Alors qu'il est encore peu connu en dehors de son pays d'origine, le Stabat Mater va contribuer à faire connaître l'auteur sur la scène mondiale. L'œuvre est dédiée à František Hušpauer, un ami d'enfance du musicien. Elle est sa première œuvre sacrée (à part une messe de jeunesse qu'il a détruite et une autre qui a été perdue)[1] et est intimement liée à la tragédie familiale qui frappe Dvořák. Le , sa fille nouveau-née Josefa meurt. En réaction à ce deuil, Dvořák compose une première version de l'œuvre entre le et le [2]. Cette version est confiée à quatre solistes, un chœur et un piano. Dvořák met l'œuvre de côté sans aborder l'orchestration.
Dvořák perd ses deux autres enfants à quelques semaines d'intervalle, sa fille Růžena le et son fils ainé Otakar le . C'est alors qu'il reprend le manuscrit abandonné l'année précédente. Il rajoute trois mouvements (les numéros 5, 6 et 7) et orchestre l'ensemble de l'œuvre entre octobre et le .
Le compositeur suit dans l'ensemble la version liturgique du Missel romain, mais s'en éloigne de temps en temps vers la fin pour suivre celle de la séquence du XIIIe siècle de Jacopo da Todi, qui traduisent plus spécifiquement sa propre douleur, suivant en cela une pratique fréquente au XIXe siècle[3] :
Dans le premier vers de la strophe 13, au lieu de la version liturgique ("Fac me tecum pie flere"), Dvořák prie non pas "pleurer pieusement avec toi", parce que ses pleurs sont bien réels et n'ont rien à voir avec de la piété ; mais pour que cette douleur soit véritablement associée à celle de la Vierge ("Fac me vere tecum flere,").
Dans la fin de la strophe 17, Dvorak s'éloigne du texte liturgique ("Fac me cruce inebriari Et cruore Filii") en parlant de "cette croix" (au lieu de "de la croix") et de "l'amour du fils" (au lieu du "sang de votre fils"), signature personnelle qui fait le parallèle entre la douleur de la Vierge et la sienne propre face à la mort de son enfant : "Cruce hac inebriari Ob amorem filii". Il continue sa prière personnelle dans la strophe 18, en se disant dans le premier vers "brûlant et dévoré de flammes" (Inflammatus et accensus) au lieu de "craignant les flammes de l'enfer" (Flammis ne urar succensus).
Enfin, dans la strophe 19, la version liturgique s'adresse au Christ pour lui demander au jour dernier la grâce d'être conduit par Marie à la palme des vainqueurs ("Christe, cum sit hinc exire, Da per Matrem me venire Ad palmam victoriae."). Dvořák reprend la version du XIIIe siècle "Fac me cruce custodiri, Morte Christi praemuniri, Confoveri gratia", qui ne parle plus du jugement dernier mais de la vie qui lui reste à vivre dans la douleur : "Fais que je sois gardé par cette croix, fortifié par la mort du Christ, soutenu par la grâce".
Le compositeur a dépassé sa propre souffrance pour donner une œuvre empreinte d'émotion confiée plus aux voix qu'à l'orchestre, mais jaillissante et spontanée même dans l'affliction atteignant ainsi une grandeur universelle[4].
La création de la version avec orchestre eut lieu le à Prague sous la direction d'Adolf Čech, avec comme solistes : Eleanora Ehrenberg, Betty Fibich, Antonín Vávra et Karel Čech. La partition est publiée en 1881 à Berlin. À cette occasion, le numéro d'opus 58 lui est donnée en place du no 28 initial.
L'audience de son œuvre devient très vite internationale, avec des exécutions dans les différentes grandes villes d'Europe et aux États-Unis. Dvořák est invité à Londres en 1884 pour y diriger sa partition au Royal Albert Hall, avec un effectif impressionnant (près de 800 choristes[5]), ce qui a contribué de manière importante à la reconnaissance du reste de son œuvre en Angleterre[6].
La version originale (pour piano, chœur et solistes) n'a jamais été exécutée du vivant de Dvořák. Trouvée dans une collection privée, elle est éditée en 2004 et interprétée depuis par de petites formations.