Réalisation | Jacques Demy |
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Scénario | Jacques Demy |
Acteurs principaux | |
Sociétés de production | Progefi - TF1 Films Production |
Pays de production | France |
Genre |
Musical Drame |
Durée | 92 minutes |
Sortie | 1982 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.
Une chambre en ville est un film musical dramatique français écrit et réalisé par Jacques Demy, sorti en 1982.
Sur fond de grèves et de conflits sociaux, à Nantes, François, un ouvrier en lutte, et Édith, une fille d'aristocrate, mal mariée à un bourgeois, s'aiment éperdument sous l'œil désabusé et impuissant de la mère d'Édith, veuve d'un colonel, chez qui François a pris la chambre en ville du titre.
Salué par la critique, mais boudé par le public à sa sortie, Une chambre en ville, entièrement chanté comme le sont Les Parapluies de Cherbourg, est beaucoup plus sombre que la plupart des films de Demy. Il exprime sa part d'ombre et permet de reconsidérer l'œuvre du réalisateur sous une autre perspective.
Le film se déroule en 1955, à Nantes, en pleine grève. François Guilbaud, un ouvrier gréviste, loue une chambre en ville à Mme Langlois, veuve d'un colonel qu'elle n'aimait pas, ruinée par les frasques de son fils mort. L'appartement se situe dans la rue du Roi-Albert, qui relie la cathédrale à la préfecture, où manifestations et affrontements se déroulent entre les grévistes et les forces de l'ordre.
Guilbaud a une liaison avec une ouvrière, Violette, qui tombe enceinte et veut se marier avec lui. Mais il ne partage pas les sentiments de la jeune femme. Un soir, il fait la rencontre d'Édith, mal mariée à Edmond Leroyer, marchand de télévisions. Édith, nue sous son manteau de fourrure, se prostitue, plus par volonté de se venger de son époux que par besoin financier. C'est le coup de foudre entre eux. Le couple passe la nuit à l'hôtel et chante son amour au petit matin. Or la jeune femme n'est autre que la fille de Mme Langlois. Celle-ci reçoit, en pleine nuit, la visite de son gendre, qui, armé d'un rasoir, laisse éclater sa colère.
Édith et François décident de vivre ensemble, ce qui n'est pas du goût de l'aristocrate. Au cours d'une nouvelle dispute, alors qu'Édith vient chercher ses affaires, Edmond se coupe la gorge sous ses yeux. Elle se réfugie alors chez sa mère. Violette lui rend visite, au même moment Guilbaud est frappé à la tête pendant de nouveaux affrontements. Ses camarades le portent, inconscient, chez Mme Langlois, il y meurt. Incapable d'envisager sa vie sans lui, Édith se suicide d'une balle dans la poitrine.
Jacques Demy avait commencé à écrire un roman sur le sujet, au milieu des années cinquante, puis le transforme en scénario à la fin de la décennie[1],[2]. Il met de côté ce projet, car il n'arrive pas à trouver une fin satisfaisante, sans doute parce que l'histoire est trop proche de lui et de la vie de son père[3]. Dans le roman, et le scénario qu'il reprend en 1964, la veuve du colonel n'a pas de fille, mais un fils homosexuel attiré par Guilbaud, l'ouvrier qu'elle loge ; la fille de l'industriel contre lequel les ouvriers luttent tombe amoureuse du héros ; la colonelle se suicide après la mort de son fils dans un accident de voiture ; Guilbaud et Violette se retrouvent à la fin[1]. Demy pense réaliser un véritable opéra[1],[5] mais abandonne à nouveau le projet face aux difficultés pour trouver des fonds, qui furent récurrentes tout au long de sa carrière[6].
Il réécrit l'histoire en 1973 et 1974, sous le titre Édith de Nantes (jeu de mots avec l'édit de Nantes)[7]. Le scénario se rapproche alors de la version que nous connaissons. Il envisage Catherine Deneuve dans le rôle d'Édith, Gérard Depardieu dans celui de Guilbaud, Simone Signoret pour camper la colonelle et Isabelle Huppert en Violette[1],[3]. Mais il se heurte à plusieurs refus, le plus frappant étant celui de Michel Legrand, son compositeur attitré, à qui le script déplaît, n'appréciant pas les thématiques sociales[9], y voyant l'influence d'Agnès Varda, et qui, même dans des entretiens tardifs, manifeste toujours l'hostilité envers Une chambre en ville[10],[11]. Le casting aussi est marqué par les refus, celui de Catherine Deneuve, qui tenait à chanter elle-même et non plus à être doublée comme dans les films musicaux précédents[1]. En 1979 dans Courage fuyons, l'actrice était apparue pour la première fois chantant à l'écran sans doublure[12]. En 1981, l'actrice explique son refus : « À tort ou à raison, j'estimais que ma voix faisait partie de mon intégrité d'artiste[13] ». En 1990, son explication est légèrement différente : « Jacques a pris mon désir de chanter pour un désir d'actrice d'exprimer tout. J'essayai de lui expliquer que nous étions trop connus, Gérard et moi, pour faire un film entièrement doublé musicalement [...] Avant de changer d'avis ou de renoncer, j'aurais voulu qu'on essaie[14] ».
