Nom de naissance | Joseph Paul Hubert Raphaël Aquin[1] |
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Naissance |
Montréal (Québec) |
Décès |
(à 47 ans) Montréal (Québec) |
Pays de résidence |
Canada France Suisse |
Activité principale | |
Formation | |
Distinctions | |
Conjoint |
Thérèse Larouche (marié en 1955 ; divorcé en 1975)[2] Andrée Yanacopoulo (conjointe de fait entre 1963 et 1977) |
Famille |
Langue d’écriture | Français |
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Genres | |
Adjectifs dérivés | Aquinien |
Œuvres principales
Hubert Aquin, né à Montréal le et mort dans la même ville le , est une figure intellectuelle majeure de la littérature et du mouvement indépendantiste québécois du XXe siècle.
Écrivain au style avant-gardiste et moderne, cinéaste et essayiste, Hubert Aquin se distingue par son roman Prochain épisode, œuvre emblématique de la littérature québécoise. Son engagement politique se manifeste à travers une contribution significative au mouvement indépendantiste, tant sur le plan militant qu'intellectuel. Dans ses essais, son indépendantisme s'inscrit dans la tendance du néonationalisme de la Révolution tranquille et s'inspire du mouvement mondial de la décolonisation. Sa trajectoire personnelle, marquée par une problématique psychologique complexe, s'est progressivement construite autour de tensions existentielles profondes, culminant par un acte ultime de rupture : son suicide dans les jardins du Collège Villa Maria en 1977.
Hubert Aquin naît le , au 4037 rue Saint-André, à Montréal. Sa famille est d'origine canadienne-française, mais aussi irlandaise par son arrière-grand-mère, Helen McCardon[1]. Il est le fils d'un commerçant d'articles de sport montréalais[3]. Il a eu trois fils : Philippe et Stéphane, avec son épouse Thérèse Larouche, et Emmanuel Aquin avec sa deuxième conjointe, Andrée Yanacopoulo. François Aquin, son cousin, est élu député libéral en 1966, avant de quitter le parti en 1967 et de s'afficher député indépendant, car en désaccord avec la désapprobation de son chef Jean Lesage face au Vive le Québec libre ! de De Gaulle. Hubert Aquin est aussi le frère de l'ingénieur Richard Aquin, avec qui il a tenté d'organiser un Grand Prix automobile à Montréal dans les années 1960[4].
Aquin entre au Collège Sainte-Marie, chez les Jésuites, en septembre 1946 et le quitte en juin 1948[5]. Il y obtient des résultats remarquables, selon Guylaine Massoutre. C'est là qu'il rencontre Louis-Georges Carrier, qui sera un grand ami d'Aquin toute sa vie. Il y joue également au théâtre, ce qui l'aide à combattre sa grande timidité d'enfance[6]. Il s'inscrit à la faculté de philosophie de l'Université de Montréal en septembre 1948, et en reçoit un diplôme en 1951, à 21 ans. Pendant son passage à cette université, il y dirige le journal étudiant Le Quartier latin. On lui offre alors un emploi d'enseignant à l'université, mais il le refuse, préférant alors se préparer à une carrière en journalisme[7]. Il part ensuite étudier à l'Institut d'études politiques de Paris de 1951 à 1954. Selon Aquin, chaque voyage en Europe est le moment d'un « choc émotif »[8], thème qui se retrouvera notamment dans Prochain épisode.
À son retour à Montréal en 1954, il est embauché comme réalisateur et scénariste pour Radio-Canada (de 1954 à 1959). Puis, de 1959 à 1963, il est réalisateur, producteur et scénariste à l'Office national du film (ONF)[3],[9]. Pour l'ONF, il travaille notamment sur le film À l'heure de la décolonisation[10], réalisé par Monique Fortier, qui amène Aquin à interviewer en 1962 des figures de la décolonisation telles qu'Albert Memmi (avec qui il tisse une amitié)[11], Messali Hadj, Octave Mannoni et Olympe Bhêly-Quenum[8]. La décolonisation constituera une influence majeure de ses écrits politiques. Ensuite, pendant le même séjour en Europe, il est reçu pendant trois jours par Georges Simenon[12], dont il était un grand lecteur[13]. Aquin tourne alors un film sur Simenon, qui ne verra jamais le jour.
