La doctrine choc et effroi (de l’anglais Shock and Awe, ce qui peut se traduire par « Choc et stupeur »), ou de « domination rapide », est une doctrine militaire basée sur l'écrasement de l'adversaire à travers l'emploi d'une très grande puissance de feu, la domination du champ de bataille et des manœuvres, et des démonstrations de force spectaculaires pour paralyser la perception du champ de bataille par l'adversaire et annihiler sa volonté de combattre.
Elle a pour origine l'université de la défense nationale des États-Unis et pour rédacteurs Harlan K. Ullman (en) et James P. Wade (en) en 1996.
Elle a été mise en œuvre principalement lors de l'invasion de l'Irak en 2003.
La domination rapide est définie par ses auteurs, Harlan K. Ullman et James P. Wade, comme les efforts « pour porter atteinte à la volonté, au ressenti et à la capacité de compréhension de l’adversaire qui lui permettent de s’adapter ou de répondre à notre politique stratégique, en imposant un régime de choc et d’effroi »[1]. De plus, la domination rapide permet « d’imposer un niveau de choc et d’effroi tel que la volonté de l'adversaire de continuer la lutte soit anéantie […, et de] prendre le contrôle de l’environnement, et paralyser les perceptions de l’adversaire et ses capacités de compréhension ou tant les saturer que l’ennemi se retrouve incapable de résister sur les plans tactique et stratégique. »[2]
En présentant la doctrine dans un rapport à l’université de défense nationale des États-Unis en 1996, Ullman et Wade la décrivent comme une tentative d’élaborer une doctrine militaire post-guerre froide. La technique de domination rapide et le choc et l’effroi, selon eux, peut entraîner un changement révolutionnaire dans le domaine militaire aux États-Unis, alors que les effectifs sont réduits et que les techniques de l'information ont un rôle de plus en plus important dans la conduite des opérations militaires[3]. La technique de domination rapide permettrait donc d'exploiter « la supériorité militaire, l’engagement de précision, et la domination dans le domaine de l’information » des États-Unis[4].
Ullman et Wade énumèrent quatre caractéristiques de la domination rapide :
Le choc et l’effroi sont le plus souvent définis par Ullman et Wade comme l’effet obtenu par la domination rapide d’un adversaire. C'est l’état désiré d’un sentiment d’impuissance et de perte de volonté. Selon eux, il peut être obtenu par la destruction des centres de commandement ennemis, une suppression sélective des informations diffusées et la propagation de désinformation, le débordement des forces adverses, et la rapidité d’action.
La doctrine a depuis évolué vers le concept de « force décisive ». Pour Ullman et Wade, les différences entre les deux concepts sont les objectifs, l’usage de la force, la taille de l’armée, la rapidité, les pertes engendrées et la technique.
Bien qu'Ullman et Wade affirment que « la réduction des pertes civiles, des morts, et des dégâts collatéraux a un sens politique qui aurait besoin d'être compris sur le front », leur doctrine requiert pourtant l'interruption de tous les moyens de communication, de transports, de production alimentaire, de distribution d'eau, et toutes les autres infrastructures[6], et, en pratique,« l'usage approprié du Choc et de l'effroi doivent provoquer […] un sentiment de menace et de peur d'agir, qui peuvent abattre totalement ou en partie la société adverse, ou réduire considérablement ses capacités de combattre par la destruction des moyens matériels »[7].
Les auteurs imaginent l'exemple d'une invasion de l'Irak vingt ans après l'opération Tempête du désert : ils affirment qu’« abattre le pays nécessiterait d'une part la destruction physique d'infrastructures ciblées, et d'autre part l'interruption et le contrôle de tous les flux d'informations et commerciaux importants, et ce de façon si rapide qu'on puisse obtenir un choc comparable à celui obtenu par les bombardements nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki sur les Japonais »[8].