Sans les noms de Legrand, Deneuve et Depardieu — qui soutient l'actrice — Demy ne peut monter la production du film. Il doit à nouveau abandonner le projet, lâché aussi par Gaumont, qu'il avait pourtant réussi à intéresser. En effet, Daniel Toscan du Plantier, échaudé par les échecs commerciaux de films qu'il vient de produire, renonce à financer un projet aussi audacieux, d'autant que Demy, à l'époque, vient aussi d'essuyer un revers commercial avec L'Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la Lune[15]. Demy regrettera que « Gaumont laisse tomber à deux mois du tournage[16] ».
C'est en 1981 que le réalisateur peut enfin reprendre son projet. Dominique Sanda, avec qui Demy, l'ayant déjà dirigée dans le téléfilm La Naissance du jour, souhaitait retravailler[17], sollicite Christine Gouze-Rénal[18], productrice qui se consacre à l'époque essentiellement aux œuvres télévisuelles, et belle-sœur du nouveau président de la République; cette dernière accepte de produire le projet. Jacques Revaux, qui doublait Jacques Perrin dans Les Demoiselles de Rochefort et Peau d'âne et a entre-temps gagné en notoriété, finance la réalisation de la bande-son et prête sa voix à Richard Berry pour les chants du personnage de Guilbaud[19]. Il aura donc fallu près de trente ans pour que le projet, au départ littéraire, aboutisse à un film.
Jacques Demy tire son inspiration de ses souvenirs. Il met en scène des lieux qu'il fréquentait, comme le passage Pommeraye où il a vécu son enfance et son adolescence à déambuler, entre autres pour aller au cinéma[20]. Le drame est aussi traversé par l'évocation des grèves et manifestations qu'il a connues, ou dont son père lui a fait le récit. L'une d'entre elles avait conduit à la mort d'un ouvrier, lors d'un affrontement avec les forces de l'ordre[20],[21]. Nantes, ville traversée par l'histoire et les tensions qu'elle soulève, joue ainsi un rôle fondamental dans la construction du film[21].
Le réalisateur se nourrit aussi de ses souvenirs cinématographiques : Le jour se lève de Marcel Carné et Jacques Prévert, avec son ouvrier frappé par le destin[21] ; Quai des brumes et sa passion amoureuse ainsi que son personnage d'amant pitoyable, joué par Michel Simon, qui préfigure Edmond[21] ; Les Portes de la nuit et son héroïne qui traverse le film en vison, comme Édith, et dont certaines répliques sont reprises par Demy[22] ; L'Éternel Retour, scénarisé par Jean Cocteau, pour l'image finale des deux amants morts, allongés l'un à côté de l'autre[21] ; les films de Sergueï Eisenstein pour les scènes de manifestations. Parmi les autres influences qui traversent le film, le critique Olivier Père a également noté celle du surréalisme qui a beaucoup marqué la période de formation du cinéaste. Il souligne aussi la proximité entre la figure d'Edmond, rongée par la jalousie et l'impuissance sexuelle, et les nombreux personnages similaires des films[25] de Luis Buñuel[24],[26].
Les scènes en intérieur ont été tournées aux studios de Billancourt, du 13 avril au , celles en extérieur à Nantes même du 19 au 27 mai. Un nouveau tournage, pour les scènes en intérieur, est effectué à Paris du 1er au 3 juin[27]. Le budget empêche le tournage intégral en décor naturel. De plus, Jacques Demy s'enthousiasme à l'idée de travailler, pour la première fois, en studio. Il sera néanmoins déçu par cette expérience[28].
Le décorateur Bernard Evein est particulièrement vigilant sur la continuité entre les décors naturels, en extérieur, et ceux des studios. Il crée cette continuité notamment autour de la couleur bleue : « Tous les extérieurs sont construits sur le bleu, et cela, c'est venu dès le départ. [...] Au départ, j'avais prévu un bleu céruléen très fort, et puis, ayant vu les décors construits en studio, ça s'est décalé, le bleu est devenu plus sombre[29] ».
C'est aussi le décorateur qui, avec l'aide d'un spécialiste du trucage, André Guérin, recrée pour les besoins du générique un monument disparu, le pont transbordeur de Nantes, grâce à un effet appelé glass shot. Ce procédé consiste à poser au premier plan une plaque de verre sur laquelle a été reproduite une photo du pont transbordeur détruit à la fin des années 1950, et de filmer le port de Nantes à travers la plaque, en jouant avec la perspective. Le temps du générique, ce trucage donne ainsi l'illusion que le pont enjambe à nouveau le port et permet au spectateur de voir la ville telle qu'elle était à l'époque de la narration[30].
Le documentaire Jacques Demy tourne « Une chambre en ville » montre la méthode utilisée par Demy pendant le tournage des scènes : un appareil passe la musique déjà enregistrée, sur laquelle les comédiens se fixent pendant la prise en chantant par-dessus. Danielle Darrieux évoque les qualités du réalisateur : gentil, calme, précis[31].
