Date | au |
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Lieu | province de Saragosse, en Aragon(Espagne) |
Issue | Victoire stratégique nationaliste |
Changements territoriaux | gains territoriaux sans grande valeur stratégique pour les républicains |
République espagnole Brigades internationales |
Camp nationaliste |
Sebastián Pozas Vicente Rojo Juan Modesto Enrique Líster Federico Escofet (es) General Walter Emilio Kléber |
Miguel Ponte Eduardo Sáenz de Buruaga Fernando Barrón Alfonso Trallero (es) † |
Armée de l'Est • 80 000 hommes • 105 tanks Aviation républicaine (FARE) • 90-200 avions |
Ve Corps d'armée • 70 000 hommes Aviation nationaliste • 80 avions |
inconnues | inconnues |
L’offensive de Saragosse est une opération militaire de grande envergure menée par les troupes républicaines espagnoles, fidèles à la République, contre les forces nationalistes, entre le et le , durant la guerre d'Espagne. Le but des opérations militaires était la conquête de la capitale provinciale de Saragosse, afin de redonner l'avantage aux troupes républicaines mises en difficulté dans le nord.
Les combats se déroulèrent le long du front d'Aragon, mais à la suite de leur échec et de l'impossibilité d'avancer plus loin dans les autres secteurs, les combats se concentrèrent autour du village de Belchite, qui connut des affrontements extrêmement violents. Malgré le déséquilibre des forces, les troupes nationalistes arrivèrent à contenir majoritairement l'avancée républicaine, ce qui transforma les victoires tactiques de l'armée républicaine qui avait réussi à s'emparer de plusieurs villages aragonais, en échec (certes partiel), la ville de Saragosse restant fermement aux mains des nationalistes.
Après avoir échoué à s'emparer de Brunete[1], le commandement de l'armée républicaine décida de lancer une nouvelle série d'offensives afin de reprendre l'initiative face aux nationalistes. L'objectif était de s'emparer de Saragosse, capitale de l'Aragon, qui se trouvait à quelques kilomètres à peine du front. La ville avait été la cible de plusieurs attaques des milices anarchistes, depuis les premiers jours de la guerre d'Espagne, car elle était au cœur du réseau de communication de l'Aragon.
Les républicains avaient également pour objectif de ralentir l'avancée nationaliste au nord[2]. Après avoir occupé la province basque de Biscaye et du Guipuscoa, les nationalistes étaient entrés en Cantabrie. Le , les républicains renonçaient à défendre Santander, tandis que les troupes basques abandonnaient le combat par le pacte de Santoña (en)[3].
Contrairement aux républicains, la stratégie anarchiste, si la république avait daigné leur en donner les moyens, était d'ignorer complètement les routes et les villages (et ils s'étaient entraînés pour ça par des marches de nuit en terrain accidenté et des exercices de combat urbain), d'effectuer une grande infiltration dans la ville de Saragosse. Mais la république a remplacé leurs commandants expérimentés par des communistes sortis d'école idéologique au lieu de militaire, qui ont pris des axes où ils étaient attendus et se sont laissés engluer dans les villages au lieu d'aller sur le vrai objectif.
La décision ne fut pas prise sur des motifs uniquement militaires, mais également de politique intérieure. Le gouvernement de Juan Negrín, en particulier son ministre de la Défense, Indalecio Prieto, y voyait l'occasion d'affaiblir définitivement l'influence des anarchistes et du POUM dans la région, en montrant que les troupes organisées de l'armée républicaine pouvaient vaincre là où les milices anarchistes et poumistes n'avaient pas réussi[4] (la CNT "collaboratrice", dans sa volonté d'alliance avec les gouvernements, avait empêché la prise de Saragosse, jouant le jeu du gouvernement madrilène nationaliste qui ne voulait pas d'une deuxième Barcelone, mais aussi le jeu du gouvernement régionaliste barcelonais qui craignait la grande influence anarchiste).
