Avec l'hindouisme, et ses profondes racines qui remontent jusqu'à la tradition de la civilisation de l'Indus et de la religion harappienne, le jaïnisme s'affiche, lui aussi, comme une religion dont les origines remontent à la plus haute Antiquité de l'histoire indienne. Néanmoins, on peut considérer Mahâvîra, le 24e et dernier Tirthankara du jaïnisme, comme celui qui a vraiment imposé le jaïnisme sous sa forme actuelle, dans la société indienne. Pour cette raison, on parlera non pas de jaïnisme (on dit aussi jinisme), mais de préjaïnisme ou de Tradition jaïna, en ce qui concerne le jaïnisme avant l'apparition de Pârshvanâtha et de Mahâvîra, afin de ne pas confondre les différents aspects de cette religion antique.
Le terme « Jina » veut dire, littéralement, « Vainqueur ». Il désigne quelqu'un qui est arrivé à vaincre ses passions, telles que le désir, la haine, la colère, l'avidité, l'orgueil... et qui, grâce à ses efforts acharnés, s'est libéré, personnellement, des attachements terrestres et du cycle des transmigrations.
Un « Jina » n'est ni un esprit, ni l'incarnation d'un dieu, c'est un être humain qui a remporté la victoire de son âme.
Tout homme peut devenir un Jina et, comme tel, quelqu'un qui, dans ce monde, parvient à acquérir la connaissance infinie, à vaincre ses passions et à se libérer de tout attachement et de toute aversion.
Le jaïnisme peut être défini comme « l'ensemble des principes suivis et prêchés par les Jina ». Ce n'est pas une religion créée par un « Être surnaturel », ou basée sur un « Livre sacré » de caractère divin. Son origine est uniquement humaine. Il a été enseigné par des hommes qui sont parvenus à la connaissance suprême et au contrôle d'eux-mêmes, grâce à leurs efforts. Le jaïnisme est, en bref, la quintessence des recommandations des âmes parfaites qui sont arrivées à l'état de Jina.
Le mot « jaïnisme » vient de la traduction du terme d'origine sanscrite: « jaïna-dharma » ou « Jina-dharma » (religion jaïna ou religion des Jina). C'est la raison pour laquelle un certain nombre de jaïnologistes allemand, comme Leuman, Winternitz, et Schubring, ont préféré les vocables de « Jinismus » ou « Jinisme ». Jinisme est aussi le terme choisi par les auteurs de l'Encyclopédie philosophique universelle (PUF). Les deux dénominations sont correctes, car jaïnisme signifie la religion que pratiquent les « jains » et Jinisme la religion enseignée par les Jina. Mais, des deux expressions, la première est la plus courante et la plus employée, à la fois dans la littérature et la langue ordinaire. Langue truffée de diphtongues, l'anglais s'est bien accommodé du terme jain et a choisi la forme jainism, qui est devenue « jaïnisme », en français..
Par le fait que les Jina sont parvenus à la connaissance suprême (kevala-jnâna), on les qualifie de Kevalî-Jina.
Ces Kevalî-Jina sont de deux sortes: ceux qui sont uniquement soucieux de leur salut personnel (ce sont les Sâmânya-kevalî) et ceux qui, après avoir atteint la connaissance suprême, sont désireux de montrer à tous la voie de la libération (ce sont les Tîrthankara-kevalî). Ce qualificatif est donné aux seconds, parce qu'ils sont les constructeurs du tirtha (du gué), qui aide les êtres humains à traverser le grand océan de l'existence, le samsâra (l'océan de la vie).
Les Thîrthankara sont ainsi, les guides qui montrent à tous les êtres vivants la voie de la libération définitive, de l'émancipation du cycle des naissances et des morts successives.
Selon la tradition jaïna, il y a eu 24 Tîrthankara dans le passé, il y en a 24 à l'époque actuelle, et il y en aura encore 24 dans le futur.
