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Nom de naissance |
Andreas Capellanus |
Activités |
De amore (d) |
André le Chapelain, appelé en latin Andreas Capellanus, est un écrivain français de la fin du XIIe siècle, auteur d'un livre intitulé De amore, qui traite de l'amour courtois en rassemblant des considérations sur l'amour à partir de sources très diverses : Ovide, Horace, Sénèque, Cicéron, mais aussi la Bible et Chrétien de Troyes, entre autres.
On ne sait rien de précis sur la vie d'André le Chapelain.
On suppose[Qui ?] que comme Chrétien de Troyes, il faisait partie de la cour de Marie de France (1145-1198), comtesse de Champagne, fille du roi de France Louis VII et de la duchesse Aliénor d'Aquitaine, alors reine de France[1], et qu'il était d'origine française[pas clair].
Il s'agit d'un ouvrage écrit en latin dont le titre original est De arte honeste amandi (« De l'art d'aimer honnêtement »), parfois abrégé en Tractatus de amore, voire De amore.
C'est sans doute à la cour de Champagne qu'il écrit son traité[2].
On trouve dans le texte une phrase parlant de la « richesse de la Hongrie ». Cela a suggéré l'hypothèse qu'il aurait été écrit entre 1184 (date à laquelle le roi Béla III de Hongrie envoie à la cour de France un état de ses richesses en proposant de se marier avec Marguerite (1158-1197), demi-sœur de Marie) et 1186 (date avant laquelle la proposition est acceptée).
Préface : L'ouvrage commence par une courte préface dans laquelle l'auteur s'adresse à un certain Gautier (Gualterus en latin) qu'il décrit comme un jeune homme qui vient d'être blessé par une flèche de l'Amour et à qui il veut enseigner « la façon dont deux amants peuvent préserver l'intégrité de leur amour de même que les moyens dont ceux qui ne sont pas aimés peuvent se débarrasser des flèches que Vénus a fichées dans leur cœur[3]. »
Livre I : Cette partie définit l'amour; ses conditions de possibilité; ses effets; les moyens pour l'obtenir selon la condition sociale respective des personnes en cause; l'amour vénal; l'amour chez les paysans et chez les courtisans, etc. Au tout début de son traité, Le Chapelain offre une célèbre définition de l'amour, qui attache une grande importance à la conception traditionnelle de la vision :
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L'amour serait ainsi, selon le Chapelain, tellement dépendant de la vue que les aveugles de naissance ne peuvent pas l'éprouver[5]!
Livre II : Dans la seconde partie du traité, « Comment maintenir l'amour ? », l’auteur examine les façons de conserver l'amour et les problèmes d'infidélité. Il expose 21 « jugements d’amour » qui auraient été prononcés par certaines des plus grandes dames du royaume de France : sept de ces jugements sont attribués à Marie de France, comtesse de Champagne, trois à sa mère, Aliénor d'Aquitaine, trois autres à sa belle-sœur, la reine de France Adèle de Champagne, deux à sa cousine germaine, Élisabeth de Vermandois, comtesse de Flandre, un à l'« assemblée des dames de Gascogne » et cinq à Ermengarde de Narbonne (jugements 8, 9, 10, 11 et 15), qui est la seule dame nommément désignée par l'auteur qui ne soit pas apparentée aux autres[6]. En dépit du caractère probablement fictif de ces jugements, ils attestent de la renommée acquise par Ermengarde dans le domaine de l’amour courtois, même dans l’ère culturelle de la langue d'oïl.
Cette partie se termine avec un Code d'amour de 31 articles. Ce Code met en évidence la séparation entre la fonction sociale et reproductive institutionnalisée par le mariage, et la relation amoureuse abandonnée à l'amour courtois.
Livre III : La troisième partie va à rebours des deux livres précédents en offrant une radicale condamnation de l'amour et un pamphlet contre les femmes :
« En lisant ce petit ouvrage, ne cherche donc point à mener la vie des amants, mais fort de tes connaissances en amour, instruit dans la manière de séduire les femmes, tu pourras t’abstenir de cet art de la séduction pour obtenir la récompense éternelle et mériter d’être honoré par Dieu des plus grands présents. Car celui à qui on a donné la possibilité de pécher et qui n’en use point plaît davantage à Dieu que celui auquel on ne l’a pas accordée[7]. »
L'ouvrage a été extrêmement populaire dans les classes aristocratiques. Il a été traduit en français, en octosyllabes, par Drouart la Vache en 1290, puis dans les principales langues européennes.
Le Chapelain a influencé la conception de l'amour dans la littérature, notamment chez Pétrarque et Boccace. Par contre, Dante l'a condamné avec force dans l'épisode de Paolo Malatesta et Francesca da Polenta au Chant V de l’Enfer de la Divine Comédie.
Le livre a été condamné par Étienne Tempier, évêque de Paris, en 1277, pour avoir affirmé qu'il n'est pas possible d'offenser Dieu en cédant à l'amour car on est alors sous l'emprise de la passion et non de la volonté[8].
Stendhal a repris des éléments du Code de l'amour dans De l'amour[9].
John Jay Parry, éditeur et traducteur américain du De amore, cite Robert Bossuat, qui décrit ce traité comme « une de ces œuvres capitales qui reflètent la pensée d'une grande époque, une œuvre qui explique le secret d'une civilisation ». On peut la considérer comme didactique, satirique, ou simplement descriptive ; en tout état de cause, elle préserve les attitudes et les pratiques qui constituaient le fondement d'une tradition longue et importante dans la littérature occidentale.
Le système social de l'« amour courtois », peu à peu élaboré par les troubadours provençaux à partir du milieu du XIIe siècle, connut une extension rapide. Un des cercles dans lesquels cette poésie et son éthique ont été cultivés était la cour d'Aliénor d'Aquitaine (petite-fille d'un des premiers poètes troubadours, Guillaume IX d'Aquitaine). On a soutenu que De amore codifie la vie sociale et sexuelle de la cour d'Aliénor à Poitiers, entre 1170 et 1174, mais il a été manifestement écrit au moins dix ans plus tard et, semble-t-il, à Troyes. Il traite de plusieurs thèmes spécifiques qui faisaient l'objet d'un débat poétique entre troubadours et trobairitz à la fin du XIIe siècle.
Comme la compréhension de l'ouvrage de Chapelain « se heurte à des contradictions internes massives » en raison des différences de perspective sur l'amour entre les deux premières parties et la troisième, Jean-Yves Tilliette se demande s'il ne faut pas attribuer à l'auteur une intention ironique : « ne s'agit-il pas, en présentant les situations courtoises sous un jour volontairement outré, de disqualifier l'idéologie chevaleresque au profit d'une morale cléricale, âpre et foncièrement misogyne (auquel cas le troisième livre dirait la vérité de l'œuvre)[10]. » Il finit par opter pour une interprétation parodique :
« L'auteur, quel qu'il soit, se serait essayé, avec une virtuosité certaine, à pasticher tous les discours possibles en son temps sur l'amour, et à mettre en dialogue la psychologie d'Aristote et la physiologie de Galien, le lyrisme du Cantique des Cantiques et le cynisme d'Ovide, le romanesque de Chrétien de Troyes et l'ascétisme de Jérôme, constituant ainsi une petite summa scolastique sur un sujet que, dans les milieux estudiantins dont il est probablement issu, on ne prend pas vraiment au sérieux[11]. »