La violence familiale dans l'islam est un sujet complexe car il n'existe pas vraiment de consensus sur les limites à certains comportements entrant dans la maltraitance d'autrui dans la jurisprudence islamique.
L'interprétation traditionnelle du verset 34 de la sourate des Femmes, voulant que celles-ci doivent obéir à leur mari qui peut les frapper si elles ne sont pas soumises, est remise en question par l'islam libéral, qui met aussi avant le manque de prise en compte des droits des enfants.
En islam, la violence familiale est définie comme un type de comportement abusif envers une personne afin d'avoir ou de maintenir un pouvoir et un contrôle sur une autre de sa famille, notamment le comportement de l'époux envers son épouse[1],[2],[3].
Le trente-quatrième verset de la sourate des Femmes, quatrième sourate du Coran, est l'un des versets qui définissent la relation entre un mari et sa femme dans l'Islam :
« ٱلرِّجَالُ قَوَّٰمُونَ عَلَى ٱلنِّسَآءِ بِمَا فَضَّلَ ٱللَّهُ بَعْضَهُمْ عَلَىٰ بَعْضٍۢ وَبِمَآ أَنفَقُوا۟ مِنْ أَمْوَٰلِهِمْ ۚ فَٱلصَّٰلِحَٰتُ قَٰنِتَٰتٌ حَٰفِظَٰتٌۭ لِّلْغَيْبِ بِمَا حَفِظَ ٱللَّهُ ۚ وَٱلَّٰتِى تَخَافُونَ نُشُوزَهُنَّ فَعِظُوهُنَّ وَٱهْجُرُوهُنَّ فِى ٱلْمَضَاجِعِ وَٱضْرِبُوهُنَّ ۖ فَإِنْ أَطَعْنَكُمْ فَلَا تَبْغُوا۟ عَلَيْهِنَّ سَبِيلًا ۗ إِنَّ ٱللَّهَ كَانَ عَلِيًّۭا كَبِيرًۭا »
« Ar-rijālu qawwāmūna `alá an-nisā' bimā fađđala allāhu ba`đahum `alá ba`đin wa bimā 'anfaqū min 'amwālihim fālşşāliĥātu qānitātun ĥāfižātun lilghaybi bimā ĥafiža allāhu wa al-lātī takhāfūna nushūzahunna fa`ižūhunna wa ahjurūhunna fī al-mađāji`i wa ađribūhunna fa'in 'aţa`nakum falā tabghū `alayhinna sabīlāan 'inna allāha kāna `alīyāan kabīrāan »
.Traduction classique du verset (Oregon State University) [4]:
4 : 34 - Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu'ils font de leurs bien. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l'absence de leurs époux, avec la protection de Dieu. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Dieu est certes, Haut et Grand !
« Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu’Allah a préféré certains d’entre vous à certains autres, et du fait que [les hommes] font dépense, sur leurs biens [, en faveur de leurs femmes]. Les [femmes] vertueuses font oraison (qânit) et protègent ce qui doit l’être (?), dut fait de ce qu’Allah consigne (?). Celles dont vous craignez l’indocilité, admonestez-les ! reléguez-les dans les lieux où elles couchent ! frappez-les ! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus contre elles de voie [de contrainte] ! Allah est auguste et grand. »
— Régis Blachère, 1966.
«
Les hommes ont autorité sur les femmes[n 1],
en vertu de la préférence
que Dieu leur a accordée sur elles,
et à cause des dépenses qu’ils font
pour assurer leur entretien.
Les femmes vertueuses sont pieuses ;
elles préservent dans le secret ce que Dieu préserve.
Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité ;
reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les.
Mais ne leur recherchez plus querelle,
si elles vous obéissent.
— Dieu est élevé et grand —»
— Denise Masson, 1967.
