Parallèlement à ses œuvres monumentales commandées par l'État, il était reconnu comme un excellent sculpteur animalier réaliste. Emmanuel Frémiet se consacra particulièrement aux statues équestres. Neveu du sculpteur Rude, il fut le beau-père du musicien Gabriel Fauré.
Par sa tante, l'artiste peintre Sophie Rude, née Frémiet, il était le neveu et l'élève du sculpteur François Rude, dont Louis Frémiet, père de Sophie, et donc son grand-père, fut le soutien. Fils d'une surveillante à l'hôpital de la Pitié, il était également le neveu du préfet de Paris Nicolas Frochot.
Sa tante Sophie Rude l'initia au dessin vers 1837. Comme plusieurs artistes d'origine modeste (Carpeaux, Dalou, Rodin...), il suivit à partir de 1848 l'enseignement gratuit de l'école de dessin de la rue de l'École de médecine à Paris, devenue peu après l'École spéciale de dessin et de mathématique appliqués aux arts industriels. Il y obtint en 1849 le deuxième prix de dessin d'animaux. Virtuose, il ne suivit pourtant pas l'enseignement dispensé à l'École des Beaux-Arts et ne se présenta jamais au prix de Rome.
Il débuta en 1840 comme lithographe scientifique (ostéologie) et travailla dans l'atelier des peintres de la morgue, effectuant des moulages d'anatomie comparée à la demande de naturalistes et de médecins.
En 1843, il envoya au Salon une étude de gazelle, prélude à une production prolifique d'animaux d'un réalisme minutieux, dans des attitudes simples mais remarquables. Son Ours blessé et son Chien blessé furent acquis par l'État pour le musée du Luxembourg à Paris en 1850.
A l'accession au pouvoir du prince-président Louis-Napoléon Bonaparte en 1848, Frémiet s'attela à des œuvres révérencieuses, à commencer par les bassets du prince, Ravageot et Ravageole (1848) qu'il exposa au Salon de 1853, ce qui lui ouvrit la porte des commandes officielles. Cette année là, il reçut commande d'une série de statuettes à sujet militaire pour l'empereur Napoléon III, exécutées avec minutie de 1855 à 1859. Il réalisa le Monument à Napoléon Ier en 1868 et celui de Louis d'Orléans en 1869 pour décorer le château impérial de Pierrefonds.
L'établissement de la III° République l'amena à concevoir en 1874 son premier Monument de Jeanne d'Arc, érigé place des Pyramides à Paris, qu'il remplaça à la suite de critiques sur les proportions par une autre version en 1900[4]. Le modèle en serait une certaine Valérie Laneau, selon l'EAS de Ph. Fauré-Frémiet daté de février 1936 sur un exemplaire de sa monographie du sculpteur (arch. pers.). Un bas-relief évoquant cette œuvre de profil orne le piédestal de sa statue par Gréber (1924) au Jardin des plantes de Paris (reproduit supra).
Pendant cette période, il exécuta aussi Pan et les oursons ou l'Eléphanteau pris au piège (Paris, musée d'Orsay)[5].
Au milieu du XIXe siècle, un thème à la mode inspire Frémiet et d'autres artistes : celui de l'affrontement entre l'Homme et la Bête. Un fait divers rapporté par le journal Le Temps relatait que dans un village gabonais, un gorille égaré et furieux aurait enlevé et molesté une femme, après avoir détruit des cabanes, en 1880. Par ailleurs, les récits d'explorateurs comme Alfred Russel Wallace emplissaient les journaux d'articles et de gravures illustrant l'attaque d'un pisteur malais par un orang-outang. Ce thème inspira à Frémiet plusieurs œuvres majeures dont l’Orang-outang étranglant un sauvage de Bornéo.
Le Gorille enlevant une négresse fut d'abord refusé au Salon de 1859, puis présenté derrière un rideau. Nadar écrivit dans le Petit journal pour rire : « Voici mesdames et messieurs, le fameux gorille de M. Frémiet. Il emporte dans les bois une petite dame pour la manger. M. Frémiet n'ayant pu dire à quelle sauce, le jury a choisi ce prétexte pour refuser cette œuvre intéressante. »[7]. 28 ans plus tard, Frémiet en proposa une nouvelle version : Gorille enlevant une femme, qui reçut une médaille d'honneur au Salon de la Société des artistes français de 1887[note 3], dont il fut membre jusqu'en 1908[8], mais ne fut pas agréée par le Muséum national d'histoire naturelle de Paris. Cette œuvre, célèbre à son époque[note 4], fit scandale[note 5] : un épouvantable gorille blessé (la flèche a disparu de son épaule) enlève une femme nue qui se débat, suggérant un prochain viol[note 6] — acte dont un vrai gorille, femelle de surcroît, n'aurait pas la moindre idée[note 7]. Cependant, cette scène n'en a pas moins, selon Baudelaire « excité la curiosité priapique » du public[9]. On trouve dans sa postérité l'affiche Destroy this mad brute (1917), puis le film King Kong (1933).