Après le refus de Michel Legrand, Demy contacte le compositeur et arrangeur Michel Colombier qui s'intéresse au projet. D'après ce dernier, le réalisateur avait d'abord cherché parmi les compositeurs du cinéma français un musicien qui « pourrait remplacer son compagnon de toujours », mais Colombier n'a jamais su laquelle de ses musiques le réalisateur avait écouté avant qu'il ne porte son choix sur lui[32]. Il n'avait jamais travaillé sur un film musical auparavant, excepté en 1967 quand il avait orchestré et dirigé la musique du téléfilm Anna écrite par Serge Gainsbourg[33], mais Demy appréciait beaucoup le fait qu'il soit plus jeune que Legrand et qu'il adorait la musique pop tout en étant familier de l'univers des opéras et opérettes[34]. En , le cinéaste entame une collaboration étroite avec Colombier pour mettre au point la musique du film[4]. Le compositeur, qui ne peut composer en présence de quiconque[35] et qui n'avait jamais travaillé avec Jacques Demy, explique à ce dernier comment il compte procéder :
« Je vais m'inspirer de l'histoire et des caractères, je vais te mettre sur une cassette toutes les inspirations que j'aurai et qui me semblent d'une façon ou d'une autre provenir d'Une chambre en ville. »[32]
Michel Colombier enregistre alors ses propositions de thèmes sans se fonder sur le scénario, ni sur les paroles[36] et envoie les enregistrements au réalisateur[32]. Il estime que c'est à Demy de faire le tri et travaille donc à partir d'une interprétation confuse de l'atmosphère générale du film. La seule exception réside dans les scènes de confrontation entre manifestants et CRS, pour lesquelles il a travaillé à partir des dialogues[37]. D'après le musicien, Demy réussissait à trouver parmi ces cassettes le thème qui convenait pour chacun des dialogues, même si la mélodie n'avait pas été « écrit[e] sur les mots »[32],[38]. Ensuite, Demy appelait le musicien par téléphone pour lui dire à quel endroit il souhaitait entendre le thème. Il lui chantait alors les paroles sur la musique de la cassette à travers le combiné, et d'après Colombier : « il n'y avait pratiquement rien à changer »[32]. Concernant ses rapports avec Demy, le compositeur a conservé le souvenir d'une collaboration qui s'est déroulée « d'une façon divine »[32].
Après avoir travaillé durant un an avec Demy[39], Colombier orchestre sa partition pendant l'hiver 1981-1982[19] à Los Angeles[41].
Après Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort qui témoignent de la prédilection de Jacques Demy pour les comédies musicales hollywoodiennes, le caractère tragique d'Une Chambre en ville dévoile davantage son goût pour les grands opéras[42] comme Carmen de Bizet[44],[45],[46], ou les drames lyriques italiens de Verdi[47] et Puccini[46],[48],[49]. Tout comme son prédécesseur, Michel Colombier n'oublie cependant jamais sa culture française, et son écriture harmonique rappelle parfois celle de l'école fauréenne[48] ou Claude Debussy[50].
Volontiers âpre et dissonante[52], la partition de Colombier s'avère moins mélodieuse et plus difficile d'accès que celles des précédents films musicaux de Demy[53],[54],[55]. Prenant souvent le « contre-pied » du style de Michel Legrand[53],[58], son esthétique ne reprend pas les codes d'une comédie musicale traditionnelle[59],[60],[38] mais hésite plutôt entre lyrisme et prosaïsme assumé[61]. Au début de leur collaboration, Demy avait indiqué à Colombier son désir qu'elle soit placée sous le signe de la profondeur propre à l'âme russe pleine d'outrances et d'emportements[35]. Du coup, les contrastes entre les styles musicaux sont souvent très marqués[63], et à l'image de la mise en scène, la partition peut passer très rapidement d'une séquence en forme de romance sentimentale à de violentes marches martiales[64]. Les dialogues parfois triviaux[65] sont souvent chantés sur des rythmes abrupts et font régulièrement l'objet d'un traitement « quasi parlando »[53],[66]. Même le timbre de la voix de Danielle Darrieux prend une coloration plus rauque, notamment dans sa diatribe contre la bourgeoisie[67].
Les duos chantés, qu'ils se présentent sous une forme récitative ou plus rhapsodique, font partie des points forts de la partition[60]. Ceux-ci incluent également toutes les parties chorales opposant grévistes[73] et CRS, aux rythmes volontiers martelés et d'une violence sourde[64]. Et comme l'indique Raphaël Lefèvre, les chœurs de soldats étaient courants dans les opéras du XIXe siècle[74], notamment dans le Carmen de Bizet[57].
Sur le plan de l'orchestration, Colombier utilise un grand orchestre symphonique mais également des chœurs, un synthétiseur et une section rythmique de type jazz-rock[75] qui apportent à sa partition des sonorités pop plus modernes[60], que l'on pouvait déjà entendre deux ans auparavant dans la comédie musicale Les Misérables mis en musique par Claude-Michel Schönberg[50]. Mis à part le générique début, avec son thème principal écrit pour piano soliste accompagné par l'orchestre[60],[48], on trouve très peu de passages purement instrumentaux. Tous les pupitres sont mis à contribution, mais l'accompagnement se réduit parfois à un simple quintette ou quatuor de facture chambriste[67] pouvant parfois évoquer Brahms ou César Franck[48]. La texture orchestrale est souvent très dense[76], et il n'y a presque aucun instant de silence, sauf au moment de la mort de Guilbaud lorsqu'il murmure, sans les chanter, les mots « Édith, ma vie » et ce, sans le moindre accompagnement orchestral[77],[78].
La musique d'Une Chambre en ville est considérée par beaucoup comme le sommet de l'œuvre de Michel Colombier[79],[53],[49]. Pour d'autres, c'est justement la complexité de la partition, associée à la défection initiale de Michel Legrand, qui a été un facteur déterminant de l'échec public du film[80],[18].