Les 24 Tîrthankara, ou Grands Guides, de l'époque actuelle, sont:
1) Rshabha-nâtha ou Adi-nâtha, 2) Ajita-nâtha, 3) Sambhava-nâtha, 4) Abhinandana-nâtha, 5) Sumati-nâtha, 6) Padma-prabha, 7) Supârshva-nâtha, 8) Chandra-prabha, 9) Pushpadanta, 10) Shîtala-nâtha, 11) Shrayamsa-nâtha, 12) Vâsupûjya, 13) Vimala-nâtha, 14) Anantha-nâtha, 15) Dharma-nâtha,16) Shanti-nâtha, 17) Kunthu-nâtha,18) Ara-nâtha, 19) Malli-nâtha, 20) Munisuvrata-nâtha, 21) Nami-nâtha, 22) Nemi-nâtha, 23) Pârshva-nâtha, et 24) Mahâvîra ou Vardhamâna.
Naturellement, il existe un lien entre ces vingt-quatre Grands Guides, qui sont apparus à différentes époques de l'histoire de l'Inde. Ce qui signifie que la religion prêchée à la nôtre, en premier lieu, dans un lointain passé antique, par Rshabha-nâtha, l'a été successivement durant leur vie, par vingt-trois autres Tîrthankara, pour le bien de l'humanité.
Mahâvîra apparaît, dans cette suite, au vingt-quatrième rang. Comme il se trouve qu'il est le dernier, il est considéré par beaucoup comme le fondateur de la religion jaïna. C'est une erreur. Aujourd'hui, les historiens sont formels: Mahâvîra a ben créé la religion jaïna, celle-ci n'existait auparavant que selon des légendes ultérieures..
Comme Mahâvîra était un contemporain plus âgé, d'environ une trentaine d'années, de Gautama Bouddha, il est naturel que l'on trouve dans les écrits bouddhiques, de nombreuses mentions le concernant.
Dans ces œuvres, il est toujours décrit comme le Nirgrantha Jnâtrputra, c'est-à-dire: l'ascète nu du clan Jnâtr, mais jamais comme le fondateur du jaïnisme. Cette religion n'est pas mentionnée comme une religion nouvelle mais ancienne[1]. On trouve également, dans ces écrits, de nombreuses références aux ascètes nus jaïna, à la vénération des Arhat dans leurs temples, et à la « quadruple religion » du 23e Tîrthankara Pârshva-nath.
La littérature bouddhique cite la tradition jaïna des Tîrthankara et notamment les noms de Rshabha, Padma-prabha, Chandra-prabha, Pushpadanta, Vimala-nâtha, Dharma-nâtha. Ainsi, le Dharmottarapradîpa mentionne Rshabha et Mahâvîra ou Vardhamâna comme étant des Âpta (Tîrthankara). Le Dhamika-sutta de lAmgutaranikâya parle d'Arishta-nemi ou Nemi-nâtha comme de l'un des six Tîrthankara de cet ouvrage.
Le Manoratha-pûranî cite les noms de nombreux laïques, hommes et femmes, disciples de Pârshva-nâtha et parmi eux se trouvent celui de Vappa qui était l'oncle de Gautama Bouddha, lui-même. Il est également indiqué, dans ce livre, que Gautma Bouddha pratiqua lui aussi la pénitence, selon la discipline jaïna, avant de fonder sa propre religion[1].
La tradition jaïna des 24 Tîrthankara est reconnue, dans les écritures anciennes des hindous, comme elle l'est par les bouddhistes.
Les hindous n'ont jamais contesté le fait que le jaïnisme a été fondé par Rshabha et ils placent son époque à peu près à celle qu'ils conçoivent comme le commencement du monde. Ils le reconnaissent comme un personnage divin et donnent de lui la même parenté que celle indiquée par les jaïns.
Ils acceptent également que l'Inde soit appelée Bhâratavarsha en raison du nom de Bhârata que portait le fils aîné de Rshabha. Néanmoins, il y a deux autres Bhârata célèbres, mais il est dit nulle part que c'est de leur fait que l'Inde est appelée Bhâratavarsa.
