Le Veni Creator Spiritus est une hymne, considérée comme une des compositions les plus distinguées de ce genre. L'œuvre fut composée au IXe siècle et il s'agit d'un fruit de la Renaissance carolingienne. Elle est formellement utilisée auprès des églises catholiques mais aussi dans la plupart des églises occidentales[jj 1].
Latin | français |
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Veni, creator Spiritus, Qui diceris Paraclitus, Tu septiformis munere, Accende lumen sensibus, Hostem repellas longius Per te sciamus da Patrem, Deo Patri sit gloria, (Vatican 2015) |
1) Viens, Esprit Créateur, 2) Toi que l'on nomme le Conseiller, 3) Tu es l'Esprit aux sept dons, 4) Allume en nous ta lumière, 5) Repousse l'ennemi loin de nous, 6) Fais-nous connaître le Père, 7) Gloire soit à Dieu le Père, (Vatican 2020) |
Texte très ancien, il existe quelques variantes de verset[ak 1], même dans les dossiers du Vatican, qui furent sortis auparavant[3].
Comme d'autres hymnes très anciennes, l'origine du Veni creator spiritus demeure encore floue, faute de manuscrit sûr[4]. Reprenant les candidats que d'autres chercheurs avaient présentés : saint Ambroise de Milan (397), saint Grégoire le Grand (604), Charlemagne (814) et Raban Maur (856), John Julian, qui publia en 1892 A Dictionary of Hymnology, conclut que le véritable auteur restait inconnu[jj 2]. Un sujet auquel s'intéressa également en 1924 Dom Henri-Marie-André Wilmart, spécialiste des œuvres médiévales.
De nos jours, donc, ne fut découvert aucun manuscrit précisant le nom de l'auteur. Et, si les chercheurs mentionnaient l'existence de manuscrit daté du Xe siècle, on ne trouve actuellement, dans les archives, que les manuscrits à partir de l'an 1000 environ, selon la datation précise[ak 3],[jj 6],[jj 7]. Il existerait donc plus de 150 ans d'absence de manuscrit, après la composition.
Ce qui demeure certain est qu'il s'agit d'un véritable chef-d'œuvre de la liturgie du Moyen Âge. En 2019, lors de la publication de son étude consacrée au Veni creator, Jessica Ammer partageait l'avis de l'historien britannique Frederic James Edward Raby (1953) : « If, however, it cannot be proved that this splendid hymn is the work of Raban, it is certain that it belongs to the ninth century and is a fruit of the Carolingian Renaissance[ak 4]. » (Or, même si l'on ne peut pas confirmer que cette magnifique hymne soit l'œuvre de Raban, il est certain qu'elle est attribuée au IXe siècle et un fruit de la Renaissance carolingienne.) Telle est la conclusion des spécialistes.
En admettant qu'il y ait toujours l'affirmation pour Raban Maur, comme Benoît Patar (2006)[8], encore faut-il découvrir un manuscrit plus ancien et plus sûr. Une encyclopédie, révisée en 2017, classait cette hymne parmi les œuvres anonymes[9]. La bibliothèque nationale de France aussi reste prudente. Celle-ci donne son avis, sans employer le mot auteur, à l’Adoro te devote dont l'attribution de l'auteur était également discutée : Attribué à Thomas d'Aquin. Au contraire, en ce qui concerne ce sujet, la bibliothèque nationale ne donne aucun avis à la Veni creator ni à Raban Maur[10].
La notation musicale la plus ancienne de Veni creator spiritus se trouve dans un manuscrit, qui fut copié vers 1000, dit Kemptener Hymnenbuch, issu de l'abbaye de Reichenau. Ce manuscrit Rh83, à l'origine en usage à Kempten (Allgäu), se conserve actuellement à la bibliothèque centrale de Zurich[ak 3]. Il s'agit de l'un des témoignages les plus anciens. La mélodie de celui-ci ressemble à celle de l'hymne de Pâques Hic est verus[ak 3]. La similitude se trouve aussi dans la tradition du rite ambrosien[ak 3],[11] :
Dom Prosper Guéranger soulignait, dans L'année Liturgique tome III, l'importance de la pratique de l'hymne Veni creator spiritus à l'office de tierce toute l'année, mais surtout en faveur de celui qui précède la messe solennelle de la Pentecôte. Il affecta l'origine de cette pratique au XIe siècle et à saint Hugues de Cluny[13]. L'étude concernant la réforme clunisienne, qui avait été lancée vers 1030, permet d'affirmer cette attribution à l'ordre de Cluny[14]. Cependant, réforme destinée aux monastères de l'ordre, cette recommandation eut son influence, assez progressivement. Le concile de Reims, tenu en 1049 en présence de Léon IX, était détaillé par un moine de l'abbaye Saint-Remi de Reims, Anselme, qui écrivait que, la journée de la clôture, l'hymne Veni creator spiritus avait été chanté, pour remplacer l'antienne Exaudi nos Domine[15] : « sed ad ejus adventum clerus decentissime cecinit hymnum, Veni creator Spiritus[ak 2]. » Écrite entre 1067 et 1071[16], il s'agit de la citation la plus ancienne parmi les documents surs[15],[11].
