Autodidacte, il tourne lui-même la plupart de ses documentaires en cinéma direct. Le critique Pascal Gavillet l'estime comme « l’un des meilleurs documentaristes suisses actuels »[1].
En 2020, il reçoit le prix d'honneur du festival de cinéma et des droits humains de San Sebastian[5] pour l'ensemble de son œuvre et met fin à sa carrière de cinéaste[6].
Né le à Tanger dans une famille d’anarcho-syndicalistes espagnols de la CNT exilée au Maroc dans les années 1930, Fernand Melgar accompagne clandestinement ses parents qui émigrent en Suisse comme travailleurs saisonniers en 1964. Caché avec sa sœur dans un appartement d'un quartier ouvrier de Chavannes dans l'Ouest lausannois[7], il fait partie de ceux qu'on appelait « les enfants du placard »[8].
Il interrompt des études de commerce au début des années 1980 pour rejoindre le mouvement de contestation Lôzane Bouge et fonder avec des amis le Cabaret Orwell puis le club rock La Dolce Vita à Lausanne[7].
Après avoir projeté des films expérimentaux[10], Fernand Melgar réalise en autodidacte ses premiers documentaires à partir de 1983 pour la Radio Télévision Suisse et le cinéma. En 1985, il rejoint l’association de réalisateurs indépendants Climage. En 2018, à la suite de profonds désaccords, il quitte cette dernière pour fonder sa société de production Le Dzè[7].
En 2020, il met un terme à sa carrière de cinéaste pour se consacrer à l'équitation éthologique[11], l'ornithologie et l'apiculture afin de sensibiliser la jeune génération à la défense de l'environnement et de la biodiversité[12]. Il s'installe alors seul dans le nord du canton de Vaud[9].
Plusieurs de ses films font l'objet d'articles universitaires[14],[15].
Album de famille (1993) est le portrait intime des parents de Fernand Melgar. Retournés en Espagne après 27 ans passés en Suisse, ils racontent les conditions des saisonniers venus du sud de l'Europe travailler pendant les Trente Glorieuses. Le film est diffusé le sur Temps Présent. Fredy Buache, directeur de la Cinémathèque Suisse écrit que le film est « l’évocation d’une période particulièrement déplorable de l’histoire suisse qui, sans rancœur, laisse affleurer une mentalité qui devrait permettre à chaque spectateur de se reconnaître et de se juger ». Album de famille reçoit en 1994 le grand prix de l’Organisation Internationale du Travail pour le film qui traite le mieux de la justice sociale dans le monde du travail.
Remue-ménage (2002) s'intéresse à Pascal, 35 ans, père de famille, démolisseur de voiture et travesti dans la petite ville de Moudon. Il rêve de succès, imite Dalida, il lutte pour porter les robes qu'il affectionne et imposer sa différence, car ses concitoyens n'apprécient guère qu'il se déguise en Mère Noël pendant les fêtes de fin d'année. Le critique Antoine Duplan de l'Hebdo note « Fernand Melgar a du cœur. Dans Remue-Ménage, il plonge au fond d'une misère affective noire, sans jamais se départir de sa compassion. Jamais la « belle plante, la belle miss », comme dit Patrick, n'est tournée en dérision; au contraire elle/il plaide pour la tolérance et le respect »[16].
Exit, le droit de mourir (2005) accompagne des bénévoles de l’association EXIT qui ont pour mission d'offrir une assistance au suicide à des personnes condamnées ou qui souhaitent mourir. Jean Roy, critique à L'Humanité écrit « ce pourrait être insoutenable et c’est juste magnifique, tant la caméra est toujours à la distance parfaite, refusant voyeurisme et exploitation malsaine comme condescendance et apitoiement. À la réserve obligée dans le traitement de telles situations correspond toute la pudeur d’un style. C’est cela le grand cinéma »[17]. Le film a reçu le Prix du Cinéma Suisse et Golden Link Award du meilleur documentaire européen. En 2006, il est fait partie la liste des 100 personnalités qui font la Suisse romande établie par L'Hebdo[18].
La forteresse (2008) est une observation d'un centre d'enregistrement et de procédure pour requérant d'asile en Suisse. Pour la première fois, le travail des auditeurs fédéraux chargés d’accorder le statut de réfugié est révélé. Le film reçoit le Léopard d'or au 61eFestival de Locarno. Martin Walder de la NZZ écrit « le spectateur ne peut se défiler, bouleversé par des questions qui résonnent en lui, volontairement laissées ouvertes par le film. Dans l’art d’illustrer et d’interroger l’actualité politique, le cinéma ne peut demander mieux »[19].
Vol spécial (2011) décrit les méthodes d'expulsion d'étrangers dans un centre de rétention administrative à Genève. Il est présenté en compétition internationale le au 64efestival de Locarno en présence de la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey. Elle déclare au journal télévisé de la RTS « Ce n'est pas conforme à la tradition humanitaire de la Suisse que des gens meurent sur des vols spéciaux »[20]. Le film fait l'objet d'une polémique initiée par le président du jury de Locarno, Paulo Branco. Celui-ci juge que « le film s'accompagne d'un fascisme ordinaire trop courant dans notre société, celui-là même qu'il prétend dénoncer »[21]. La neutralité du traitement du sujet par le cinéaste est largement défendue dans la presse suisse et française, comme l'atteste l'analyse de Jacques Mandelbaum du Monde « Loin d'affaiblir le film, cette absence de stigmatisation des exécutants rend sensible aux spectateurs la banalité du mal, telle que la démocratie est aussi capable de la mandater »[21]. Le film reçoit plus d'une vingtaine de prix et une nomination aux Emmy Awards. Les journalistes de cinéma lui décernent le Prix suisse de la critique de cinéma et le prix du meilleur film européen de la Fédération des critiques de film européen (FEDORA).
