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Un génie familier, démon familier ou tout simplement familier est, dans bon nombre de croyances d'Europe occidentale, une entité, animal ou esprit, parfois imaginaire et invisible, à laquelle les hommes s'adressent pour demander des conseils ou obtenir des services, en particulier liés à la sorcellerie. Les familiers peuvent servir leurs propriétaires comme domestiques, ouvriers agricoles, espions ou compagnons et les aider à ensorceler leurs ennemis, mais pas seulement puisqu'ils sont réputés pour inspirer les érudits, artistes et écrivains, à l'instar d'un esprit tutélaire ou d'une Muse. Le plus connu de ces génies familiers est le dæmon (δαίμων / daímôn) de Socrate, mais bon nombre d'érudits ont, au cours de l'histoire, fait référence à des entités de ce type, parfois sous le nom de bon génie ou esprit gardien. Les familiers sont aujourd'hui fortement liés à la pratique moderne de la sorcellerie, en particulier en Angleterre où il fait partie intégrante de la pratique. Son équivalent outre-Atlantique est le nagual.
Le concept du familier a été repris par les ouvrages inspirés de la fantasy moderne et notamment le jeu de rôle, où ces entités sont décrites comme des créatures de petite taille qui accompagnent les érudits et les magiciens.
L'adjectif latin familiaris dérivé du substantif familia (« famille ») se rapportait à « ce qui fait partie de la maison ». Il aboutit à l'adjectif de l'ancien françaisfamelier (attesté dès la seconde moitié du XIIe siècle) au sens de « ce qui fait partie de la famille ». Avant 1250, l'adjectif est refait en « familier » d'après le substantif famille[1],[2].
Les génies familiers sont généralement décrits comme des esprits invisibles aux hommes, ainsi, Plutarque pensait que l'éternuement était une manifestation des génies. Certains auteurs pensaient au contraire que les génies familiers avaient une réalité physique[3]. Dans les pratiques liées à la sorcellerie, il s'agit le plus souvent d'animaux de petite taille, auxquels sont attribués des pouvoirs surnaturels.
Les familiers sont plus fréquemment mentionnés dans la mythologie et le folklore d'Europe occidentale, quelques études à ce sujet faisant valoir que les familiers ne sont présents que dans les traditions de la Grande-Bretagne et la France. Selon Margaret Murray, trois catégories de familiers sont censées exister[4] :
les familiers de l'homme, partout en Europe occidentale ;
les animaux divinatoires, essentiellement en Grande-Bretagne et en France ;
Socrate nomme daimonion (de δαιμόνιον / daimonion) une sorte de génie personnel qui lui souffle ses réponses lorsqu'il s'exprime sur un sujet. Ce génie personnel lui suggérait ses résolutions, et surtout ce qu'il ne devait pas faire[5]. Ce daïmon lui aurait ainsi conseillé, un jour, de ne pas emprunter une certaine route. Le philosophe suivit son conseil tandis que ses compagnons restèrent. Un peu plus tard, ils furent bloqués par un troupeau de porcs et arrivèrent couverts de boue[6].
Ce daimonion se confond parfois et se distingue souvent des figures démoniques de Platon.
Des études sur le concept de familier ont mis en avant son côté démonologique et son lien avec la sorcellerie dans l'Europe moderne. L'étude des familiers a évolué à partir d'un sujet obscur, dans des revues folkloriques et des livres et revues populaires qui intègrent une discipline historiques avec des approches multi-disciplinaires comme l'anthropologie, l'histoire, et l'étude des femmes. James Sharpe a écrit un article sur les familiers de la sorcière dans The Encyclopedia of Witchcraft: the Western Tradition, et déclare que : « Les folkloristes ont commencé leurs investigations vers le XIXe siècle [et] ont constaté que les familiers figuraient en bonne place parmi les idées sur la sorcellerie[7]. » Dès les années 1800, les folkloristes ont enflammé l'imagination des érudits qui, dans les décennies à suivre, écrivirent des ouvrages descriptifs sur les sorcières et les familiers.