Aquin travaille à la Bourse de Montréal de 1960 à 1964[14]. En 1966, d'après un scénario déjà écrit, Aquin rédige le script du film Faux bond, dans lequel il joue finalement le rôle principal, après une certaine hésitation. Les images du film serviront à illustrer plusieurs passages du documentaire de l'ONF Deux épisodes dans la vie d'Hubert Aquin de Jacques Godbout[15],[3]. En 1967, il commence à enseigner la littérature au Collège Sainte-Marie[16]. En 1969, c'est l'Université du Québec à Montréal (UQAM) qui l'embauche[17], mais il démissionne en 1970, se disant en désaccord avec la politique du recteur Léo A. Dorais[18]. L'Université Carleton d'Ottawa l'engage en 1974 comme professeur invité[19], mais ne renouvelle pas son contrat[20].
Aquin est nommé, en 1975, directeur littéraire des Éditions La Presse[21]. Il perd son poste en : il est congédié à la suite de la parution d'une lettre ouverte dénonçant les politiques culturelles des Éditions La Presse envers les œuvres québécoises[22],[23]. Il accuse alors son supérieur, Roger Lemelin, de « coloniser le Québec de l'intérieur »[14]. En 1976, Aquin retourne à l'UQAM pour une charge d'enseignement, mais n'y enseigne que pour un mois en raison d'une grève[24]. Après la victoire du Parti québécois en 1976, Aquin espère obtenir un poste au sein du gouvernement, tel que sous-ministre des Affaires culturelles, ce qui ne se concrétisera pas[25].
En 1958[26], Aquin découvre la course automobile, une passion qui le portera à œuvrer pour la tenue d'un Grand Prix automobile sur l'Île Sainte-Hélène[27]. Pour ce faire, il fonde en 1960 sa propre compagnie de courses automobiles, « Le Grand Prix de Montréal Inc. »[28]. Il inclut également la course automobile dans le film qu'il réalise en 1961, Le sport et les hommes[29] (auquel Roland Barthes collabore), et le roman Prochain épisode. Il rêve de devenir pilote, mais se considère alors trop vieux pour y penser sérieusement[26]. Un Grand Prix automobile semblable à celui imaginé par Aquin verra le jour à Montréal en 1978.
C'est à Radio-Canada qu'il rencontre sa future épouse, Thérèse Larouche, scripte de son ami Louis-Georges Carrier[30]. Il se marie avec elle en 1955. En 1963, il rencontre Andrée Yanacopoulo. Née à Tunis d'un père mi-sicilien, mi-grec, et d'une mère française, Yanacopoulo est diplômée de médecine et de sociologie. Elle prépare alors une thèse sur le suicide et dirige une recherche sur « La dépression chez les Canadiens français de Montréal », supervisée par Guy Rocher, sociologue, et Camille Laurin, psychiatre et futur ministre indépendantiste sous René Lévesque. Yanacopoulo sera la compagne d'Aquin jusqu'à sa mort[31]. Quant au couple de Thérèse Larouche et d'Hubert Aquin, il entame les procédures de divorce en 1966[32]. Les saisies sur les revenus d'Aquin qui suivent contribuent à ses ennuis financiers[33].
La Gendarmerie royale du Canada visite son bureau en 1958. Elle y confisque des ouvrages d'auteurs, tels que Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Karl Marx et Friedrich Engels. S'ensuit un procès secret à Ottawa, durant trois ou quatre jours. On l'interroge sur ses amitiés pendant ses années universitaires, vraisemblablement parce que l'on cherche à traquer les militants communistes. Selon Guylaine Massoutre, ces événements « précipitent sa conscientisation politique et font naître en lui l'adhésion à l'idéologie séparatiste »[34]. Devenu militant pour l'indépendance du Québec, il est membre exécutif du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) de 1960 à 1968[14]. En 1962, dans la revue Liberté, il publie son plus célèbre texte politique, La fatigue culturelle du Canada français, répondant à un article de Pierre Elliott Trudeau publié dans Cité libre au sujet de l'indépendance : La nouvelle trahison des clercs.
Le , il annonce publiquement dans une lettre aux journaux Le Devoir et Montréal-Matin qu'il prend « le maquis » et se fait « commandant de l'Organisation spéciale » dans le but de joindre ses forces à celles du Front de libération du Québec[3],[35],[36]. Il se réfugie alors chez Louis-Georges Carrier, puis chez Andrée Yanacopoulo[3]. Il rencontre le Dr Pierre Lefebvre, psychiatre et collaborateur à Parti pris[3], qui, le 26 juin, conclut à la nécessité d'un traitement immédiat pour cause de « dépression nerveuse ». Le 29 juin, un communiqué de presse annonce que l'Organisation spéciale passera à l'action le 1er juillet suivant[37]. Le 5 juillet, Aquin est arrêté par un policier en civil à bord d'une voiture volée, en possession d'un revolver, dans un stationnement derrière l'oratoire Saint-Joseph.
