Fille d'un officier de marine guillotiné comme girondin en 1793 et d'une Française de Martinique, elle vit à l'étranger (États-Unis, Martinique (sous occupation anglaise), Royaume-Uni) de 1794 à 1800. Sous le règne de Napoléon (1800-1815), elle vit en général en province, puis tient un important salon parisien sous la Restauration. Elle se consacre à l'écriture romanesque à partir de 1821, publiant avec réticence ses deux premiers romans, puis renonçant à la publication des œuvres suivantes.
Surtout connue pour son roman Ourika (1823), qui analyse les questions d’égalité raciale et sexuelle, elle est considérée de nos jours comme une précurseure[c] du féminisme[6],[7]. De surcroît antiraciste, elle était, de ces deux points de vue, en avance sur son temps[8].
Elle est la fille d'Armand de Kersaint, officier de marine de haut rang. Sa mère est originaire de la Martinique, territoire du royaume dont l'économie est fondée sur l'esclavage dans les plantations sucrières.
Claire a douze ans lorsque la Révolution française débute en 1789. Après que la République est proclamée en 1792, Armand de Kersaint, contre-amiral, se place dans le parti relativement modéré des Girondins, que la Convention nationale renverse en juin 1793. Comme beaucoup d'autres sympathisants de cette tendance, il est condamné à mort, puis guillotiné le .
Rentrée en France en 1800, la duchesse de Duras reste à l’écart de Paris, où le pouvoir est détenu depuis novembre 1799 par Napoléon Bonaparte, Premier Consul puis empereur (1804). Elle séjourne le plus souvent dans son château d'Ussé (Indre-et-Loire).
Elle devient alors l'amie de Chateaubriand[9], qui l'appelle sa « chère sœur ».
Période de la Restauration (1815-1828) : le salon de Madame de Duras
Sous la Restauration, à partir de 1815, elle tient le plus important salon parisien de son temps, accueillant toutes les opinions et protégeant « les arts et les artistes, les lettres et les auteurs », comme l'écrit le duc de Lévis dans son Journal).
Au mois de novembre 1821, Claire de Duras écrit Ourika, l’histoire d’une jeune fille noire élevée au sein de la meilleure société de la fin du XVIIIe siècle, mais qui, se rendant compte que sa couleur l’isole à jamais, en meurt de chagrin. Ce récit, tiré d’un fait authetique, suscite, avant même sa publication, un très grand engouement parmi ceux qui sont admis à lire ou à entendre lire ce bref roman[10].
En décembre 1823, la duchesse finit par se résoudre à l'impression privée de quelques exemplaires d’Ourika, puis, sur la sollicitation du public cultivé, elle accepte la publication du roman le (chez Ladvocat). Le succès est immense.
Au mois de janvier 1826, Henri de La Touche publie anonymement un roman qu'il a écrit, Olivier, en s'efforçant de le faire passer pour le troisième roman de Madame de Duras dont tout le monde attend la publication. Il est en effet de notoriété publique, qu’après avoir traité de l’exclusion raciale, puis des inégalités sociales, Madame de Duras aborde, dans un roman intitulé Olivier ou le Secret, la question de l’impuissance masculine, qui inspirera à Stendhal son roman Armance.
Découragée par cette entreprise d’appropriation de son œuvre, Claire de Duras se refuse dès lors à toute publication de ses romans ultérieurs, qui vont rester enfermés dans des archives familiales jusqu’aux XXe et XXIe siècles.
en 1971, Denise Virieux publie chez José Corti une version incomplète d’Olivier ou le Secret, d’après un brouillon manuscrit de ce roman.
en 2007, aux éditions Gallimard, coll. « Folio classique » (préface de Marc Fumaroli), Marie-Bénédicte Diethelm publie le roman complet et inédit d’Olivier ou le Secret conforme au manuscrit conservé dans les archives de la duchesse (Ourika, Édouard et Olivier ou le Secret, Gallimard, coll. « Folio classique », 2007).
en 2011 : publication de deux autres romans inédits de Claire de Duras aux Éditions Manucius, Mémoires de Sophie et Amélie et Pauline (éd. Marie-Bénédicte Diethelm).
en 2023 : édition des Œuvres romanesques de Claire de Duras contenant Ourika, Édouard, Olivier ou le Secret,Le Moine du Saint-Bernard ainsi que deux ébauches En Bretagne et Le Paria. (Gallimard, coll. « Folio classique »). Le Moine du Saint-Bernard, En Bretagne et Le Paria, inédits, sont publiés pour la première fois dans cette édition (éd. Marie-Bénédicte Diethelm).
en 2024: publication d'Aloys ou le Religieux du Mont-Saint-Bernard d'Astolphe de Custine (éd. Marie-Bénédicte Diethelm, Classiques Garnier). Ce roman, initialement publié en 1829, s'inspire étroitement du Moine du Saint-Bernard de Claire de Duras (1822).
