Daniel Deronda | ||||||||
Couverture de l'édition originale de 1876. | ||||||||
Auteur | George Eliot | |||||||
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Pays | Angleterre | |||||||
Genre | Drame sentimental | |||||||
Version originale | ||||||||
Langue | Anglais | |||||||
Titre | Daniel Deronda | |||||||
Éditeur | William Blackwood & sons | |||||||
Lieu de parution | Édimbourg, Londres | |||||||
Date de parution | 1876 | |||||||
Version française | ||||||||
Traducteur | Ernest David | |||||||
Éditeur | C. Lévy | |||||||
Lieu de parution | Paris | |||||||
Date de parution | 1882[1] | |||||||
Chronologie | ||||||||
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Daniel Deronda est un roman de la femme de lettres anglaise George Eliot, paru en 1876. C'est le dernier roman qu'elle a terminé et le seul se déroulant à son époque, sous le règne de la reine Victoria. À la fois satire sociale et œuvre moraliste, ce livre présente sous un jour favorable un courant kabbaliste de la pensée juive à l'origine du sionisme, ce qui a pu prêter à controverse à propos de son auteure, par ailleurs considérée comme l'une des plus significatives de l'époque victorienne.
Le roman a fait l'objet de trois adaptations filmées, la première au cinéma muet, les deux autres pour la télévision. Il a aussi été adapté au théâtre, notamment dans les années 1960, par la 69 Theatre Company de Manchester avec Vanessa Redgrave dans le rôle de Gwendolen Harleth.
Daniel Deronda est composé de deux récits entrecroisés, unis par le personnage du titre. Deronda est élevé par un homme riche, Sir Hugo Mallinger, mais ses relations avec cet homme sont ambiguës. Deronda croit fermement être son fils illégitime, bien que Sir Hugo n'en ait jamais parlé. Il est séduit par la belle, arrogante et obstinée Gwendolen Harleth, dont la famille connaît un revers de fortune peu de temps après le début du roman. Afin de se protéger et d'éviter de devenir une pauvre gouvernante, Gwendolen épouse le riche mais cruel et dépravé Henleigh Grandcourt, trahissant la promesse qu'elle avait faite à la maîtresse de ce dernier, Lydia Glasher.
Deronda, au même moment, empêche une pauvre mais belle chanteuse juive, Mirah Lapidoth, de se suicider en sautant dans la Tamise. Mirah était arrivée à Londres sans un sou, après s'être enfuie de chez son père qui voulait la prostituer. Deronda dépose Mirah aux bons soins de la mère d'un ami, et part à la recherche de sa mère et de son frère, dont elle fut séparée par son père quand elle était enfant. Lors de ses recherches, Deronda est introduit dans la communauté juive de Londres. Eliot présente à ses lecteurs, le mode de vie des Juifs de façon positive, tandis que Mirah et Daniel se rapprochent sentimentalement. Le comportement vertueux de Mirah contraste avec celui égoïste de Gwendolen, quand Mirah rejette un mariage avantageux avec un ami chrétien de Daniel, et recherche du travail comme chanteuse afin de payer pour son entretien.
Un des personnages juifs que rencontre Daniel est un visionnaire tuberculeux, Mordecaï, dont la passion est que le peuple juif retrouve son identité nationale et soit un jour rétabli comme une nation. Comme il est mourant, il veut que Daniel devienne son héritier spirituel afin de poursuivre son rêve. En dépit de sa forte attirance pour Mordecaï, Deronda hésite de s'engager pour une cause qui ne semble pas être en relation avec sa propre identité. Le désir de Deronda d'embrasser la vision de Mordecaï se fortifie quand il découvre que Mordecaï est le frère de Mirah qu'il recherchait (La mère de Mirah est morte quand Mirah était à l'étranger).
Gwendolen, pendant ce temps est broyée émotionnellement par son cruel et manipulateur de mari, ainsi que par l'horreur qu'elle ressent, d'être responsable de l'exhérédation des enfants de Lydia Glasher par Grandcourt. Quand Henleigh Grandcourt se noie lors d'un voyage à l'étranger, Gwendolen est consumée de remords d'avoir souhaité sa mort et d'avoir hésité à l'aider, en opposition avec Deronda qui a sauvé Mirah dans une situation similaire. Gwendolen voit déjà son futur avec Deronda, mais lui, au contraire la pousse dans le chemin de la vertu où elle aidera les autres de façon à alléger ses propres souffrances.
