L'éducation populaire (en Belgique, éducation permanente) est un courant de pensée qui cherche principalement à promouvoir, en dehors des structures traditionnelles d'enseignement et des systèmes éducatifs institutionnels, une éducation visant l'amélioration du système social. Depuis le XVIIIe siècle occidental, ce courant d'idées traverse de nombreux et divers mouvements qui militent plus largement pour le développement individuel des personnes et le développement social communautaire (dans un quartier, une ville ou un groupe d'appartenance, religion, origine géographique, lieu d'habitation, etc.) afin de permettre à chacun de s'épanouir et de trouver une place dans la société.
Il s’agit, plus largement, de faciliter l’accès aux savoirs, à la culture, afin de développer la conscientisation, l’émancipation et l’exercice de la citoyenneté, "en recourant aux pédagogies actives pour rendre chacun acteur de ses apprentissages, qu’il partage avec d’autres"[1].
L'action des mouvements d'éducation populaire se positionne en complément de l'enseignement formel. C'est une éducation qui dit reconnaître à chacun la volonté et la capacité de progresser et de se développer, à tous les âges de la vie. Elle ne se limite pas à la diffusion de la culture académique, elle reconnaît aussi la culture dite populaire (culture ouvrière, des paysans, de la banlieue, etc.). Elle s'intéresse à l'art, aux sciences, aux techniques, aux sports, aux activités ludiques, à la philosophie, à la politique. Cette éducation est perçue comme l'occasion de développer les capacités de chacun à vivre ensemble, à confronter ses idées, à partager une vie de groupe, à s'exprimer en public, à écouter, etc.
L'animation sociale et culturelle est un domaine d'investissement important d'éducation populaire.
Au XXe siècle, avec l'institutionnalisation de certains mouvements et fédérations se réclamant de l'éducation populaire[réf. nécessaire], l'éducation populaire est également devenue un secteur marchand, où les acteurs historiques (des associations, mais aussi les sociétés idoines qu'elles ont créées) font désormais face à de nouvelles sociétés spécialisées.
L'éducation populaire est un processus visant à faire évoluer les individus et la société en dehors des cadres d'apprentissage traditionnels. Elle permet aux individus de se forger leur propre opinion sur la société et d'agir de manière individuelle et collective sur le monde qui les entoure.
Rechercher une définition unique de l'éducation populaire est probablement une chose vaine[3]. Nombre d'auteurs, de militants, d'acteurs de l'éducation populaire se sont attelés à cette tâche délicate. Ce sont ces tentatives qui sont présentées ci-après, bien que Jean Guéhenno, le , inspecteur général, chargé de mission aux mouvements de jeunesse et à la culture populaire écrivait dans sa circulaire les fins poursuivies par la nouvelle direction de la culture populaire, « mettre fin à l'avilissement, à l’exploitation d’une jeunesse par la mécanique de l’enthousiasme si chère à Vichy » :
Dans le rapport du Conseil économique social et environnemental L'éducation populaire, une exigence du 21ème siècle[11], les deux co-rapporteurs constatent qu'il n'y a pas de définition partagée de l'éducation populaire, mais à travers leurs travaux ils relèvent des constantes qui « sans être exclusives, caractérisent l’éducation populaire : la finalité transformatrice ; l’objectif de contribuer à l’émancipation individuelle et collective et à la conscientisation des individus ; l’attachement à une démarche pédagogique active qui repose sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants ; la reconnaissance « du droit au tâtonnement » dans l’exercice du rôle de laboratoire permanent de l’innovation sociale ; le portage des actions par des structures à but non lucratif dès lors qu'elles s’inscrivent au service de l’intérêt général ; l’attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires.»
Les historiens spécialistes de l'histoire de l'éducation populaire débattent fréquemment de sa définition et de ses origines[12]. Concernant la généalogie du mouvement, Geneviève Poujol et Mathias Gardet contestent le rapprochement entre les mouvements d'éducation populaire et le mouvement ouvrier, les premiers étant portés essentiellement par la classe moyenne, visant ainsi une forme de paix et de conciliation sociale par l'éducation[13],[14]. Cette disjonction est contestée par Jean-Michel Ducomte, pour qui les courants saint-simoniens, proudhoniens ou encore anarcho-syndicalistes sont à l'origine de différentes réalisations, comme les cours du soir ou encore les Bourses du travail, qui servaient justement à établir une conscience de classe pour les acteurs de l'époque[15]. Paul Masson, dans La grande histoire jamais finie de l'éducation populaire considère que l'éducation ouvrière constitue un courant à part entier de l'éducation populaire.
Laurent Besse, concédant une « impossible définition », propose toutefois un positionnement inclusif, pour lequel l'éducation populaire serait une « action éducative qui prétend toucher principalement les milieux populaires et qui entend agir sur l'individu hors de l'école pour transformer la société »[16].
Les pays européens et le monde anglo-saxon (Amérique du Nord, Australie, Nouvelle-Zélande) ont vécu des phénomènes différents dans leur chronologie, du fait de leur histoire à la fois particulière et commune, qui vont conduire à l'émergence du mouvement social que l'on nomme en France et parfois en Belgique ou Suisse romande, l'éducation populaire.
