Les flottilles de Boulogne sont les navires construits et regroupés à Boulogne et ses environs à différentes époques, en vue d'une invasion de la Grande-Bretagne par les troupes françaises.
Ce terme a été utilisé lors de plusieurs préparatifs d'invasion (1798, 1801, 1803).
Construite rapidement, composée d'une « poussière navale »[note 1], positionnée dans plusieurs ports, qui durent faire l'objet de travaux pour accueillir ses composantes, cette flottille, comme les précédentes, ne fut pas utilisée ; l'armée qu'elle était destinée à transporter partant vers l'Autriche et Austerlitz.
La flottille mise en place en 1803 n'est pas la première, et en se limitant à la période « napoléonienne » (au sens large), on peut voir deux précédents.
Une flottille de 180 petits bâtiments est prévue pour transporter les 30 000 hommes de l'armée[1]. Si Bonaparte commence par s'occuper activement des préparatifs, l'expédition d'Egypte va passer au premier plan et la flottille ne servira pas.
Après le Traité de Lunéville, le Consulat se retrouve de nouveau face à l'Angleterre. Bonaparte décide de réactiver la flottille de Boulogne, affichant la volonté de préparer une « descente » sur le territoire anglais[2].
La flottille aligne 270 navires et doit comprendre 13 divisions dont 12 comprenant chacune 3 sections, c'est-à-dire une chaloupe-canonnière et 6 bateaux-canonniers[3]. Une chaloupe-canonnière est armée de 3 canons de 24 (ou de 18), un bateau-canonnier n'emporte qu'un canon de 24 ou de 18[note 2],[4].
Bonaparte donne ses ordres le 24 mai 1803; ils ordonnent la remise en état des navires de la flottille précédente et la construction de 150 unités supplémentaires[5]. On découvre alors que peu d'unités anciennes sont récupérables, conséquence d'une fabrication médiocre liée à la précipitation.
Le 17 juin, il en demande le double, ajoutant : « ...l'argent ne manquera pas... »[5].
Le 24 juin, il passe à 850 bateaux à commander ; le 5 juillet, 1410 ; et, pour finir, le 22 août, réclame 2008 unités[5].
Le financement
Pour payer la construction des navires nécessaires au projet, le ministère de la Marine a établi un barème. Une prame sera payée 70 000 francs[6],[note 3] ; une chaloupe, 32 000 francs ; un bateau canonnier, 18 000 francs ; une péniche, 7 000 francs et un caïque, 6 000 francs[7].
D'un autre côté, des financements privés sont sollicités, avec succès. Toutes les semaines, le journal Le Moniteur donne les montants offerts[8]. Un total de 12 millions de francs seront ainsi récoltés[8].
Quelques exemples donneront une idée de ce qui est offert :
Les banquiers parisiens offrent 20 millions de francs[9] ;
Le département de l'Ourthe offre 300 000 francs pour 10 bateaux plats ; celui de Loir et Cher offre 30 000 francs pour une chaloupe, 20 000 pour un bateau canonnier et 12 000 pour une péniche[10].
Les unités de la Garde offrent 20 000 francs pour une chaloupe[11].
Des régiments abandonnent une journée de solde[11].
L'organisation
La flottille est organisée comme une armée terrestre, avec un corps central et deux ailes. L'aile gauche est basée sur les ports de Ambleteuse, Boulogne, Étaples et Wissant. Le centre est basé à Calais, Dunkerque et Gravelines. L'aile droite est, pour sa part, basée à Nieuport et Ostende[12].
Tactiquement, en septembre 1803, la flottille est organisée en « divisions », au nombre de douze. Chacune composée de trois sections de 9 navires[13]. En septembre de l'année suivante, l'organisation est basée sur des « escadrilles » de cent huit navires. Chaque escadrille est composée, par tiers, de navires de première, deuxième ou troisième espèces. C'est-à-dire, dans l'ordre, de prames ou chaloupes-canonnières, de bateaux canonniers, de péniches[14].
Le commandement
La gestion technique de la flottille (construction, armement, etc.) est confié à l'ingénieur-en-chef Forfait.
Le commandement est donné à l'amiralBruix. Après le décès de celui-ci (mars 1805), le commandement passe au contre-amiralLacrosse.