Deronda est sur place pour donner des conseils à Gwendolen, car il s'est rendu en Italie pour rencontrer sa mère qui est malade et condamnée. Il apprend qu'il est réellement le fils légitime d'une fameuse chanteuse d'opéra dont Sir Hugo était tombé amoureux. Elle lui explique qu'elle est la fille d'un rabbin, forcée de se marier à un Juif religieux, malgré sa haine pour la piété trop rigide de ses racines juives traditionnelles. Daniel est le produit de cette union. À la mort de son mari, elle supplie le loyal Sir Hugo d'élever son enfant comme un « gentleman anglais », et de ne jamais lui dire qu'il est juif. En apprenant la vérité sur ses origines, Deronda avoue son amour à Mirah, et ils décident de se marier. Daniel s'engage à devenir un disciple de Mordecaï, et peu de temps après leur mariage, Mordecaï meurt avec Daniel et Mirah à son côté. Le couple nouvellement marié commence alors un voyage en Palestine pour étudier ce qu'ils peuvent faire pour redonner une nationalité au peuple juif
Gwendolen est déçue que Deronda ne lui soit pas accessible, mais fidèle à ses conseils, elle se résout à vivre de façon désintéressée. Elle lui envoie une lettre le jour de son mariage, lui disant de ne pas penser à elle tristement, mais en sachant qu'elle va devenir une meilleure personne à cause de lui.
Écrit à une époque où le sionisme chrétien (appelé alors Restaurationnisme) avait de nombreux partisans, le roman d'Eliot a eu une certaine influence sur le sionisme juif ultérieur : il est en effet cité par Henrietta Szold, Eliézer Ben Yehoudah et Emma Lazarus comme un facteur de poids dans leur décision de devenir sionistes[3].
Certains critiques modernes, notamment le critique palestinien Edward Said, considèrent le roman comme un outil de propagande pour encourager la Grande-Bretagne à la création en Palestine mandataire d'un état pour les Juifs. Le roman est explicite, en envoyant les non-chrétiens vers une terre non-chrétienne, et aussi en affirmant que l'on ne se marie qu'avec son semblable, et donc que Deronda ne peut se marier avec sa bien-aimée que parce qu'ils sont de la même race/religion/nation. Des critiques hostiles ont donc pu suggérer que le livre défend un point de vue fondamentalement raciste du mariage. Cependant le pianiste juif allemand Klesmer épouse l'anglaise Catherine Arrowpoint, suggérant que la position d'Eliot sur ce sujet est plus nuancée que ne l'indique ces critiques.
Lors de la publication du livre, la « partie juive » du roman est accueillie avec perplexité par les lecteurs non-juifs, qui forment la majorité des lecteurs d'Eliot. En effet, la description des Juifs dans les autres romans de l'époque, d'Oliver Twist de Dickens à The Way We Live Now (« La façon dont nous vivons maintenant ») d'Trollope, est fortement négative, et entretient les préjugés antisémites. Même la gouvernance de Disraeli, premier ministre britannique d'origine juive n'a pu modifier l'opinion des Britanniques sur les Juifs à cette époque, faite d'un mélange de dérision, de révulsion et de préjugés. La description de Juifs sympathiques, et la comparaison effectuée par Eliot entre le monde des Juifs et la société britannique provoquent une réaction hostile à cette partie du livre, dans laquelle s'inscrit la remarque de Leavis. Certains lecteurs proposent d'ailleurs à l'auteur d'épurer son livre de sa « partie juive, » en ne conservant que les sections se rapportant à Gwendolen et en retirant toutes références aux racines juives de Daniel.
Inversement, certaines traductions en hébreu, faites par des mouvements sionistes d'Europe de l'Est, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, mettent la « partie juive » en exergue, au détriment des autres sections, fortement abrégées, voire supprimées.
Aussi, la communauté juive contemporaine d'Eliot accueille chaleureusement Daniel Deronda[4], et a le sentiment d'avoir été, pour la première fois, représentée de façon honnête par un écrivain britannique important. Le personnage de Deronda inspirera même au grand dramaturge de langue yiddish et hébraïque, Abraham Goldfaden, la pièce de théâtre Ben Ami (« Fils de mon peuple »), écrite en 1907.