Lors de son incarcération, il déclare comme profession : « révolutionnaire ». Deux chefs d'accusation sont retenus contre lui : « vol et recel » et « possession d'arme offensive dans un dessein dangereux »[38]. Il est alors interné deux mois dans un hôpital psychiatrique, l'Institut Albert-Prévost, dans l'aile à sécurité maximum. C'est lors de ce séjour qu'il commence l'écriture de son roman, Prochain épisode[3], qui raconte l'histoire d'un révolutionnaire emprisonné. Le verdict du jugement, différé, arrive seulement en 1966. Aquin est alors acquitté à cause des témoignages contradictoires livrés sur sa santé mentale. Son pistolet est toutefois confisqué[39].
Autour de mai 1966, Aquin quitte le Québec pour vivre en Suisse. Il s'y intéresse à la « question jurassienne », et cherche à entrer en contact avec des autonomistes du Jura bernois[40]. Le 29 août, il est interrogé par la police du canton de Vaud quant à son appartenance au RIN, et son emprisonnement. On le soupçonne alors de collusion avec le Front de libération jurassien[33]. Le 19 novembre, au nom de la Police fédérale des étrangers, le canton de Vaud lui refuse un permis de séjour qui lui est nécessaire pour demeurer à Nyon. On lui signifie qu'il doit quitter la Suisse avant le 15 janvier 1967, sous le prétexte de « surpopulation étrangère »[41]. Aquin se déplace alors vers Paris, et y reste jusqu'au 21 mars 1967[40]. Il retourne ensuite à Montréal[42]. Au cours de l'année 1969, il dénonce la décision de dissoudre le RIN au profit du Mouvement Souveraineté-Association de René Lévesque, et quitte le parti[14].
En 1952, Aquin écrit Les Rédempteurs, œuvre qui demeurera inédite jusqu'en 1959[43]. Ses textes paraissent dans diverses revues, dès 1959, entre autres dans Parti pris, Le Magazine Maclean, Voix et images du pays, Écrits du Canada français et la revue littéraire Liberté, dont il est directeur de 1961[44] à 1962[45]. Prochain épisode[3], son roman le plus connu, est publié en 1965 à Montréal, puis en 1966 à Paris et traduit en anglais en 1967 à Toronto. Au Québec, il remporte un succès quant aux ventes et aux critiques. La première édition est épuisée en deux mois et demi, et, dans Le Devoir, le critique littéraire Jean Éthier-Blais termine son article au sujet du livre en s'exclamant : « Nous n'avons plus à chercher. Nous le tenons, notre grand écrivain. Mon Dieu, merci. »[46] À Paris, l'accueil critique est toutefois plus mitigé[47].
En 1969, il est le premier écrivain québécois à refuser le Prix littéraire du Gouverneur général qui lui est octroyé pour son roman Trou de mémoire, de 1968[14]. Aussi en 1969, il publie L'Antiphonaire qui, comme ses romans subséquents (et contrairement aux deux précédents), ne contient pas de référence politique explicite. En 1971, il publie Point de fuite. Cette année-là, il démissionne du comité de rédaction de Liberté parce que, dit-il, la revue aurait passé sous silence les événements de la crise d'Octobre 1970 pour ne pas perdre les subventions du Conseil des arts du Canada[14]. En 1974, Aquin publie Neige noire, une version moderne de Hamlet. À la fin de sa vie, il projette d'écrire Obombre, une œuvre qui demeurera inachevée. Son roman L'Invention de la mort, écrit aux entours de 1959 ou de 1960, est finalement publié à titre posthume en 1991[48].