Ces mouvements de fond sont :
En Belgique francophone, l'éducation populaire est souvent désignée par le terme éducation permanente[17], à ne pas confondre avec une formation professionnelle continue.
La situation belge est analogue à celle de la France[18].
En Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, les community center (en) (légaux) et les social center (en) (ou Autonomous space) squats illégaux sont inspirés par des préoccupations proches de l'éducation populaire française. Les centres sociaux en France sont des équipements de proximité qui interviennent sur le développement social du quartier. Ils n'ont pas à voir avec les social centers, mais fonctionnent plutôt comme les community centers.
Aux États-Unis, les Community organization (en) ou communautés de base ont à la fois un travail identique aux Community centers, mais aussi un travail politique d'émancipation des minorités et des personnes défavorisées (pauvres, handicapés, femmes, etc.). Ce travail est identifié sous le terme d'empowerment (ou autonomisation). Du point de vue historique, on peut faire un lien avec les settlements.
Néanmoins, dans les pays anglo-saxons, on a du mal à traduire l'E.P française et notamment son insertion dans l 'action de la puissance publique tandis que les settlements réunissaient riches et pauvres dans l'action.
Les mouvements proches de l'éducation populaire française se sont exprimés jusqu'en 1914 au travers du Wandervogel - oiseau migrateur - ou oiseau vagabond. Ce mouvement est originaire des classes intellectuelles berlinoises. Il s'agit d'un mouvement beaucoup plus spontané que les mouvements d'éducation populaire français. Les jeunes du Gymnasium Steglitz (de) marqués par le romantisme et la philosophie allemande, recherchent une nature authentique loin des villes industrielles. Ils errent en groupes autogérés dans les forêts allemandes. Ils prônent une vie la plus naturelle possible (y compris le nudisme) et une réforme de la pédagogie traditionnelle (l'instruction publique), les auberges de jeunesse allemandes sont issues du Wandervogel. Ce mouvement va déboucher sur le mouvement de jeunesse allemande - Jugendbewegung - dans les années 1900 et la Ligue internationale pour l'éducation nouvelle après la première guerre. Le nazisme va interdire ou intégrer dans la Jeunesse hitlérienne toutes les organisations, ce qui met fin aux expériences sécularisées ou chrétiennes des mouvements de jeunesse. Le concept de Volksaufklärung qui traduit à peu près Éducation populaire est mise en avant par les nazis qui créent un ministère dédié. Après la guerre, les mouvements de jeunesse renaissent en RFA, ils participent pleinement à la politique d'échange entre jeunes d'Europe et aux mouvements d'éducation nouvelle.
En RDA, la jeunesse était encadrée par le parti communiste. La chute du mur de Berlin en 1989 réunifie les deux Allemagnes : les organisations de jeunesse de la RFA s'étendent à l'Est.
Il existe aujourd'hui en Allemagne de nombreuses associations de jeunes - Jugendverband - organisées par les jeunes eux-mêmes. Elles sont soit de simples organisations qui se préoccupent d'un problème précis, soit des organisations régionales ou fédérales. On trouve des associations confessionnelles, sportives, mais aussi des organisations politiques de jeunes dans tous les partis.
En France, on considère comme fondateurs de l'éducation populaire la Révolution française avec la déclaration de Condorcet (), la création par Jean Macé de la Ligue de l'enseignement (1866), puis, en 1899, la fondation du mouvement Le Sillon par Marc Sangnier et enfin, le Front populaire. À la Libération, dans un vaste élan de cohésion nationale, le Conseil national de la Résistance, puis le Gouvernement provisoire reprennent le programme initié par le Front.
Tout au long du XXe siècle, l'éducation populaire s'est d'abord organisée autour de trois grands courants idéologiques : le christianisme social, dont la dimension intellectuelle est illustrée notamment par le personnalisme autour de la revue Esprit ou encore le scoutisme, les mouvements laïques, autour de la Ligue de l'enseignement (Les Francas, les Ceméa, etc.) et enfin le mouvement ouvrier, en particulier la CGT et ses organismes spécialisés.
Le XXe siècle a vu émerger trois courants et trois traditions :
Le courant laïque est clairement issu de la tradition de Condorcet. L'instruction doit être accessible à tous, former les citoyens, et être prise en charge par la République. Pour Condorcet, il n'y a pas de démocratie du pouvoir, sans démocratie du savoir. Les protestants sous l'influence du personnalisme ont une vision identique du rôle de l'éducation dans la démocratie. Ce courant peine à retrouver sa place aujourd'hui dans l'évolution du capitalisme. Cette mouvance, orientée vers la problématique actuelle du lien social, s'incarne aujourd'hui dans des formes d'actions sociales telles que celles prônées par les centres sociaux, l'accompagnement social qui permet de prendre soi-même sa vie en main.