Ullman reprit le même exemple sur CBS News quelques mois avant l'invasion de l'Irak : « Imaginez que vous êtes un général tranquillement assis à Bagdad, et que soudainement trente de vos QG divisionnaires sont détruits. La ville tombe aussi. Par cela, je veux dire que l'électricité et l'eau sont coupées. En 2, 3, 4, 5 jours, ils seront épuisés, physiquement, émotionnellement et psychologiquement »[9].
Ullman et Wade soutiennent que certaines applications militaires sont des illustrations de certains concepts du « choc et effroi ». Ils citent neuf exemples, dont :
Avant l’invasion de l’Irak en 2003, les officiels de l’armée des États-Unis indiquaient que leurs plans mettaient en œuvre la doctrine « choc et effroi »[10].
Avant son application dans les plans d’invasion de l’Irak, la doctrine a suscité de la méfiance dans l’administration Bush : allait-elle être efficace ? Selon un reportage de la CBS, « un officiel l’a qualifiée de bunch of bull », mais confirme que les plans de guerre sont basés sur cette doctrine. Le correspondant de CBS, David Martin, relève que l’année précédente, durant l’opération Anaconda en Afghanistan, les forces américaines ont été désagréablement surprises par « la volonté des membres d’Al-Qaïda de combattre jusqu’à la mort. Si les Irakiens combattent, les Américains devront se renforcer et combattre à l’ancienne, en écrasant la Garde républicaine, et cela entraînera beaucoup plus de pertes des deux côtés »[10].
Une campagne de bombardement limitée commence le par des tentatives infructueuses de tuer Saddam Hussein. Elle se poursuit par le bombardement d’un petit nombre de cibles jusqu’au 21 mars, date à laquelle commencent, à 17 heures, les principaux bombardements des forces de la coalition rassemblée sous l’égide des États-Unis. Ses forces font environ 1 700 sorties aériennes (dont 504 utilisent des missiles de croisière)[11]. Les forces terrestres de la coalition commencent leur offensive sur Bagdad les jours suivants, avant de prendre la ville le 5 avril, et les États-Unis s’annoncent victorieux le 14 avril.
Dans ce contexte, l’opération « choc et effroi » fait référence au début de la campagne irakienne, et non à l’insurrection qui a suivi.
Il est difficile de dire dans quelle mesure les États-Unis ont réellement appliqué la doctrine choc et effroi, d’autant que les déclarations postérieures à la guerre sont contradictoires. Deux semaines après la proclamation de la victoire, le 27 avril, le Washington Post publie un entretien avec des militaires irakiens qui détaillent la démoralisation et les failles du commandement[12]. Selon ces soldats, les bombardements de la coalition ont pris une extension surprenante et ont eu un effet démoralisant extrêmement important. Quand les chars américains ont traversé les lignes de la Garde républicaine et de la Garde républicaine spéciale (en) des abords de Bagdad jusqu’aux palais présidentiels, les troupes présentes en ville ont subi un choc. D'après eux, aucune structure n’était intacte quand l’armée américaine est entrée à Bagdad, et la résistance s’est écroulée sous l'idée que « ce n’est pas une guerre, mais du suicide ».
Au contraire, dans une présentation d’octobre 2003 au Comité des services armés de la Chambre des représentants, une équipe du Collège de guerre de l’US Army n’attribue pas son succès à la domination rapide. Au contraire, ils font référence à leur supériorité technique et à l’inefficacité des Irakiens : « La vitesse d’action de la coalition n’a pas touché le moral des Irakiens. De plus, les unités irakiennes n’ont cessé le combat qu’après un affrontement avec les troupes de la coalition à proximité d’une ville »[13].
D'après Bijal Trivedi, chercheur du National Geographic, « Même après plusieurs jours de bombardement, les Irakiens ont montré une résilience remarquable. Beaucoup ont continué leurs activités quotidiennes, aller travailler et faire les courses, avec les bombes tombant autour d’eux. Selon certains analystes, l’attaque militaire a peut-être été trop précise. Elle n’a pas provoqué de choc et d’effroi chez les Irakiens et, finalement, la ville n'a été prise qu'après des combats rapprochés dans les banlieues de Bagdad. »[14].
