Repos pendant la fuite en Égypte (Patinier)

Repos pendant la fuite en Égypte
Artiste
Date
Vers 1515
Type
Huile sur panneau
Technique
Dimensions (H × L)
65,6 × 81,1 cm
No d’inventaire
608
Localisation

Le Repos pendant la fuite en Égypte est considéré comme une œuvre majeure et d'une grande maîtrise de Joachim Patinier. Elle suscite néanmoins des interrogations sur la participation éventuelle d'autres peintres lors de son exécution. La nature morte du premier plan, la Madone et sa gestuelle particulière, et le paysage du second plan avec ses couleurs inhabituelles dans l'œuvre du maître, semblent révéler diverses influences et, probablement, une réalisation collective.

Le peintre et son œuvre

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Peintre et dessinateur de la Renaissance flamande Joachim Patinier est un peintre d'histoire né vers 1483 et mort le à Anvers. Il est considéré comme l'un des initiateurs du genre « paysage » dans la peinture occidentale[1].

Le Repos pendant la fuite en Égypte, est un de ses thèmes de prédilection. On compte en effet pas moins de cinq tableaux du maître ou de son atelier qui traitent cet épisode de l'histoire sainte[2]. Conservée à la Gemäldegalerie de Berlin, la peinture qui fait l'objet de cet article appartient aux œuvres de la seconde période (1515-1519)[3] et plus précisément du début de sa carrière comme maître libre inscrit à la guilde de Saint-Luc d'Anvers[4].

Pour échapper au massacre des enfants de moins de deux ans ordonné par le roi Hérode pour éliminer le roi des Juifs (Massacre des Innocents), Joseph et Marie partent de Judée avec l'Enfant Jésus, alors nouveau-né, pour gagner l'Égypte. Le Repos pendant la fuite en Égypte représente donc une halte de la Sainte Famille lors de ce voyage qui est conté dans l'Évangile selon saint Matthieu (2, 13-23) du Nouveau Testament.

La composition

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Cette peinture à l'huile sur bois de dimension moyenne[5] illustre assez bien le style de l'artiste qui est caractérisé par l'utilisation de la perspective atmosphérique offrant au spectateur une vision panoramique en plongée. La composition comporte les trois plans principaux habituels : un premier plan très sombre sur lequel sont disposés les figures principales et leurs accessoires ainsi que des éléments végétaux (des herbes, des fleurs, un arbre et un arbuste presque mort), un plan moyen à dominante verte et ocre d'où émerge un massif rocheux de tonalité grise, et un arrière-plan bleuté aux reliefs remarquables qui voisinent avec un ciel nuageux de tonalité proche. On peut noter l'utilisation dans cette œuvre d'une palette de couleurs assez inhabituelle pour cet artiste surtout au second plan, ce qui pourrait indiquer une collaboration[6].

Le tableau combine les motifs habituels de l'artiste, comme le paysage de l'arrière-plan représentant un estuaire et sa côte accidentée parsemée de rochers, avec d'autres moins personnels qui semblent avoir été empruntés à différents artistes nordiques de son époque.

1. La nature morte

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Le panier de Marie, au premier plan de la composition, a probablement son modèle dans une peinture de Gérard David. En effet, on retrouve un objet très semblable dans le Repos pendant la fuite en Égypte de ce peintre conservé à la National Gallery of Art de Washington[7] (ill. 1), ainsi que dans celui du Prado de Madrid[8] (Ill. 2). Avec la gourde, la besace et le bâton de marche, le panier forme une véritable nature morte que l'on retrouve dans toutes ses œuvres du même thème (Illustrations : 3 et 4), à l'exception du tableau de Minneapolis[9].

2. La Madone

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Selon Robert A. Koch[10], cette figure de la Vierge à l'Enfant est de la main de Joos van Cleve (Ill. 5 et 6). Il verse à l'appui de cette thèse un Repos pendant la fuite en Égypte de son atelier dans lequel on retrouve les motifs de Patinier (nature morte avec panier, besace et bâton, et paysage avec rochers déchiquetés)[11]. Pour Alejandro Vegara, elle est vaguement inspirée de la Madone au singe de Dürer (Ill. 7)[12] et l'expression de l'Enfant Jésus est très semblable à celle représentée dans une peinture de Goswijn van der Weyden conservée à Berlin (Ill. 8).


