Un silence de mort | ||||||||
Épisode de Buffy contre les vampires | ||||||||
Titre original | Hush | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Numéro d'épisode | Saison 4 Épisode 10 | |||||||
Réalisation | Joss Whedon | |||||||
Scénario | Joss Whedon | |||||||
Diffusion | États-Unis : sur The WB | |||||||
Chronologie | ||||||||
| ||||||||
Liste des épisodes | ||||||||
modifier |
Un silence de mort (en version originale : Hush) est le 10e épisode de la saison 4 de la série télévisée Buffy contre les vampires. Il a été écrit et réalisé par le créateur de la série Joss Whedon, qui voulait à la fois subvertir le conte de fée et évoquer les limites de la communication. En effet, une de ses particularités est l'absence de dialogue entre les personnages pendant les deux tiers du récit : la bande-son est réduite à la seule musique. Cet épisode se distingue aussi par des rebondissements narratifs dont des conséquences sont importantes pour l'ensemble de la saison et de la série. Il s'agit du seul épisode de la série à avoir été nommé pour un Emmy Award récompensant la réalisation. Whedon lui-même a reçu une nomination pour un Award dans la catégorie du meilleur scénariste d'une série dramatique.
Dans cet épisode, les Gentlemen, de nouveaux démons, arrivent à Sunnydale pour y accomplir un rituel qui nécessite de prélever des cœurs humains. Pour agir sans rencontrer de résistance, les Gentlemen privent les habitants de Sunnydale de leur capacité à parler. En plus de ce danger, les héros sont pris par leurs problèmes sentimentaux : Buffy et Riley éprouvent de plus en plus de difficultés à se dissimuler mutuellement leur identité secrète, Alex et Anya se disputent pour savoir s'ils forment un couple et Willow cherche à se remettre de sa rupture avec Oz tout en faisant la rencontre de Tara Maclay dans un cercle de sorcières.
L'épisode commence par ce qui ressemble à un cours du professeur de sociologie Maggie Walsh sur la communication et sur ses rapports avec la parole. L'enseignante propose un exercice pratique et demande à Buffy de s'allonger sur la table. Riley la rejoint, l'embrasse devant les étudiants. La lumière s'éteint, la salle se vide. Le baiser est interrompu par une comptine chantée par une petite fille qui tient une boîte. Sa chanson évoque les Gentlemen, indique qu'ils ont besoin de « sept » choses sans préciser lesquelles et mentionne le mutisme des personnes visées par ces démons. Buffy observe la petite fille, une main s'appuie sur son épaule, en apparence celle de Riley. La Tueuse se retourne et apparaît le visage d'un Gentleman. Buffy se réveille, à la fin du cours.
À la sortie, elle entame une discussion avec Riley. Elle ignore qu'il appartient au groupe militaire chargé de traquer les démons, l'Initiative ; lui ne sait pas qu'elle est la Tueuse. Ils s'interrogent, et se mentent réciproquement, sur leur activité du soir, tous deux devant patrouiller pour détruire ou capturer des démons. Alors que Riley s'apprête à embrasser Buffy, cette dernière s'étonne que le jeune homme ait des copies à corriger le soir même alors que les étudiants n'ont rendu aucun devoir. Cela coupe Riley dans son élan et il doit inventer un nouveau mensonge. Les deux jeunes gens se séparent sans s'être embrassés. Dépitée, Buffy répète une phrase que Riley a prononcée dans son rêve : « la fortune sourit aux audacieux ». Le générique démarre.
Les séquences qui suivent immédiatement le générique montrent à chaque fois la parole comme « instrument de disputes, de mensonges, de discours creux ou de faux-semblants[1] » : dispute entre Giles et Spike, son invité forcé, vampire qui s'est échappé de l'Initiative ; entre Anya et Alex sur l'état de leur relation ; paroles vaines des meneuses du cercle de sorcières auquel Willow participe, et où elle fait la connaissance de Tara, timide jeune femme qui n'ose s'exprimer devant tout le monde ; discussion de potaches entre Riley et Forrest sur Buffy ; moquerie de Spike à l'égard d'Alex. Le soir venu, alors que Giles cherche à se renseigner sur le rêve de Buffy et les Gentlemen, son amie Olivia arrive, et Giles cesse ses recherches.