Claire de Duras a traité de sujets complexes et controversés, avec principalement des personnages opprimés et marginalisés que leur race ou leur origine sociale empêche de connaître le bonheur. Elle a exploré beaucoup de principes fondamentaux de la Révolution française et a évoqué les discussions intellectuelles des Lumières, en particulier l’égalité entre tous les hommes et des femmes. La tragédie est un thème commun à ses sujets. Dans chacun de ses trois romans, l’accomplissement de la relation entre les deux amoureux ne peut avoir lieu à la fois pour des motifs extérieurs (origine/état) ou intérieurs (secret personnel/homosexualité ?).
Longtemps considérée comme auteur de petits romans sentimentaux sans importance, la critique récente a révélé que ses œuvres étaient autant de mines de théorie post-moderne sur la question de l’identité. Il est probable que Claire de Duras n’avait pas été bien lue parce que, en avance sur son temps, le choix et le traitement de ses sujets n’ont pu être appréciés jusqu’à récemment.
C’est le premier de ses romans, consacré à la destinée de la jeune fille noire Ourika, qui devait laisser la plus grande marque dans l’histoire de la littérature : la jeune Africaine est retirée de la vente sur le marché des esclaves par le gouverneur du Sénégal qui l’amène à Paris pour l’offrir à une amie. Ourika reçoit une bonne éducation, elle se rend compte, à l’âge de quinze ans, du préjudice que provoque la couleur de sa peau. Après le mariage de Charles, dont elle est amoureuse, avec une Française, elle se retire au couvent où elle finira par mourir prématurément. On pense que ce roman est le premier dans la littérature française à étudier le problème des relations interraciales et, en particulier, de l’amour entre ceux qui appartiennent à différentes races ; c’est la raison pour laquelle, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’intérêt littéraire et scientifique pour ce roman s’est beaucoup accru[d].
Édouard est également l’histoire d’un amour rendu impossible par la différence de conditions sociales. Amoureux de la fille du maréchal d’Olonne qui l’a recueilli, Édouard doit s’éloigner et, après la mort de sa bien-aimée, se fait tuer au cours de la guerre d’indépendance américaine.
Claire de Duras a dénoncé l'étroitesse d'esprit d'une société minée par les préjugés, où la race, la classe sociale, l’orientation sexuelle peuvent constituer autant d'obstacles, plaidant pour la tolérance. Remarquable également pour son temps est le roman Olivier ou le Secret[e], qui souleva de nombreuses polémiques et ne fut publié qu’en 2007 dans sa version complète d’après le manuscrit autographe, pour sa représentation, sous couvert d'impuissance sexuelle, de l’homosexualité d’un jeune homme[f].
↑Le sujet de ce roman a peut-être été inspiré par le fiasco du mariage que Claire de Duras a tenté d’arranger entre sa cadette Clara et Astolphe de Custine[12].
↑Christiane P. Makward et Madelaine Cottenet-Hage, « Duras, Claire de —, 1777-1828, nouvelliste dite « sentimentale » », dans Dictionnaire littéraire des femmes de langue française : de Marie de France à Marie NDiaye, Paris, Karthala, , 641 p., 25 cm (ISBN978-2-86537-676-6, OCLC36626988, lire en ligne).
↑Georges-François Pottier, « Des femmes à l’honneur : Claire de Duras (1777-1828), écrivaine », Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, t. 27, , p. 157-181 (lire en ligne)
↑Odile Métais-Thoreau, Une femme rare : dans les pas de la duchesse de Duras, Brissac, Petit Pavé, , 182 p., 22cm (ISBN978-2-84712-238-1).