« Les hommes sont des directeurs pour les femmes, à cause de l'excellence qu'entre eux Dieu accorde aux uns sur les autres, ainsi que la dépense qu'ils font de leurs biens. Les femmes de bien sont celles qui sont de dévotion, qui protègent, même dans le secret, ce que Dieu a protégé. Et quant à celles dont vous craignez l'infidélité, exhortez-les, abandonnez-les dans leurs lits, et battez-les. Si elles viennent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles. Dieu demeure haut, grand, vraiment ![n 2] »
— Muhammad Hamidullah, 1973.
« Les hommes ont autorité sur les femmes en raison [des qualités] par lesquelles Dieu vous a élevé les uns au-dessus des autres et en raison des dépenses qu'ils prélèvent sur leurs biens [au profit de leurs femmes]. Les [femmes] vertueuses sont sobre et maintiennent intact en l'absence de leur mari ce que Dieu a prescrit de conserver [ainsi]. Exhortez celles dont vous redoutez l'insubordination. Reléguez-les dans des lits à part et sévissez contre elles. Si elles vous obéissent, ne leur cherchez plus querelle. En vérité Dieu est très haut et très grand. »
— Hamza Boubakeur, 1979.
« Les hommes ont autorité sur les femmes en raison des faveurs qu'Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu'ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l'absence de leurs époux, avec la protection d'Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d'elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand ! »
— Conseil scientifique islamique de Médine, d'après la traduction de M. Hamidullah, 1984.
«
Les hommes ont autorité sur les femmes,
du fait qu’Allah fait grâce
à certains plus qu’à d’autres,
et du fait qu’ils dépensent leurs biens.
Les vertueuses adorent, et gardent
le mystère de ce qu’Allah garde.
Admonestez celles dont vous craignez la rébellion,
reléguez-les dans des dortoirs, battez-les.
Si elles vous obéissent,
ne cherchez pas contre elles de querelle.
Voici, Allah, le Sublime, le Grand.»
— André Chouraqui, 1990.
«
Les hommes se doivent de se comporter toujours droitement à l'égard des femmes, par la faveur qu'Allâh a accordée aux par rapport à d'autres, et par ce qu'ils ont fait circuler de leur biens.
Ainsi les femmes intègres se recueillent, gardiennes, devant le mystère, par ce qu'Allâh garde.
Et à celles dont vous craignez l'animosité, admonestez-les alors, et délaissez-les dans les lits, et provoquez un choc chez elles. Alors, si elles restent disponibles vis-à-vis de vous, ne désirez pas de recours contre elles.
Vraiment, Allâh Se révèle Sublime, Magnifique !»
— Maurice Gloton, 2002.
« Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu a accordé aux uns sur les autres et en vertu des dépenses qu’ils font [pour assurer leur subsistance]. Les femmes pieuses sont celles qui ont de la retenue et savent préserver ce que leurs époux ignorent (lil-ghayb) par un effet de la Sollicitude divine. Quant à celles dont vous craignez les incartades, admonestez-les, faites lit à part et corrigez-les ! Si elles vous obéissent [de nouveau] ne cherchez plus à leur nuire car Dieu est Grand et Élevé. »
— AdbAllah (Dominique) Penot, 2007.
« Les hommes ont la charge et la direction des femmes en raison des avantages que Dieu leur a accordés sur elles, et en raison aussi des dépenses qu’ils effectuent pour assurer leur entretien. En revanche, les épouses vertueuses demeurent toujours fidèles à leurs maris pendant leur absence et préservent leur honneur, conformément à l’ordre que Dieu a prescrit. Pour celles qui se montrent insubordonnées, commencez par les exhorter, puis ignorez-les dans votre lit conjugal et, si c’est nécessaire, corrigez-les. Mais dès qu’elles redeviennent raisonnables, ne leur cherchez plus querelle. Dieu est le Maître Souverain. »
— Mohamed Chiadmi, 2007.