La publication scientifique du folklore a toujours contribué à plusieurs articles sur les croyances traditionnelles en Angleterre et au début de l'Europe moderne. Dans les premières décennies des années 1900, les familiers étaient mentionnés superficiellement sous le nom de niggets, qui étaient décrits comme des « bestioles ou des choses que les sorcières gardent tout le temps avec elles[8] ».
Margaret Murray a effectué un grand nombre de travaux controversés sur le sujet à partir d'un champ constitué, au mieux, de potins et d'ouï-dire dans une branche d'étude légitime de l'Europe du début des temps modernes. Elle se penche sur les variations du familier trouvées dans les pratiques de sorcellerie. Bon nombre des sources qu'elle emploie sont des documents de première instance et les textes démonologique de l'Angleterre au début de l'ère moderne[9]. En 1921, Murray a publié The Witch Cult in Western Europe, et ses informations concernant le familier viennent essentiellement de procès de sorcellerie en Essex dans les années 1500 et 1600[10].
La plupart des données concernant les familiers en sorcellerie viennent de l'Angleterre et des transcriptions des procès de sorcières écossaises, organisés pendant les XVIe et XVIIe siècles. Les cas des tribunaux anglais reflètent une forte relation entre les accusations de sorcellerie contre ceux qui pratiquaient les anciennes traditions autochtones, y compris l'animal familier/esprit.
Aux Antilles, le concept d'esprit familier n'est pas étranger à la plupart des familles. Lorsqu'une personne pratique le kimboi, avant de partir, elle doit transmettre cet esprit à un membre de la famille. Les Églises issues de la Réforme invitent leurs fidèles à être libérés des esprits familiers.
Durant les guerres de Religion et particulièrement à la suite de l'assassinat du duc de Guise commis sur ordre du roi Henri III, de nombreux pamphletsligueurs calomnient le souverain et ses mignons en leur prêtant des relations démoniaques. L'un de ces libelles, Choses horribles contenues en une lettre envoiée à Henri de Valois par un enfant de Paris le 28e Janvier 1589, accuse le monarque d'avoir reçu un génie familier dénommé Terragon ou Teragon, anagramme inversé et transparent du nom de famille du favori Jean-Louis de Nogaret, duc d'Épernon[11],[12],[13]. L'historien Nicolas Le Roux relève que la figure de l'inversion « tradui[t] symboliquement la perversion des mœurs prêtée » à Henri III et son mignon[14].
Le pamphlétaire de la Sainte Ligue ajoute que Teragon, nourri à l'école du sultan turc Soliman, aurait connu charnellement une prostituée dans la « chambre secrète », autrement dit le cabinet du roi. La fille de joie n'aurait pas supporté le contact brûlant de la créature[15].
En retour, le poète John Cleveland ainsi que d'autres satiristes royalistes raillent la crédulité de leurs ennemis en dépeignant ironiquement l'animal comme le familier démoniaque et invulnérable de Rupert, capable de dénicher des trésors et d'attraper dans sa gueule les balles destinées à son maître[19].
Des estampes[21],[22],[23] et des pamphlets[24] dépeignent Napoléon Ier bercé par « le petit homme rouge », autrement dit le diable[25].
Le Malin aurait ainsi prodigué des conseils militaires et prédit l'avenir à l'empereur, en lui annonçant ses victoires d'Austerlitz, Wagram, Friedland et Iéna, en sus d'évoquer son parcours entier, chute et exil inclus[26],[27],[28],[29].
La tradition décrit le petit homme rouge comme un spectre ou un diablotin qui hante le palais des Tuileries et apparait ponctuellement aux souverains français successifs afin d'annoncer la fin brutale de leur règne ou quelque autre présage désastreux[32],[33]. Cette légende est reprise dans plusieurs ouvrages[34],[35],[36] ainsi que dans une chanson de Béranger[37].