Le principal auteur de Shock and Awe: Achieving Rapid Dominance (en anglais : Choc et effroi : la réalisation de la domination rapide), Harlan Ullman, est l’un des critiques les plus virulents de la campagne menée en Irak. Selon lui, « la campagne actuelle ne correspond pas à ce que nous avions envisagé » ; et, en outre, « le bombardement qui a illuminé le ciel nocturne de Bagdad […] ces jours derniers n’a pas montré la force, la portée et les dimensions de l’éventail de moyens sur lequel était basé le plan choc et effroi ». À la question « Est-il trop tard pour le Choc et l’effroi ? », Ullman répond « Nous ne l’avons pas vu ; il n’arrive pas »[réf. nécessaire].
Ullman note que le plan prévu aurait requis « une attaque au centre de Bagdad, la prise de contrôle du centre, suivies de prises de contrôle successives à partir du centre-ville ». De plus, « la campagne de bombardement n’a pas visé directement les forces militaire irakiennes sur le champ de bataille, notamment les divisions de la Garde républicaine et les relais du pouvoir politique, mais plutôt les quartiers-généraux du Parti Baas ». Au lieu de la tactique préconisée, selon Ullman, on a donc plutôt assisté à un siège[réf. nécessaire].
Il semble que l’administration Bush soit revenue sur la campagne de bombardement de l’Irak, et que le plan original a été modifié quelques jours avant sa mise en œuvre, « les pertes civiles ayant joué un rôle dans cette décision politique »[réf. nécessaire].
Selon Brian Whitaker, correspondant du Guardian en 2003, « pour quelques pays arabes ou musulmans, la doctrine « choc et effroi » est un terrorisme sous un autre nom ; pour d’autres, un crime qui n’a rien à envier au 11 septembre »[15]. De même, les opposants à la guerre et le chiite radical Moqtada al-Sadr ont qualifié l’action américaine en Irak de terroriste[16],[17].
L’Iraq Body Count, un projet de l'Oxford Research Group (en), ONG non violente et militant pour le désarmement, compte environ 6 616 morts civiles dues à l’action des forces conduites par les États-Unis durant la phase de conquête, y compris lors de la campagne de bombardement choc et effroi[18].
Ces résultats sont contestés par l’armée américaine (qui ne compte pas les morts du camp adverse) et le gouvernement irakien pro-américain. Le lieutenant-colonel Steve Boylan, chargé de relations publiques à Bagdad, refuse de discuter des méthodes de l’IBC, qu’il affirme ignorer, et indique que l’US Army « fait tout ce qu’elle peut pour éviter les pertes civiles »[19]. Le chercheur du National Geographic Bijal Trivedi affirme qu'« Il y a des pertes civiles, mais les frappes restent, la plupart du temps, chirurgicales »[14].
Après l’invasion de l’Irak, en 2003, l’expression choc et effroi a connu plusieurs utilisations commerciales. Le bureau américain d’enregistrement des marques, le United States Patent and Trademark Office, a enregistré au moins 29 demandes d’utilisation exclusives[20]. La première est issue d’une compagnie de lutte contre les incendies, et a été déposée le premier jour du bombardement de Bagdad. Le lendemain du début de l’invasion, Sony a enregistré la marque pour une utilisation dans un jeu vidéo, mais a retiré sa demande plus tard, la qualifiant de mauvaise décision[21]. Le terme est utilisé pour des équipements de golf, un insecticide, des boules de bowling, une course de chevaux, un shampooing, et des préservatifs.
Dans un entretien, Harlan Ullman indique qu’il croit que l’utilisation du terme pour vendre des produits est « probablement une erreur », et « la valeur ajoutée sera comprise entre rien et peu »[22].