Jacques Ferron est né à Louiseville en 1921[1], dans le comté de Maskinongé qui deviendra un des hauts lieux de sa géographie intime et littéraire. Après la mort de sa mère, il vit surtout en compagnie de femmes, auprès des Filles de Jésus du Jardin de l'Enfance de Trois-Rivières. Il fait son cours classique au collège Jean-de-Brébeuf où il apprécie l'enseignement du père Robert Bernier. Il se lie à Pierre Baillargeon, rencontre Pierre Laporte et Pierre Elliott Trudeau. À deux occasions, il sera expulsé de ce collège, dirigé par les Jésuites. « Moraliste précoce et précieux, timide, grand seigneur, aisément narquois », Ferron écrit déjà « admirablement bien », se rappelle Pierre Vadeboncœur[2]. Jacques Ferron a pratiqué tous les genres qui pouvaient servir son propos et son plaisir : théâtre, récits, historiettes, romans, soties, pamphlets, épîtres, etc.
À l'Université Laval, il devient médecin en 1945[6] : « Ce sera le médecin qui entretiendra l'écrivain. Je serai mon propre mécène[7]. » Enrôlé dans les Forces armées canadiennes, il reçoit sa formation militaire dans plusieurs bases du Canada. Finalement, il se retrouve au camp de Grande-Ligne, « partagé entre les prisonniers allemands et les Olds Vets qui les gardaient, neutre comme un bon Québécois[8]. »
À sa démobilisation, plutôt que d'exercer une carrière aisée à la ville, il s'installe pour deux ans à Rivière-Madeleine en Gaspésie[9],[10]. Là-bas, il côtoie la pauvreté et la souffrance, si bien que par deux fois il porte plainte contre un collègue de Gaspésie au collège de médecins[11]. En 1949, il s'établit près de Montréal, à Ville Jacques-Cartier (municipalité annexée à Longueuil depuis), où il est, encore une fois, consterné par la misère et les abus dans la hiérarchie du système de la santé[11].
À la Cité de Jacques-Cartier, la misère est sordide, l'assurance-médicale publique (RAMQ) n'existe pas encore, et le docteur Ferron soigne gratuitement les pauvres[12].
Bien que sa pratique se déroulera par la suite principalement en banlieue de Montréal, la Gaspésie occupe une place de choix au sein de son œuvre[11].
Son père étant organisateur de comté pour le Parti libéral, Jacques Ferron baigne tôt dans le milieu politique. Ses premiers écrits, publiés dans les années 1950, sont d'ailleurs dirigés contre le régime de Maurice Duplessis[13].
En 1958, il se présente comme candidat du Parti social-démocrate, qui deviendra le Nouveau Parti démocratique (NPD), à l'élection fédérale. Il forme ensuite le Parti Rhinocéros, en 1963, « voué à la raillerie de l’électoralisme et de l’infériorisation politique du Québec par Ottawa[14] » et « dont l'arme principale, la dérision, s'acharne à dénoncer le pouvoir de plus en plus dominateur du gouvernement central[13]». Éminence de la Grande Corne jusqu'à l'élection de 1979, leur devise est « De défaite en défaite jusqu'à la victoire[15] ». Entre-temps, en 1966, il est candidat à l'élection pour le Rassemblement pour l'Indépendance nationale (RIN)[13].
Pendant la crise d'Octobre 1970, Ferron se déclare « négociateur pour la cellule Chénier du FLQ[12] ». Il dira:
Eux aussi en période normale, ils étaient contre la violence. La violence leur répugnait. Mais ils avaient jugé bon de faire de l'action directe pour accélérer l'histoire. Une histoire stagnante. À tel point qu'on pouvait dire qu'au Canada français, il n'y avait pas d'histoire. Il a fallu relancer l'histoire. Il n'y a jamais eu de signature de paix depuis 1760. Il y a eu une trêve, mais l'état de guerre existe toujours. Ce sont des choses que Les Rose m'ont dit. Alors, il y a une trêve. Et si nous sommes un peuple pacifiste, c'est que cette paix est toujours menacée par la paix qui n'a pas été signée[16].
Entre les petites gens qui visitent le médecin et la vie publique de l'écrivain militant, une œuvre prend forme. Ses historiettes et ses lettres aux journaux se multiplient, mêlant politique, histoire et littérature. Ses premières historiettes sont, d'ailleurs, publiés dans la revue L'information médicale[15].
Les deux années qu'il passe en Gaspésie « le libère de la formation livresque acquise au collège Jean-de-Brébeuf et lui permet de renouer avec l'univers populaire[17] ». L'influence de ces années gaspésiennes le suit dans toute son œuvres narrative par la suite[17].
Les contes qui ont fait sa réputation sont écrits durant la période de réveil, de transition qui couvrent la fin des années 1950 (Contes du pays incertain), le milieu des années 1960 (Contes anglais) jusqu'au début des années 1970 (Contes inédits), et montrent bien que Ferron fut « le dernier d'une tradition orale, et le premier de la transcription écrite[18]. » L'un de ses premiers contes, « L'anneau », est refusé par l'imprimeur du Journal Le Jour en 1944[19]. Selon Donald Smith, ce que Ferron aime du conte, c'est « la pudeur, la malice, les symboles qui véhiculent les idées d'une façon énigmatique et ensorcelante. Pour lui, le conte s'inspire d'une langue universelle, celle de l'enfant surtout[20].»
