Formé au chant dans les années 1970 par Manuel Kerjean[1], Marcel Guilloux, Yann-Fañch Kemener, il joue également de la clarinette bretonne (treujenn gaol). Citoyen du monde engagé, fondateur et directeur de la Kreiz Breizh Akademi, il œuvre pour le collectage, la transmission musicale et l'ouverture sur le monde, multipliant les expériences pour une musique populaire à la fois enracinée et favorable aux mélanges (musique roumaine du Taraf de Caransebeș, électrique avec Rodolphe Burger, ex-leader du groupe rock Kat Onoma, jazz avec Jacques Pellen...).
En portant la musique de son pays sur les fronts musicaux de l'est, il est l'un de ceux qui auront le plus contribué à faire figurer la Bretagne sur la carte géographique d'une Europe réunifiée.
Erik Marchand naît à Paris, d'une mère périgourdo-alsacienne et d'un père gallo-lorrain[2]. D'une famille originaire de Quelneuc (les sœurs Réminiac du pays de Redon), il vit son enfance entre un grand-père qui chante et un père guitariste. Amateur de musiques du monde, le jeune Parisien aux racines aussi bien alsaciennes et périgourdaines que bretonnes, découvre adolescent un enregistrement de fest-noz que son père possède (En passant par la Bretagne, du kan ha diskan par Eugène Grenel et Albert Bolloré)[3]. C'est le déclic. Il commence par enregistrer les chanteurs de sa famille, autour de Quelneuc. Collecteur de paroles de chants bretons, il travaille dans ce cadre à partir de 1976 pour Dastum. Fasciné par les gwerzioù qu'il entend, il décide de les interpréter à son tour.
En pays de Redon, un an après ses cousines Réminiac, victorieuses en 1975, il remporte la prestigieuse Bogue d'or en 1976, avec l'air intitulé Rossignolet du vert bocage[4]. Il chante aussi en gallo dans des festoù-noz parisiens et joue du biniou dans un cercle celtique. Il commence le kan ha diskan avec Erik Salaün et Yves Castel.
En 1975, au lendemain du bac, il s'installe définitivement en Bretagne pour devenir l'un des premiers chanteurs traditionnels professionnels. Il chante en pays gallo avec le duo réputé Gilbert Bourdin et Christian Dautel, puis met le cap sur le mythique Kreiz Breizh et la région de Rostrenen. Manuel Kerjean, qu'il découvre dans un fest-noz à Paris, lui enseigne le chant, la culture et la langue bretonne. Ce grand chanteur du pays Fisel, qu'Erik Marchand appelle « ma mestr » (mon maître), le loge dans sa ferme pour une immersion totale, participant, avec son ami sonneur Patrick Molard, aux travaux des champs[5]. Il rencontre Yann-Fañch Kemener dans le milieu des années soixante-dix[6]. Avec lui, il va écumer les festoù-noz et les représentations. Il enregistre des chants de marin qui l’amèneront à enregistrer avec Cabestan.
Un peu touche-à-tout, il pratique la treujenn gaol (clarinette en breton) et passe du chant de marin au disque de chants du Pays gallo[7]. Il participe à la création du groupe Gwerz en 1981. En apportant au chant traditionnel des arrangements inspirés par les formules musicales locales, le groupe élargit l'horizon de la musique bretonne. En quelques années, la formation de ses six musiciens devient quasiment mythique et marque le début du « traditionnel contemporain »[3]. Victime des activités multiples de ses membres, le groupe fait une pause après l'album de 1988 et ne joue que ponctuellement depuis l'album live de 1992. En 1988, il rencontre l'AngevinTiti Robin qui l'aide au collectage musical de Centre-Bretagne. Leur travail est publié sur l'album An Henchoù Treuz (prix de l'Académie Charles-Cros) dans lequel il pose son chant sur l'oud oriental et autres instruments à cordes de Thierry Robin. Ils se produisent également en trio avec le percussionniste rajasthanais Hameed Khan au tabla indien, association qui donne naissance à l'album An Tri Breur[8]. Les percussions du Trio sont ensuite effectuées par Keyvan Chemirani pour le travail rythmique improvisé pour partie[9]. Par la suite, il commence son analyse des modes bretons, afin d'élaborer une sorte de théorie autour de la musique dite « modale » (enchaînement de tons ou demi-tons), des petites notes utilisées en musique orientale mais ignorées en Occident.