8 types de bateaux sont prévus[15]. Les plans ont été dessinés par Forfait[15]. Les bateaux sont similaires à ceux prévus en 1801[15].
Navires à « fond plat ».
L'avantage de ce type de navire, c'est sa capacité à pouvoir s'échouer sur la plage, facilitant le débarquement des troupes qu'il transporte ; l'inconvénient, c'est la difficulté à naviguer à une allure autre que largue ou vent arrière. Pour y parer, il sera prescrit d'installer des dérives latérales, à l'instar de ce que portent les navires hollandais.
Ce type de navire est assez similaire aux corvettes[17]. Il possède trois mâts et aligne une douzaine de canons, calibre 24 ou 18[17].
Son équipage est de 31 marins et 44 soldats ; sa capacité de transport est de 200 passagers ou 60 chevaux[18].
Chaloupe-canonnière
Ce type de navire est gréé en brick. Il peut aussi se déplacer à la rame, emportant 12 paires d'avirons[19]. Son armement est est de 3 canons, calibre 24 ou 18, et un obusier. Son équipage est de 22 marins et 30 soldats ; il peut embarquer 130 passagers[18].
Bateau canonnier
Ce type de navire est gréé en lougre. Il peut aussi se déplacer à la rame, emportant 14 paires d'avirons[19]. Il est armé d'un canon de 24 ou 18, tirant vers l'avant. Son équipage est de 11 marins et 18 soldats ; il peut embarquer 100 passagers[18].
Péniche
Ce type de navire est présent sous deux modèles différents par la taille. Gréé en lougre ou en flambart, il peut aussi se déplacer à la rame, emportant 13 paires d'avirons[19]. Il est armé d'un canon de 24 et d'un obusier de 6 pouces. Son équipage est de 3 marins et 7 soldats ; la péniche peut embarquer 50 passagers[18]. Chaque péniche est appariée avec un bateau canonnier ; chaque chaloupe-canonnière est appariée avec deux péniches, une grande et une petite[20].
Autres navires.
Caïque
En dépit de ce nom à consonance exotique, il s'agit de chaloupes identiques à celles portées par les vaisseaux. Chacun est armé d'un canon de 24 en chasse[note 5]. Le rôle dévolu à ces embarcations est plutôt un rôle de navire de servitude. Mais ils peuvent aussi servir pour la surveillance, voire renforcer la ligne d'embossage en se plaçant pour tirer entre deux navires de ladite ligne.
Navires de transport
Cette catégorie comprend des navires de toutes sortes (de pêche, de commerce, etc.) et de toutes tailles (côtres, goelettes, lougres, chasse-marée, terre-neuviens, etc.)[21]. Ces navires sont achetés sur tous les ports de la côte jusqu'à Saint-Jean-de-Luz.
Ils sont répartis, eux-aussi, en trois divisions. La première est chargée du transport des chevaux. La deuxième, de l'artillerie (canons mais aussi munitions, forges, etc.). la troisième, du reste des bagages[22].
Pour donner un exemple, le plan d'organisation du 10 septembre 1803 prévoit que chaque bataillon d'infanterie bénéficiera de 3 bateaux de transport. Le premier pour porter les bagages ; le deuxième pour porter le supplément de vivres ; le troisième pour porter un supplément de munitions d'infanterie[23].
L'ordre de construction des navires nécessaires est signé par Bonaparte le 11 mars 1803[24]. Il prévoit la mise en chantier de 190 chaloupes-canonnières et 400 bateaux-cannonniers, dans 20 ports de la Manche mais sans donner plus de précisions[24].
Les sites de construction seront cependant bien plus répartis sur le territoire national que sur les seules côtes de la Manche. Ainsi, à Paris, deux chantiers (quai de la Rapée et quai des Invalides[25]) construiront 20 chaloupes, 20 bateaux-canonniers et autant de péniches[26]. D'autres seront construites à Compiègne, à Strasbourg ; l'arrondissement maritime de Toulon sera aussi mis à contribution pour 90 chaloupes[27].