Au contraire, le prince Bhârata bien connu, l'aîné des fils du Seigneur Rshabha, le premier Tîrthankara, est le plus célèbre car, par ses grands exploits, il a mis tous les royaumes de l'Inde sous son autorité, en tant que Chakravarti (empereur) Bhârata. C'est bien la raison pour laquelle l'Inde est appelée Bhârata-varsha. Ce fait est amplement rapporté dans les Bhâgavata, Mârkandeya, Vâyu, Brahmânda, Skanda, Vishnu et autres Purâna hindous.
Dans le Rig-Veda on peut relever des mentions précises de Rhabha et d'Arishta-nemi.
Dans le Ayur-Veda, sont également cités les noms de Rshabha, Ajita-nâtha et Arishta-nemi.
Dans l'Atharva-Veda la secte des Vrâtya est mentionnée. Cette secte est celle des jaïns, car le mot vrâtya veut dire « ceux qui observent des vœux » (les jaïns), pour les distinguer des hindous.
Enfin, dans l'Atharva-Veda encore, le mot Mahâvrâtya apparaît, ce qui laisse supposer qu'il se rapporte à Rshabha qui était considéré comme le « Grand Guide des observateurs de vœux ».
On peut considérer, à partir d'un certain nombre de références historiques, que Rshabha est le fondateur du jaïnisme. Hermann Jacobi a écrit, à ce sujet: « Rien ne prouve que pârshva a fondé le jaïnisme. La tradition jaïna est unanime à reconnaître Rshabha, le premier Tîrthankara, comme son fondateur. Il doit avoir quelque chose d'historique dans cette tradition »[1].
Il est facile de prouver que, dès le Ve siècle av. J.-C., Rshabha était vénéré. On rapporte que le roi Khâravela, du Kalinga, ramena des trésors après sa seconde invasion du Magadha, en 161 av. J.-C., et que parmi ceux-ci se trouvait l'idole connue sous le nom d'Agrajina, le « premier Jina », Rshabha, qui avait été emportée du Kalinga, trois siècles auparavant, par le roi Nanda Ier. Cela veut dire qu'au Ve siècle avant notre ère, Rshabha était vénéré et que sa statue était grandement estimée par ses disciples. De plus, comme l'on voit, dans plusieurs inscriptions anciennes, d'authentiques références historiques aux statues de celui-ci, on peut affirmer, avec certitude, qu'il est bien le fondateur du jaïnisme, ou de la tradition jaïna ou préjaïnisme.
Des preuves archéologiques, dans la vallée de l'Indus, datant de la civilisation de l'Age de Bronze, renforcent la tradition de la grande ancienneté de la religion jaïna et portent témoignage de la prédominance de la vénération de Rshabha, parmi d'autres divinités.
En effet, il y a beaucoup de vestiges, dans les fouilles de cette vallée, qui prouvent que la religion jaïna était dominante, à cette époque ancienne (de 3500 à 3000 avant à notre ère):
Ce fait révèle que les habitants de la vallée de l'Indus ont laissé des traces de la religion jaïna, car la vénération de divinités masculines nues est une tradition bien établie chez elle.
On peut donc affirmer, par ces preuves archéologiques, que, dans la civilisation de la vallée de l'Indus, la vénération de Rshbha, le premier Tîrthankara jaïna, existait avec celle du dieu hindou ou harappien que l'on considère comme le prototype du Seigneur Shiva.
Cette existence de la tradition jaïna, dans la période la plus ancienne de l'histoire indienne, est reconnue par de nombreux érudits, tels que le Dr. Radha Kumud Mookerji, Gustav Roth, le professeur A. Chakravarti, le professeur Ram Prasad Chanda, T.N. Ramchandran, Champat Rai Jaïn, Kamta Prasad Jaïn, et d'autres.