« Les hommes ont autorité sur les femmes en raison des privilèges que Dieu accorde à certains par rapport à d’autres et en raison des biens qu’ils dépensent pour elles. En l’absence de leurs conjoints, les femmes vertueuses sont chastes. Elles préservent ce que Dieu a considéré devoir l’être. En revanche, celles dont vous craignez la sédition, ne vous mettez pas au lit avec elles, vous les reléguerez et vous les battrez, à moins qu’elles ne vous obéissent à nouveau, auquel cas vous les laisserez tranquilles, Allah étant au-dessus, Il est le plus grand. »
— Malek Chebel, 2009.
Les circonstances des révélations des versets (en arabe asbab al-nuzul al-ayat) du Coran ne sont pas fiables pour la recherche universitaire contemporaine[5], mais selon Ali ibn Ahmad al-Wahidi, érudit sunnite mort en 1075 et parmi les plus anciens à les avoir recueilli, le verset est révélé après que Saad ibn al-Rabi, un ansâr, a frappé sa femme Habiba au visage pour s'être rebellé contre lui. Zayd ibn Abou-Zouhayr, père de Habiba, est allé se plaindre à Mahomet et a voulu vengeance ; le chef arabe lui a répondu qu'elle n'avait qu'à se venger. Alors que le père et la fille allaient le faire, Mahomet les aurait rappelés car l'ange Gabriel lui aurait fait parvenir ce verset, suspendant les représailles contre Saad ibn al-Rabi[6].
Plusieurs chercheurs affirment que la charia appuie la permission de la violence domestique contre les femmes lorsqu'un homme suspecte son épouse de désobéissance (mauvaise conduite, rébellion, infidélité). Certaines traductions, comme celle de l'officielle de Médine, précisent en note : « pas violemment, mais simplement pour les faire obéir[7]. » Marie-Thérèse Urvoy résume que l'homme a droit de contrainte dans le mariage, et l'épouse ne peut pas aller au-delà de celui du compromis[8]. Les commentaires du Coran du pseudo-Ibn Abbas, des deux Djalal, d'Ibn Kathir et de Maududi indiquent qu'il faut frapper de façon légère, bien que Mahomet ne l'appréciait pas et l'a permit à contre-cœur. Le théologien Al-Qushayri (986-1072) précise dans son commentaire qu'il faut « corriger » une épouse progressivement : il n'est pas nécessaire de la frapper si la réconciliation a eu lieu avant d'arriver à cette extrémité[6].
L'universitaire Sami Bibi et l'islamologue Malek Chebel appellent à repenser le verset dans son contexte, celui de l'Arabie du VIIe siècle, avec ses mœurs archaïques pour le XXIe siècle, donc frapper son épouse ne doit pas être considéré comme un impératif[9],[10]. D'autres considèrent que cela est incompatible avec les interprétations modernes du Coran et que le sens originel du verset fut corrompu par la société patriarcale : l'imame soufie Anne-Sophie Monsinay (s'appuyant sur le théologien libéral Cyrille Moreno al-Ajami) et la féministe musulmane Asma Lamrabet interprète dharaba par « s'éloigner » ou « se séparer », al-qiwamah par « responsabilité », et nuchuz par « impiété » [11],[12],[13]. Le Pakistanais Ahmed Ali considère que dharaba signifie ici « coucher avec son épouse », et Laleh Bakhtiar croit que le sens est « laisser son épouse »[14].
Cette interprétation libérale n'est toutefois pas soutenue par la critique historique, qui confirme la lecture traditionnelle : les hommes ont autorité sur les femmes et la responsabilité de celles-ci, et les épouses désobéissantes peuvent être frappées. Le verbe dharaba est ici suivi d'un objet direct, or les autres sens ne peuvent être employés que « lorsqu'il est suivi d'une préposition ou quand il est employé dans une tournure idiomatique »[14].