Avant le XIIe siècle, les manuscrits copiés n'étaient pas nombreux. Il existe toutefois plusieurs manuscrits du XIe siècle qui contient l'hymne Veni creator spiritus, ceux qui nous renseignent quelques caractéristiques importantes de cette hymne[jj 1],[jj 8]. Ils se trouvent en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en France, en Italie et en Suisse[ak 5] :
Au regard du manuscrit noté le plus ancien, le texte n'est pas disponible en ligne :
Dans certains manuscrits, les premiers mots sont présentés[jj 1], ce que le célébrant étonnait :
Ces manuscrits indiquent qu'à l'origine, le texte se construisait de six strophes et qu'une doxologie y fut ajouté tardivement[jj 2], car la strophe VI n'est autre qu'une doxologie formelle[aw 6]. Pour cette doxologie VII, il existe un grand nombre de variantes alors qu'il y a peu de modification pour les strophes I - VI[jj 2],[aw 7]. Ce que ces manuscrits expriment est que, dans ce siècle, ni le texte ni l'usage n'était fixé ; rien n'était fixé au XIe siècle. Sans doute, la mélodie non plus.
Le manuscrit latin 103 de la bibliothèque nationale de France est un témoin très important. Au folio 154v, l'hymne Veni creator s'accompagne de neumes-accents français, qui était une caractéristique à Saint-Denis. Cela signifie qu'au XIe siècle, cette hymne était en usage à l'abbaye de Saint-Denis[sb 1],[19]. Au XIIIe siècle, ce manuscrit était déjà placé dans la bibliothèque, donc hors d'usage[sb 1]. L'analyse du répertoire permet d'établir que le manuscrit était fidèle à la liturgie locale de Saint-Denis, selon le rite gallican[sb 2]. La question, qui reste encore, est que la notation musicale était ajoutée à seule cette pièce, en dépit de la mélodie qui est connue aujourd'hui. De surcroît, il ne s'agissait pas d'un livre de chant. Il semble donc qu'il existât, auparavant, une autre version musicale et qu'à la suite de l'adoption de la nouvelle version de laquelle la mélodie est identique à l'hymne ambrosienne, on dût annoter cette dernière[sb 3]. Cette hypothèse de Suzan Boynton demeure assez possible, car, dans le manuscrit D'Orville 45 de la bibliothèque Bodléienne (à l'origine, 1067 ou 1068), l'hymne fut entièrement ajoutée, un peu tardivement, au manuscrit[sb 3]. Son usage était précisé, dans cette addition, pour l'office de Tierce de la Pentecôte[sb 3]. Cela suggère qu'il s'agirait d'une nouvelle adoption. Il est d'ailleurs à noter que ce manuscrit était issu de l'abbaye Saint-Pierre de Moissac[sb 4] qui demeurait, à cette époque-là et depuis 1048, sous influence de la réforme clunisienne[sb 5]. Cluny recommandait, bien entendu, cette pratique.
À partir du XIIe siècle, les manuscrits devinrent si nombreux que l'on peut considérer que dorénavant l'utilisation était habituelle[20]. La Veni creator spiritus se trouve en effet dans de nombreux bréviaires, hymnaires et le reste, en usage de toutes les églises occidentales, quel que soit le rite[jj 1].
En ce qui concerne la composition musicale, il reste quelques manuscrits très anciens. Celui de Philippe de Vitry (1361) est considéré comme le plus ancien[21]. L'original de ce manuscrit fut détruit à Strasbourg par l'incendie issu de la guerre franco-allemande de 1870, mais des transcriptions sont conservées à la bibliothèque du conservatoire royal de Bruxelles[21]. Plusieurs manuscrits de John Dunstable (1453), compositeur britannique, se trouvent même dans des archives italiennes (Aoste, Modène et Trente), ce qui confirme son authenticité et sans doute sa popularité[22]. Il s'agit d'une œuvre particulière, à savoir en combinaison, de ce compositeur dans laquelle deux voix sur quatre chantent le texte de l'hymne Veni Sancte Spiritus : I - séquence Veni sancte spiritus ; II - trope selon Veni sancte spiritus ; III (ténor) - hymne Veni creator spiritus en tant que cantus firmus ; IV (contre-ténor) - Veni creator spiritus[23].
Au XVe siècle, deux compositeurs importants de l'École bourguignonne, Guillaume Dufay et Gilles Binchois, composèrent, eux aussi, leur Veni creator en polyphonie.
