d'environ 64%) et de leur dispersion statistique (de 29%) au cours des années précédant la crise[11].
Vladimir Arnold dans son livre Catastrophe Theory décrit "Le principe de fragilité des bonnes choses" qui, en un sens, complète le principe d'Anna Karenina : les bons systèmes doivent répondre simultanément à un certain nombre d'exigences[12]. Ils sont donc plus fragiles :
« Pour les systèmes appartenant à la limite de la partie stable, une petite variation des paramètres est plus susceptible d'envoyer le système dans la région instable que dans la région stable. Ceci est la manifestation d'un principe général selon lequel toutes les bonnes choses (par exemple la stabilité) sont plus fragiles que les mauvaises. Il semble que dans les bonnes situations, un certain nombre d'exigences doivent être satisfaites simultanément, alors que pour qualifier une situation de mauvaise, même un seul échec suffit. »
— Vladimir Arnold, Catastrophe Theory
« Successful ecological risk assessments are all alike; every unsuccessful ecological risk assessment fails in its own way. (...) the Anna Karenina principle also applies to ecological risk assessments involving multiple stressors. »
« For systems belonging to the singular part of the stability boundary a small change of the parameters is more likely to send the system into the unstable region than into the stable region. This is a manifestation of a general principle stating that all good things (e.g. stability) are more fragile than bad things. It seems that in good situations a number of requirements must hold simultaneously, while to call a situation bad even one failure suffices. »