Dans plusieurs hadiths[n 3] rapportés par Abou Dawoud, Mahomet est vu en train de conseiller la vie de couple de ses fidèles. Parmi les conseils qu'il donne, il incite à ne pas frapper sa femme (certains précisent au visage)[hadith 1],[hadith 2],[hadith 3] et se montre très critique envers les maris violents, obligeant certains à divorcer de leurs épouses[hadith 4],[hadith 5]. Un hadith transmis par Abou Dawoud et Ibn Majah, jugé soit bon (hasan) ou faible (da'if), indique qu'Omar ibn al-Khattâb a entendu de Mahomet qu'on ne demandera pas à un homme de donner la raison pour laquelle il a frappé sa femme[hadith 6],[hadith 7],[hadith 8],[hadith 9].
Un hadith d'Ibn Majah, attribué à Aïcha, épouse de Mahomet, précise que ce dernier n'a jamais battu un de ses esclaves ou une de ses épouses[hadith 10]. Dans les hadiths de l'imam Boukhari, Mahomet a interdit de se moquer d'un homme qui demande comment les autres battent leurs femmes[hadith 11].
Dans le Mishkat al-Masabih, Mahomet dit à Ali avoir interdit de battre quiconque fait la prière[hadith 12]. Dans le même livre, un hadith met en scène Laqit ibn Sabira, dont l'épouse a des paroles vulgaires. Comme il ne veut pas s'en séparer, Mahomet lui recommande de la sermonner, mais de ne pas la frapper comme il frapperait une esclave[hadith 13].
Au cours des années 2000 et 2010, la communauté musulmane a commencé à reconnaître l'existence de la violence familiale parmi les musulmans et travaille à la prévention et aux solutions contre cela[16].
Nada Ibrahim et Mohammad Abdalla affirment que l'idéologie patriarcale attribuant un statut inférieur aux femmes est plus responsable des violences familiales dans l'islam, que la religion elle-même qui ne servirait qu'à légitime la domination masculine. La situation pour les femmes est différente d'un pays à un autre, qu'il ait ou non une population en majorité musulmane. De plus, la Sunna s'oppose aux violences familiales comme toutes formes d'oppression, car le couple musulman doit être harmonieux et juste. Il leur semble même qu'une meilleure connaissance de la religion révèle une réduction importante du risque de violences familiales[17].
Aux États-Unis d'Amérique, des groupes, des refuges et des organisations nationales musulmanes (telles que le Peaceful Families Project, l'Islamic Society of North America et l'Islamic Social Services Association) sont créées pour informer des musulmans et agir contre la violence domestique. En 2010, à Washington D.C., un groupe d'imams mené par le Peaceful Families Project, représentant les communautés musulmanes aux États-Unis, a signé une déclaration publique contre la violence domestique[16].
Certains érudits musulmans, comme Ahmad Shafaat, affirment que l'islam autorise le divorce des femmes en cas de violence domestique[18], comme cela est notamment le cas au Maroc ou en Tunisie. Cependant, cela peut être inaccessible aux femmes pour des raisons pratiques ou juridiques[19].
Aux Émirats arabes unis, le , la Cour suprême fédérale confirme le droit du mari de « châtier » son épouse et ses enfants par des violences physiques, à condition que cela ne laisse aucune marque, conformément au code pénal émirien. L'article 53 du code pénal des Émirats arabes unis reconnaît le droit à un « châtiment infligé par un mari à sa femme et au châtiment des enfants mineurs » tant que l'agression ne dépasse pas les limites prescrites par la charia, et l'article 56 du code du statut personnel des Émirats oblige les femmes à « obéir » à leur mari[20].
En , le brutal passage à tabac, par son mari, de l'animatrice de télévision Rania al-Baz a mis en lumière le tabou de la maltraitance[21],[22]. Jusqu'en , l'Arabie saoudite considérait que les violences familiales étaient d'ordre privé, avant de voter, pour la première fois, une loi sanctionnant les abus sexuels et physiques, tant domestiques que sur le lieu de travail : les peines peuvent aller jusqu'à un an de prison et 13 000 dollars d'amende, les victimes de violence domestique pourront bénéficier d'un abri[23]. En 2015, 35% des Saoudiennes sont victimes de violence domestique, la loi de 2013 étant peu appliquée[24].