Quand Dominique Sanda accepta d'incarner le personnage d'Édith, le réalisateur Jacques Demy, qui « adorait [sa] voix »[18] lui indiqua qu'il « serait vraiment très heureux si [elle] pouvait chanter [elle]-même le rôle »[18]. Sanda prit alors des cours de chant, et fit d'abord une répétition accompagnée au piano par Michel Colombier dans une chambre de l'hôtel Claridge sur l'avenue des Champs-Élysées[81]. Quelques jours plus tard, l'actrice fut conviée à l'enregistrement de la musique, mais elle constata avec stupéfaction que Colombier, Demy et le producteur Jacques Revaux avaient pris la décision de choisir la choriste Florence Davis pour chanter son rôle à sa place[18]. En réalité et au regard de la difficulté technique de la partition[23],[39], Jacques Demy avait demandé à Colombier de faire passer des auditions à de nombreux vocalistes professionnels afin de doubler la plupart des comédiens[84], à l'exception notable de Danielle Darrieux (Mme Langlois), Fabienne Guyon (Violette), Georges Blaness (le chef des CRS) et Marie-France Roussel (Mme Sforza)[85].
C'est Jacques Revaux qui s'occupe du doublage chanté de Richard Berry qui incarne Guilbaud. Revaux était connu pour avoir co-fondé le label discographique Tréma, et c'est aussi lui qui a édité et produit la musique du film[82]. Florence Davis, quant à elle, se charge de faire la voix de Dominique Sanda[82]. Elle avait précédemment chanté sur le 45 tours There's no party tonight (produit par Jacques Revaux) et participé à la comédie musicale Les Misérables (dont le disque était également produit par Revaux)[82]. Contrairement à Sanda, elle garde un excellent souvenir de son travail avec Michel Colombier[82]. Sa sœur Liliane, également chanteuse, double quant à elle l'actrice Anna Gaylor dans le rôle de Mme Pelletier, la mère de Violette[82].
Fabienne Guyon, qui joue Violette à l'écran, avait suivi le Petit Conservatoire de Mireille, et connaissait déjà Jacques Demy pour avoir décroché le rôle de Madeleine dans la version scénique des Parapluies de Cherbourg[82] mis en scène par Raymond Gérôme au théâtre Montparnasse en 1979[4]. Et c'est en pensant au personnage de Madeleine que, par association d'idées, Demy contacte ensuite la jeune femme pour lui proposer le rôle de Violette dans Une Chambre en ville[82]. À noter que Fabienne Guyon et Marie-France Roussel tenaient respectivement les rôles de Cosette jeune fille et de Mme Thenardier dans l'album Les Misérables (1980)[86].
Georges Blaness, autre familier des films de Demy, double Michel Piccoli pour le difficile rôle d'Edmond, et on le retrouve aussi sous l'uniforme de l'officier des CRS dans le film[87]. Le pianiste, arrangeur et chanteur Aldo Frank, de son côté, prête sa voix au personnage de Dambiel incarné à l'écran par Jean-François Stévenin[88],[82].
L'enregistrement s'est déroulé en février 1982[19], soit précisément six semaines avant le début du tournage[39]. La prise de son de l'orchestre symphonique placé sous la direction de Michel Colombier, a été effectuée par Eric Tomlinson[75] dans la salle du Palais de la Mutualité à Paris[89]. La section rythmique, les claviers, les chœurs et les instruments à cordes additionnels ont été enregistrés au studio du Palais des congrès de Paris par Bruno Lambert qui s'est également chargé du mixage. Les voix, synthétiseurs et autres claviers ont été captés par Jean-Michel Porterie dans le studio du label Tréma[75].
Sortie | 1982 |
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Langue | Français |
Format | 33 tours |
Auteur | Jacques Demy |
Compositeur | Michel Colombier |
Label |
Tréma Kritzerland (réédition 2007) Universal (réédition 2013) |
La bande originale du film est publiée en 1982 par Tréma, le label de Jacques Revaux[82],[19], sous la forme d'un double album 33 tours (réf. 310 126/127)[90] regroupant l'intégralité de la musique entendue dans le film.
Un autre 33 tours promotionnel destiné aux radios, propose, quant à lui, six titres extraits de la bande originale du film, dont la chanson Une Chambre en ville mais également des thèmes d'amour comme Violette amoureuse, La chambre d'hôtel et La poupée (réf. Trema 210.982)[91].
L'échec commercial du film[92] a retardé la réédition de sa musique en CD, et c'est le label américain Kritzerland, fondé par Bruce Kimmel, qui a été le premier à rééditer l'album original en édition limitée à 1 200 exemplaires en 2007[93].
Le , à l'occasion de la rétrospective « Le monde enchanté de Jacques Demy » par la Cinémathèque française[94], un nouveau double CD est publié par le label EmArcy d'Universal Music Jazz France dans la collection Écoutez le cinéma ![95]. Cette dernière édition propose en bonus une longue suite de treize minutes jouée au piano par Grégoire Caux[96].
