Le roman national, ou récit national, est la narration romancée qu'une nation offre de sa propre histoire. Doté d'ajouts d'origine fictive, elle participe à l'identité nationale. Le roman national est le fruit de l'amalgamation d'épisodes historiques plus ou moins héroïques ou légendaires, qui mettent en lumière des valeurs considérées comme essentielles par la nation. Il se construit au fur et à mesure des siècles par la sédimentation d'images d’Épinal.
La première fonction du roman national est la valorisation du groupe. Ainsi, les manuels scolaires de la Troisième République française exaltaient-ils les grands penseurs des Lumières françaises, comme Montesquieu, Voltaire, Condorcet, etc., en en faisant des représentants du génie français[1].
La valorisation du groupe peut passer par l'évocation d'ancêtres prestigieux plus ou moins légendaires. Afin de définir la Turquie en tant que république laïque et ouverte sur la modernité, Mustafa Kemal Atatürk décida de mettre en valeur l'héritage des Hittites de l'Antiquité plutôt que celle de l'Empire ottoman islamique[2]. L'Iran gouvernée par la dynastie Pahlavi, moderniste et laïque, fit référence au passé pré-chiite aryen du pays ; une fois la Révolution islamique iranienne de 1979 finie, le nouveau régime mit en valeur les traditions chiites du pays[3].
La deuxième fonction du roman national est de différencier le groupe national vis-à-vis des autres nations. Les manuels d'Ernest Lavisse visaient à définir un esprit français, à partir de la culture française et de ses productions, afin d'en dégager des éléments uniques ou caractéristiques[4]. Dans un autre registre, les populations chrétiennes assyro-chaldéennes d'Irak et d'Iran font référence aux Assyriens antiques afin de se différencier des populations arabes musulmanes de ces pays[5].
Le roman national, enfin, peut permettre une conciliation ou une réconciliation des mémoires ou de franges de la population. Ernest Renan, dans Qu'est-ce qu'une nation ?, écrit que « l’oubli, et même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation »[6]. Nicole Loraux souligne que l'Athènes antique a procédé, en 403 av. J.-C., à une amnésie volontaire afin de réconcilier la population après la guerre civile[7]
Le roman national peut être mis en forme par l'État via les programmes scolaires. L'école est alors un vecteur de diffusion majeur[8]. Les manuels d'histoire d'Ernest Lavisse jouent un rôle déterminant dans la création du roman national en France sous la IIIe République[9]. Elle permet de construire la société républicaine française et écrit l'Histoire de France de manière téléologique[10]. En affirmant l'État-nation, elle permet de créer une communauté imaginée[11].
Le roman national est généralement écrit à plusieurs mains. Il est pétri par l'activité de journalistes, d'auteurs, de romanciers, etc. Les historiens du XIXe siècle ont joué un rôle majeur en tant qu'ils ont écrit des essais historiques mettant en valeur une histoire narrée de la nation française, de ses origines jusqu'à la modernité[12].
Le XIXe siècle, parce qu'il est un âge où se développe le sentiment national, est propice à l'étoffement des romans nationaux. Ils sont permis par la multiplication d'essais ou d'ouvrages qui réécrivent l'histoire[13]. Jules Michelet écrit un ouvrage sur Jeanne d'Arc afin de romancer sa vie et l'insérer dans le roman national[14]. François Guizot traduit en 1823 l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours[15].
La question du roman national revient dans le débat public de manière régulière[16].
Le roman national, en ce qu'il conduit à tordre l'Histoire et à la rendre de manière biaisée, est critiqué à partir des années 1990[17]. L'historien Pierre Nora considère que la nation, « n'[étant] plus un combat mais un donné », peut se permettre de ne plus être sous-tendu par un roman national[18]. La question de l'enseignement du roman national fait l'objet de débats[19].
Aurélie Filippetti considère et déplore que le roman national aurait été repris par des figures conservatrices afin de le tordre et de lui donner une inflexion réactionnaire[20].
En 2022, un collectif d'historiens publient un ouvrage intitulé Éric Zemmour contre l'histoire[21] dans lequel certaines affirmations inexactes ou erronées sur l'histoire de France émises par le polémiste à l'occasion de ses prises de parole publiques sont démenties. Cet ouvrage traite notamment de la manière dont l'histoire de France, lorsqu'elle est romancée, permet à des mouvances réactionnaires ou nationalistes de fantasmer l'identité nationale afin de promouvoir une idéologie chauviniste.