Pendant cette nuit, dans le clocher d'une église, derrière l'horloge, les Gentlemen accomplissent un rituel qui prive les habitants de Sunnydale de toute parole. À partir de cette scène, et jusqu'aux cinq dernières minutes de l'épisode, plus aucune voix humaine ne se fait entendre. On n'entend que la bande-son, la voix d'un journaliste télévisé, et celle, synthétique, du système de surveillance de l'Initiative.
Les héros se rendent compte de leur situation en réagissant de façon diverse. L'Initiative se mobilise, le Scooby-gang se rassemble. Giles cherche à faire le point sur les Gentlemen. Il les présente à Buffy et ses amis, et indique que le seul moyen de les tuer est le cri d'une princesse. Mais les héros ne savent pas comment retrouver la voix.
La nuit venue, Buffy et Riley, qui ignorent tout de leur identité respective, patrouillent chacun de leur côté. Leur parcours les amène dans l'antre des Gentlemen, le clocher désaffecté d'une église. Parallèlement, Tara a fait des recherches de sorts pour briser l'enchantement, et sort sur le campus chercher des alliées sorcières. Poursuivie par les Gentlemen, elle trouve assistance auprès de Willow. Ensemble, elles réussissent à se protéger en barricadant une porte grâce à un distributeur de boissons qu'elles poussent, ensemble, par télékinésie. Alex, de son côté, frappe violemment Spike : il croit à tort qu'il a mordu Anya. Il révèle ainsi son amour pour elle. Buffy et Riley se découvrent sous leur identité secrète. Ils combattent les Gentlemen, Riley ouvre la boîte qui contient les voix des habitants de Sunnydale. Buffy peut crier et détruire les Gentlemen.
À la fin de l'épisode, on assiste à une discussion entre Willow et Tara, la séparation de Giles et d'Olivia, qui ne peut assumer les dangers de la vie de son amant. Riley entre dans la chambre de Buffy, lui indiquant : « il faut qu'on parle ». L'épisode se termine alors qu'ils sont assis, face à face, sans pouvoir dire un mot.
Selon le créateur de la série Joss Whedon, l'idée d'un épisode silencieux, qu'il avait depuis longtemps, l'obsédait de plus en plus au fur et à mesure que la série avançait. Cette idée répondait à un besoin de sortir de la routine, d'éviter que la télévision soit « une radio avec des visages »[2]. Cela est confirmé par James Marsters, l'acteur interprétant Spike, selon qui Whedon aime à se « faire peur » : après avoir entendu ses fans lui répéter que la série était « géniale » notamment à cause des dialogues, il se serait lancé le défi d'un épisode sans paroles[3].
L'épisode se nourrit de nombreuses œuvres littéraires, cinématographiques ou télévisuelles. Les contes de fées y jouent un rôle essentiel, ainsi que l'univers des terreurs enfantines qu'illustre la séquence du rêve pré-générique[2]. Joss Whedon évoque aussi Les Griffes de la nuit de Wes Craven comme source d'inspiration de cette scène et de la comptine chantée par la petite fille[2], ainsi que Le Silence des agneaux pour la scène où le personnage de Tara frappe à la porte d'une chambre, qu'on croit, par un montage parallèle, être celle de Willow, de même que l'on pense que le FBI du film de Jonathan Demme encercle la maison du serial killer. Il cite encore John Woo pour caractériser la scène où Buffy et Riley se visent mutuellement lors du combat final[2]. Il évoque enfin Woody Allen pour l'utilisation du plan-séquence dans la scène, encore parlante, au sein de l'Initiative. Il avait déjà fait référence au réalisateur et à cette technique à propos de l'épisode Innocence.
L'épisode est traversé de références à la culture populaire : à Superman, quand Forrest évoque Clark Kent et les problèmes posés par une identité secrète, ou aux Pink Floyd mentionnés par Giles[4].
Whedon explique par ailleurs avoir toujours été désireux de faire de Buffy un véritable travail visuel[2]. Le silence imposé aux acteurs et actrices leur permet dès lors d'exprimer autrement les émotions de leurs personnages. C'est notamment le travail de mime des acteurs qui jouent les Gentlemen que les auteurs de la série soulignent. Douglas Petrie, scénariste et producteur exécutif, indique ainsi que le plus grand effet spécial qui assure à ces démons leur pouvoir de terreur sur les spectateurs reste leur sourire[3]. Whedon souligne la qualité du jeu des acteurs comme composante essentielle de la réussite de l'épisode[2].
