Le nationalisme économique ou patriotisme économique est un ensemble de politiques qui mettent l'accent sur le contrôle interne de l'économie, du travail, et la formation de capital, même si cela nécessite l'imposition de droits de douane et autres restrictions à la circulation de la main-d'œuvre, des biens et des capitaux. Dans de nombreux cas, cette politique s'oppose à la mondialisation en cours ou au moins remet en question les avantages du libre-échange sans restriction[1]. Le patriotisme économique peut utiliser des moyens tels que le protectionnisme et la substitution des importations par des produits locaux[2].
Cela désigne également un comportement spécifique du consommateur, des entreprises et des pouvoirs publics consistant à favoriser le bien ou le service produit au sein de leur nation ou de leur groupe de nations[3]. Pour les partisans de ce type d'approche, il s'agit de promouvoir l'excellence économique du pays. Il est parfois lié à l'hostilité aux acquisitions par des groupes étrangers d'entreprises considérées comme stratégiques pour l'économie du pays.
« L'analogie avec ce qui s'est passé à la fin du XIXe siècle est frappante. » « Cette période a été marquée par une globalisation des échanges, une concurrence accrue, une grande ouverture et une circulation des biens, des capitaux et de la main-d'œuvre. Et, comme nous le vivons aujourd'hui, a émergé à l'époque une forte demande de protection de la part des salariés, des entreprises, et de certains secteurs se sentant menacés »[4]. Indépendamment du terme "patriotisme économique" utilisé qui peut-être connoté, il est un moyen de se défendre dans les guerres économiques qui se déroulent dans le cadre des mondialisations basées sur le libre-échange. Celles-ci ont lieu, et sont promues par les économies dominantes de chaque époque.
L'objectif est de soutenir l'activité économique et la cohésion sociale. Les partisans du patriotisme économique l'assimilent à une légitime défense d'intérêts économiques locaux (nationaux ou européens dans le cas des pays de l'union européenne). Certaines des méthodes utilisées visent à bloquer la concurrence externe et sont ainsi considérées comme du protectionnisme. Les actions menées par le gouvernement français sous la bannière du patriotisme économique ont toutefois généralement été peu suivies d'effets mesurables, par exemple dans le dossier emblématique du rachat d'Arcelor par Mittal Steel.
En 2014, selon un sondage CSA pour Les Échos, Radio Classique et l’Institut Montaigne, auprès des Français, le patriotisme économique a du sens. Pas moins de 59 % des personnes interrogées jugent que « le fait de privilégier des produits ou des entreprises françaises dans le contexte actuel de mondialisation » est « efficace pour redresser l’économie française»[5].
Le nouveau défi de transition écologique milite pour une relocalisation de l'économie, allant dans le même sens que le "patriotisme économique", par rapport à la mondialisation libérale poussée à l'extrême dans l'éparpillement des chaînes de valeur[6].
Les initiatives pour atteindre ces objectifs peuvent être d'origines diverses, publiques ou privées. La forme principale est d'ordre étatique (étatisme) en visant à provoquer les conditions permettant aux autorités politiques et administratives d'intervenir de façon censée plus judicieuse dans les choix économiques selon les critères annoncés (ici la sauvegarde des intérêts de la "patrie").
Ces critères peuvent différer de ceux de la rentabilité financière à court terme qui serait imposée de l'extérieur par une mondialisation non maîtrisée. En ce sens le patriotisme économique rejoint certaines thèses de l'altermondialisme et du souverainisme.
Avec le développement des retraites et du rôle des investisseurs institutionnels sous l'égide d'un gouvernement, les adeptes du nationalisme économique disposent de nouveaux outils pour mettre en place leurs politiques. Au Canada, les deux plus grandes institutions dans ce genre sont le Régime de pensions du Canada ou la Caisse de dépôt et placement du Québec[7].
Au niveau organisationnel, l'objectif affiché d'accroître la compétitivité de l'économie et la cohésion sociale se traduit par la stimulation du développement économique des territoires, en structurant les relations des organismes territoriaux avec les entreprises qui y sont implantées.
Certaines sources affirment que l'expression « nationalisme économique » a été employée pour la première fois par Leo Pasvolsky dans un livre intitulé Economic Nationalism of the Danubian States, publié en 1928[8]. Parmi les premiers facteurs qui ont mené à la popularité des études sur le sujet, on note la montée du nationalisme en Europe, la Grande Dépression, le démembrement de l'Empire austro-hongrois et la création de nouvelles nations[9]. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, ces politiques économiques ont inspiré des pays en développement pour provoquer les conditions propices à leur décollage industriel[10]. Il faut noter que la rivalité entre l'Ouest capitaliste et l'Est "socialiste" a imposé des barrières énormes à la poursuite du développement théorique du concept et des autres modèles de développement qui ne choisissait pas son camp dans la partition des relations internationales de la Guerre froide. Au-delà du socialisme et du capitalisme, il y avait un vide théorique sérieux.