Disque 1 | |||||||||
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No | Titre | Interprètes | Durée | ||||||
1. | Générique | 2:52 | |||||||
2. | La première grève | Chœurs | 1:55 | ||||||
3. | Guilbaud et la baronne | Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 6:51 | ||||||
4. | Édith et sa mère | Florence Davis et Danielle Darrieux | 5:30 | ||||||
5. | Violette amoureuse | Fabienne Guyon | 3:45 | ||||||
6. | Le café des chantiers | 1:14 | |||||||
7. | Dambiel et Guilbaud | Aldo Frank et Jacques Revaux | 2:06 | ||||||
8. | Violette et sa mère | Fabienne Guyon et Liliane Davis | 2:02 | ||||||
9. | La cartomancienne | Marie-France Roussel | 1:32 | ||||||
10. | Edmond et Édith | Georges Blaness et Florence Davis | 3:55 | ||||||
11. | La casquette | Jacques Revaux et Aldo Frank | 0:40 | ||||||
12. | La rencontre | Florence Davis et Jacques Revaux | 2:58 | ||||||
13. | La chambre d'hôtel | Jacques Revaux et Florence Davis | 3:04 | ||||||
14. | La visite d'Edmond | Danielle Darrieux et Georges Blaness | 4:24 |
Disque 2 | |||||||||
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No | Titre | Interprètes | Durée | ||||||
1. | Une chambre en ville | Jacques Revaux et Florence Davis | 2:14 | ||||||
2. | Violette et Dambiel | Fabienne Guyon et Aldo Frank | 3:04 | ||||||
3. | Chez la baronne | Florence Davis, Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 6:36 | ||||||
4. | L'amour d'Édith | Florence Davis et Danielle Darrieux | 2:03 | ||||||
5. | Le café de l'aube | Jean-Louis Rolland et Jacques Revaux | 2:26 | ||||||
6. | Dans la gueule du loup | Fabienne Guyon, Danielle Darrieux et Florence Davis | 3:09 | ||||||
7. | La rupture | Liliane Davis, Fabienne Guyon et Jacques Revaux | 4:22 | ||||||
8. | Le suicide d'Edmond | Georges Blaness et Florence Davis | 3:45 | ||||||
9. | Le récit d'Édith | Danielle Darrieux et Florence Davis | 6:12 | ||||||
10. | La poupée | Florence Davis | 1:59 | ||||||
11. | Madame Pelletier et sa fille | Liliane Davis et Fabienne Guyon | 6:21 | ||||||
12. | La deuxième grève | Chœurs | 1:45 | ||||||
13. | La mort des amants | Aldo Frank, Florence Davis, Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 3:24 |
CD 1 | |||||||||
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No | Titre | Interprètes | Durée | ||||||
1. | Générique | 2:52 | |||||||
2. | La première grève | Chœurs | 1:55 | ||||||
3. | Guilbaud et la baronne | Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 6:51 | ||||||
4. | Édith et sa mère | Florence Davis et Danielle Darrieux | 5:30 | ||||||
5. | Violette amoureuse | Fabienne Guyon | 3:45 | ||||||
6. | Le café des chantiers | 1:14 | |||||||
7. | Dambiel et Guilbaud | Aldo Frank et Jacques Revaux | 2:06 | ||||||
8. | Violette et sa mère | Fabienne Guyon et Liliane Davis | 2:02 | ||||||
9. | La cartomancienne | Marie-France Roussel | 1:32 | ||||||
10. | Edmond et Édith | Georges Blaness et Florence Davis | 3:55 | ||||||
11. | La casquette | Jacques Revaux et Aldo Frank | 0:40 | ||||||
12. | La rencontre | Florence Davis et Jacques Revaux | 2:58 | ||||||
13. | La chambre d'hôtel | Jacques Revaux et Florence Davis | 3:04 | ||||||
14. | La visite d'Edmond | Danielle Darrieux et Georges Blaness | 4:24 |
CD 2 | |||||||||
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No | Titre | Interprètes | Durée | ||||||
1. | Une chambre en ville | Jacques Revaux et Florence Davis | 2:14 | ||||||
2. | Violette et Dambiel | Fabienne Guyon et Aldo Frank | 3:04 | ||||||
3. | Chez la baronne | Florence Davis, Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 6:36 | ||||||
4. | L'amour d'Édith | Florence Davis et Danielle Darrieux | 2:03 | ||||||
5. | Le café de l'aube | Jean-Louis Rolland et Jacques Revaux | 2:26 | ||||||
6. | Dans la gueule du loup | Fabienne Guyon, Danielle Darrieux et Florence Davis | 3:09 | ||||||
7. | La rupture | Liliane Davis, Fabienne Guyon et Jacques Revaux | 4:22 | ||||||
8. | Le suicide d'Edmond | Georges Blaness et Florence Davis | 3:45 | ||||||
9. | Le récit d'Édith | Danielle Darrieux et Florence Davis | 6:12 | ||||||
10. | La poupée | Florence Davis | 1:59 | ||||||
11. | Madame Pelletier et sa fille | Liliane Davis et Fabienne Guyon | 6:21 | ||||||
12. | La deuxième grève | Chœurs | 1:45 | ||||||
13. | La mort des amants | Aldo Frank, Florence Davis, Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 3:24 | ||||||
14. | Une chambre en ville, suite pour piano | Grégoire Caux | 13:21 |
CD 1 | |||||||||
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No | Titre | Interprètes | Durée | ||||||
1. | Générique | 2:52 | |||||||
2. | La première grève | Chœurs | 1:55 | ||||||
3. | Guilbaud et la baronne | Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 6:51 | ||||||
4. | Édith et sa mère | Florence Davis et Danielle Darrieux | 5:30 | ||||||
5. | Violette amoureuse | Fabienne Guyon | 3:45 | ||||||
6. | Le café des chantiers | 1:14 | |||||||
7. | Dambiel et Guilbaud | Aldo Frank et Jacques Revaux | 2:06 | ||||||
8. | Violette et sa mère | Fabienne Guyon et Liliane Davis | 2:02 | ||||||
9. | La cartomancienne | Marie-France Roussel | 1:32 | ||||||
