Isabelle Stengers, née en 1949 à Bruxelles, est une philosophebelge. Spécialiste de la pensée de Whitehead et de philosophie des sciences. Inspirée par la pensée de Félix Guattari et de Donna Haraway, elle développe une conception constructiviste du savoir scientifique et une écologie des pratiques attentives aux phénomènes d'interdépendance dans le monde vivant.
Isabelle Stengers se fait connaître dès son premier ouvrage (alors qu'elle est encore doctorante), La Nouvelle Alliance (1979), coécrit avec le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine, consacré notamment à la question du temps et de l’irréversibilité, et qui s'efforce de développer une critique de la rationalité physique issue de Newton (accusé d'avoir désenchanté le monde) et incarnée à l'époque à leurs yeux par Jacques Monod[4]. L'ouvrage, qui essaie de fonder une nouvelle physique (avec Prigogine en lieu et place de Newton et faisant de la thermodynamique un nouveau principe d'explication général), fut un succès de librairie à son époque mais suscita aussi une controverse. Stengers revint d'ailleurs sur certaines audaces de cette thèse dans ses Cosmopolitiques.
Elle s'intéresse ensuite, en faisant appel entre autres aux théories de Michel Foucault et de Gilles Deleuze, à la critique de la prétention autoritaire de la science moderne[3]. Stengers souligne ainsi l'omniprésence de l'argument d'autorité dans la science, ainsi lorsqu'on fait appel aux « experts » pour trancher le débat, comme s'il n'y avait pas de réel différend politique à la source du débat lui-même. Il est important de noter qu'elle ne fait aucunement partie de la mouvance déconstructionniste, pour qui la science ne serait qu'un ensemble de conventions verbales et construits sociaux. Elle développe une approche critique du positivisme et affirme l'importance du récit dans la constitution et la présentation du savoir scientifique, car celui-ci autorise son intelligibilité[5],[6]. L'intérêt qu'elle porte à la science-fiction s'inscrit dans cette volonté d'échapper au scientisme et au moralisme par la stimulation de l’imaginaire et une réflexion sur les possibles[7].
Elle se consacre depuis une quinzaine d’années à une réflexion autour de l’idée d’une écologie des pratiques, d’inspiration constructiviste. En témoignent les sept volumes des Cosmopolitiques, publiés aux Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, mais aussi ses livres consacrés à la psychanalyse (La Volonté de faire science, 1992), à l’hypnose (L’Hypnose entre science et magie, 2002), à l’économie et à la politique (La Sorcellerie capitaliste, avec Philippe Pignarre, 2005), ou encore à la philosophie (Penser avec Whitehead, 2006). Sa conception de l'écologie met l'accent sur les liens et les interdépendances qui existent dans le monde vivant, sans nier leur part de conflictualité[8], ainsi que sur la nécessité de penser les interconnexions entre les pratiques, notamment entre science et politique[9].
Selon L'Humanité, « ses travaux, très denses et créatifs, sont une bouffée d’oxygène intellectuelle pour penser un autre monde possible et une source stimulante pour vivre les luttes anticapitalistes. »[10]
Elle est active dans le parti Verts pour une gauche alternative (VEGA), un mouvement politique belge francophone issu de la scission d'une partie de l'aile gauche d'Ecolo en . Lors des premières élections régionales bruxelloises en , VEGA tenta de présenter une liste sous le sigle VERTS, mais Ecolo, qui avait entre-temps enregistré le sigle, déposa plainte et la liste dut porter la dénomination VERS-GA. Elle était emmenée par la seule personnalité membre de ce parti, Isabelle Stengers[11]. Elle obtint 2 558 voix, soit 0,58 % des suffrages, et aucun siège[12].
Elle est rangée par la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF) parmi les « tenants de la gauche libertaire, anti-autoritaire » soutenant le Parti du travail de Belgique[13]
En juin 2017, elle cosigne avec une vingtaine d'intellectuels une tribune de soutien à Houria Bouteldja dans le journal Le Monde, qui affirme notamment que « ce qui est visé à travers la violence des attaques qui la ciblent, c’est l’antiracisme politique dans son ensemble[14] ». Ce texte est décrit par Jack Dion, journaliste à Marianne, comme étant « ahurissant d’allégeance à une dame qui a exposé son racisme au vu et au su de tous »[15].
En 2022, elle fait partie des 20 coprésidents de l'association appui financier des Soulèvements de la Terre[16].
La Volonté de faire science. À propos de la psychanalyse, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1992
L’Invention des sciences modernes, Paris, La Découverte, 1993 (réédition Flammarion, « Champs » no 308)
Souviens-toi que je suis Médée, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1993
Sciences et pouvoirs. Faut-il en avoir peur ? Bruxelles, Labor, 1997 (réédition La Découverte)
Cosmopolitiques, en 7 volumes : La guerre des sciences ; L’invention de la mécanique ; Thermodynamique : la réalité physique en crise ; Mécanique quantique : la fin du rêve ; Au nom de la flèche de temps : le défi de Prigogine ; La vie et l’artifice : visages de l’émergence ; Pour en finir avec la tolérance, Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 1997 (réédition Paris, La Découverte, 2003)
La guerre des sciences aura-t-elle lieu ? , Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001
L'Hypnose entre magie et science, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2002
Penser avec Whitehead. Une libre et sauvage création de concepts, Paris, Le Seuil, « L’ordre philosophique », 2002
La Vierge et le neutrino. Quel avenir pour les sciences ?, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006
Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Paris La Découverte, 2008
Une autre science est possible ! Manifeste pour un ralentissement des sciences, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2013
Civiliser la modernité ? Whitehead et les ruminations du sens commun, Dijon, Les presses du réel, 2017
Réactiver le sens commun. Lecture de Whitehead en temps de débâcle, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2020
Isabelle Stengers et Marin Schaffner (postface Émilie Hache), Résister au désastre : dialogue avec Martin Schaffner, Marseille/01-Péronnas, Wildproject, coll. « Petite bibliothèque d'écologie populaire », , 87 p. (ISBN978-2-918-490-920).
Isabelle Stengers et Nicole Mathieu, « Discipline et interdiscipline : la philosophe de « l'écologie des pratiques » interrogée », Natures, Sciences, Sociétés, vol. 8, no 3, , p. 51-58 (ISSN1240-1307, e-ISSN1765-2979, lire en ligne, consulté le ).