Assez ironiquement, cette expression est attestée chez l'humoriste Alphonse Allais[11], dans une lettre de fiction datant de 1895 adressée à Paul Déroulède, où il raille en fait l'esprit revanchard de l'époque.
Les gouvernements ont traditionnellement un fort intérêt à préserver leur force économique et donc politique.[non neutre] Ils ont donc cherché à utiliser les outils dont ils disposent, en particulier la structure fiscale et les dépenses discrétionnaires, pour stimuler la croissance économique. Cela était particulièrement vrai lorsque la guerre était endémique au début de la période moderne : une économie forte signifiait souvent la différence entre l'indépendance politique et la soumission à une puissance étrangère. Cela a abouti à un système économique généralement connu sous le nom de mercantilisme.
« Rien n'est meilleur pour augmenter et enrichir l'état de notre ville que pour donner toute la liberté et l'occasion que les marchandises de notre ville soient amenées ici et obtenues ici plutôt qu'ailleurs, parce que cela a un avantage à la fois à l’État et aux personnes privées[13]. »
Au XIXe siècle, Friedrich List a mis en lumière la stratégie de « retrait de l'échelle » : « les prêches britanniques en faveur du libre-échange faisaient penser à celui qui, parvenu au sommet d’un édifice, renvoie l’échelle à terre d’un coup de pied afin d’empêcher les autres de le rejoindre »[17].Cette ruse consiste à prôner le libre-échange aux pays européens, cela afin d'écouler plus facilement la production de leur industrie construite à l'abri du système protectionniste.
Le nationalisme économique en Europe précéda la première guerre mondiale. De 1875 à 1913, les taux moyens de protection douanière passèrent ainsi de 5 % à 13 % pour l'Allemagne, de 15 % à 20 % pour la France et de 20 % à 85 % pour la Russie. Selon la structure des économies, ils visèrent en priorité les biens manufacturés ou les matières premières[14].
Le sujet est évoqué France, depuis au moins les années 1990[18], par le patronat, à l'exemple de la CGPME en 1997[19].
Le monde politique commence à s'investir sur le sujet, le pays ne pouvant rester sans défense dans le domaine économique, à l'instar de Jean Arthuis en 1997[20]. La politique d'intelligence économique y a été relancée en 2003 à la suite d'une rumeur d'OPA hostile sur une grande entreprise immatriculée dans ce pays.
Issue du rapport du député UMP Bernard Carayon, Intelligence économique, compétitivité cohésion sociale[21], l'expression « patriotisme économique » a été employée à cette occasion par le Premier ministre Dominique de Villepin le mercredi au cours d'une conférence de presse à la suite des rumeurs d'OPA hostile sur Danone.
À la suite de ses travaux sur l'intelligence économique, Bernard Carayon a développé le concept de « patriotisme économique »[22]. Il estime que le patriotisme économique se justifie par l'intérêt pour tous de la « protection » d'une industrie spécifique, au nom d'une solidarité d'intérêts : « il n'y a pas d'intelligence économique sans solidarité d'intérêts et d'affection ». Il estime que « le patriotisme économique n'est pas plus un nationalisme qu'un conservatisme : c'est le garant de la cohésion sociale, un catalyseur d'énergie ». Il se justifierait par les « risques » de la mondialisation : « délocalisations, fuite de nos cerveaux, perte de la maîtrise ou déstabilisation de nos entreprises petites ou grandes ».
Dominique de Villepin avait notamment évoqué la « protection » des entreprises jugées stratégiques ou situées sur des marchés sensibles. Il s'agit alors de désigner des secteurs stratégiques - tels la recherche ou la sécurité des systèmes d'information - et de notamment réglementer les acquisitions (OPA) des sociétés par des capitaux étrangers. Un décret visant la protection des secteurs jugés stratégiques par l'État a été publié le [23]. Il précise 11 domaines concernés: incluant la recherche, la production en matière d'armement ou toute industrie fournissant le ministère de la défense, les systèmes de technologies de l'information pouvant être utilisés dans le domaine civil et militaire, la sécurité privée, la lutte contre «l'utilisation illicite, dans le cadre d'activités terroristes, d'agents pathogènes ou toxiques», la cryptologie, les systèmes d'interceptions ainsi que les jeux d'argent.
Le sujet reste prégnant pour les différents gouvernements faisant face à la déindustrialisation en France induite par les prises de contrôle étranger sur les ex champions nationaux, il tente de renforcer leur contre pouvoir sur le marché par le décret no 2014-479 en date du les pouvoirs du décret no 2005-1739, donnant la possibilité au gouvernement de mettre un veto sur des investissements étrangers qui portent atteintes aux intérêts stratégiques de la France[24],[25],[26].
En complément des onze activités liées à la défense et à la sécurité, le nouveau décret s’applique à «l'approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ou autre source énergétique», à «l’exploitation des réseaux et des services de transport», à «l’approvisionnement en eau», aux «communications électroniques» et à la «protection de la santé publique»[27],[28].
