s long | |
Graphies | |
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Bas de casse | ſ |
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Le s long (ſ) est la forme ancienne de la lettre s minuscule. Depuis l'uniformisation de l’écriture par Charlemagne et l’apparition de la caroline ou minuscule carolingienne, on n’utilisait que le s long, qu’un lecteur non averti confondrait aujourd’hui avec un f[1]. Plus tard est apparu le s final ou s rond, d’abord utilisé exclusivement en fin de mot. La graphie du s long (ſ) était employée principalement pour distinguer le phonème du s rond graphique, non prononcé (ainsi dans le mot eſpèces).
L’usage du s final se généralisa peu à peu, jusqu’à se substituer complètement au s long. Le texte de la Constitution des États-Unis d’Amérique, par exemple, emploie le s long uniquement là où le s est double, comme dans les mots Congreſs, Claſs, Busineſs.
Le s long a subsisté en langue française et en anglais jusqu’à la Révolution industrielle. Il n’est plus en usage de nos jours, mais il subsiste en Allemagne.
L’illustration ci-contre montre des œils possibles dans une police à empattements (serif en anglais) et une police sans empattements, en romaine et en italique.
Cette lettre n’existe qu’en minuscule, ce qui explique pourquoi la ligature ß (eszett), composée d’un s long suivi d’un s rond (ou d’un z) suivait le même principe : en capitales, ſ et ß (ſ+s ou ſ+z pour l’allemand) passaient toujours à S et SS (ou SZ dans certains noms propres). L’eszett existe aussi sous forme d’une capitale U+1E9E ẞ capitale latine eszett .
Le s long, issu de la cursive latine[2] et arrivé à nous par la demi-onciale latine (apparue vers le IVe siècle ; on en trouve les prémices dès la nouvelle cursive romaine), s’est transmis à toutes les écritures latines postérieures. Son utilisation, au départ, ne suivait pas de règles strictes. Simple variante manuscrite du s, son tracé a beaucoup varié selon l’écriture, sa localisation et le scribe. Il pouvait d’ailleurs être utilisé seul et en toute position en remplacement du s rond. Au fil du temps, cependant, il en est venu à remplacer s dans toutes les positions sauf en finale.
La variante italique, dans les textes imprimés, possède souvent une jambe descendant sous la ligne de base. Il n’est pas rare non plus que l’on ajoute un empattement à gauche, à hauteur d’x, qui le fait ressembler à un f :
Le s long, du fait de son tracé, est sujet à de nombreuses ligatures, dont ſ+s, qui donne ß dans de nombreuses langues. Seul l’allemand a conservé cette ligature, nommée scharfes S ou eszett. Elle pourrait, dans cette langue, provenir d’une ligature ſz qui, écrite en écriture gothique puis en Fraktur et en Sütterlinschrift, ressemble plus à ſʒ.
Cette convention (ainsi que les nombreuses ligatures avec s long) s’est conservée dans l’imprimerie jusqu’au XIXe siècle, pendant lequel l’usage, déjà fluctuant à la fin du XVIIIe siècle (dans un même ouvrage, les deux s pouvaient être utilisés en concurrence avec l's unique), se perd entièrement.
Actuellement, des lecteurs ou des éditeurs non avertis confondent fréquemment le s long avec un f. La plupart des logiciels de reconnaissance optique de caractères interprètent le s long comme un f. La confusion est souvent due à la présence de l’empattement supplémentaire[3].
Le s long a été employé par quasiment toutes les langues d’Europe ayant connu l’alphabet latin. Voici quelques exemples d’utilisation.
Le texte à gauche représente un extrait de l’épître dédicatoire du Calendrier de Paphos de Voltaire tel qu’imprimé en 1778. Il a été reproduit en incluant les s longs et les s ronds ainsi que le faisaient la typographie et l’orthographe manuscrite de l’époque. La typographie de l’époque se distingue également de la typographie moderne par l’utilisation d’une espace avant la virgule. Le placement et la nature des accents diffèrent par rapport aux graphies actuelles.
Le s long suivi d’un autre s pouvait s’écrire de plusieurs manières, au choix du typographe (et parfois sans grande cohérence), comme deux s longs ou avec un s long suivi d’un s rond, ce qui a pu aboutir à la ligature ß qui n’était pas, par le passé, limitée à l'allemand.
En français, bien que plus rare, cette ligature se rencontre en concurrence avec la forme sans ligature, jusqu’à la disparition du s long. On la trouve par exemple dans La maniere de bien traduire d’une langue en aultre : d’advantage de la punctuation de la langue françoyse, plus des accents d’ycelle d’Étienne Dolet, édition de 1540 (profeßion, p. 3) ou dans les Euures de Louïze Labé, Lionnoize, reuues & corrigees par ladite Dame de 1556, laquelle édition ne se montre pas très systématique dans ses choix : page 9, on lit poußé mais, juste en dessous paſſer, lequel verbe est cependant écrit paſsé p. 4. De plus, si l’éditeur a employé la ligature ſt (ſt) attendue (reſté, p. 4, eſtoit p. 9), c’est cependant une ligature avec un s rond (st) qui est parfois utilisée (festin, p. 9, estois p. 120)[4].
