Signare

Signare, lithographie publiée dans les Esquisses sénégalaises de l'abbé David Boilat (1853).

Les signares (du portugais senhoras) sont les jeunes femmes noires ou métisses, de la Petite-Côte du Sénégal, dans les comptoirs de Rufisque (Rufisco) au XVIIe siècle, puis de Gorée et finalement de Saint-Louis jusqu'au milieu du XIXe siècle.

Origines et évolutions

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Intérieur de signare, gravure publiée dans la Côte occidentale d'Afrique du colonel Frey (1890).

Cette francisation du mot portugais senhora (dame) désigne à l'origine les femmes africaines qui, vivant en concubinage avec des Européens influents, acquièrent un rôle économique et un rang social élevé[1]. Les signares semblent avoir existé depuis la fin du XVe siècle dans les comptoirs portugais sur toute la côte occidentale entre le Sénégal et le cap des Palmes. Le terme s'applique ensuite à toute femme retirant une certaine notoriété soit de son métissage, soit de son habileté de commerçante, même souvent des deux à la fois[2].

Arrivés à la suite des navigateurs portugais[3], les lançados s'adaptent au mode de vie africain et engendrent les premières communautés métisses, notamment aux escales de Rufisque, Portudal et Joal. Parmi ces aventuriers se trouvent des individus en délicatesse avec la justice, mais aussi des personnes de confession juive refusant de se convertir au catholicisme[2].

L'arrivée de la France et de l'Angleterre, en transformant le Sénégal en zone de guerre, détruisit cette première micro-civilisation féminine de la petite côte et le système économique pacifique, qu'elles avaient su développer avec leurs familles wolof et peules et leurs pères portugais (souvent de confession israélite). Les signares émigrèrent de la petite côte du Sénégal vers les îles de Gorée et Saint-Louis au début du XVIIIe siècle pour se mettre à l'abri des guerres déclenchées par les Occidentaux entre les rois du Sénégal pour obtenir des esclaves en échange d'armes à feu, de poudre, de munition, de verroteries et de pièces d'Indienne (morceaux de tissu importés d'Inde puis fabriqués à Rennes dans le cas de la France).

Par la suite, les signares dédaignent le simple concubinage et développent, entre le XVIIIe siècle et le XIXe siècle, une pratique de mariages à la mode du pays qui ressemble plus à l'application d'un droit coutumier africain ou musulman qu'aux préceptes matrimoniaux français.

Les premières femmes à convoler ainsi viennent en majorité de la communauté des Noirs catholiques affranchis ou des captifs domestiques[réf. nécessaire][4].

Ces mariages durent habituellement le temps du séjour du mari et il arrive que la même femme épouse successivement les quatre ou cinq titulaires consécutifs d'une même fonction, devenant ainsi la « femme de l'emploi ».

Non seulement le mari européen apporte des avantages matériels immédiats, mais il laisse après son départ maison, esclaves et capital à faire fructifier dans le commerce[5]. Ces mariages à durée limitée sont entérinés par les pouvoirs publics même après l'application du Code civil en 1830[6].

Ils ne représentaient pas plus de 15 % du total des unions.

Les signares étaient fortement attachées aux unions endogamiques entre métis (80 % des unions), seules capables de pérenniser leur culture et de préserver le capital accumulé de mère en fille sur plusieurs générations.

Les mariages avec des Occidentaux étaient élitistes et avaient pour objet de construire en France et en Angleterre de puissants réseaux d'affaires familiales et de faire bénéficier leur communauté de la protection permanente de leurs parentés occidentales.

Les Signares ne se mariaient donc jamais avec de simples matelots, mais avec des cadres bourgeois ou des gentilshommes français et anglais.

Les signares ne sont pas issues du mariage de femmes africaines esclaves avec des Occidentaux, mais bien d'unions libres entre femmes lébous ou wolofs parfois faisant partie de l'aristocratie locale et des Occidentaux.

Une des nièces de la reine du Waalo Ndaté Yalla était d'ailleurs une signare.

Un bal de signares à Saint-Louis (gravure de 1890).

Les signares réussirent au cours de différentes périodes à résister aux gouverneurs et officiers fraîchement débarqués qui contestaient leur pouvoir et leurs privilèges. Grâce à leurs réseaux familiaux, elles arrivaient sans peine à atteindre les instances du pouvoir monarchique en France comme en Angleterre afin de contrecarrer toute décision déstabilisant leur mode de vie.

Les signares étaient réputées pour leur beauté envoûtante et leurs richesses[non neutre], qu'elles firent fructifier habilement. Entre coquetterie quotidienne, fêtes dominicales et entretien de suites de captives richement parées (esclaves sauvées de la traite négrière et intégrées aux maisons des signares), elles avaient la réputation de femmes fatales, cultivant à l'extrême la sensualité[1].