Le suicide est une idée qui habite Aquin de longues années durant, et qu'il évoque souvent avec ses amis sous forme de plaisanteries[49]. Le 29 mars 1971, il fait une tentative de suicide manquée dans une chambre de l'hôtel Reine-Élizabeth en avalant des barbituriques. Il est hospitalisé au Sacré-Cœur jusqu'au 4 avril[50]. À l'hôtel, il s'était inscrit sous le nom de son personnage de L'Antiphonaire, J. W. Forrestier[51]. Le , il fait une nouvelle tentative de suicide, complétée cette fois, avec une arme à feu dans les jardins du collège Villa Maria à Montréal, en laissant à sa compagne Andrée Yanacopoulo une dernière note :
« Aujourd’hui, le 15 mars 1977, je n’ai plus aucune réserve en moi. Je me sens détruit. Je n’arrive pas à me reconstruire et je ne veux pas me reconstruire. C’est un choix. Je me sens paisible, mon acte est positif, c’est l’acte d’un vivant. N’oublie pas en plus que j’ai toujours su que c’est moi qui choisirais le moment, ma vie a atteint son terme. J’ai vécu intensément, c’en est fini. »
— Hubert Aquin[3]
Le roman d'Aquin Next Episode (la traduction anglaise de Prochain épisode de Sheila Fischman), a été choisi pour l'édition 2003 du concours Canada Reads de CBC Radio (l'équivalent anglais du Combat des livres de Radio-Canada), où il a été défendu par la journaliste Denise Bombardier. Il a été le titre gagnant, en raison du vote décisif du futur Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui faisait également partie du jury et qui a voté contre le livre qu'il défendait initialement, The Colony of Unrequited Dreams de Wayne Johnston[52]. Justin Trudeau est le fils de l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau (auteur du texte La nouvelle trahison des clercs, auquel La fatigue culturelle du Canada français d'Aquin répondait directement)[53]. Par la suite, l'ouvrage devient un succès de librairie au Canada anglais[54], près de quarante ans après sa sortie. Un ouvrage important en anglais sur Aquin est HA!: A Self-Murder Mystery (2003), par son ami[55] le réalisateur Gordon Sheppard[56].
Dans sa production essayistique, Aquin s'appuie sur des auteurs de la pensée dialectique, tels que Pierre Teilhard de Chardin[57] et Jean-Paul Sartre[58], et des penseurs de la décolonisation, comme Frantz Fanon[59], Aimé Césaire[60] et Léopold Sédar Senghor[61], pour analyser la condition nationale de « colonisés » des Québécois. Dans La fatigue culturelle du Canada français, il s'identifie aux maux du colonisé qu'il analyse:
« Je suis moi-même cet homme "typique", errant, exorbité, fatigué de mon identité atavique et condamné à elle. Combien de fois n'ai-je pas refusé la réalité immédiate qu'est ma propre culture? J'ai voulu l'expatriation globale et impunie, j'ai voulu être étranger à moi-même, j'ai déréalisé tout ce qui m'entoure et que je reconnais enfin. Aujourd'hui, j'incline à penser que notre existence culturelle peut être autre chose qu'un défi permanent et que la fatigue peut cesser. »
— Hubert Aquin[62]
L'aspect tragique et personnalisé de cette condition apparaîtra également dans les romans de l'auteur. En effet, dans le roman Prochain épisode, le destin du protagoniste se confond avec celle du peuple québécois, tenaillé par la « fatigue » d'être, analysée dans La fatigue culturelle du Canada français. Plus précisément, « l'individu seul est incapable de porter l’exigence de la libération d’un peuple ou d’une culture. Il se heurte à la limite de sa capacité révolutionnaire et avoue son impuissance politique. Il touche à la finitude de son action et des moyens dont il dispose. »[63] L'assimilation qui guette les Québécois trouve écho dans la tentation suicidaire du personnage principal. Aquin explicite ce rapport intime entre le narrateur et son peuple lorsqu'il écrit: « Je suis le symbole fracturé de la révolution du Québec, mais aussi son reflet désordonné et son incarnation suicidaire », et « Me suicider partout et sans relâche, c’est là ma mission »[63]. Sinon, en général, le style d'Aquin dans ses œuvres fictionnelles se distingue par son caractère avant-gardiste[64], moderne, transgressif et intertextuel[65] (par exemple : l'intertextualité entre son roman Neige noire et le récit de Hamlet de William Shakespeare).
Le pavillon Hubert-Aquin de l'Université du Québec à Montréal (construit de 1975 à 1979) est nommé en son honneur (posthume)[64].
Le fonds d'archives d'Hubert Aquin est conservé au centre d'archives de Montréal de Bibliothèque et Archives nationales du Québec[44].
L'écrivain et cinéaste québécois Jacques Godbout a réalisé en 1979 un documentaire sous le titre Deux épisodes dans la vie d'Hubert Aquin[3].
La rue Hubert-Aquin a été nommée en son honneur, en 1984, dans la ville de Québec[66].
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