À la suite des journées de mai de Barcelone[5], Juan Negrín avait décidé d'en finir avec le Conseil régional de défense d'Aragon, qui rendait la région autonome sous la gestion de Joaquín Ascaso. Le , il ordonna aux troupes de la 11e division, commandée par Enrique Líster, d'occuper l'Aragon, sous prétexte de manœuvres militaires. Le , le Conseil de défense de l'Aragon était dissout, Joaquín Ascaso, les responsables du Conseil et 600 autres anarchistes emprisonnés sous divers motifs[6],[7]. Les milices anarchistes furent intégrées de force aux divisions de l'« armée de l'Est », placée sous le commandement du général Sebastián Pozas.
Enfin, d'un point de vue de la politique étrangère, Juan Negrín voulait montrer aux gouvernements européens qu'il était capable de mettre au pas les forces les plus radicales qui agitaient son camp et inquiétaient le Royaume-Uni, la France et l'URSS, et, dans le même temps, de remporter des victoires contre les rebelles nationalistes.
Les troupes de l'armée républicaine composaient l'armée de l'Est, affectée au front de l'Aragon. Elles étaient placées sous les ordres du général Sebastián Pozas, secondé par Antonio Cordon (es), avait son quartier général à Bujaraloz. Les forces se répartissaient de la façon suivante[8] :
L'aviation républicaine disposait pour soutenir les opérations de 3 escadrilles, soit 80 appareils en tout, composées de Polikarpov I-15 Chatos et I-16 Moscas, auxquelles s'ajoute un groupe de Polikarpov R-Z Natachas[10].
Les nationalistes n'avaient comparativement que peu de troupes, soit les 70 000 hommes des 50e, 51e et 52e Divisions, pour défendre le front d'Aragon, long de 300 kilomètres, de la frontière française à Teruel, mais considéré comme secondaire à l'été 1937. Elles étaient d'ailleurs cantonnées dans les villes, seules quelques positions étaient fortifiées et défendues par le Ve Corps d'armée nationaliste sous le commandement du général Miguel Ponte[11] :
Le plan de Sebastián Pozas était de briser le front en sept endroits différents, sur une ligne de 100 kilomètres, entre les villages de Zuera, au nord, et Villanueva de Huerva, au sud. Le but était de diviser les forces nationalistes dans leur contre-attaque et n'offrir que des cibles trop réduites pour les bombardements, qui avaient causé des ravages à Brunete. Les 80 000 hommes de l'armée de l'Est attaquèrent aux premières heures du , sans préparation de l'aviation ni de l'artillerie ni de la reconnaissance, en huit points — trois routes principales et cinq secondaires[4], menant sur les positions fortifiées nationalistes.
Au nord, le Groupe A, partant des hauteurs face à Zuera, avait pour objectif d'atteindre les faubourgs nord de Saragosse par la route de Huesca. Les républicains traversèrent le Gállego, s'approchant de Zuera, mais ne réussirent pas à y entrer, ni à pousser plus loin. Le colonel Manuel Trueba Mirones lança plusieurs assauts où il épuisa ses troupes, au point que les lignes républicaines au-delà du Gállego commencèrent à être sérieusement menacées[12].
Au centre, le Groupe B, dirigé par Emilio Kléber, partit de Farlete pour atteindre les faubourgs nord de Saragosse et faire sa jonction avec le Groupe A à Santa Isabel. Il réussit à atteindre Villamayor, six kilomètres à l'est de la capitale aragonaise. La résistance des nationalistes l'empêcha cependant d'avancer plus loin.
Au sud, les troupes du Groupe C traversèrent l'Èbre à Pina de Ebro, dans le but de couper la route d'Alcañiz et la voie de chemin de fer, afin de faciliter l'avancée du Groupe D. À l'aube du , elles s'emparèrent de Quinto et furent fusionnées avec le Groupe D.
Les troupes du Groupe D, le plus nombreux de tous, étaient réparties sur deux parties différentes du front. La première partie des troupes, cantonnée dans les environs d'Azaila, s'élança au soir du . Elles suivirent trois routes différentes :
La deuxième partie du Groupe D partit des environs d'Azuara. Il se sépara également en plusieurs groupes qui suivirent des routes différentes :
Belchite, petite ville bien fortifiée de 3 800 habitants, était un des principaux objectifs des républicains sur le front d'Aragon. Encerclée par les troupes républicaines, la ville se retrouva comme un îlot de résistance, assiégé et défendu par quelque 7 000 soldats et civils volontaires, dirigés par le commandant et maire Alfonso Trallero (es)[14].