Un silence de mort renvoie à plusieurs reprises à des épisodes précédents, ce qui assure la continuité de la narration[5]. Willow se plaint de l'insuffisance de ses pouvoirs, elle voudrait faire flotter quelque chose de plus grand qu'un crayon. On la voit effectivement faire bouger un crayon dans Les Deux Visages et La Boîte de Gavrock. La sorcière évoque aussi les dérèglements de ses sortilèges qui mettent ses amis en danger, allusion à l'épisode précédent, Le Mariage de Buffy. Le groupe Wicca auquel elle participe fait l'objet de son enthousiasme dans Cœur de loup-garou.
Le personnage d'Olivia est apparu pour la première fois dans Disparitions sur le campus. Buffy la découvre chez Giles, portant pour seul habit un tee-shirt de l'Observateur qui la présente comme une « vieille amie ».
Les sources d'inspiration à l'origine des Gentlemen sont multiples. Selon le scénariste et producteur Douglas Petrie, les Gentlemen sont directement inspirés des frères Grimm[3]. Les contributeurs du livre dirigé par Martin Winckler, Les Miroirs Obscurs, évoquent le film muet de Murnau Nosferatu le vampire[1]. Joss Whedon évoque « tout ce qui fait peur » : Nosferatu, Pinhead, l'univers de Tim Burton ou encore monsieur Burns, le capitaliste stéréotypé des Simpson[2].
Le créateur de Buffy indique par ailleurs que la scène où les Gentlemen arrachent le cœur d'un étudiant est directement liée à un de ses rêves d'enfance, ce qui explique le point de vue utilisé. Pour cette scène, Whedon a dû imposer à la production la contre-plongée, seul moyen pour respecter le point de vue de son rêve. Cela supposait d'avoir un plafond dans le décor, chose très rare dans la production d'une série télévisée[2].
D'une façon plus générale, les scènes avec ces démons représentaient un défi technique. Selon Loni Peristere, responsable des effets spéciaux[3], les scènes de déplacement des Gentlemen étaient particulièrement difficiles, car il n'était pas possible d'utiliser les images de synthèse. Whedon explique plus en détail le dispositif[2]. Dans les scènes où les Gentlemen se déplacent, ceux-ci sont en fait des marionnettes sur des plates-formes suspendues à une grue énorme, ou, pour d'autres plans, les acteurs/mimes sur un chariot que l'on tire sur des rails. L'équipe technique a dû effacer image par image les plateformes, la remorque et les chariots. L'objectif était de les rendre glissants, surélevés. Cette idée a par ailleurs contraint Whedon à adapter le décor. Il tenait par exemple à ce que le parcours des Gentlemen dans la ville, à la vingt-cinquième minute, permette de voir l'ensemble des décors, et non une seule rue. Il a donc fallu faire traverser les acteurs sur un chariot sur l'ensemble du plateau.
Rhonda Wilcox voit dans les Gentlemen une représentation du patriarcat[6] : c'est un groupe d'êtres identiques, une classe, d'hommes blancs, flottants au-dessus du sol et donc des autres[7], ayant des serviteurs, décrits par Whedon comme victoriens dans leurs manières et leurs vêtements. Ils sont représentés « regardant à travers des fenêtres, toquant aux portes ». Ils entrent là où ils ne sont pas invités, pénètrent la chambre de leur première victime de son point de vue : leurs actions sont équivalentes à un viol[8].
Pour Kelly Kromer, les Gentlemen peuvent faire l'objet d'une interprétation psychanalytique[9]. Leur apparition inexpliquée, leurs origines (Giles les décrit comme des monstres de contes de fées), leur démarche : tout en fait des êtres cauchemardesques, un concentré des peurs enfantines. Parmi celles-ci, Kromer cite la peur du monde adulte, de la vieillesse, de la médecine (les Gentlemen utilisent un scalpel). Leur aspect victorien, combiné à leurs dents métalliques peuvent aussi faire d'eux la représentation des peurs de l'industrialisation. C'est enfin, comme pour Wilcox, le symbole de la peur de la pénétration et du rapport sexuel forcé.
De nombreuses statuettes[10], figurines[11],[12] et même personnages type lego[13] à l'image des Gentlemen ont été éditées, principalement à l'attention du marché des collectionneurs.