L'abri (2014) est un hiver au cœur d’un hébergement d’urgence pour sans-abris à Lausanne. À la sortie du film, le film suscite une polémique sur l'accueil d'urgence dans la capitale vaudoise. La municipalité de gauche est prise à partie et mise face à ses contradictions. Mathilde Blottière dans Télérama écrit « Le réalisateur montre à quelle vitesse la misère ronge, comme de l'acide, les liens entre les gens. Aux côtés de ces parias, Fernand Melgar instruit aussi le procès d'un pays fermé jusqu'au déni, crispé sur son confort, aveuglé par la peur »[22]. Le film reçoit plusieurs prix dont le Giraldillo d'Argent et le Grand prix Rosario Valpuesta au Festival du Cinéma Européen de Séville.
Il s'implique dans les mouvements de contestation de Lôzane bouge au cours des années 1980 et 1981 et fonde le Cabaret Orwell, un lieu de rencontre où des concerts et des projections de cinéma ont lieu[7].
Il organise des projections et débats civiques autour de ses films dans les écoles et les universités. Le parti nationalisteUDC tente d'interdire la projection de ses films qu'il qualifie de « propagande d’humanistes de gauche » et place dans plusieurs journaux un encart publicitaire « Vol spécial est un docu-menteur inacceptable »[28]. Engagé dans la défense des sans-papiers et du droit d'asile, il mène plusieurs actions publiques et politiques, notamment pour empêcher l'expulsion du requérant d'asile Fahad K., un protagoniste de La forteresse. Il assigne en justice en 2015 le site lesobservateurs.ch du sociologueréactionnaireUeli Windisch pour injures et menaces[29]. Il a gain de cause et retire sa plainte[30].
En 2018, il dénonce le laxisme et la complaisance de la Municipalité de Lausanne, majoritairement à gauche, à l'égard de dealers débarqués à la fin des années 1990 en usurpant le statut de requérant d’asile[31],[32]. Il met en ligne des photos de trafiquants à la sortie des écoles. Cette publication suscite une vive réaction dans le milieu du cinéma suisse. Une lettre ouverte est signée par plus de 230 personnes dont Lionel Baier directeur du département cinéma de l’ECAL à Lausanne, Michel Buhler, ancien responsable du département cinéma de la HEAD, et les cinéastes Nicolas Wadimoff, nommé un temps responsable du département cinéma de la HEAD[33] et Jean-Stéphane Bron, intervenant dans la même école. Ils accusent Fernand Melgar de « faits non avérés et mal documentés d’une façon malhonnête. En effet, il n’a pas été prouvé que les dealers de rue de votre quartier ont pour clients des écoliers »[34]. Alors que Fernand Melgar s'apprête à enseigner à la HEAD, des réactions d'élèves poussent l'école et le cinéaste à une renonciation[35]. Dans les semaines qui suivent, des médias tels que la RTS, Le Temps, El Pais ou le Matin Dimanche révèlent plusieurs enquêtes accablantes: des dealers originaires d'Afrique de l'Ouest organisés en mafias se sont rendus coupables de ventes de stupéfiants à la sortie des écoles, de harcèlement sexuel et tentative de viol ainsi que de menaces contre ceux qui ont tenté de les chasser[36],[37],[38]. Face au tollé public et politique, les autorités municipales mettent en place des mesures policières pour enrayer ce fléau[39]. Une année plus tard, le deal de rue à Lausanne a en grande partie disparu[40].
Défenseur de la démocratisation de l'accès à la culture selon le principe de Copyleft, Fernand Melgar rend ses films disponibles gratuitement en VOD[13].
2003 : Collection Premier Jour sur des journées particulières qui changent la vie d'un être (Le combat, L'arrivée, L'apprentissage, La visite, La vente, Le stage, L'attente, L'inalpe, La rentrée, L'ordination)
↑ abc et dAntoine Duplan, « Ciné-Portrait Fernand Melgar, SWISS FILMS. », Ciné-Portraits – des publications de l‘agence de promotion SWISS FILMS., actualisation: 2014, version originale: 2007 www.swissfilms.ch (lire en ligne [PDF])
↑« Lettre ouverte à Fernand Melgar à propos du deal de rue à Lausanne », Le Temps, (ISSN1423-3967, lire en ligne, consulté le )
↑Aïna Skjellaug, « Les propos de Fernand Melgar le privent d'un mandat à la HEAD », Le Temps, (lire en ligne)
↑Dominique Botti, « Des enseignants affirment que les jeunes élèves du Collège de Saint-Roch à Lausanne sont abordés par les dealers de rue », Le Matin Dimanche, , p. 5
↑Camille Krafft, « Je ne sors plus seule le soir dans cette rue lausannoise », Le Matin Dimanche, , p. 8
↑Frédéric Nejad Toulami, « Il a dû fuir face au dealer », Le Matin,
↑Communiqué officiel, « Une présence policière visible pour lutter contre le deal », Ville de Lausanne, (lire en ligne, consulté le )
↑Yan Pauchard, « Lausanne pérennise son dispositif de lutte contre le deal de rue », Le Temps, (ISSN1423-3967, lire en ligne, consulté le )