Corneille a proposé, lorsque la lettre s est située entre une voyelle et une consonne, de ne conserver l’s long que lorsqu’il marque l’allongement de la voyelle précédente : il souhaitait indiquer ainsi la différence de valeur du caractère entre des mots tels que reste (s normal sourd) et tempeſte (allongement de la voyelle qui précède)[5]. Cette convention n’a finalement pas été suivie. Les mots concernés prennent aujourd'hui un accent circonflexe[6].
Voici des tracés possibles pour ces caractères :
Une vérification empirique des publications règles de composition typographique des XVIIe siècle et XVIIIe siècle tendent à être les suivantes[7].
En allemand, surtout dans la graphie dite Fraktur, l’utilisation des deux s n’obéit pas seulement à des contraintes contextuelles mais aussi morphologiques : le s rond est employé en fin de mot ou d’élément de mot composé, ce qui nécessite, pour écrire correctement, de connaître la langue. Ainsi, Wachstube, tel qu’il est écrit actuellement, peut être analysé et prononcé de deux manières[8]:
La graphie levait autrefois l’ambigüité : Wach + Stube s’écrivait Wachſtube tandis que Wachs + Tube s’écrivait Wachstube. L’utilisation d’un s rond marquait la fin virtuelle d’un mot en composition (à la manière du Deshoulieres de Voltaire dans le texte cité plus haut).
L’allgemeinen Vereins für vereinfachte Rechtschreibung a utilisé le s long, ainsi qu’un majuscule basée sur la forme minuscule, dans les années 1890 dans sa propostion de réforme de l’orthographe allemande notamment dans la revue Reform.
Dans l’orthographe actuelle de cette langue, seule la ligature ß (scharfes S) subsiste, ligature qu’on peut faire remonter à ſ et s ou ſ et z. Encore est-elle d’utilisation réduite à la suite d’une réforme importante de l’orthographe en 1998.
Le « s long », en anglais, n’est plus utilisé. Il y avait ambigüité quant à la différenciation avec le f minuscule, de par le fait que celui-ci n’est pas barré, tout comme le "s long". Ainsi, dans la littérature anglaise du XVIIe – XVIIIe siècle, il y a quasi-similitude entre ces deux caractères, ce qui peut prêter à confusion si le lecteur se trouve face au texte original, non-modifié pour la lecture contemporaine.
Une vérification empirique des publications règles de composition typographique des XVIIe siècle et XVIIIe siècle tendent à être les suivantes[7].
Les mathématiques emploient un dernier avatar du s long comme symbole de l’intégrale : . Le co-inventeur du concept de somme intégrale, Leibniz, a utilisé le premier mot de l’expression en latin, summa, (« somme »), écrit ſumma et en a conservé l’initiale.
Il existe dans l’alphabet phonétique international une autre variante du s long nommée esh ʃ, qui sert à noter la consonne fricative post-alvéolaire sourde que l’on entend au début du mot chat en français (noté par le digramme ch). On le trouve maintenant dans les orthographes récentes de plusieurs langues en Afrique (comme le dagbani au Ghana, le songhoy et le tamasheq au Mali ou encore le pandikeri en Ouganda). Sa capitale n’est pas un S mais soit une sorte de sigma capital grec, Ʃ, soit une version de grande taille de la minuscule dans l’alphabet international de Niamey, tracé préférable pour les langues d’Afrique.
Ces deux caractères se tracent toujours, en romaine comme en italique, avec une hampe descendant sous la ligne.
Cette lettre possède les représentations Unicode suivantes :
formes | représentations | chaînes de caractères |
points de code | descriptions |
---|---|---|---|---|
minuscule | ſ | ſ | U+017F |
lettre minuscule latine s long |
La norme Unicode ne prévoit que des minuscules pour le s long et ses dérivés.
0xC5 0xBF
;\305\277
;ſ
;0xE1 0xBA 0x9B
;\341\272\233
;ẛ
;0xEF 0xAC 0x85
;\357\254\205
;ſt
.Le symbole de l’intégrale est codé par un autre caractère :
0xE2 0x88 0xAB
;\342\210\253
;∫
.Enfin, pour l'esh de l’alphabet phonétique international et présent dans l’orthographe de plusieurs langues d’Afrique (cf. alphabet africain de référence) :
0xCA 0x83
;\312\203
;ʃ
.La version capitale n’est utile qu’aux langues africaines. Selon la langue, elle peut prendre une forme similaire à celle de l'esh minuscule ou la forme d'un sigma majuscule. Bien que l'alphabet africain de référence préconise la première forme, la seconde forme est celle qui est représentée par la plupart des polices de caractères :
0xC6 0xA9
;\306\251
;Ʃ
.Il peut se saisir sur les systèmes UNIX, avec la combinaison de touches compose (f + s).