Deux histoires s'entremêlent dans Daniel Deronda, autour de deux mondes, la société anglaise bourgeoise à la mode et familière, ou évolue de Gwendolen Harleth, et le monde moins familier des Juifs d'Angleterre, société à l'intérieur de la société, où vivent Mordecaï (ou Ezra) Cohen et sa sœur, Mirah. L'un des thèmes majeurs du roman est de montrer que ces mondes ne se sont jamais complètement accordés : soit ils sont séparés, soit l'on doit quitter l'un pour pénétrer dans l'autre. Daniel vit entre ces deux mondes, et s'identifie graduellement au côté juif, au fur et à mesure qu'il prend connaissance du mystère de sa naissance, et développe des relations avec Mordecaï et Mirah.
Dans le roman, les qualités juives de spiritualité, de cohérence morale et de sens de la communauté contrastent favorablement avec la société anglaise, matérialiste, béotienne, et largement corrompue. Les valeurs morales des Juifs semblent manquer à la vaste société britannique qui les entoure.
Eliot a en effet désiré corriger au moyen de ce roman l'ignorance et les préjudices à l'encontre des Juifs. L'histoire de Mordecaï, que les passions de Gwendolen pourraient facilement éclipser, clôt néanmoins le roman.
Daniel a des principes, est secourable et sage. Afin de donner de la substance à son caractère, Eliot lui assigne un but louable. Dans l'esprit des Juifs de l'époque, le choix du sionisme comme but existentiel peut sembler étrange. Cependant, Eliot s'est intéressée à la culture juive au travers de ses relations avec Immanuel Oscar Menahem Deutsch, juif érudit juif, mystique et protosioniste. Les idées politiques et spirituelles de Mordecaï, essentielles pour le roman, sont en partie basées sur celles de Deutsch. Dans une scène clé, Deronda suit Mordecaï dans une taverne où ce dernier rencontre d'autres philosophes sans le sou, afin d'échanger des idées. Là, Mordecaï prononce un long discours dans lequel il donne sa vision d'un foyer pour les Juifs où ils eraient, espère-t-il, capables de prendre leur place parmi les nations du monde dans l'intérêt général.
L'écriture de Daniel Deronda coïncide avec la floraison de mouvements nationalistes parmi les intellectuels d'Europe. Leurs sentiments nationalistes mènent à de nombreux soulèvements, comme celui de 1848, passé dans l'histoire sous le nom de « Printemps des peuples. » Le roman se déroule à cette période charnière, où l'on perçoit les premiers signes du déclin de l'empire austro-hongrois, dont la bataille de Sadowa, en 1866, que l'empire perd contre la Prusse. Eliot relie donc délibérément les événements de son roman à des agitations historiques. Les mouvements d'unité nationale et d'autodétermination prennent de l'ampleur en Allemagne et en Italie, et sont perçus comme des forces progressistes contre les vieux régimes réactionnaires des empires austro-hongrois ou russe.
L'enthousiasme manifesté par Eliot pour la cause sioniste doit être compris dans ce contexte : elle voit en lui l'opportunité de corriger une injustice historique, à une époque où les éléments progressistes voient la libération nationale des peuples comme positive.
La tradition mystique juive, connue sous le nom de Kabbale a une importance considérable sur le roman. Elle est directement désignée dans le texte au chapitre 38 du roman[5]. Mordecaï se décrit comme la réincarnation des mystiques juifs d'Espagne et d'Europe, et croit que sa vision est l'accomplissement d'une aspiration ancienne du peuple juif. La plupart des discussions entre Mordecaï et Deronda sont décrites en termes quasi mystiques, par exemple quand Mordecaï rencontre Deronda sur la Tamise.
L'inclusion de ce mysticisme non dissimulé est surprenante dans l'œuvre d'un écrivain qui, pour beaucoup, incarne l'humanisme séculier et libéral de l'ère victorienne. En réalité, Eliot a nourri un intérêt pour la spiritualité et l'occultisme tout au long de sa vie, en dépit de son agnosticisme et de son rejet déclaré de la religion officielle[6]. La Kabbale n'est d'ailleurs pas la seule forme de spiritualité présente dans le roman : Lydia Glasher rencontre Gwendolen au milieu d'un arrangement de menhirs, et Gwendolen réagit à l'image d'un homme mourant.
De tous les romans de l'époque victorienne, le mysticisme inhérent de Daniel Deronda et son analyse de la croyance religieuse comme force de progrès pour la nature humaine, est celui qui rapproche le plus son auteur de l'œuvre de Dostoïevski.