Extra Ecclesiam nulla salus

Extra Ecclesiam nulla salus (Hors de l'Église il n'y a pas de salut ») est une expression latine de Cyprien de Carthage. La phrase exacte est Salus extra ecclesiam non est et se trouve dans ses lettres Epistula 4, 4 et Epistula 73, 21,2.

Ce principe se situe au centre de la sotériologie catholique et a été l'objet de nombreuses controverses. Pour certains, comme le jésuite américain Feeney, les fidèles des autres religions, ou encore les athées ne peuvent être sauvés, faute de la foi nécessaire au salut ; mais la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a rappelé la constante condamnation de cette opinion dans le magistère faisant valoir l'ignorance invincible et le primat de la Charité[1]. D'autres voudraient rejeter cette sentence au titre que ou bien toutes les traditions religieuses se valent, ou bien que la miséricorde divine ne permettrait pas que la liberté humaine puisse rejeter Dieu définitivement (par la possibilité de l'enfer). Ces interprétations ont aussi été écartées constamment par l'Église, comme lors du dernier Concile Œcuménique, Vatican II, dans la Constitution Lumen Gentium n°14 : le salut en Jésus ne s'opère pas sans le corps qu'il s'est formé, l'Église[2].

L'Église catholique se définit comme une communion eucharistique. L'expression « Hors de l'Église, point de salut » signifie que les sacrements permettent aux fidèles de participer à la vie de Dieu et que c'est Dieu qui donne le salut. Il s'applique différemment aux différentes situations spirituelles : "D'une acception pleine et totale de la notion d’Église (la plénitude catholique) à ses réalisations imparfaites, mais encore fondées sur le baptême sacramentel (communautés séparées) et à ses réalisations imparfaites n'incluant pas les institutions du Christ (religion juive, confessions monothéistes, religions hors du courant biblique, situations a-religieuses), c'est toujours par une appartenance - plus ou moins parfaite - à l’Église que l'on est sauvé."[3] Cet adage exprime la nature ecclésiale et communautaire du salut tel qu'il est pensé en théologie catholique.

Dans la Bible

[modifier | modifier le code]

La Lettre aux Hébreux rappelle que c'est la foi qui a fait la valeur des patriarches tels qu'Abraham, Moïse, ou même Rahab la prostituée : « sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu ; car, pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent » (Hb 11, 6)[4]. En effet, puisque le salut vient de Dieu et a été acquis définitivement en Jésus, il faut entrer dans son amitié confiante, par la foi, pour l'espérer. Ainsi, dans le chapitre 3 de l'Évangile selon Jean[5], lorsque Jésus s'adresse au pharisien Nicodème, il affirme : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu » (Jn 3, 17-18)[6].

Avant son Ascension au Ciel, Jésus ordonne donc à ses disciples d'offrir à tous les hommes le salut par le baptême, qui en donnant à la vie divine, intègre à l'Église : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20)[7]. Plus tard, l'apôtre Pierre rappellera qu'il n'y a pas d'autre moyen d'être uni à la vie éternelle de Dieu que Jésus, Dieu qui a pris la condition charnelle des hommes : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12)[8].

Chez les théologiens de l'antiquité

[modifier | modifier le code]

Cyprien de Carthage

[modifier | modifier le code]

La démarche de Cyprien de Carthage est de lier l'Église et le Christ. Pour lui, celui qui ne croit pas en l'Église ne peut croire au Christ, et ne peut donc être sauvé.

Cyprien « fait la distinction entre l'Église visible, hiérarchique, et l'Église invisible, mystique, mais il affirme avec force que l'Église est une seule, fondée sur Pierre. Il ne se lasse pas de répéter que celui qui abandonne la chaire de Pierre, sur laquelle l'Église est fondée, se donne l'illusion de rester dans l'Église » (L'unité de l'Église catholique, 4). Cyprien sait bien, et il l'a exprimé à travers des paroles puissantes, que, « en dehors de l'Église il n'y a pas de salut » (Lettre 4, 4 et 73, 21), et que « celui qui n'a pas l'Église comme mère ne peut pas avoir Dieu comme Père » (L'unité de l'Église catholique, 4). Une caractéristique incontournable de l'Église est l'unité, symbolisée par la tunique sans couture du Christ (ibid., 7) : une unité dont il dit qu'elle trouve son fondement en Pierre (ibid., 4) et sa parfaite réalisation dans l'Eucharistie (Lettre 63, 13). « Il n'y a qu'un seul Dieu, un seul Christ », admoneste Cyprien, « une seule est son Église, une seule foi, un seul peuple chrétien, liés en une solide unité par le ciment de la concorde: et on ne peut pas diviser ce qui est un par nature » (L'unité de l'Église catholique, 23). » [9]

Dans son Commentaire sur le Livre de Josué, Origène a des formulations similaires : « Que personne donc ne s’illusionne, que personne ne se trompe lui-même : hors de cette demeure, c’est-à-dire hors de l’Église, personne n’est sauvé (extra hanc domum, id est extra Ecclesiam, nemo salvatur) ; celui qui en sort est lui-même responsable de sa mort »[10]

Cette expression va avoir un grand succès au cours des âges, et sera reprise tout au long des siècles par les papes et les conciles pour indiquer que c'est seulement au sein de l'Église catholique que l'on peut trouver l'ensemble des « moyens du salut ».

« extra quam nec salus est, nec remissio peccatorum » (Hors de laquelle, il n'existe ni salut, ni rémission des péchés.)