10. | Edmond et Édith | Georges Blaness et Florence Davis | 3:55 | ||||||
11. | La casquette | Jacques Revaux et Aldo Frank | 0:40 | ||||||
12. | La rencontre | Florence Davis et Jacques Revaux | 2:58 | ||||||
13. | La chambre d'hôtel | Jacques Revaux et Florence Davis | 3:04 | ||||||
14. | La visite d'Edmond | Danielle Darrieux et Georges Blaness | 4:24 |
CD 2 | |||||||||
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No | Titre | Interprètes | Durée | ||||||
1. | Une chambre en ville | Jacques Revaux et Florence Davis | 2:14 | ||||||
2. | Violette et Dambiel | Fabienne Guyon et Aldo Frank | 3:04 | ||||||
3. | Chez la baronne | Florence Davis, Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 6:36 | ||||||
4. | L'amour d'Édith | Florence Davis et Danielle Darrieux | 2:03 | ||||||
5. | Le café de l'aube | Jean-Louis Rolland et Jacques Revaux | 2:26 | ||||||
6. | Dans la gueule du loup | Fabienne Guyon, Danielle Darrieux et Florence Davis | 3:09 | ||||||
7. | La rupture | Liliane Davis, Fabienne Guyon et Jacques Revaux | 4:22 | ||||||
8. | Le suicide d'Edmond | Georges Blaness et Florence Davis | 3:45 | ||||||
9. | Le récit d'Édith | Danielle Darrieux et Florence Davis | 6:12 | ||||||
10. | La poupée | Florence Davis | 1:59 | ||||||
11. | Madame Pelletier et sa fille | Liliane Davis et Fabienne Guyon | 6:21 | ||||||
12. | La deuxième grève | Chœurs | 1:45 | ||||||
13. | La mort des amants | Aldo Frank, Florence Davis, Jacques Revaux et Danielle Darrieux | 3:24 |
Une chambre en ville reçoit un soutien unanime de la critique française. Mais le public ne suit pas et le film n'est classé que quatorzième au box-office, avec 3 165 entrées le premier jour et 20 000 entrées la première semaine, loin derrière L'As des as de Gérard Oury, un film populaire sorti la même semaine, qui attire environ 71 000 spectateurs le premier jour et cumule 463 000 entrées la première semaine[97]. En 1983, le drame musical a cumulé 102 872 entrées sur Paris et sa périphérie[98], contre cinq millions et demi sur toute la France pour la comédie d'aventures de Gérard Oury.
Le film va alors être au centre d'une polémique dans la presse écrite, déclenchée involontairement par les critiques de cinéma qui cherchent à promouvoir l'objet de leur admiration[97],[99],[100]. 23 critiques, réunis autour de Gérard Vaugeois, publient dans le numéro de Télérama du 10 novembre, un texte intitulé « Pourquoi nous louons Une chambre en ville », dans lequel les auteurs opposent le film de Demy et celui d'Oury, parlant de « deux poids, deux mesures », pointant le rôle perdu par la critique, désormais, à leurs yeux, « noyée par le flot promotionnel », et n'hésitant pas à parler d'échec du cinéma français, comparant le sort public d'Une chambre en ville à celui de La Règle du jeu. Parmi les signataires, figurent notamment Jacques Siclier, du Monde, Philippe Collin, de Elle, Michel Boujut, des Nouvelles littéraires, plusieurs journalistes de L’Humanité, du Matin, la plupart des critiques de Télérama, et des journalistes d’Antenne 2, de France Culture et de l’Agence France-Presse[101]. Les journalistes de Libération, contactés, refusent de s'associer à cette tribune, ne souhaitant pas opposer ainsi une œuvre de Jacques Demy à une autre de Gérard Oury, et ne trouvant pas si grave que la critique de cinéma ne soit plus aussi prescriptive[101]. Un journaliste de Libération, Gérard Lefort, confirme ce point de vue face à Michel Boujut au cours de l'émission radio Le Masque et la Plume sur France Inter[101]. Jean-Pierre Berthomé souligne la maladresse de l'argumentation de cette tribune, montrant notamment que le film de Demy a profité d'une promotion et d'une distribution bien supérieures à celles d'autres films qui ont eu les faveurs du public[97]. Gérard Vaugeois, en 2008, assume le texte et l'argumentation, et reprend la comparaison avec La Règle du jeu[99].
Dans Le Monde daté du , 80 critiques publient un nouvel appel, moins ouvertement polémique et cette fois avec des journalistes de Libération. Cet appel se résume en fait à la phrase suivante, en gros et en gras, dans un espace de type publicitaire, suivi des critiques signataires : « Le film à voir aujourd'hui, c'est Une chambre en ville »[101]. L'affaire devient encore plus médiatisée quand Jean-Paul Belmondo, héros de L'As des as, se jugeant mis en cause, publie dans la presse une « Lettre ouverte aux "coupeurs de têtes" », qui dénonce l'intolérance des critiques et leur mépris du public, et rappelant que le succès d'un film peut inciter le public à aller en voir d'autres. L'acteur écrit : « Gérard Oury doit rougir de honte d'avoir "préconçu son film pour le succès". Jacques Demy a-t-il préconçu le sien pour l'échec ? Lorsqu'en 1974 j'ai produit Stavisky d'Alain Resnais et que le film n'a fait que 375 000 entrées, je n'ai pas pleurniché en accusant James Bond de m'avoir volé mes spectateurs. (..) Oublions donc cette agitation stérile et gardons seulement en mémoire cette phrase de Bernanos : "Attention, les ratés ne vous rateront pas !" »[102]. S'ensuivent de nombreux articles, tribunes, dont la « Lettre d'un coupeur de tête » de Gérard Vaugeois[99].