La Veni creator fut entonné lors de la reddition de Bordeaux aux Français. C'était le que l'archevêque Pey Berland et tous les ordres de ville accueillirent, à la porte de la ville, l'armée française dirigée par Jean de Dunois. L'hymne symbolisait tant le rendre grâce que la procession des religieux[24],[25]
L'hymne était et est réservée, également, à la fondation des établissements ecclésiastiques. Le 26 juin 1472, lors de l'inauguration solennelle de l'université d'Ingolstadt, qui était la première université en Bavière et canoniquement érigée en 1459 par le pape Pie II, la première strophe Veni creator spiritus mentes tuorum visita fut prononcée par Martin Mayr, au milieu de son discours[26].
Tout comme le Te Deum, la Veni creator spiritus était le synonyme de la paix. À la suite du traité de Cambrai, qui fut conclu et signé par Louis XII en 1508, Nicaise Ladame, chroniqueur de Maximilien Ier, composa La paix faicte a Chambray entre l'empereur [et] le tres crestie Roy de France avec leur aliez [lire en ligne][27]. Le troisième poème possédait un incipit en latin : Le Veni creator spiritus faicte et composé a Chambray pur la paix par le songeur dessus dit. Et l'auteur insérait ses propres versets en français entre les textes de l'hymne. Dans cette œuvre, les rimes étaient, malgré cela, respectés (spiritus en latin et Vertus en français), ce qui exprime le talent de cet écrivain :
(I) Veni creator spiritus
Qui les bons vivans lave et munde
Fait que par tes dignes Vertus.......
Mentes tuorum visita.
(II) Imple superna gratia
Les princes de noble appareil.......
Quæ tu creasto pectora.
(III) Qui paraclitus diceris
etc.
L'hymne fut solennellement chantée, le 13 décembre 1545 à la cathédrale de Trente, lors de l'inauguration de célèbre concile de Trente[28].
Et dans le cadre de cette Contre-Réforme, le bréviaire romain adopta en 1570 la doxologie actuelle Deo Patri sit gloria[jj 2].
Il est normal que l'on l'ait chantée en janvier 1579 avec une oraison en l'honneur du Saint-Esprit, lorsque furent nommés les premiers chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit par le roi Henri III[29].
À la Renaissance, on comptait quelques compositeurs les plus importants de l'époque. Il s'agit d'Adrien Willaert, de Roland de Lassus, de Tomás Luis de Victoria et de Carlo Gesualdo. La publication de Victoria en 1581 précisait son usage liturgique, In pentecoste[30]. Sans doute s'agit-il de la partition la plus ancienne qui indiquât cette utilisation.
Quant à Luther, il avait adopté en 1535[jj 9], pour son rite d'ordination, l'hymne Veni creator en traduction, avec la Veni Sancte Spiritus[31].
L'usage de l'hymne s'illustrait au moment du sacre des rois de France à Reims. Ainsi, le 16 octobre 1610, la veille du sacre de Louis XIII, la chapelle royale chanta Veni creator spiritus, à la fin des offices solennelles de vêpres[32].
Le règne de Louis XIII comptait encore plusieurs témoignages. Après avoir célébré une messe dominicale le 18 octobre 1618 à l'église Saint-Germain-d'Auxerre de Navarrenx, le roi retourna à Pau de sorte que l'évêque y rétablisse le culte catholique. Le 20 octobre, Louis XIII assista à la procession vers une petite chapelle qui conservait le Saint-Sacrement avant la messe à la cathédrale. L'hymne était chantée lors du départ de cette procession solennelle[33].
L'utilisation était parfois quotidienne. Dans le Cérémonial des religieuses de l'abbaye Notre-Dame de Monter-Villers, Ordre de Sainct Benoit (Paris, 1626), le chant à la fin de la messe était précisé : « Vers la fin de la Messe, la Sacristine allumera les cierges,... commencera en chant, Veni Creator que le Chœur poursuivra à genoux, et les cloches sonneront durant iceluy[xiii 1]. »
Il est à noter qu'à partir de cette époque-là, l'hymne était fréquemment chantée en alternance, à savoir à l'unisson et en polyphonie[xiii 2]. Ou, on chantait en alternance entre la voix et l'orgue. Par exemple, le manuscrit Vma Rés 571 de la bibliothèque nationale de France ne contient que les strophes I, III, V et VII[xiii 3]. Cette alternance était recommandée par la réforme liturgique selon le Contre-Réforme, qui était précisée par le dit Cérémonial de Clément VIII sorti du Vatican en 1600, dans l'optique de sauvegarder la musicalité de la liturgie, au contraire du calvinisme qui faisait supprimer toute la musique.