Comment
Les navires sont construits selon les modèles fournis par les commissions établies dans chaque arrondissement maritime. Dans le meilleur des cas, ils sont construits et armés. C'est-à-dire qu'ils disposent des voiles, avirons, artillerie et équipements nécessaires. Mais, dans d'autres cas, la coque nue est seule construite. Ils doivent être armés ailleurs. Le prix payé est alors minoré. Ainsi, un bateau canonnier gréé est payé 18 000 francs. Mais s'il n'est pas armé, il ne sera payé que 13 000 francs[28].
Les paiements ne seront pas toujours effectués. Ainsi, les chantiers Crucy, à Nantes, ont signé pour 35 chaloupes-canonnières, 18 bateaux canonniers et 11 péniches. Mais ils ne seront pas payés et feront faillite[28]...
Enfin, les navires construits doivent gagner les ports de concentration et cela peut s'avérer laborieux, en raison des croisières anglaises.
En juillet 1805, la flottille aligne, au total, 2343 navires[29] ; leur capacité d'emport est de 167 590 hommes, 9 149 chevaux et 445 canons[29].
À Boulogne, on trouve, à la même époque, 921 péniches et bateaux canonniers, 376 prames et chaloupes canonnières[29] ; on y trouve aussi 1046 autres navires de transport[29].
L'utilisation prévue
La procédure de débarquement est détaillée dans un ordre de Bonaparte daté du 20 thermidor an XIII (8 août 1805) et rapporté par le capitaine Bottet : « ...Cinq ailes de débarquement doivent être formées, chacune de 72 péniches, embarquant 6 bataillons formant 3 régiments réduits à 700 hommes, officiers compris, [...] des canonnières protègent le débarquement qui doit se faire sur 36 péniches de front, de manière que, de la gauche à la droite, il y ait 400 toises ; entre chaque aile, il doit y avoir une heure d'intervalle. »[30].
Le 16 août 1805, Napoléon fait transmettre un ultimatum à l'ambassadeur d'Autriche. La Grande Armée se met en marche vers le Rhin. La flottille est laissée en l'état et ne servira pas.
↑Cette expression, légèrement condescendante, sert à désigner toutes les petites unités navales gravitant autour des flottes de grands bâtiments de combat. Apparue à la fin du XIXe siècle, elle sera abondamment utilisée, par exemple, lors des débats liés aux idées de la « Jeune École ».
↑Ces bateaux portent aussi, à l'arrière, une pièce d'artillerie de campagne, sur son affût. Elle est destinée à être débarquée avec les troupes, mais peut être utilisée durant la traversée. Un obusier peut remplacer cette pièce de campagne.
↑Tous les auteurs consultés reprennent ce montant ; sauf Michel Roucaud qui, dans son article, donne un prix de 140 000 francs par prame (page 26).
↑Il faut noter que le type de bateau désigné par le mot « prame », à l'époque, est différent de celui donné à l'heure actuelle et qui désigne un esquif de plus petites dimensions.
↑Dans son dictionnaire, Willaumez donne une caronade de 36 en chasse et un canon de 36 en retraite.
Michèle Battesti, « Napoléon et la "descente" en Angleterre. 1re partie : les multiples projets de 1778 à 1803 », Revue du Souvenir Napoléonien, 2003, n° 444, pages 3-17.
Sophie Muffat, « Les lieux de construction des bateaux de la flottille : implantations et difficultés », Napoleonica, Éditions La Fondation Napoléon, 2018, n° 31, pages 41-55.
Michel Roucaud, « Le projet de descente en Angleterre : 1803-1805. De la planification à la réalité », Napoleonica, Éditions La Fondation Napoléon, 2018, n° 31, pages 18-30.
Jean-Claude Gillet, La Marine impériale : Le grand rêve de Napoléon, Bernard Giovannangeli Éditeur, , 350 p. (ISBN978-27587-0062-3), partie 3
Maurice Dupont, Les flottilles côtières de Pierre Le Grand à Napoléon : De la Baltique à la Manche, Paris, Economica, , 276 p. (ISBN978-2717840100), chap. 8 (« La flottille impériale (1803-1805) »)
René Jouan, Histoire de la marine française, Paris, Payot, , 313 p., chap. 8 (« La marine impériale »)
Auguste Thomazi, Les marins de Napoléon, Paris, Tallandier, , 373 p. (ISBN978-2235006170), chap. 9 (« La flottille de Boulogne »)