Demy, embarrassé, se contentera d'une simple déclaration dans Les Nouvelles littéraires du et d'une page publicitaire de remerciements à ses soutiens dans Le Monde. Mais la polémique contribue à le marginaliser, le fait passer pour un mauvais perdant et le met involontairement dans le camp d'une « intelligentsia » coupée du public, ce qui est pourtant à l'opposé de ses principes[100]. En 1986, dans Libération, Marguerite Duras, qui vient de découvrir le film, constate son succès grandissant auprès du public, assurant que celui-ci « ne rate jamais le génie à longue échéance[103] ». Jacques Siclier juge pour sa part que c'est le sujet d'Une chambre en ville qui lui a porté préjudice et non le succès de L'As des as[104].
Le trompettiste classique Thierry Caens, qui avait déjà interprété en 2006 une pièce concertante de Michel Colombier intitulée Nuit et solitude (pour trompette et orchestre)[105], a joué plus récemment une suite symphonique instrumentale de la musique d'Une Chambre en ville, accompagné par l'Orchestre national Avignon-Provence sur l'album Thierry Caens joue Cyrano et les grandes B.O. du cinéma français paru en septembre 2023 sur le label Indésens Calliope Records[106].
En 1983, Une chambre en ville est nommé dans neuf catégories lors de la 8e cérémonie des César, sans en recevoir aucun. Ce furent les seules nominations aux César pour Jacques Demy[110] :
« Un peu comme dans Les Parapluies de Cherbourg, j'ai voulu faire un opéra populaire », affirme le réalisateur dans le documentaire sur le tournage d'Une chambre en ville[31]. La comparaison avec Les Parapluies et l'opéra[125] s'impose puisque les deux films sont entièrement chantés. Mais la structure musicale est très différente. Dans Une chambre en ville, il n'y a plus d'air autonome, mais « une sorte de récitatif ininterrompu construit autour d'une vingtaine de motifs[126] ». On peut cependant isoler quelques thèmes[127], principalement dans les scènes d'amour[128]. Trois thèmes particulièrement lyriques sont associés au duo d'Édith et François : le premier apparaît sous une forme instrumentale dans le générique début, et les deux autres sont respectivement chantés dans la chambre d'hôtel puis dans celle d'Édith[129]. Un thème plus enjoué et optimiste[130] est relié au personnage de Violette[129]. Une mélodie rythmée et d'inspiration baroque accompagne les querelles entre Édith et sa mère[129] ; et dans un esprit très différent, le « chant d'espoir » des grévistes[131] se fait entendre lors des manifestations mais aussi pendant les dialogues entre Dambiel et François[129].
Michel Colombier[133] indique que Jacques Demy voulait « quelque chose de très profond[134], de très russe »[35]. Il évoque à propos du film « une tragédie avec des outrances », où les personnages passent d'une émotion violente à son contraire, comme dans la littérature ou l'opéra russes[35]. Colombier ajoute que Demy avait pour modèle la collaboration entre Sergueï Prokofiev et Eisenstein[62]. Le réalisateur avait travaillé sur une comédie musicale russe, à partir de l'automne 1973 et dans les années suivantes, et avait déjà pensé à y faire jouer Dominique Sanda et Michel Piccoli[135]. Le registre épique perceptible dans Une chambre en ville évoque au critique Gérard Vaugeois les films du réalisateur russe Eisenstein, comme Alexandre Nevski et La Grève[136].
Chaque thème musical passe d'un personnage à l'autre. Le premier monologue de Mme Langlois est ainsi répété une dizaine de fois par d'autres protagonistes du film. Pour Michel Chion, ces répétitions sur des paroles différentes créent « une sorte de sous-texte[137] ». Ainsi le thème musical, sur lequel la colonelle, lors de leur première discussion, assène à sa fille « je te l'ai déjà dit cent fois », est répété cent fois, dans d'autres situations, par d'autres personnages, créant des échos entre la classique dispute entre mère et fille et d'autres scènes[137].
Chion analyse les rapports entre la musique et les mots. Selon lui, on accorde trop d'importance à l'idée que le chant donnerait de la grâce et de la fantaisie à la parole, alors qu'« il s'agirait, avec Demy, grand dialoguiste, de débanaliser et de rafraîchir le langage parlé français, sans le faire plus poétique ou au contraire plus naturaliste qu'il n'est ». Les mots retrouvent la force qu'ils ont dans la vie réelle, ils peuvent être « mieux entendus en tant que mots[137] ». Ainsi, ce poids qu'ils ont dans la réalité, le roman ou l'opéra, leur est redonné par un « procédé follement articifiel[138] ». Cette analyse est confirmée par Jean-Pierre Berthomé, qui indique que le chant permet de mettre en valeur les inflexions du langage parlé[126], la musique agissant comme un « prolongement naturel de la parole[128] ».
De plus, avec le chant, le spectateur n'a plus à chercher une signification cachée en interprétant la prononciation des acteurs, dans une approche psychologiste des dialogues. Les chanteurs qui doublent les acteurs ne jouent pas sur des sous-entendus, ils ne dissimulent pas des intentions[137]. Le chant permet aussi de donner une « résonance profonde aux formules les plus usées[138] », comme lorsque la mère de Violette lui dit :« Il faut surtout penser à toi, à ta vie. Moi, j'ai déjà fait la mienne ». La musique oppose dans les aigus « à ta vie » à « la mienne » dans les graves et dans la cadence de la période musicale. « Une fin de vie s'annonce. C'est tout et c'est très beau[138] », souligne Michel Chion.