3. La Sainte-Baume

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La montagne du second plan avec son creux qui abrite diverses constructions, dont un bâtiment de forme circulaire à coupole, semble librement inspiré de la Sainte-Baume[13] en Provence (Ill. 9, 10 et 11). Ce site fut dès le Moyen Âge, pour toute l'Europe chrétienne, un important lieu de pèlerinage[14]. Il était en effet réputé avoir abrité les trente dernières années de la vie de sainte Marie Madeleine « qui aspirait à la contemplation des choses supérieures »[15]. Évoquée dans plusieurs tableaux, la Sainte-Baume devient le motif principal de son Paysage avec sainte Marie Madeleine en extase conservé au Kunsthaus de Zürich (Ill. 12).

4. Le paysage

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La spécialité du peintre, reconnue par Albrecht Dürer lors de son séjour aux Pays-Bas en 1520-1521[17], apparaît ici dans le paysage d'arrière-plan, avec ses magnifiques dégradés de bleu et ses détails innombrables, avec sa ville portuaire, son estuaire et sa côte tortueuse aux rochers escarpés qui firent son succès (Ill. 12).

Le style de l'exécution des espaces villageois du second plan (Illustrations 13 et 14), avec ses habitations à dominante ocre rouge, ses arbres aux feuillages plus réalistes que de coutume et, dans la partie droite, sa représentation minutieuse du Massacre des Innocents, semble en revanche d'une autre main. Serait-ce le travail d'un des membres de l'atelier du maître, ou celui d'un collaborateur occasionnel ?

Les symboles

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À l'époque de la Renaissance, les peintures d'histoire fourmillent de symboles sacrés et profanes. Sans s'arrêter sur les motifs triviaux comme le pont sur la rivière, métaphore banale du temps qui passe[18], l'arbre grêle, image de la vie nouvelle du Christ[19], ou les pèlerins cheminant dont l'interprétation est l'objet d'une controverse[20], on remarquera, parmi les symboles relevés par les commentateurs de Patinier dans ce tableau, certains motifs originaux qui méritent d'être cités. Ainsi, l'Enfant Jésus est tourné vers un oiseau perché en haut de l'arbuste mort du premier plan. Cet oiseau, un chardonneret, symbolise la passion[21]. Par ailleurs, la partie gauche de la montagne qui représente la Sainte-Baume, ressemble à un masque[22] qui symbolise selon Guy de Tervarent[23], le vice, la fraude et le commerce amoureux. L'image est ici particulièrement bien adaptée au site de sainte Marie Madeleine, patronne des prostituées.