Passionné de voyage, il parcourt l'Amérique du Nord avant de se lancer à la découverte des Balkans. À travers la musique, il trouve toujours un moyen de communiquer lorsqu'il s'agit de sauter les barrières culturelles, se jouer des frontières et des divisions. Plusieurs fois par an, il sillonne l'Europe du Sud-Est, du Banat roumain à l'Albanie ou à la Serbie. Il étudie la musique traditionnelle de la Roumanie et de ses tarafs (orchestres), en passant des mois dans le Banat. Lors des Rencontres internationales de clarinettes populaires à Glomel, dont il en est l'initiateur, il approfondit ses échanges et invite plusieurs fois le taraf de Caransebeș[10], avec qui il fait le disque Sag An Tan Ell (Vers l'autre flamme, du titre de l'écrivain roumain Panait Israti) mêlant sons bretons et sons roumains, aux influences serbes. Avec eux, il tourne un peu partout dans l'Europe de l'Est et du Sud[7].
Leur collaboration donne lieu à un nouvel enregistrement en 1998, Dor, qui assemble les deux cultures populaires ; la relation similaire qu'ils ont au chant, gwerz et doina exprimant des sentiments mêlés et variant, la danse qui peut mêler une suite de ronde, une danse vannetaise, une polka à une hora, une ritournelle roumaine, un joc de doi, les couleurs roms mariées aux phrasés roumains et bretons[11]... Dans les années 1990, avec Sag An Tan, puis Dor et enfin Pruna où il explore les possibilités de dialogue offertes par les musiques traditionnelles bretonnes et roumaines, Erik Marchand provoque une deuxième révolution musicale : il montre à une génération de Bretons en quête d'ailleurs enracinés, globalisation oblige, que leur musique peut voyager très loin et inspirer des créateurs d'horizons culturels a priori éloignés de la Bretagne[3].
Il évolue également au sein du Quintet de clarinettes (13 et 24 clés)[12] ou en compagnie du guitariste rock metal Rodolphe Burger (album Before Bach), du guitariste jazz Jacques Pellen (Trio[13], Celtic Procession)... La première personne des Balkaniks avec qui il travaille est le clarinettiste turc Hasan Yarim-Dünia, en compagnie duquel il réalise une création pour le centre culturel Les Arcs de Queven, à laquelle participent Okay Temiz, Thierry Robin, Hameed Khan, le chanteur kurde Temo, des sonneurs bretons[14]. Il s'associe aussi aux percussions du Rajasthanais Ahmed Khan.
Il cofonde en 1993 avec Jacky Molard et dirige le label Gwerz Pladenn (dist. Coop Breizh). La particularité de ce label repose sur la volonté « d'accueillir des musiciens intéressés par une recherche musicale fondée sur une compréhension profonde de la musique bretonne, avec deux impératifs : le souci de la qualité et une réelle production artistique ». Par la suite, il produit des disques de musiques roms et roumaines, pour le label Silex chez Auvidis notamment et devient conseiller artistique. En 1997, il enregistre sur l'album de Christian Duro[15].
En 1997, Erik fonde un trio en compagnie du guitariste Jacques Pellen (avec qui il avait mené la Celtic Procession) et du trompettiste sarde Paolo Fresu, aux connotations plus jazz pour la recherche d'un swing breton, polyphonie à trois[9]. Il multiplie les expériences musicales, comme l'enregistrement en Corse d'un album consacré au chant a cappella et à la polyphonie par exemple. Ainsi, à la suite du spectacle Kan créé à Brest en 2000, il sort l'album du même nom en 2001 chez BMG avec deux ensembles polyphoniques (sarde et albanais) et deux jeunes femmes représentant les traditions monodiques du Mali et de Galice[16].
En 2003, Erik Marchand fonde la Kreiz Breizh Akademi, programme de formation visant à transmettre les règles de la musique modale mais aussi « laboratoire de création » en laissant une liberté d'expérimentation[17]. Ce programme a formé et accompagné 5 collectifs de jeunes musiciens. Utilisant la musique traditionnelle bretonne comme support, il fait intervenir des artistes[18] issus de cultures très variées dont Titi Robin, Ross Daly, Danyel Waro, Mehdi Haddab, Ibrahim Maalouf, Rodolphe Burger ou encore Hélène Labarrière. En 2016, la 6e promotion rassemble 12 musiciens[19] autour de la musique électronique. Après 18 ans à sa tête, il est remplacé par Krismenn en décembre 2021[20].
Premier collectif issu de la formation, ce groupe de 16 musiciens, dont les chanteurs Eric Menneteau et Christophe Le Menn[21], a fait paraître l'album Norkst où le kan-ha-diskan se mêle aux improvisations orientales[22]. Le mot « norkst » transcrit la prononciation centre-bretonne de an orchestr, « l'orchestre »[23].