Dans la vision catholique, la morale doit guider la vie des hommes en société. Son action s'inscrit dans une problématique d'aide, d'assistance, d'exemplarité de l'ascétisme, de moralisation de la société. Le christianisme social lui assure dynamisme et influence autour de mouvements allant du scoutisme à la Jeune République, puis à la Démocratie chrétienne. L'enseignement du Pape François renouvelle cette vision morale de l'éducation.
Enfin la tradition de l'éducation dans le mouvement ouvrier est née au cours du XIXe siècle. Après la loi Le Chapelier, les syndicats sont interdits mais le mouvement ouvrier crée des amicales, des mutuelles et des coopératives. L'anarcho-syndicalisme à la fin XIXe siècle se demande s'il convient d'envoyer les enfants de prolétaires à l'école de la bourgeoisie de Jules Ferry ou s'il faut préserver une culture et des valeurs propres à la classe ouvrière. Les enjeux de l'instruction sont importants : quels contenus ? Qui éduque ? Quelle formation ? Qui doit-on éduquer ? Qui contrôle l'école (loi Falloux) ? L'école moderne de Francisco Ferrer et La Ruche (école) de Sébastien Faure sont des exemples d'écoles libertaires pour les prolétaires.
Pour Geneviève Poujol[19], ce lien mythique entre éducation populaire et mouvement ouvrier n'aurait pas eu lieu. Elle règle également la question des confessions en postulant une pluralité d’histoires qui se dérouleraient de façon parallèle : à côté d’une histoire laïque, il y aurait une histoire catholique, voire une histoire protestante. Son souci de l’histoire l’amène cependant à récuser le mythe d’une éducation populaire qui serait partie prenante de l’histoire ouvrière. Dans une perspective sociologique, l'auteur préfère décrire la naissance de l'éducation populaire en insistant sur le parallélisme entre mouvement laïque et catholique[20].
De ces trois courants qui se mêlent, se croisent, il n'y a ni définition précise, ni accord sur la genèse de l'éducation populaire, en particulier sur la place du mouvement ouvrier.
Du point de vue du mouvement ouvrier, on peut résumer l'histoire de l'éducation populaire en cinq temps[21] afin de mieux la situer dans le contexte actuel de ce début du XXIe siècle :
Les deux premiers temps sont à l'origine de l'éducation populaire au temps mythique où elle était la dimension culturelle de la production de l'action collective. C'est la définition initiale de l'éducation populaire. C'est-à-dire la production collective de connaissances, de représentations culturelles, de signes qui sont propres à un groupe social en conflit.
Avant l'éducation populaire, la culture ouvrière a une dimension d'entraide et de formation au travers du compagnonnage. Le métier, son apprentissage, son langage, son réseau d'entraide forment un univers culturel qui lui est propre. Puis à la genèse du syndicalisme, à une époque où le syndicalisme est en même temps mutualisme et coopération au travers des bourses du travail (dans l'histoire du mouvement ouvrier, cela correspond au XIXe siècle), il fallait produire une analyse de ce qui se passe et produire bien sûr un contre projet par rapport à ce qui se passe. Cette dimension est encore présente dans une partie des mouvements se réclamant de l'éducation populaire, par exemple les compagnons du devoir ou l'association Travail et Culture[22].
Puis avec l'entre-deux-guerres, on assiste à une spécialisation (associations spécialisées dans la culture comme les ciné-clubs, ou dans les loisirs, les vacances). De ce fait, l'action des laïcs « bourgeois » (Jean Macé) ou des chrétiens, protestants et catholiques, est de facto marginalisée, de même la crise économique de 1929 est passée sous silence.
Après la Libération, on assiste à une institutionnalisation des mouvements. C'est un moment plus ambivalent qu'il n'y paraît. Traumatisés par l'impuissance des valeurs républicaines et de l'instruction transmise par l'école pour enrayer le fascisme, les refondateurs de l'Éducation nationale décident de créer une direction de l'éducation politique, des jeunes et des adultes, et d'en confier la pédagogie non pas à des enseignants mais à des militants politiques et des acteurs de la culture.
De fait, l'État français (Vichy) a créé, par l'ordonnance du , reconduit à la Libération un statut administratif des associations d'éducation populaire[23]. Cet agrément Jeunesse et Éducation populaire, qui est délivré à la discrétion de l'administration de la jeunesse et des sports, nécessite au moins trois ans d'existence de l'association et le respect de certains principes : liberté de conscience, non-discrimination, fonctionnement démocratique, transparence de la gestion et absence de buts lucratifs. Il permet de bénéficier de subventions publiques, de certains allègements de cotisations sociales et de redevances (SACEM), ainsi que de se porter partie civile pour les problèmes touchant des publications destinées à la jeunesse[24].
Cette institutionnalisation va conduire à ce que l'on a nommé la fonctionnalisation de l'E.P, qui va culminer dans le projet d'une animation socioculturelle.
Au même moment, l'affirmation d'une complémentarité avec l'Éducation nationale, celle-ci étant posée comme référence pédagogique, apparaît à certains[Qui ?] comme stérilisante.