« Elle croit qu'aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l'Église catholique (...) ne peuvent devenir participants à la vie éternelle (...) à moins qu'avant la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés »

Pie IX y indique que « ceux qui souffrent d'une ignorance invincible (...), mènent une vie honnête et droite (...), peuvent acquérir la vie éternelle avec l'aide de Dieu » car « sa bonté et sa clémence incommensurables ne permettent pas que quiconque n'ayant pas délibérément péché souffre un tourment éternel ». Il maintient par ailleurs que « En dehors de l'Église catholique, personne ne peut être sauvé » : le salut des honnêtes ignorants se fait grâce à la médiation de l'Église ; par ailleurs le salut ne peut être atteint par ceux qui s'opposent délibérément à son enseignement.

Lumen Gentium

[modifier | modifier le code]

La constitution Lumen Gentium indique :

« C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (Jn 21, 17), qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Mt 28, 18, etc.) et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. »

Certains[13] ont compris que l'Église du Christ pouvait exister ailleurs... C'est pourquoi le Vatican, dès 1985, puis en 2000 avec la déclaration Dominus Jesus et enfin en 2007 avec des responsa qaestiona de la Congrégation pour la doctrine de la foi ont précisé : Il faut comprendre que « Dans l'Église catholique seule est l'unique Église du Christ ».

Plus loin, La constitution Lumen gentium souligne pour les fidèles catholiques :

« Aussi ne pourraient-ils pas être sauvés, ceux qui, sans ignorer que Dieu, par Jésus-Christ, a établi l'Église catholique comme nécessaire, refuseraient cependant d'y entrer ou de demeurer en elle » [14].

et pour les chrétiens non catholiques :

« Ainsi, l’Esprit suscite en tous les disciples du Christ le désir et les initiatives qui tendent à l’union pacifique de tous, suivant la manière que le Christ a voulue, en un troupeau unique sous l’unique Pasteur [31]. À cette fin, l’Église notre Mère ne cesse de prier, d’espérer et d’agir, exhortant ses fils à se purifier et à se renouveler pour que, sur le visage de l’Église, le signe du Christ brille avec plus de clarté. »

et enfin pour les non-chrétiens :

« Enfin, pour ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile, sous des formes diverses, eux aussi sont ordonnés au Peuple de Dieu... »

Catéchisme de l'Église catholique

[modifier | modifier le code]

Le principe est commenté dans les numéros 846 à 848 du catéchisme de l'Église catholique[15].

« Comment faut-il entendre cette affirmation souvent répétée par les Pères de l'Église ? Formulée de façon positive, elle signifie que tout salut vient du christ Tête par l'Église qui est son Corps :

Appuyé sur la Sainte Écriture et sur la Tradition, le Concile enseigne que cette Église en marche sur la terre est nécessaire au salut. Seul en effet le Christ est médiateur et nécessaire au salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l'Église. et en nous enseignant expressément les nécessités de la foi et du baptême, c'est la nécessité de l'Église elle-même dans laquelle les hommes entrent par la porte du Baptême, qu'Il nous a confirmée en même temps. C'est pourquoi ceux qui refuseraient soit d'entrer dans l'Église catholique, soit d'y persévérer, alors qu'ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient être sauvés.

Cette affirmation ne vise pas ceux qui, sans qu'il y aille de leur faute, ignorent le Christ et son Église :

En effet, ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l'évangile du Christ et son Église, mais cherchent pourtant Dieu d'un cœur sincère et s'efforcent, sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel[16] ».
« L'Église sait que la question morale rejoint en profondeur tout homme, implique tous les hommes, même ceux qui ne connaissent ni le Christ et son Évangile, ni même Dieu. Elle sait que précisément sur le chemin de la vie morale la voie du salut est ouverte à tous, comme l'a clairement rappelé le Concile Vatican II » (Jean-Paul II, Veritatis Splendor).

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. « Archbishop Richard J. Cushing », sur www.ewtn.com (consulté le )
  2. « Lumen gentium », sur www.vatican.va (consulté le )
  3. Benoît-Dominique de la Soujeole o.p., Introduction au mystère de l'Eglise, Toulouse, Parole et Silence, , p.268
  4. « AELF — Lettre aux Hébreux — chapitre 11 », sur www.aelf.org (consulté le )
  5. chapitre 3 de l'évangile selon saint Jean
  6. « AELF — Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean — chapitre 3 », sur www.aelf.org (consulté le )
  7. « AELF — Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu — chapitre 28 », sur www.aelf.org (consulté le )
  8. « AELF — Livre des Actes des Apôtres — chapitre 4 », sur www.aelf.org (consulté le )
  9. Audience générale du pape Benoit XVI le 7 juin 2007
  10. Origène, Homélies sur le Livre de Josué, (Homeliae in librum Jesu nave), III, 5, Patrologie Grecque, t. XII, col. 841–842.
  11. Unam sanctam sur Wikisource
  12. (en) Texte de la condamnation, avec référence à l'encyclique Mystici Corporis Christi et à l'encyclique Quanto conficiamur moerore de Pie IX.
  13. comme le P.. Leonardo Boff dans son livre Église et charisme.
  14. Lumen Gentium §14.
  15. chapitre profession de foi, paragraphe 3, l'Église est une sainte, catholique et apostolique
  16. Lumen Gentium §16.

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • Commission théologique internationale, Le Christianisme et les religions, 1997, (lire en ligne)
  • Benoît-Dominique de La Soujeole o.p., Introduction au mystère de l'Église. Parole et silence, 2006.
  • Karl Rahner, Traité fondamental de la foi
  • Bernard Sesboüé s.j., « Hors de l’Église pas de salut » : Histoire d'une formule et problèmes d'interprétation, Desclée de Brouwer, 2004.
  • Bernard Sesboüé s.j., "Hors de l'Église, pas de salut." Études 401.7 (2004): 65-75. (lire en ligne)

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]