De la même veine est L'Orang-outang étranglant un sauvage de Bornéo (1895), commande de remplacement du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, inspirée par les récits d'Alfred Russel Wallace, rapportés avec beaucoup d'exagérations par The Times[10]. Cette fois l'animal est un mâle, comme le signalent ses excroissances faciales, mais néanmoins accompagné d'un petit (ce qui est l'apanage des femelles en réalité) et, en étranglant le « sauvage », il accomplit un acte aussi impossible, physiquement et éthologiquement, que le viol d'une femme par un gorille. Mais l'art opère et des générations de visiteurs du Muséum ont été horrifiés par la force émanant de l'œuvre, d'autant que les trois protagonistes sont condamnés : le chasseur humain est déjà mourant ou mort, mais l'orang-outang adulte a une entaille à l'abdomen par où ses intestins sortent, et un orang aussi jeune que le petit représenté n'a aucune chance de survivre seul[11].
Ses statuettes d'édition, reproductions en bronze par la Maison Barbedienne de ses œuvres monumentales, ont connu un beau succès commercial et ont assuré à l'artiste un confortable revenu. Certaines sont toujours reproduites industriellement de nos jours : St-Michel terrassant le dragon.
Griffon fantastique ou Chimère (grenouille à tête de pélican et ailes de chauve-souris), 1869, château de Pierrefonds
Aigles, 1869, bas-reliefs pour les Tuileries
Chevaux marins, 1869-70
Homme de l'âge de pierre, 1871-72
Buste colossal de la guerre, 1872
Fauconnier, 1873
Damoiselle, 1873
Le Cerf et l’ours, Le Cheval et la lionne, L'Autruche et le serpent, Le Pélican et le poisson, 1872, groupes de bronze réalisés à la fonderie d'Antoine Durenne, parc de l'ancien château Neudeck, en Silésie (royaume de Prusse), (actuellement Świerklaniec, en Pologne).
Fontaine des Quatre-Parties-du-Monde, Paris, jardin de l'Observatoire, place Camille-Jullian. Œuvre de Jean-Baptiste Carpeaux, qui réalisa le groupe des quatre personnages soutenant globe. Frémiet complète l'œuvre après la mort de Carpeaux, en 1875, en réalisant les huit chevaux, les dauphins et les tortues du bassin.
"Au secours !" (oisillon au nid menacé par un chat), 1893
Meissonier, 1894 plâtre, 1896 bronze
Loup pris au piège, 1894
Monument de Raffet, 1896
Chat voleur, 1896
Chasseur d'oursons (bas-relief), 1897
Poule aux œufs d'or, 1897
Colimaçons et bêtes fantastiques, Le Singe et l'escargot, biscuit de la Manufacture du Sèvres, patiné ocre, 1896, 15 × 26 × 15 cm, Gray (Haute-Saône), musée Baron-Martin.
Saint Michel terrassant le Dragon, 1897, statue sommitale en bronze doré sur la flèche de l'abbatiale du Mont Saint-Michel[24]. Une réplique de cette statue se trouve au sommet du clocher de l'église Saint-Michel des Batignolles à Paris[25]. L'exemplaire personnel qu'Emmanuel Fremiet conservait dans son atelier fait aujourd'hui partie des collections du musée d'Orsay à Paris.
Deux gloires pour la place du Carrousel, 1908, refusées, dont une, La Victoire, fait finalement partie du monument aux morts de Calvi en 1922, à la suite de démarches entreprises par Adolphe Landry, ministre de la Marine et député-maire de Calvi[29].
Simón Bolívar à Bogota (Colombie), 1910. Une copie fut érigé sur place de l'Amérique-Latine à Paris en 1936. En 1980, pour le cent cinquantième anniversaire de la mort de Bolívar son monument fut transféré dans un lieu plus prestigieux, à côté du pont Alexandre III, au bord de la Seine, sur la promenade du cours la Reine.