La contrainte formelle de l'épisode, l'absence de parole humaine pendant près des deux tiers de sa durée, est présentée par Whedon comme un défi pour lui-même, mais aussi pour les acteurs[2]. Dans le commentaire audio de l'épisode, il évoque ainsi à plusieurs reprises le jeu de Sarah Michelle Gellar et d'Alyson Hannigan. À propos du jeu de cette dernière dans la scène de présentation des Gentlemen par Giles, Whedon estime qu'elle aurait pu faire une grande actrice du muet. La référence au muet ne s'arrête pas là : les Gentlemen eux-mêmes (voir ci-dessus) sont directement inspirés du Nosferatu de Murnau, et les acteurs qui les jouent sont des mimes.
Cette contrainte formelle oblige donc les acteurs à de nouveaux défis. Elle permet aussi des variations sur des scènes archétypales comme celle de la présentation par Giles du problème et de sa solution[2], ou celle du premier baiser « réel » entre Buffy et Riley, qui, selon Whedon, aurait pu paraître ridicule avec des dialogues. Pourtant, ici, « dans un élan fougueux [Riley et Buffy] peuvent s'embrasser pour la première fois, sans s'embarrasser de commentaires. »[1]
Comme le soulignent les contributeurs des Miroirs Obscurs[1], la contrainte de l'épisode n'est pas que formelle, elle est au service de l'intensité narrative. Contraints au silence, les personnages doivent s'exprimer autrement, bouleversant les relations habituelles, accélérant les intrigues liées à leurs relations. L'épisode s'inscrit donc dans l'économie de la saison comme une véritable charnière. Buffy et Riley s'embrassent pour la première fois, d'abord en rêve, puis « réellement » ; ils découvrent leur identité secrète mutuelle, ce qui amène par la suite la Tueuse à se rapprocher de l'Initiative et de Maggie Walsh ; Alex révèle pour la première fois ses sentiments envers Anya, au-delà de l'attirance physique.
Enfin, l'épisode est le premier dans lequel le personnage de Tara apparaît. Elle y joue un rôle essentiel dans la lutte contre les Gentlemen. Sa rencontre avec Willow annonce leur relation amoureuse. Whedon affirme qu'au moment de tourner la scène où elles font bouger ensemble le distributeur de boissons pour verrouiller la porte et se protéger des démons, l'équipe artistique ne savait pas encore quel serait l'avenir de la relation. Le réalisateur voulait simplement une scène « belle, très physique, profonde ». Pourtant, dans le même commentaire audio, Whedon semble se contredire et affirme à propos de cette même scène qu'elle représente « la définition de l'amour » : arriver à faire à deux ce qu'on ne peut pas faire seul[2].
Joss Whedon classe l'épisode au 3e rang de sa liste de ses dix épisodes favoris[14]. Lors d'un sondage organisé en 2012 par la chaîne Syfy, les téléspectateurs l'ont classé à la 2e place des meilleurs épisodes de la série[15]. Daniel Erenberg, du site Slayage, le classe à la 3e place des meilleurs épisodes de la série, car c'est celui qui l'a le plus effrayé et qu'il nous mène parfaitement là où il veut en venir : « les gens parlent sans cesse sans réellement communiquer »[16]. Jonathan V. Last, écrivant pour The Weekly Standard, le classe à la 4e place des meilleurs épisodes de la série, affirmant que c'est « l'épisode le plus effrayant de la série » ainsi qu'une « réinvention du film muet »[17]. Carley Tauchert, du site Den of Geek, le classe à la première place des meilleurs épisodes de la série, évoquant une « étape importante de la télévision moderne »[18]. Samuel Roberts, du magazine SciFiNow, le classe à la 3e place des meilleurs épisodes de la série, soulignant que « 25 minutes sans aucun dialogue, reposant seulement sur des interprétations astucieuses et une narration visuelle » relève du « génie »[19]. La rédaction d'Entertainment Weekly le classe à la 3e place des meilleurs épisodes des séries de Whedon, avec en commentaire : « Whedon utilise ce qui n'aurait pu être qu'un truc (un épisode presque entièrement muet) pour explorer la façon dont nous communiquons »[20].