Le papeBenoît IX, élu en 1033, et le pape Alexandre VI, élu en 1492, étaient réputés s'adresser à des génies familiers. Celui d'Alexandre VI serait passé au service de César Borgia par la suite. Un moine de l'abbaye de Cîteaux passait aussi pour avoir un familier qui l'aidait à ranger ses affaires et aurait été exclu par l'abbé pour cette raison. Au XVIe, le démonologueJean Bodin évoquerait un homme dont le familier lui donnant des coups sur l'oreille gauche lorsqu'il faisait une erreur ou pour le prévenir des mauvaises intentions[3].
L'alchimiste Paracelse aurait évoqué la présence de ce genre de créature plusieurs fois. Son génie familier lui aurait servi de valet et de secrétaire ; il le gardait caché dans le pommeau de son épée et ne s'en séparait jamais. Cornelius Agrippa en évoquerait un également. Le mathématicien Jérôme Cardan prétend aussi qu'il avait reçu l'une de ces entités de son père et qu'elle s'adressait à lui pendant ses rêves pour lui souffler des conseils. Ses talents, son savoir et ses meilleures idées en seraient issues. Le comte de Saint-Germain aurait également reçu des conseils d'un génie familier[3].
L'écrivain Robert Louis Stevenson appelait ses génies familiers « Bons Brownies » et explique que « ce sont eux qui faisaient la moitié de son travail pour lui tandis qu'il dormait »[38].
↑(en) Margaret Murray, Divination by Witches’ Familiars. Man. Vol. 18 juin 1918. 1-3.
↑Marieke van Acker, « Le syncrétisme des êtres mythiques : les avatars linguistiques du "daimonion" de Socrate », dans Daniel Acke et Arthur Chimkovitch (dir.), Du syncrétisme des figures mythographiques en littératures française et européenne, Vubpress, 2007, p. 143-170.
↑(en) William Jones Credulities past and presentLondres, Chatto et Windus, 1880.
↑(en) James Sharpe, Familiars in the Encyclopedia of Witchcraft : the Western Tradition, ABC-CLIO, .
↑(en) The Times, « Superstition in Essex: A Witch and Her Niggets », Folklore, vol. 27, , p. 3.
↑(en) Margaret A. Murray, The Witch-Cult in Western Europe, Clarendon Press,
↑Choses horribles contenues en une lettre envoiée à Henri de Valois par un enfant de Paris le 28e Janvier 1589, Sur la copie qui a esté trouvée en ceste ville de Paris près l’orloge du Palais, Paris, Pour Jaques Gregoire Imprimeur, 1589, dans Les belles Figures et drolleries de la Ligue (BnF. Rés. g Fol. La25 6), fol. IX r°-v°.
↑Myriam Yardeni, « Henri III sorcier », dans Robert Sauzet (dir), Henri III et son temps : actes du Colloque international du Centre de la Renaissance de Tours, octobre 1989, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « De Pétrarque à Descartes » (no 56), , 332 p. (ISBN2-7116-1065-9), p. 59-60.
↑Jean-Claude Ternaux, « La Diabolisation dans La Guisiade (1589) de Pierre Matthieu et Le Guysien (1592) de Simon Bélyard », Épistémè, no 14 « Figures du conflit / Sciences et littérature », (lire en ligne).
↑Nicolas Le Roux, « La cour dans l’espace du palais : l'exemple de Henri III », dans Marie-France Auzépy et Joël Cornette (dir.), Palais et pouvoir : de Constantinople à Versailles, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Temps & espaces », , 370 p. (ISBN2-84292-131-3, lire en ligne), p. 262.
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↑La Tragédie de Blois : quatre siècles de polémique autour de l'assassinat du duc de Guise : château de Blois, 17 décembre 1988-19 février 1989, Blois, Conservation du château et des musées, , 260 p., p. 133-135.
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