Fille d'une couturière et d'un sellier-carrossier, Suzy Delair est d'abord apprentie-modiste chez Suzanne Talbot, mais rêve de théâtre. Elle commence par faire de la figuration au cinéma et au théâtre pendant son adolescence, mais c'est au music-hall qu'elle connaît le succès sur la scène des Bouffes-Parisiens, à Bobino, à l'Européen, aux Folies-Belleville, dans le cabaret de Suzy Solidor, ainsi que dans des revues où se produisent Mistinguett et Marie Dubas[4].
Sa carrière est entachée par son attitude trouble sous l'Occupation. Elle « ne dissimulait pas ses sympathies pour les Allemands[7] », jusqu'à admirer l'ordre nazi[8]. Sous contrat avec la Continental, dirigée par Alfred Greven, elle fait partie le du groupe d'acteurs invités par les Allemands pour visiter les studios cinématographiques de l'UFA, en Allemagne et en Autriche (à Munich, Berlin et Vienne), aux côtés de René Dary, Junie Astor, Danielle Darrieux, Albert Préjean et Viviane Romance[9],[4],[10],[11]. À son retour, elle choque en embrassant chaleureusement Alfred Greven tout en se plaignant de ne pas avoir serré la main de Joseph Goebbels[12]. Lorsque l'historien Marc Ferro évoque, dans son livre Pétain (1987), le cinéma pendant cette période, il cite, parmi d'autres, le nom de Suzy Delair[13]. À la Libération, elle n'écope finalement que d'une suspension de trois mois infligée par les comités d'épuration[14].
Le , elle chante C'est si bon à l'Hôtel Negresco lors du premier Nice Jazz Festival. Louis Armstrong est présent et adore la chanson. Le , il enregistre la version américaine de la chanson (paroles anglaise de Jerry Seelen) à New York avec l'orchestre de Sy Oliver. À sa sortie, le disque connaît un succès mondial et la chanson est ensuite reprise par les plus grands chanteurs internationaux[15]. En 1948 également, elle tourne avec Bourvil dans Par la fenêtre de Gilles Grangier, film oublié aujourd'hui, mais où les deux partenaires font preuve d'une belle complicité.
En 1950-1951, elle tourne Atoll K, réalisé par Léo Joannon, avec pour partenaires Laurel et Hardy. C'est le dernier film tourné en commun par ce duo comique[4]. Pendant la saison 1953-1954, elle est à l'Européen, à Paris, dans l'opérette Mobilette, avec pour partenaires Mona Monick et les débutants Michel Roux, Roger Lanzac, et Lucien Lupi.
En 1960, dans Rocco et ses frères de Luchino Visconti, elle tient un rôle secondaire mais drôle et remarqué (Luisa, la patronne de la blanchisserie, qui succombe rapidement aux charmes de Simone Parondi / Renato Salvatori).
En 1973 sort le film Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury ; elle y tient le rôle de Germaine Pivert, dentiste épouse de Victor Pivert, incarné par Louis de Funès[4]. Le film se classe en tête du box-office cette année-là avec plus de 7 millions de spectateurs en salles.
En 1982, elle commente son parcours ainsi :
« On me fait trop rarement travailler. Sans doute me fait-on payer à la fois de ne pas appartenir à des chapelles, les aventures masculines auxquelles j'ai parfois sacrifié ma carrière, et surtout, mon refus de flirter quand il aurait fallu le faire[4]… »
Dans les faits, Suzy Delair n'ignorait pas que de nombreux réalisateurs et professionnels du cinéma ne lui pardonnaient pas sa vie privée et certaines de ses positions ainsi que son attitude sous l'Occupation, entre 1940 et 1944, ce qui l'empêchera de participer à de grands films, ou à des projets importants, après 1945. Pourtant, elle sera épargnée par le Conseil de la Résistance, en 1944, lors de l'épuration, avec seulement une suspension de trois mois de son métier de comédienne et, en 1947, elle sera complètement relaxée par la justice française.
Elle restera malgré tout très populaire en France, de l'après-guerre aux années 1960.
Le , l’Académie du disque lyrique, présidée par Pierre Bergé, lui remet l'Orphée d'or du meilleur enregistrement d’opérette ou d’opéra bouffe pour son disque De l'opérette à la chanson (Musidisc, 2003).
Le , un hommage lui est consacré à la Cinémathèque française à Paris[4], présenté par le journaliste Olivier Barrot, en présence de l'actrice et de ses amis Françoise Arnoul, Pierre Trabaud, et Jacqueline Willemetz, petite-fille d'Albert Willemetz. Organisée par Sylvain Briet et Les Amis de la Cinémathèque française, cette manifestation présente un cycle de ses films comprenant Quai des Orfèvres, Lady Paname, Pattes blanches, Gervaise, Le Couturier de ces dames, et le sketch Une couronne mortuaire extrait de Souvenirs perdus.
On peut citer aussi : Je reconnais mon rêve, C'est tout, Ma blonde, C'est un air populaire (paroles et musique de Michel Emer), Moi j'coûte cher (de Roger Lucchesi) et Moulin rouge (1966).
↑Mirande 2012: « Sans être mariés, ils vécurent ensemble durant plusieurs années. Lorsque Clouzot deviendra réalisateur, il lui donnera de nouveau le personnage de Mila-Malou dans L'assassin habite au 21 (1942). »
↑Mirande 2012: « Les images de ces actrices tout sourire à la fenêtre du compartiment passent toujours en boucle, entrées dans l'histoire grâce au film d'André Halimi, Chantons sous l'Occupation (1976). »
↑Marc Ferro, Pétain, Paris, Fayard, (réimpr. 2008), 789 p. (ISBN978-2-213-01833-1), « chap. II : Le grand jeu – Double jeu ou collaboration ? – Pour le cinéma aussi, ce fut le bon temps… », p. 173 : « Désormais les chanteurs et les comédiens partent en Allemagne se faire applaudir […]. On voit encore sur les photographies de l'époque leurs visages radieux […]. »
Le Cinéma sous l'Occupation – Le monde du cinéma français de 1940 à 1946, Paris, Olivier Orban, 464 p., 1989 (ISBN978-2855654911) ; rééd, Le Cinéma français sous l'Occupation, Paris, Perrin, 2002 (ISBN978-2262019341).
José-Louis Bocquet, en collaboration avec Marc Godin, Henri-Georges Clouzot cinéaste, Sèvres, La Sirène, 1993 ; réédité en 2011 sous le titre Clouzot cinéaste, Paris, La Table ronde.
Almanach du cinéma : édition du centenaire, sous la direction de Philippe d'Hugues, Paris, Encyclopædia Universalis, 1995.
René Chateau, Le Cinéma français sous l'Occupation : 1940-1944, Courbevoie, Éditions René Chateau, 1996.
Pierre Darmon, Le Monde du cinéma sous l'Occupation, Paris, Stock, coll. « Essais Documents », , 388 p. (ISBN978-2234047228).
Olivier Barrot et Raymond Chirat, Noir & blanc : 250 acteurs du cinéma français, 1930-1960, Paris, Flammarion, 2000 ; réédité en 2010 sous le titre Ciné-club : portraits, carrières et destins de 250 acteurs du cinéma français, 1930-1960.