Les signares (du portugais senhoras) sont les jeunes femmes noires ou métisses, de la Petite-Côte du Sénégal, dans les comptoirs de Rufisque (Rufisco) au XVIIe siècle, puis de Gorée et finalement de Saint-Louis jusqu'au milieu du XIXe siècle.
Cette francisation du mot portugais senhora (dame) désigne à l'origine les femmes africaines qui, vivant en concubinage avec des Européens influents, acquièrent un rôle économique et un rang social élevé[1]. Les signares semblent avoir existé depuis la fin du XVe siècle dans les comptoirs portugais sur toute la côte occidentale entre le Sénégal et le cap des Palmes. Le terme s'applique ensuite à toute femme retirant une certaine notoriété soit de son métissage, soit de son habileté de commerçante, même souvent des deux à la fois[2].
Arrivés à la suite des navigateurs portugais[3], les lançados s'adaptent au mode de vie africain et engendrent les premières communautés métisses, notamment aux escales de Rufisque, Portudal et Joal. Parmi ces aventuriers se trouvent des individus en délicatesse avec la justice, mais aussi des personnes de confession juive refusant de se convertir au catholicisme[2].
L'arrivée de la France et de l'Angleterre, en transformant le Sénégal en zone de guerre, détruisit cette première micro-civilisation féminine de la petite côte et le système économique pacifique, qu'elles avaient su développer avec leurs familles wolof et peules et leurs pères portugais (souvent de confession israélite). Les signares émigrèrent de la petite côte du Sénégal vers les îles de Gorée et Saint-Louis au début du XVIIIe siècle pour se mettre à l'abri des guerres déclenchées par les Occidentaux entre les rois du Sénégal pour obtenir des esclaves en échange d'armes à feu, de poudre, de munition, de verroteries et de pièces d'Indienne (morceaux de tissu importés d'Inde puis fabriqués à Rennes dans le cas de la France).
Par la suite, les signares dédaignent le simple concubinage et développent, entre le XVIIIe siècle et le XIXe siècle, une pratique de mariages à la mode du pays qui ressemble plus à l'application d'un droit coutumier africain ou musulman qu'aux préceptes matrimoniaux français.
Les premières femmes à convoler ainsi viennent en majorité de la communauté des Noirs catholiques affranchis ou des captifs domestiques[réf. nécessaire][4].
Ces mariages durent habituellement le temps du séjour du mari et il arrive que la même femme épouse successivement les quatre ou cinq titulaires consécutifs d'une même fonction, devenant ainsi la « femme de l'emploi ».
Non seulement le mari européen apporte des avantages matériels immédiats, mais il laisse après son départ maison, esclaves et capital à faire fructifier dans le commerce[5]. Ces mariages à durée limitée sont entérinés par les pouvoirs publics même après l'application du Code civil en 1830[6].
Ils ne représentaient pas plus de 15 % du total des unions.
Les signares étaient fortement attachées aux unions endogamiques entre métis (80 % des unions), seules capables de pérenniser leur culture et de préserver le capital accumulé de mère en fille sur plusieurs générations.
Les mariages avec des Occidentaux étaient élitistes et avaient pour objet de construire en France et en Angleterre de puissants réseaux d'affaires familiales et de faire bénéficier leur communauté de la protection permanente de leurs parentés occidentales.
Les Signares ne se mariaient donc jamais avec de simples matelots, mais avec des cadres bourgeois ou des gentilshommes français et anglais.
Les signares ne sont pas issues du mariage de femmes africaines esclaves avec des Occidentaux, mais bien d'unions libres entre femmes lébous ou wolofs parfois faisant partie de l'aristocratie locale et des Occidentaux.
Une des nièces de la reine du Waalo Ndaté Yalla était d'ailleurs une signare.
Les signares réussirent au cours de différentes périodes à résister aux gouverneurs et officiers fraîchement débarqués qui contestaient leur pouvoir et leurs privilèges. Grâce à leurs réseaux familiaux, elles arrivaient sans peine à atteindre les instances du pouvoir monarchique en France comme en Angleterre afin de contrecarrer toute décision déstabilisant leur mode de vie.