Des œuvres d'Emmanuel Fremiet sont conservées dans le parc de l'ancien château Neudeck, en Silésie, (actuellement Świerklaniec, en Pologne). Le château a été achevé en 1875, brûlé en 1945, détruit en 1961 puis rasé en 1962[30].
Outre le jardin, le bassin, la fontaine des Trois Grâces (Trzy Gracje), et un mât, seules subsistent les statues d'Emmanuel Fremiet dans le parc, ainsi que quelques sculptures de l’atelier du sculpteur allemand Theodor Kalide(en)[31].
Esther Lachmann (dite la Païva), épouse du comte allemand Guido Henckel von Donnersmarck, commanda à Frémiet par l’intermédiaire d'Hector Lefuel, l'architecte du château, quatre groupes de sculptures animalières de grande taille : Le Cerf et l’Ours, Le Cheval et la Lionne, L'Autruche et le Serpent, Le Pélican et le Poisson. Les bronzes furent réalisés en 1872 en France à la fonderie Antoine Durenne.
Fremiet ne fit pas le voyage en Silésie pour superviser l’installation ; les éléments de la fontaine ainsi que le mât ont été restaurés et redorés[32],[33].
Œuvres d'Emmanuel Fremiet dans le parc à Świerklaniec, Pologne
Le parc de l'ancien château Neudeck, à Świerklaniec, (Pologne).
↑Gorille enlevant une femme (1887). Analyse de l'œuvre par le musée des Beaux-Arts de Nantes : « Son Gorille enlevant une femme fit scandale au Salon de 1859. Refusé par le jury, le groupe est présenté derrière un rideau, accroissant l'intérêt du public. La parution de L'Origine des Espèces de Darwin en 1859, fit passer le sculpteur pour un adepte de l'évolutionnisme. Toutefois, l'œuvre fut détruite quelques années plus tard. En 1887, Frémiet exposa au Salon ce Gorille — groupe plâtre — Troglodytes Gorilla (sav.) du Gabon, qui fut un grand succès : il reçut la médaille d'honneur. En plaçant son œuvre dans un contexte scientifique, Frémiet créa une composition dynamique d'un grand vérisme et d'une forte connotation érotique qui inspira le film King Kong (1933) »
↑« . Cette sculpture obtient la médaille d'honneur, la plus haute distinction, au Salon de 1887, sous le titre Gorille-groupe plâtre - Troglodytes Gorilla (sav.)- du Gabon », cité dans Visiter l'exposition avec une classe, p. 11.
↑« Soulevé dans une réprobation unanime, le Jury déclara sérieusement qu’une telle œuvre offensait les mœurs, et il l’exclut sans pitié du salon. », cité in Jean-Charles Hachet, op. cit.
↑« Ce gorille étouffant dans ses bras herculéens une négresse frêle et délicate donna très vite aux juges trop pressés l'idée d'une scène de luxure épouvantable. L'artiste avait cependant insisté, pour que nul n'en ignore, sur le caractère anthropophage de ces troglodytes du Gabon ; et les apparences étaient sauves, puisque le monstre était femelle », cité in L'Artiste, Revue de l'art contemporain, n°[?], 1893[réf. incomplète].
↑Déposé à la Casa de Velázquez à Madrid au début des années 1930, détruit pendant la guerre civile espagnole, remplacé par une nouvelle fonte en 1959.
↑Inaugurée le , la statue était accompagnée de deux petits pages en bronze qui ont été envoyés à la fonte sous le régime de Vichy.
↑Copie exacte de la statue de la place des Pyramides à Paris, et a été envoyée en 1958, comme cadeau de la France à la ville. Celle-ci n'ayant pas les moyens financiers de l'ériger (35 000 $), la statue a été entreposée pendant huit ans. Dès 1960, Charles de Gaulle commença à chercher des financements privés, cependant, son installation n'a pu se réaliser qu'en 1972. La statue a été dorée en 1985, puis déplacée en 1999, place de la France, située près de la rue Decatur à côté du Marché français, où elle se trouve actuellement, et symbolise l'héritage français de la Nouvelle-Orléans
Philippe Fauré -Fremiet, Fremiet (Plon, collection « Les maîtres de l'art », 1934)
Catherine Chevillot, Emmanuel Fremiet, 1824-1910 : la main et le multiple (cat. expo., Dijon, musée des Beaux-arts, 5 novembre 1988-16 janvier 1989 ; Grenoble, musée de Grenoble, 23 février-30 avril 1989), Dijon-Quetigny, Musée des Beaux-Arts de Dijon ; musée de Grenoble, 1988, 215 p. OCLC : 462015174