Bibliographie

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  • Paul Dupouey, Le Temps chez Patinir, le paradoxe du paysage classique : thèse de doctorat, Université de Nancy II, 2007-2008, 533 p. (lire en ligne)
  • (ang) Reindert L. Falkenburg, Joachim Patinir : Landscape as an image of the pilgrimage of life, Amsterdam and Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 1988.
  • Godfridus Johannes Hoogewerff, « Joachim Patinir en Italie », Revue de l'Art, vol. XLV,‎ , p. 131-132.
  • Alain Tapié (dir.), Fables du paysage flamand : Bosch, Bles, Brueghel, Bril, Paris, Somogy éditions d'art, , 368 p. (ISBN 978-2-7572-0582-2)
  • (es) Alejandro Vergara (ed.), Patinir, estudios y catálogo crítico, Madrid, Museo National del Prado, , 408 p. (ISBN 978-84-8480-119-1)
  • Guy de Tervarent, Attributs et symboles dans l'art profane. Dictionnaire d'un langage perdu (1450-1600), Genève, Droz, , 588 p. (ISBN 2-600-00507-2, lire en ligne)
  1. Cf. Catherine Reynolds, « Patinir y las representaciones paisajísticas en Flandes », in Patinir, estudios y catálogo crítico, Vergara Alejandro (ed.), Madrid, Museo National del Prado : p. 97-115.
  2. Cf. Le catalogue raisonné de l'article Joachim Patinier dans Wikipédia.
  3. Robert A. Koch, auteur de la première monographie sur ce peintre, considère trois périodes dans sa production artistique : 1. « Early period » à partir de 1514 ; 2. « Middle period », de 1515 à 1519 ; 3. « Late period », de 1520 à 1524. Cf. Robert A. Koch, 1968 : 23.
  4. Les archives d'Anvers rapportent son inscription le 30 septembre 1515 sous le nom de Joachim Patenier. Cf. Alejandro Vergara (ed.), 2007 : 363, DOC. 1.
  5. Le panneau mesure 65,6 × 81,1 cm.
  6. Cf. Alejandro Vargara (ed.), 2007 : p. 181.
  7. Cf. Le tableau de Gérard David intitulé Repos pendant la fuite en Égypte, vers 1510, huile sur panneau, 41,9 × 42,2 cm, National Gallery of Art, Washington : inv. 1937.1.43.
  8. Cf. Le tableau de Gérard David intitulé Repos pendant la fuite en Égypte, vers 1515, huile sur panneau, 60 × 39 cm, Museo Nacional del Prado, Madrid : inv. P02643.
  9. Cf. Le tableau de l'atelier de Joachim Patinier intitulé Paysage avec repos pendant la fuite en Égypte, The Minneapolis Institute of Arts, Minneapolis : inv. 14.2.
  10. Cf. Koch Robert A., 1968 : p. 36.
  11. Cf. Le tableau de Joos Van Cleve intitulé Repos pendant la fuite en Égypte, 1464-1540, huile sur bois, 54 × 67,5 cm, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles : inv. 2928.
  12. Cf. Alejandro Vegara (ed.), 2007 : 181. Un exemplaire de cette gravure est conservé au Rijksmuseum d'Amsterdam (inv. RP-P-OB-115.937).
  13. Certains commentateurs de Joachim Patinier (Hoogewerff, 1928 : 131-132 et Dupouey 2007-2008 : 29, 252) ont déduit, à la vue de ce motif dans ses œuvres, que la peintre devait s'être rendu sur place à l'occasion d'un voyage en Italie vers 1512-1515 en compagnie de Gérard David. Aujourd'hui, cette hypothèse n'est plus acceptée (cf. Tapié Alain, 2012 : 150).
  14. Les représentations de la Sainte-Baume se retrouvent dans de nombreux documents du Moyen Âge et de la Renaissance. Voir par exemple le folio 60 du manuscrit à peinture intitulé Vie de la belle et clere Magdalene de François de Moulin enluminé par Godefroy le Batave qui date de 1517 (Cote Bibliothèque Nationale : FRANCAIS 24955)
  15. Cf. Jacques de Voragine, La légende dorée, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), Paris, 2004, (ISBN 2-07-011417-1) : p. 516-517.
  16. Gravure tirée de : Schedel, Hartmann, Liber Chronicarum, ed. A. Koberger, Nuremberg, 1493 : pl. folio CVIII.
  17. C'est « un bon peintre de paysage » nota-t-il dans son journal de voyage. Cf. Albrecht Dürer et Charles Narrey, Albert Durer à Venise et dans les Pays-Bas; autobiographie, lettres, journal de voyages, papiers divers, Paris, Jules Renouard, (lire en ligne), p. 91, 126, 132.
  18. Cf. Paul Dupouey 2007-2008 : p. 386.
  19. Cf. Paul Dupouey, 2007-2008 : p. 48.
  20. L'interprétation de Reindert Falkenburg des pèlerins qui peuplent les tableaux de Patinier en homo peregrinans, est contestée par Paul Dupouey qui voit plutôt ceux-ci en homo viator (cf. Reindert L. Falkenburg, 1988, et Paul Dupouey, 2007-2008 : p. 98-107).
  21. Cf. Paul Dupouey, 2007-2008 : p. 258.
  22. Cf. Paul Dupouey, 2007-2008 : p. 47, 259.
  23. Cf. Guy de Tervarent, 1997 : p. 310-313.

Articles connexes

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Liens externes

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