Izhpenn12 (en breton populaire « au-delà de 12 ») rassemble des instruments « délicats » (cordes pincées, frottées, flûtes, percussions) et mêle ouvertement la musique de Basse-Bretagne à celle du Moyen-Orient. Il s'agissait de construire un « répertoire issu de la musique bretonne en utilisant une orchestration innovante encore inconnue en Bretagne ou dans d’autres régions d’Europe de l’Ouest »[22]. Cette formation comprenait notamment la guitariste Hélène Brunet et le violoniste Gabriel Faure.
En 2010, il dirige le 3e collectif Kreiz Breizh Akademi rassemblant quinze musiciens, en mettant à l’honneur instruments électriques, percussions, cuivres et langue bretonne. Ils se produisent au festival des Vieilles Charrues, festival de Cornouaille.
En 2002, Erik Marchand rencontre Rodolphe Burger avec qui il enregistre l'album Before Bach. Après avoir enregistré et tourné avec sa « tribu » baptisée Les Balkaniks[24], il retourne en studio en décembre 2005[25] avec Jacky Molard, Costica Olan et Viorel Tajkuna pour enregistrer l'album Una, daou, tri, chtar, où il reprend notamment la chanson de Jacques BrelPourquoi ont-ils tué Jaurès. À la même période, toujours avec Jacky Molard, il fonde le label Innacor[26] qui se revendique "haut parleur des cultures de Bretagne et du monde". Il collabore pour la première fois avec Yuna Le Braz (alias DJ Wonderbraz, fille de Dan Ar Braz) en 2006 pour la 29e édition du Festival de cinéma de Douarnenez qui invitait "Les Balkans". Cette rencontre se concrétise en 2012 avec Turbo sans visa, leur création commune[27]. Cette même année, il se produit au sein du sextet AkanA où interviennent ses acolytes de toujours mais également Hélène Labarrière. En 2013, il enregistre l'album Ukronia, dans lequel il revient sur la musique populaire orale du « pays gallo » avant le passage vers la musique savante, jouant sur l'harmonie ancienne et un instrumentarium en partie emprunté aux musiques de la Renaissance (cornet à bouquin, lyra, viole, violone)[28]. Il se produit aussi à la Fête de l'Humanité[29].
1997 : Chansons dorées de Bretagne avec Nolùen Le Buhé, Le Petit ménestrel - Ades / Musidisc, CD, 604182
1998 : Dor avec le Taraf de Caransebes, BMG, CD, 74321 588 792 ƒƒƒƒ Télérama, Choc de la Musique, R 10 de Répertoire[30]
2001 : Kan avec Kan : l'ensemble de Mallakaster d'Albanie, Le Tenore de Santu Predu en Sardaigne, Fransy Gonzales-Calvo de Galice et Bassey Koné du Mali, BMG, CD,74321 843 752 ƒƒƒ Télérama
1985 : Gwerz, Dastum, DAS 100, 33 tours / Réédition en 1986, sous le titre Gwerz Musique bretonne de toujours..., avec changement de pochette, même référence / réédition en CD en 1997, Ethnéa, ET 8803 AR
1988 : Au-delà, Escalibur, deux éditions : 33 tours et CD, BUR 821 et CD 821 Grand prix de l’Académie Charles-Cros 1988
Daniel Morvan (photogr. Bernard Galéron), Bretagne, Terre de musiques, e-novation, , 144 p. (ISBN978-2-9516936-0-9), « Boulverser (cheñch penn d'ar vazh) : Les nouveaux messagers de l'ombre. Erik Marchand, connaissance de l'ouest », p. 122-125
Didier Convenant, La musique celtique : Bretagne, Irlande, Écosse, Pays de Galles, Cornouailles, Asturies, Galice, Île de Man, Paris, Hors Collection, , 76 p. (ISBN2-258-04446-4), p. 33
Ronan Gorgiard, L'étonnante scène musicale bretonne, Plomelin, Palantines, coll. « Culture et patrimoine », , 255 p. (ISBN978-2-911434-98-3), p. 162-163
Frédéric Bernard, « Erik Marchand. L'homme aux multiples casquettes... », Trad Magazine, no 59, , p. 8-11
Etienne Bours, « Marchand de rêve : De Poullaouen à Caransebes », Trad Magazine, no 60, , p. 18-20
Trois voix pour un chant : la Gwerz, film d'Alain Gallet (portraits croisés d'Erik Marchand, Yann-Fañch Kemener et Denez Prigent), 1994, Lazennec Productions - France 3, 52 min.