« C'est l'histoire de gens qui défendent leur droit, qui défendent leur vie, leur amour, leur bonheur, et cela m'a paru un sujet intéressant. (...) Mais je ne veux pas faire un film politique, cela ne m'intéresse pas, je n'y connais rien. », déclare Jacques Demy dans le documentaire sur le tournage du film[31]. Aux Cahiers du cinéma, il précise ses intentions : « Ce sont des gens passionnés, et je voulais faire ce film sur la passion qu'on met dans la vie jusqu'à l'absurde[139] ».
Néanmoins, de nombreux critiques mettent en avant la portée politique d'Une chambre en ville. Pour Gérard Vaugeois, le cinéma de Demy est un des plus politiques du paysage français, mais « à sa manière[99] ». Pour lui, ce film est celui qui va le plus loin dans la description de tous les affrontements de classe possibles[99]. Même si les différences sociales jouaient un rôle important dans Lola ou Les Parapluies de Cherbourg, « ce qui frappe particulièrement dans Une chambre en ville, c'est l'émergence brutale au premier plan du conflit des classes sociales[140] ». Les tensions sociales étaient de plus en plus présentes dans les films précédents de Demy, Lady Oscar[141] et Le Joueur de flûte. Mais Demy devient ici explicite, ressentant le besoin de faire prononcer à la colonelle sa pensée[142], dans le but évident d'éviter d'être mal interprété comme cela avait été le cas avec Les Parapluies[140].
On ne se rassemble plus dans un carnaval, mais dans une manifestation, sous un drapeau tricolore qui rivalise avec celui de la préfecture et des forces de l'ordre, dans un face-à-face épique avec les CRS[140].
Le film est nourri de citations extraites du reste de l'œuvre du réalisateur. Comme Les Parapluies de Cherbourg, il est entièrement chanté. Comme Lola, il se passe à Nantes. On y retrouve des personnages qui font écho à d'autres, notamment les couples mère-filles, si importants dans ces deux films[117]. Demy multiplie les auto-citations. Dans le magasin de télévisions, on découvre qu'un appareil appartenant à Mme Desnoyers, personnage de Lola, est en réparation[143]. Le satyre en imperméable de ce même film réapparaît dans le passage Pommeraye, et croise Dominique Sanda[144]. Édith et Guilbaud se croisent sans se remarquer au début du film, écho au chassé-croisé amoureux, dicté par le hasard, de Catherine Deneuve et Jacques Perrin dans Les Demoiselles de Rochefort[143]. Les allusions sont donc nombreuses, créant un effet de continuité certain.
Mais Une chambre en ville apparaît surtout comme un « complément nécessaire qui amène à la lumière la face obscure, la part souterraine si essentielle à la compréhension du reste de l'œuvre[128] ». Le film rend « la dimension morbide, violente, charnelle, au petit monde acidulé dont l'écume de la mémoire collective n'avait fixé que la joliesse aseptisée[145] ».
Il est ainsi fait un usage complètement différent de la ville de Nantes : alors que Lola se déroulait dans les quartiers luxueux de la ville, Une chambre en ville met en scène le centre militaire, des rues fermées par de hauts immeubles et bloquées par les forces de l'ordre[146]. La lumière du soleil n'entre pas dans les appartements, et la colonelle ne sort jamais de sa « prison »[128]. Les deux duos amoureux entre Guilbaud et Violette ont lieu en extérieur et, si le premier, rempli de l'insouciance de la jeune fille, se passe dans le décor ouvert et lumineux du cours Saint-Pierre, le deuxième, celui de la rupture, se passe dans un marché clos par des colonnettes et des cars grillagés[147].
Le passage Pommeraye, seul décor commun aux deux films, témoigne de ces changements : lumineux et fréquenté dans Lola[146], il devient sombre et abandonné quand Édith le parcourt pour se rendre à « la caverne vert glauque » qu'est le magasin de télévisions de son mari[144],[146].
L'amour, sublimé dans les premiers films, s'exprime dans Une chambre en ville de façon charnelle et physique. La nudité y est affichée de façon provocante par le personnage d'Édith, qui traverse le film nue sous son manteau de fourrure et racole de façon explicite[148]. La passion devient obsessionnelle et destructrice comme en témoigne le personnage du mari malheureux, pitoyable et méprisable. Là où la Geneviève des Parapluies de Cherbourg s'arrangeait finalement, malgré ses menaces initiales de dépérissement[149], de la longue absence de son amant contraint de partir pour la guerre d'Algérie, la mort devient ici « la seule issue, le premier point final de toute l'œuvre de Demy[148] ».
« [sur le fait qu'il refusa de nombreuses propositions de compositions] De même pour Une chambre en ville de Jacques Demy. C'était moche. Il n'a pas compris. On ne s'est pas parlé pendant deux ans. Il a fait le film avec un autre. Un four, ridicule. »
« Au début des années 1980, il m'envoie un script qui parle d'usines et de conflits sociaux. Je le lis : c'était désespérant ! Je fonce à Nantes lui dire que je ne le ferai pas et, par amour pour lui, je lui déconseille de le tourner. Il m'a jeté dehors. C'était Une chambre en ville, un film ridicule. »
« Mon père était musicien et j'ai été très tôt habitué à voir des opéras, j'ai été pétri par tout ça, je connaissais le langage de la tragédie. »[132]