En 2014, la branche énergie d'Alstom est vendu au groupe américain General Electric (GE)[29],[30]. Ce rachat crée une dépendance stratégique vis-à-vis des États-Unis[31] dans le domaine des turbines électriques équipant les centrales nucléaires, les sous-marins et navires à propulsion nucléaire, les services de maintenances de ces équipements.
À aucun moment, il n'a été envisagé l'usage de ce dernier décret qui étend cette protection, en particulier, aux télécommunications pour s'opposer à l'achat en d'Alcatel-Lucent par Nokia. Selon Michel Combes: « Le patriotisme économique n’est pas un gros mot…, tous les autres pays le pratiquent d’une manière ou d’une autre. », « J’ai hérité d’une entreprise qui était dans une situation de quasi-faillite. Ma priorité initiale, c’était de rétablir Alcatel-Lucent, de le remettre dans le jeu »[32].
L'expression de "patriotisme économique" a marqué les esprits et attiré un certain nombre de commentaires, en particulier soulignant que, comme avec du protectionnisme classique, la définition des industries bénéficiant de la protection potentielle de l'État était plus le fruit de considérations politiciennes que de l'application d'une stratégie industrielle, et que cela devrait se faire au bénéfice de la société en lieu et place d'intérêts particuliers.
Le système américain d'Henry Clay[33], le dirigisme français, l'utilisation du MITI par le Japon pour « choisir les gagnants et les perdants », l'imposition par la Malaisie de contrôles monétaires à la suite de la crise monétaire de 1997, l'échange contrôlé par la Chine du yuan, des droits de douane par les États-Unis pour protéger la production nationale d'acier constitue de nombreuses occurrences de pratiques caractéristiques du nationalisme économique.
Les instances sont devenues plus visibles à partir de 2005, après l'intervention de plusieurs gouvernements pour empêcher les prises de contrôle d'entreprises nationales par des entreprises étrangères. Certains cas incluent :
La raison d'une politique relevant d'un nationalisme économique dans les cas évoqués varie d'une offre à l'autre.
Dans le cas de l'offre d'achat d'Arcelor par Mittal, les préoccupations principales concernaient la sécurité d'emploi pour les employés d'Arcelor des sites français et luxembourgeois.
Les cas du français Suez et de l'espagnol Endesa impliquaient le désir des gouvernements européens respectifs de créer un «champion national» capable de rivaliser à la fois au niveau européen et mondial.
Le gouvernement français et le gouvernement américain ont utilisé la sécurité nationale comme raison pour s'opposer à des prises de contrôle de Danone, Unocal, et à l'offre de DP World pour 6 ports américains.
Dans aucun des exemples donnés ci-dessus, l'offre initiale était réputée être contraire aux intérêts de la concurrence. Dans de nombreux cas, les actionnaires ont appuyé l'offre étrangère. Par exemple, en France, après que la soumission de Suez par Enel a été contrecarrée par la société publique française Gaz De France, les actionnaires de Suez se sont plaints et les syndicats de Gaz de France étaient dans un tumulte en raison de la privatisation de leurs emplois.
Un patriotisme économique européen suppose que l'on définisse une politique industrielle à l'échelle de l'Union européenne. Or, depuis le traité de Rome, on a mis la concurrence au premier plan pour satisfaire les intérêts des consommateurs, au détriment des États et des entreprises. L'Union européenne est devenue le seul territoire offert à ses concurrents sans qu'elle impose la moindre réciprocité. En matière de marchés publics (1000 milliards d'euros par an), le taux d'ouverture européen est de 90 %, alors qu'il n'est que de 32 % aux États-Unis, de 28 % au Japon, et de 0 % dans les « pays émergés ». Les exportations de l'union européene est soumise à des normes techniques américaines comme à des législations protectionnistes, nord et sud américaines, russe et chinoise. L'Union européenne interdit aides publiques et les concentrations, ce que ses concurrents, lancés depuis longtemps dans la constitution de géants industriels, ne se privent pas de faire[41].
Les États-Unis disposent d'un Comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) chargé d'évaluer les acquisitions d'entreprises américaines et composé de 11 agences US, incluant les départements de la Défense, du Trésor, et du Commerce, de même que le département de la sécurité intérieure[42].
Les États-Unis ne se priveraient d'ailleurs pas d'employer les réseaux et technologies informatiques dans le sens de leurs intérêts économiques (Echelon).
L'ambassadeur des États-Unis en France déclare concernant la mise en place de tels comités en Europe: « Je trouve cela bien. Nous connaissons cela aussi ».
Selon la plupart des commentateurs de cette tendance, le patriotisme économique[43] correspondrait à une forme de protectionnisme qui, visant à bloquer la concurrence externe, ne permettrait pas de profiter des avantages d'une économie ouverte et irait ainsi en sens contraire de l'objectif affiché d'émulation et de compétitivité. Il jouerait donc contre les intérêts nationaux. Le gouvernement français serait donc tenté par un nouveau colbertisme. Concrètement, le consommateur sacrifiant ses intérêts enrichit le producteur national aux dépens de lui-même et du producteur étranger.