↑Alain Tanguy, « Claire de Duras, romancière bretonne et icône woke », Le Télégramme, (lire en ligne, consulté le ).
↑Marie-Bénédicte Diethelm, « Claire de Duras, Chateaubriand et l’année des quatre romans », Femmes artistes et écrivaines dans l’ombre des grands hommes, dir. Hélène Maurel-Indart, Classiques Garnier, 2019.
↑Olivier Gassouin, Le Marquis de Custine : le courage d’être soi-même, Paris, Lumière & Justice, , 93 p., 21 cm (OCLC17462667, lire en ligne), p. 21.
↑Serge Bokobza, Contribution à la titrologie romanesque : variations sur le titre « Le Rouge et le Noir », Genève, Droz, , 150 p., 24 cm (OCLC1251857770, lire en ligne), p. 44.
Juliette Decreus, « Madame la Duchesse de Duras », dans Sainte-Beuve et la critique des auteurs féminins, Paris, Boivin, 1949.
(en) Gillian Gill, « Rosalie de Constant and Claire de Duras: An Epistolary Friendship », Swiss-French Studies/Études Romandes, novembre 1981, no 2 (2), p. 91-117.
Gabriel Pailhès, La Duchesse de Duras et Châteaubriand : d’après des documents inédits, Paris, Perrin, , 553 p., 23 cm (OCLC4078634, lire en ligne).
(en) Kari Weil, « Romantic Exile and the Melancholia of Identification », Differences: A Journal of Feminist Cultural Studies, Summer 1995, no 7 (2), p. 111-126.
(en) Renee Winegarten, « Woman and Politics: Madame de Duras », New Criterion, novembre 2000, no 19 (3), p. 21-28.
(en) Carolyn M. Fay, « “Quelle sorte de lien pouvons-nous donc établir entre nous ?”: The Epistolary Friendship of Claire de Duras and Rosalie de Constant », Women in French Studies, 1999, no 7, p. 79-87.
Anjali Prabhu, « Deux Nègres à Paris : La Voix de l’autre », RLA: Romance Languages Annual, 1995, no 7, p. 133-37.
(en) Sylvie Romanowski, Through Strangers’ Eyes : Fictional Foreigners in Old Regime France, West Lafayette, Purdue UP, , xiii, 257, 23 cm (ISBN978-1-55753-406-4, OCLC60340996, lire en ligne).
Chantal Bertrand-Jennings, « Condition féminine et impuissance sociale : les romans de la duchesse de Duras », Romantisme, 1989, no 18 (63), p. 39-50.
Chantal Bertrand-Jennings, « D’un siècle l’autre : romans de Claire de Duras », Jaignes, Chasse au Snark, 2001 (ISBN2914015089).
(en) Grant Crichfield, « Three Novels of Madame de Duras: Ourika, Edouard, and Olivier », Paris, Mouton, 1975.
(en) Alison Finch, « The Sense of an Ending in Stendhal’s Le Rouge et le Noir », The Art of Reading, Éd. Philip Ford, Gillian Jondorf, Cambridge, Cambridge French Colloquia, 1998, p. 125-34.
(en) Roger Little, « Condé, Brontë, Duras, Beyala: Intertextuality or Plagiarism? », French Studies Bulletin: A Quarterly Supplement, 1999, no 72, p. 13-15.
(en) Annabelle M. Rea, « La Filleule: An A-political Sand? », Le Siècle de George Sand, Éd. David A. Powell, Shira Malkin, Amsterdam, Rodopi, 1998, p. 45-54.
(en) S. A. Rhodes, « Sources of Fromentin’s Dominique », Publications of the Modern Language Association of America, septembre 1930, no 45 (3), p. 939-49.
(it) Ivanna Rosi, « Il gioco del doppio senso nei romanzi di Madame de Duras », Rivista di Letterature Moderne e Comparate, avril-juin 1987, no 40 (2), p. 139-159.
(en) Barbara R. Woshinsky, « Tombeau de Phèdre: Repression, Confession and Métissage in Racine and Claire de Duras », Dalhousie French Studies, 1999, no 49, p. 167-81.
Chantal Bertrand-Jennings, « Problématique d’un sujet féminin en régime patriarcal : Ourika de Mme de Duras », Nineteenth-Century French Studies, 1994, Fall-Winter 1995, no 23 (1-2), p. 42-58.