Écriture prolifique, grandes œuvres, genres multiples, critiques favorables, prix littéraires, les années 1960 reconnaissent et consacrent l'écrivain. Mais entre l'auteur du Ciel de Québec et le futur négociateur et démystificateur de la crise d'Octobre québécoise, entre l'écrivain et l'homme public, fondateur et chef du Parti Rhinocéros, il y a une sorte de malentendu : « Ah ! vous nous faites rire, fait-il dire à ses lecteurs, et parce qu'ils riaient, j'ai eu droit à un laissez-passer d'humoriste. Je m'en suis beaucoup servi pour aller à ma guise[21]. »
En 1968, sa pièce Les Grands Soleils est mise en scène au Théâtre du Nouveau Monde. Cette représentation est importante car elle suscite, selon Michelle Lavoie, un regain d’intérêt pour Ferron. Plusieurs de ses œuvres se voient alors rééditées[22].
À partir de 1973, Ferron se consacre à un grand livre sur la folie, le Pas de Gamelin, jamais complété, d'où sortiront ses derniers livres et des « contes d'adieu ». On y retrouve la maîtrise du faiseur de contes et l'incertitude emblématique du mécréant: « Aurais-je vécu dans l'obsession d'un pays perdu? Alors, Seigneur, je te le dis: que le Diable m'emporte[23]. »
« Mythifié et légendaire de son vivant, Jacques Ferron a fouillé avec un instinct sûr et retors les mythologies connues et inconnues des provinces du Québec, ces lieux physiques comme la Gaspésie tout autant que ces lieux psychiques que sont les névroses des gens aux apparences ordinaires [...] [Il] écrits pour révéler les Québécois à eux-mêmes, en cautionnant les blessures et les folies de leur imaginaire, qu'il a cartographié avec une finesse parfois cynique, souvent voltairienne[24]. » Victor Lévy-Beaulieu écrira : « Jacques Ferron est le seul romancier qui ait tenté, tout au long d'une œuvre maintenant essentielle, de nous donner une mythologie. Son écriture d'ailleurs hésite toujours entre le mythe et le réel, entre l'imaginaire, le rêve québécois et le quotidien[24]. »
Jacques Ferron est reconnu pour aborder, dans ses oeuvres, les thèmes de l'aliénation, de la maladie mentale, de la mort et bien d'autres. Dans son conte « Le chien gris », l'auteur traite d'un autre sujet tabou : l'inceste. Victor-Lévy Beaulieu écrit, au sujet de ce conte : « Lisez Le chien gris et dites-moi si même Franz Kakfa est allé aussi loin dans l’au-delà de n’importe quelle représentation symbolique[25]. »
En 1973, Pierre Vallières écrit dans le journal Le Devoir que Ferron est « un visionnaire d'arrière-cuisine » parce qu'il consacre des historiettes à la Crise d'Octobre 1970[14]. La même année, Jacques Ferron publie Du fond de mon arrière-cuisine, dont le titre de l'ouvrage est dédié à Pierre Vallières à cause de sa critique[14]. Le dernier texte du recueil, « Les salicaires », est, selon Michel Lapierre, « [l']un des plus beaux passages de la littérature québécoise[14] » et, selon Pierre-Luc Landry, l'un des plus puissants du recueil[26]. Dans ce texte, « Ferron détaille de manière bouleversante le désespoir et l’accablement qui l’accompagnent au couchant de sa vie, et dont chacun de nous peut faire l’expérience un jour ou l’autre[27] ».
En 1994, le Service de réinsertion sociale de la Rive-Sud change de nom pour devenir la Maison Jacques-Ferron. Fondé en 1990, l'organisme a pour but « d’accueillir des personnes qui vivent d’importantes difficultés de santé mentale[29] ». La Maison Jacques-Ferron, installée à Longueuil depuis 1994, adopte le nom de l'écrivain, médecin de profession. L'organisme considère que « Tant dans son engagement dans la communauté, dans l’exercice de sa pratique et qu’à travers son œuvre littéraire, il a sans cesse réaffirmé l’importance de tenir compte de la singularité et de l’histoire propre à chacun dans le tracé de la destinée des personnes aux prises avec d’importantes difficultés en santé mentale[29].»
La ville de Longueuil rend hommage à l'écrivain en renommant sa bibliothèque municipale la Bibliothèque Jacques-Ferron[30]. On trouve également à Longueuil le Centre culturel Jacques-Ferron[31].
Le musée situé dans l'agglomération de Madeleine-Centre, à Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine, raconte, entre autres, l'histoire du médecin-écrivain, qui a pratiqué ses premières années de médecine dans la municipalité[32]. La maison où l'écrivain a habité, entre 1946 et 1948, est également source de fierté pour les Madeleinoriverains, qui en ont fait un attrait touristique[33].
Dans le parc de la Gaspésie se trouve le mont Jacques-Ferron, haut de 1036 mètres[34].
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réédition seule de Les Confitures de coings, Montréal, L'Hexagone, Typo no 49, 1990, 190 p. (ISBN289295052X)
Rosaire, précédé de L'exécution de Maski, Montréal, VLB éditeur, 1981, 197 p. ;
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