Les signares étaient réputées pour leur beauté envoûtante et leurs richesses[non neutre], qu'elles firent fructifier habilement. Entre coquetterie quotidienne, fêtes dominicales et entretien de suites de captives richement parées (esclaves sauvées de la traite négrière et intégrées aux maisons des signares), elles avaient la réputation de femmes fatales, cultivant à l'extrême la sensualité[1].
Après avoir souffert d'une vision négative dans la fin du XIXe siècle, le métissage voit l'émergence d’une vision positive. Les signares apparaissent même dans les poèmes de Senghor.
Une mode signare s’est enfin affirmée autour de la fabrication de bijoux en or ou de la confection de coiffes et d’étoffes (appelés « pagnes d’apparat » à l’origine), tentant de renouer avec les temps passés ; des « promenades de signares » se déroulent encore, comme lors du Festival International de Jazz Saint-Louis (2017) ou lors de la traditionnelle fête du Fanal de la même cité, qui témoignent finalement de cette influence des signares au cours des siècles, qui apparaissent comme des personnalités féminines fortes et émancipées[7].
Lors du fanal, les signares paradent en costume, robes cintrées au-dessus de la taille, bouffantes en dessous, parées de fronces, de voiles et de dentelles, avec la coiffe et le châle assortis[8].
Le chevalier Stanislas de Boufflers, gouverneur du Sénégal en 1785, prit pour compagne la fameuse Anne Pépin, rencontre probablement prévue avant même qu'il ne soit nommé à ce poste. C'est Anna Colas Pépin, sa nièce, fille de son frère Nicolas Pépin, négociant (vers 1744-1815) et de la signare Marie-Thérèse Picard (?-1790), qui possédait l'actuelle Maison des Esclaves (qui n'a jamais contenu d'esclaves de traite). Mary de Saint Jean, la fille de celle-ci et de François de Saint-Jean, maire de Gorée de 1849 à 1872 (1778-1874), épousa Barthélémy Durand Valantin, maire de Saint-Louis et député du Sénégal, fils du négociant Barthélémy Valantin (vers 1770-après 1836) et de la signare Rosalie Aussenac, propriétaire (1765-1828)[9], elle-même petite-fille de Pierre Aussenac de Carcassone, conseiller de la Compagnie des Indes à Gorée (1701-1754) et de la signare Catherine (Caty) Louët (ou Louette), commerçante (1713-après 1776)[10]. Anne Pépin a été unie au chevalier de Boufflers et au négociant Bernard Jeune Dupuy[11]. Elle était la fille de Jean Pépin, chirurgien de la Marine, et de la signare Catherine Caty Baudet, née en 1701 à Gorée. Caty Louët était la fille de Nicolas Louët, commis de la Compagnie des Indes, et de Caty de Rufisque, « gouvernante » de Rufisque vers 1664 à 1697[12] ; celle-ci, la toute première signare mentionnée dans les chroniques, peut être une fusion de plusieurs femmes ayant exercé des fonctions voisines.
La coiffe de signare, appelée mdioumble, était portée au XVIIIe siècle à Gorée et Saint-Louis. Inspirée de la tiare papale, cette haute coiffe conique symbolise aussi leur fortune, leur rang social et leur ralliement au christianisme. La coiffe signare est le fruit original d'un métissage de style entre l'occident et l'Afrique[14].
Les signares commandaient régulièrement des produits textiles venus des filatures de Rennes, des parfums des maîtres gantiers parfumeurs parisiens, des perruques de Paris, des produits d'art de la table, des robes à la mode de Versailles, des meubles… D'autres produits venus d'autres pays étaient aussi très prisés par les signares comme les teintures pour cheveux de Venise, les chaussures du Maroc en plus des foulards et madras des Indes qu'elles achètent directement aux commandants des navires de passage[14].