La culture signare aujourd'hui

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Après avoir souffert d'une vision négative dans la fin du XIXe siècle, le métissage voit l'émergence d’une vision positive. Les signares apparaissent même dans les poèmes de Senghor.

Une mode signare s’est enfin affirmée autour de la fabrication de bijoux en or ou de la confection de coiffes et d’étoffes (appelés « pagnes d’apparat » à l’origine), tentant de renouer avec les temps passés ; des « promenades de signares » se déroulent encore, comme lors du Festival International de Jazz Saint-Louis (2017) ou lors de la traditionnelle fête du Fanal de la même cité, qui témoignent finalement de cette influence des signares au cours des siècles, qui apparaissent comme des personnalités féminines fortes et émancipées[7].

Lors du fanal, les signares paradent en costume, robes cintrées au-dessus de la taille, bouffantes en dessous, parées de fronces, de voiles et de dentelles, avec la coiffe et le châle assortis[8].



Quelques signares célèbres, leurs maris et leur descendance

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Une habitation à Gorée (maison d'Anna Colas), par Adolphe d'Hastrel, 1839.

Le chevalier Stanislas de Boufflers, gouverneur du Sénégal en 1785, prit pour compagne la fameuse Anne Pépin, rencontre probablement prévue avant même qu'il ne soit nommé à ce poste. C'est Anna Colas Pépin, sa nièce, fille de son frère Nicolas Pépin, négociant (vers 1744-1815) et de la signare Marie-Thérèse Picard (?-1790), qui possédait l'actuelle Maison des Esclaves (qui n'a jamais contenu d'esclaves de traite). Mary de Saint Jean, la fille de celle-ci et de François de Saint-Jean, maire de Gorée de 1849 à 1872 (1778-1874), épousa Barthélémy Durand Valantin, maire de Saint-Louis et député du Sénégal, fils du négociant Barthélémy Valantin (vers 1770-après 1836) et de la signare Rosalie Aussenac, propriétaire (1765-1828)[9], elle-même petite-fille de Pierre Aussenac de Carcassone, conseiller de la Compagnie des Indes à Gorée (1701-1754) et de la signare Catherine (Caty) Louët (ou Louette), commerçante (1713-après 1776)[10]. Anne Pépin a été unie au chevalier de Boufflers et au négociant Bernard Jeune Dupuy[11]. Elle était la fille de Jean Pépin, chirurgien de la Marine, et de la signare Catherine Caty Baudet, née en 1701 à Gorée. Caty Louët était la fille de Nicolas Louët, commis de la Compagnie des Indes, et de Caty de Rufisque, « gouvernante » de Rufisque vers 1664 à 1697[12] ; celle-ci, la toute première signare mentionnée dans les chroniques, peut être une fusion de plusieurs femmes ayant exercé des fonctions voisines.

  • Victoria Albis, active au XVIIIe siècle est une autre célèbre signare, propriétaire de la maison Victoria Albis-Angrand qui fut rachetée plus tard par la famille métisse Angrand ; sa parenté avec les différents Albis existant aujourd'hui est inconnue.
  • Xavier Ricou, auteur du site Sénégalmétis[13], est, par sa mère, descendant de Benjamin Jean François Crespin (négociant, employé au bureau civil de la Marine, né le à La Rochelle (17) et décédé le à Saint-Louis) et de la signare Catherine Caty Wilcock (vers 1765-1831).
  • Jean-Jacques L'Aîné Alin dit L'Antillais (1776-1849), né au Lamentin en Martinique et mort à Saint-Louis, fut maire de Saint-Louis de 1828 à 1848. Il épousa la signare Marie Bénis (1793-après 1860) ; leur fille Charlotte Alin (1813-1898) épousa Joseph Dio Crespin (1806-v. 1856), fils du couple cité plus haut, propriétaire et traitant à Saint-Louis ; le fils de ceux-ci, Jean-Jacques Alin Crespin (1837-1895), maire de Saint-Louis de 1890 à 1895, et sa première épouse métisse Hannah Isaacs (1813-1911) sont les arrière-grands-parents de Marie-José Crespin, la mère de Xavier Ricou.
  • Jean-Luc Angrand, auteur de Céleste ou le temps des Signares, est un petit-neveu d'Armand-Pierre Angrand (1892-1964), maire de Gorée et de Dakar en 1934, et un arrière-petit-fils de Mathilde Faye, née à Bathurst (aujourd'hui Banjul) en Gambie et de Léopold Angrand (1859-1906), commerçant et adjoint au maire de Gorée en 1890, lui-même fils du représentant de commerce Pierre Jacques Angrand (1819-1901) et d'Hélène de Saint-Jean, demi-sœur de Mary de Saint Jean et arrière-petite-fille de la signare Catherine Caty Baudet ; cette dernière étant également la mère d'Anne Pépin, la grand-mère d'Anna Colas Pépin et, par deux voies différentes, l'arrière-grand-mère de Mary de Saint Jean.
  • La signare Marie Montey (vers 1776-1819), épouse de l'enseigne de vaisseau Pierre Boillat, est moins connue que son fils, l'abbé David Boilat (1814-1901). Rien n'est connu sur les mères des deux prêtres métis qui ont étudié avec celui-ci, Jean-Pierre Moussa (1815-1860) et Arsène Fridoil (1815-1852), dont le père était un militaire anglais.
  • La signare Marie John (1814-1846) fut la mère de l'épouse du géographe Élisée Reclus (Clarisse Brian).