L'assaut final commença le , lorsque les républicains comprirent que la prise rapide de Saragosse était impossible, mais la résistance se fit encore plus acharnée : les combats continuèrent dans chaque rue, où furent élevées des barricades, dans chaque maison. Les nationalistes résistèrent jusqu'au . Les retards pris par l'armée républicaine donnèrent le temps aux franquistes d'obtenir des renforts et de faire échouer définitivement toute opération sur Saragosse[16].
Le , l'avancée républicaine était arrêtée sur tous les fronts. La résistance des nationalistes, acharnée, commençait à bénéficier de l'arrivée de renforts. De plus, l'aviation républicaine se révélait peu efficace, par manque de coordination avec les troupes au sol[12]. Les combats se concentrèrent alors autour de la seule ville de Belchite[14].
Les nationalistes apportèrent de nombreux renforts, pris sur le front de Madrid, dans la mesure où Franco ne voulait pas suspendre son offensive au nord pour défendre une petite ville[14] : la 13e Division de Fernando Barrón et la 105e Division d'Eduardo Sáenz de Buruaga arrêtèrent définitivement l'avancée républicaine après la prise de Belchite. L'aviation nationaliste intervint également de façon plus importante, avec le groupe de Joaquín García-Morato (en), ainsi que quelques éléments de l'aviation légionnaire et de la légion Condor[10], soit en tout 65 Fiat CR.32, Heinkel He 46, Savoia-Marchetti SM.79 et Messerschmitt Bf 109)[14]. À ce moment, avec les nombreux renforts que les deux camps ont reçus, les troupes s'élèvent à environ 125 000 hommes de chaque côté.
La contre-offensive, débuta le . Au nord, Fernando Barrón rompit le siège autour de Zuera et repoussa les républicains du Groupe A jusqu'au Gallego : tous les territoires perdus étaient donc récupérés. Eduardo Sáenz de Buruaga, au sud, tenta de secourir la population assiégée dans Belchite, 16 km derrière le front. Mais les troupes d'Enrique Líster et les brigadistes du General Walter freinèrent la contre-attaque nationaliste et les obligèrent à reculer[14].
Finalement, la ville de Belchite se rendit aux troupes républicaines le .
Les 12-13 octobre, grâce à un nouvel arrivage d'armement, l'offensive vers Saragosse est relancée : Enrique Líster tourne ses troupes vers Fuentes de Ebro dans une opération malheureuse[14]. Les lignes de front ne furent pas modifiées, et les opérations furent suspendues dans ce dernier secteur.
Bien que les républicains réussirent à gagner du terrain par des bouts de route et quelques villages, et à repousser la ligne de front de 10 kilomètres, ils échouèrent dans leurs deux objectifs principaux : les nationalistes ne repoussèrent pas leur grande offensive au nord, et la prise de Saragosse fut un échec. L'échec de l'opération n'échappa d'ailleurs pas au ministre de la Défense, Indalecio Prieto qui, insatisfait et mécontent du rôle joué par les conseillers russes, envoya à Sebastián Pozas un télégramme pour lui dire : « Autant de forces pour prendre quatre ou cinq villages ne satisfont pas le ministre de la Défense ni personne »[14].
La violence des combats eut des conséquences importantes pour la population de plusieurs villes aragonaises. Certains d'entre eux furent complètement ruinés, comme Rodén et Belchite, au point que les sites furent abandonnés, afin de construire de nouvelles villes plus loin. Franco ordonna que les ruines de Belchite soient laissées en l'état, comme un monument « vivant » de la guerre.
Le moral républicain, déjà affecté après les événements barcelonais de mai puis la traitre destruction de la paysannerie aragonaise en août, de nouveau subit un choc par cet échec face à un objectif militaire dit facile pour dénigrer les anarchistes: Saragosse. Ainsi le moral populaire brisé, le maigre territoire pris dans cette énorme offensive sera perdu sans à peine de résistance quelques mois plus tard, alors que les anarchistes avaient eux tenu un an sans armement sérieux.