Enfin, c'était sous le règne de ce roi qu'Antoine Boësset (1643) commença, en France, à composer la Veni creator en polyphonie[xiii 4]. L'œuvre de Jehan Titelouze (1623) pour l'orgue facilitait la pratique en alternance. Il ne composa que quatre strophes sur sept [41].
Ce texte spirituel inspira de nombreux compositeurs. On s'aperçoit de ce phénomène surtout à la chapelle royale sous le règne de Louis XIV, ce qui suggère la préférence de ce Roi Soleil. Marc-Antoine Charpentier en composa cinq, s'il n'avait aucune fonction officielle à la cour de ce roi. L'époque de la musique romantique arrivée, un certain nombre de grands compositeurs catholiques n'hésitèrent pas, au XIXe siècle, à prendre ce texte, par exemple César Franck, Anton Bruckner, Camille Saint-Saëns, Hector Berlioz (H141).
L'hymne Veni creator spiritus fut sélectionnée par Gustav Mahler en faveur de sa symphonie no 8, composée en 1907[34]. L'œuvre était dédiée à Meiner lieben Frau (ma chère épouse) Alma Mahler, ce qui explique pourquoi Mahler avait choisi cette hymne pour le 1er mouvement, à la suite d'un mariage compliqué[35]. À l'origine, l'œuvre avait été conçue comme symphonie banale, mais finalement améliorée avec l'hymne et un texte de Johann Wolfgang von Goethe. La première partie se caractérise de deux motifs, celui de Veni creator spiritus et celui d’Imple superna gratia. Celui d’Accende lumen sensibus, qui s'emploie pour le développement d'après la règle de la sonate, est remis dans le deuxième mouvement. Donc il y a un contraste entre le motif descendant de Veni creator et le motif ascendant d’Accende lumen, selon le sens de texte[34].
Le compositeur polonais Karol Szymanowski, quant à lui, écrivit son œuvre en polonais en 1930[36]. Il s'agissait d'une composition particulière tandis que le choix de Szymanowski n'était pas par hasard. En effet, l'œuvre fut exécutée le 7 novembre en faveur de l'inauguration de l'Académie de musique de Varsovie, dont l'organisation avait été réformée à cette année-là. Le compositeur fut nommé premier recteur de cette académie. On comprend que le texte, vraiment solennel et spirituel, fût particulièrement adapté à cette célébration distinguée[37]. L'événement fut suivi, à partir du 29 novembre, de l'insurrection de Novembre.
La réforme liturgique selon le concile Vatican II affecta, à l'hymne, un rôle plus important dans la célébration. Dorénavant, cette dernière se commence avec une hymne qui exprime le motif ou la caractéristique de la célébration, avec refrain. Surtout, l'hymne Veni creator spiritus est réservée aux vêpres du Temps pascal (année II)[38] ainsi que de Pentecôte[39], tout comme auparavant[40].
La tradition depuis le XIe siècle, ou avant, se conserve toujours. L'hymne est chantée en faveur de l'ordination sacerdotale des prêtres[41],[42]. De surcroît, celle-ci est réservé pour la première messe de prêtre après cette ordination. Il est à noter que la première strophe se chante à genoux.
L'hymne se chante de façon générale pour les appels de vocations : ainsi, elle se chante pour prononcer la profession de vœux par les religieuses et religieux (l'un des témoignages les plus dramatiques est ceux des Carmélites de Compiègne, exécutées le 17 juillet 1794[43],[44]) ou encore pour les mariages.
Il est essentiel que les célébrations remarquables ont besoin de cette hymne, par exemple, lors de l'entrée du conclave, de la célébration de synodes et de conciles, de la dédicace des églises[45]. Ainsi, avec cette hymne, le concile Vatican II aussi commença, le 11 octobre 1962[46]. Quelle que soit la célébration, l'usage adapte à la solennité de laquelle celle-ci a besoin. Ainsi, à la messe ecclésiastique tenue le 14 janvier 2015, le Veni creator fut chantée à Colombo. Il s'agissait d'un voyage officiel du pape François dans l'optique de visiter le Sri Lanka et les Philippines. L'hymne fut chantée une seule fois à Colombo, lors de la première messe de ces missions pontificales[47].
Comme l'exécution était et est réservée à ces célébrations particulièrement distinguées, l'accompagnement de la cloche ou des instruments n'est pas rare, depuis le Moyen Âge, dans l'optique d'amplifier la dignité. À la fête de la Pentecôte, c'est souvent la trompette qui symbolise l'Esprit-Saint[jj 3]. Dans le contexte liturgique, c'est donc pendant la neuvaine préparatoire à la Pentecôte que l'on la chante en souhaitant les dons de l'Esprit-Saint[45].
Il est à noter qu'il existe de nombreuses paraphrases pour orgue tant de la Veni creator que de la Komm, Gott Schöpfer, composées par des organistes moins connus[99].