En 2000, Joss Whedon a été nommé comme meilleur scénariste pour une série dramatique (en anglais : Outstanding Writing in a Drama Series) aux Emmy Awards. Un Silence de mort lui-même a été nommé la même année dans la catégorie (en anglais : Outstanding Cinematography for a Single-Caméra Series)[21]. C'est le seul épisode de Buffy à avoir obtenu une nomination dans une catégorie liée à la réalisation ou à l'écriture[22],[23], le fantastique étant encore à l'époque « snobé » par les récompenses. La série a par contre été régulièrement nommée pour le maquillage, la coiffure, la musique ou les effets spéciaux et a reçu des Awards en 1998, au titre de la meilleure composition musicale (de Christophe Beck) et du meilleur maquillage[24].
Comme voulu par Joss Whedon et analysé par Sarah Skwire[25], l'épisode reprend la structure narrative des contes de fées. Giles est le vieux sage délivrant son savoir lorsqu'il présente les Gentlemen, Buffy est la princesse et, « une fois qu'elle embrasse pour la première fois Riley, son héros, les monstres sont vaincus, le monde est temporairement sauvé et le couple hétérosexuel finit ensemble »[26]. De même, selon Whedon[2], les personnages de Tara et d'Olivia sont introduits pour représenter des personnes moins expérimentées que les héros du Scooby-gang, des personnes qui auraient été aussi effrayées que des enfants face à un conte de fées horrifique. Selon Whedon, le personnage de Tara, qui, à la trentième minute, sort sur le campus ses livres de sorcellerie à la main est une « petite fille qui s'enfonce la nuit dans la forêt »[2].
Toutefois, de nombreux éléments viennent subvertir cette structure : au lieu d'être emprisonnée dans sa tour comme toute bonne princesse, Buffy y entre en fracassant les fenêtres et se bat au lieu d'attendre d'être sauvée[27]. La scène de présentation par Giles est exemplaire de cette subversion[2]. Le « vieux sage » délivre son savoir avec des transparents projetés au mur, comme un professeur, et l'on retrouve les figures classiques du conte, princesse et monstres. Mais les images qu'il utilise sont ses propres dessins, aussi réalistes que des dessins d'enfants, et se transforment en images « gore ». Il tient à mettre une musique d'ambiance. Enfin, son exposé de « vieux sage » est interrompu par les remarques de son public, dont certaines tranchent avec la solennité du moment. En mimant qu'elle entend exterminer les Gentlemen avec un pieu, Buffy laisse croire à un acte masturbatoire, passage pour lequel Whedon affirme ne pas comprendre pourquoi il n'a pas été censuré[2]. Plus tard, la Tueuse lève le doigt pour « demander la parole », répétant un geste habituel dans un cadre de parole collective, ou se plaint que Giles lui ait dessiné les hanches trop grosses[note 1]. Le mélange des genres dans cette scène « classique » de présentation contribue ainsi à la subversion du conte.
Une première lecture consiste à suivre l'interprétation donnée par Whedon lui-même : « quand vous vous arrêtez de parler, vous commencez à communiquer[2] ». L'épisode met en effet en avant les limites de la communication par la parole, notamment dans le premier acte, encore parlé. Le créateur de la série[2] met lui-même ces scènes en avant, qui sont analysées en ce sens par Kromer[9] ou Shade[28]. Le groupe de Wicca de Willow ne fait « que parler » de choses sans importance, Buffy « doit mentir à Riley dès qu'elle lui parle », Alex est incapable de parler de ses sentiments à Anya, Giles est épuisé par les disputes incessantes de celle-ci et les remarques de Spike. Dans ces scènes, la parole est associée au mensonge, aux discours vains, à l'hypocrisie ou à la lâcheté[28].
Inversement, c'est dans le silence que les personnages communiquent le mieux : Buffy et Riley s'embrassent pour la première fois ; alors qu'Alex n'arrive pas à exprimer ses sentiments à Anya par sa parole, il lui prouve en actes en frappant Spike ; entre Willow et Tara, la scène est moins humoristique mais beaucoup plus forte : sans se parler, elles joignent les mains et parviennent grâce à cela à synchroniser leurs pouvoirs et à pousser un distributeur de boissons par télékinésie.
Selon Whedon, la scène finale ne pouvait être que celle-ci : la parole est revenue, la communication redevient impossible. Riley dit « Il faut qu'on parle », mais la gêne l'emporte. On est loin de l'embrassade passionnée que le silence avait permise[2].