Michèle Bissière, « Union et désunion avec le père dans Ourika et Édouard de Claire de Duras », Nineteenth-Century French Studies, 1995 Spring-Summer; 23 (3-4), p. 316-23.
(en) Michelle Chilcoat, « Civility, Marriage, and the Impossible French Citizen: From Ourika to Zouzou and Princesse Tam Tam », Colby Quarterly, June 2001, no 37 (2), p. 125-44.
(en) Michelle Chilcoat, « Confinement, the Family Institution, and the Case of Claire de Duras’s Ourika », Esprit Créateur, Fall 1998, no 38 (3), p. 6-16.
(en) Marylee Susan Crofts, Duras’s ‘Ourika’: Race and Gender in Text and Context, Thèse de Ph.D. de l’Université du Wisconsin à Madison, décembre 1992, n° 53 (6): 1937A.
Thérèse De Raedt, « Ourika : L’Inspiration de Mme de Duras », Dalhousie French Studies, Winter 2005, no 73, p. 19-33.
Thérèse De Raedt, « Ourika en noir et blanc : Une Femme africaine en France », Thèse de l’Université de Californie à Davis, 2000.
(en) Thérèse De Raedt, « Ourika in Black and White: Textual and Visual Interplay », Women in French Studies, 2004, no 12, p. 45-69.
(en) Damon DiMauro, « Ourika, or Galatea Reverts to Stone », Nineteenth-Century French Studies, Spring-Summer 2000, no 28 (3-4), p. 187-211.
(en) Doris Y. Kadish, Françoise Massardier-Kenney, et al., Translating slavery : gender and race in French women's writing, 1783-1823, Kent, Kent State University Press, 1994.
(en) Doris Y. Kadish, « Ourika’s Three Versions: A Comparison », Translating Slavery: Gender and Race in French Women’s Writing, 1783-1823, Éd. Françoise Massardier-Kenney, Préf. Albrecht Neubert, Gregory M. Shreve, Kent, Kent State UP, 1994, xiv, p. 217-28.
(en) Doris Y. Kadish, « Rewriting Women’s Stories: Ourika and The French Lieutenant’s Woman », South Atlantic Review, Spring 1997, no 62 (2), p. 74-87.
(en) Roger Little, « A Further Unacknowledged Quotation in Césaire: Echoes of Ourika » French Studies Bulletin: A Quarterly Supplement, Summer 1992, no 43, p. 13-16.
Roger Little, « Le Nom et les origines d’Ourika », Revue d’Histoire Littéraire de la France, July-Aug 1998, no 98 (4), p. 633-37.
Lisa McNee, « Ourika en famille : Mémoire collective et altérité », French Prose in 2000, Éd. Michael Bishop, Elson Christopher, Amsterdam, Netherlands, Rodopi, 2002, p. 225-32.
(en) David O’Connell, « Ourika: Black Face, White Mask », French Review, Spring 1974; (Spec. issue 6), p. 47-56.
(en) Linda Marie Rouillard, « The Black Galatea: Claire de Duras’s Ourika », Nineteenth-Century French Studies, Spring-Summer 2004, no 32 (3-4), p. 207-22.
Marie-Ange Somdah, « Ourika ou l’univers antithétique d’une héroïne », LitteRealite, Autumn-Winter 1996, no 8 (2), p. 53-63.
(en) Eileen Warburton, « Ashes, Ashes, We All Fall Down: Ourika, Cinderella, and The French Lieutenant’s Woman », Twentieth Century Literature: A Scholarly and Critical Journal, Spring 1996, no 42 (1), p. 165-86.
Chantal Bertrand-Jennings, « Vers un nouveau héros: Édouard de Claire de Duras », French Review, février 1995, no 68 (3), p. 445-56.
Michèle Bissière, « Union et désunion avec le père dans Ourika et Édouard de Claire de Duras », Nineteenth-Century French Studies, 1995 Spring-Summer; 23 (3-4), p. 316-23.
Chantal Bertrand-Jennings, « Masculin/féminin : codes de l’honneur dans Olivier ou le secret de Claire de Duras », Masculin/féminin : le XIXe siècle à l’épreuve du genre, Toronto, Centre d’Études du XIXe siècle Joseph Sablé, 1999, p. 89-104.