Shade estime cependant que la présentation de la communication est plus complexe que ce que Whedon veut bien mettre en avant dans son commentaire[28]. En effet, Un silence de mort ne se contente pas de mettre en scène les vices de la parole et les vertus de la communication non verbale. Certains passages témoignent des limites de cette dernière, le plus souvent de façon humoristique. Ainsi, quand il découvre qu'il est muet, Alex accuse immédiatement son « invité », Spike. Celui-ci le gratifie d'un geste de la main, en levant deux doigts : c'est le « doigt d'honneur » britannique, dont Alex ne mesure pas la portée insultante. Selon Shade, cette scène montre que la communication non verbale est autant tributaire des différences culturelles et nationales que la communication verbale[28]. Un peu plus tard, le Scooby Gang mésinterprète le geste de Buffy, qui mime le maniement d'un pieu, et qui semble se masturber[28]. Enfin, quand, dans le combat final, Buffy demande à Riley de détruire la boîte qui contient les voix des êtres humains, Riley se trompe d'objet[28],[29],[note 2].
Les premières séquences muettes sont l'occasion pour Whedon d'analyser la variété des réactions de la société face à un drame[2]. L'horreur s'ancre dans la banalité quotidienne (la scène qui suit le rituel des Gentlemen nous montre Buffy au réveil, échevelée, qui se dirige vers la salle de bain commune). La diversité des réactions permet à Whedon de mélanger les registres. Il crée ainsi, en plein drame, des effets comiques grâce à la réaction de Willow, qui croit être devenue sourde quand elle n'entend plus Buffy, ou celle d'Alex, qui, après s'en être pris à Spike qu'il tient pour responsable, téléphone par réflexe à Buffy, sous le regard désabusé du vampire. La réaction professionnelle de Riley et Forrest ne les empêche pas de commettre une erreur qui aurait pu leur être fatale[note 3]. Avec cette dernière scène, Whedon tient à montrer que la panique peut faire faire n'importe quoi, même aux personnes les mieux préparées[2].
Une autre réaction face au drame est l'indifférence, le repli sur soi. Elle est illustrée dans l'épisode par la scène où Tara, poursuivie par les Gentlemen, frappe aux portes des étudiants sans obtenir l'aide indispensable. Cette thématique est selon Whedon « très importante ».
Dans la partie muette, seuls le système vocal de l'Initiative et le présentateur télé parlent. Pour Whedon, ce dernier est un peu « comme une machine[2] ». Ce n'est pas la première fois que la série s'offre l'occasion de critiquer la télévision[note 4].
Selon Shade[28], les Gentlemen effraient aussi parce qu'ils remettent en cause nos modes de fonctionnement habituels en société en privant les humains de la parole. Whedon reconnait s'être donné du mal pour que la vie en commun soit un enjeu majeur d'Un silence de mort : cadrage large, plans-séquences qui traversent les plateaux, comme dans la scène où Buffy et Willow parcourent une rue en se rendant chez Giles[2]. On peut alors voir que la banque est fermée, mais que le marchand d'alcool est ouvert[2]. Dans la rue, les jeunes femmes assistent à une prière silencieuse. Le prêcheur cite sur une pancarte le livre des Révélations (l'autre nom de l'Apocalypse) 15, 1 : « Puis je vis dans le ciel un autre signe, grand et admirable : sept anges, qui tenaient sept fléaux, les derniers, car par eux s’accomplit la colère de Dieu »[note 5]. Un peu plus loin, un marchand vend des ardoises et des stylos pour communiquer.
Selon Whedon, ces deux plans montrent qu'en cas de drame, le « fanatisme religieux n'est pas très loin, et le capitalisme ne perd pas le nord ». Le marchand de pancartes évoque au créateur de la série les personnes qui vendaient des drapeaux américains juste après les attentats du 11 septembre 2001[2]. Shade propose une autre interprétation : même en ayant privé la communauté de Sunnydale de parole, les Gentlemen ne lui enlèvent pas deux moyens de vivre ensemble et de s'aider : la religion et les échanges commerciaux[28].
Pendant que Giles présente les Gentlemen, il choisit de passer en musique de fond la Danse macabre de Camille Saint-Saëns. Lorsque Buffy et Riley s'embrassent, on peut entendre leur thème associé, composé par Christophe Beck, thème que Whedon trouve « plus beau, plus adulte que celui d'Angel/Buffy »[30]. Ce thème sera repris dans le CD audio de la bande son de l'épisode musical Que le spectacle commence.