Tenue et coiffe des signares

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Signare et négresses de Saint-Louis en toilette, par Gustave Boulanger, 1861.

La coiffe de signare, appelée mdioumble, était portée au XVIIIe siècle à Gorée et Saint-Louis. Inspirée de la tiare papale, cette haute coiffe conique symbolise aussi leur fortune, leur rang social et leur ralliement au christianisme. La coiffe signare est le fruit original d'un métissage de style entre l'occident et l'Afrique[14].

Les signares commandaient régulièrement des produits textiles venus des filatures de Rennes, des parfums des maîtres gantiers parfumeurs parisiens, des perruques de Paris, des produits d'art de la table, des robes à la mode de Versailles, des meubles… D'autres produits venus d'autres pays étaient aussi très prisés par les signares comme les teintures pour cheveux de Venise, les chaussures du Maroc en plus des foulards et madras des Indes qu'elles achètent directement aux commandants des navires de passage[14].

Bibliographie

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  • Document utilisé pour la rédaction de l’article Joseph Roger de Benoist, Abdoulaye Camara et Françoise Descamps, « Les signares : de la représentation à la réalité », dans Abdoulaye Camara & Joseph Roger de Benoist, Histoire de Gorée, Maisonneuve & Larose,
  • Joseph Roger de Benoist et Abdoulaye Camara, Gorée, Guide de l'île et du Musée historique, Publication du Musée historique, Dakar, , 67 p., 39 fig.
  • Joseph Roger de Benoist, Abdoulaye Camara, F. Descamps, X. Ricou et J. Searing, Histoire de Gorée, Maisonneuve et Larose, 2003, 155 p.
  • Jean-Luc Angrand, Céleste ou le temps des Signares, Anne Pépin, , 288 p. (ISBN 2916680004)
  • Abdoulaye Camara, « Gorée : Passé, présent et futur » in Le Patrimoine culturel africain, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 83-106.
  • Anne Lafont, Une Africaine au Louvre en 1800, Paris, Institut national d'histoire de l'art, 2019.
  • Tita Mandeleau, Signare Anna, ou le voyage aux escales, Dakar, Nouvelles Éditions africaines du Sénégal, 1991, 232 p, roman. (ISBN 2723604373)
  • Guillaume Vial, Femmes d'influence. Les signares de Saint-Louis du Sénégal et de Gorée, XVIIIe – XIXe siècle. Étude critique d'une identité métisse, Paris, Nouvelles Éditions Maisonneuve & Larose - Hémisphères Éditions, 2019, 381 p.
  • Aissata Kane Lo, De la Signare à la Diriyanké sénégalaise : Trajectoires féminines et visions partagées, L'harmattan, , 290 p. (ISBN 2296998631)
  • Pascal Blanchard (dir.), Nicolas Bancel (dir.), Gilles Boëtsch (dir.), Christelle Taraud (dir.) et Dominic Thomas, Sexe, race et colonies : la domination des corps du XVè siècle à nos jours, Paris, La découverte, , 543 p. (ISBN 9782348036002).

Film documentaire

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  • 1994 : Gorée, l'île des signares (Abdoulaye Camara, Florence Morillères, France, Neyrac Films, 26 min)

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Notes et références

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  1. a et b Blanchard et al. 2018, p. 74.
  2. a et b de Benoist 2003, p. 59-60
  3. Dinis Dias découvre la presqu'île du cap vert et Gorée en 1444.
  4. L'origine sociologique des signares de Gorée, n'est pas liée à la servitude (esclave) mais bien au contraire à des unions entre personnes libres ; l'affirmation ci-dessus est contraire aux résultats de recherches du professeur Jean Boulègue de l'EHESS (Paris) et aux actes notariés des Archives nationales de France. L'auteur a probablement confondu avec les signares de Saint-Louis du Sénégal qui elles sont en partie issues de cette strate sociologique comme l'atteste la thèse de Nathalie Reysse - Sorbonne Thèse de Doctorat 1982.
  5. de Benoist 2003, p. 68
  6. de Benoist 2003, p. 62-64
  7. Guillaume Vial, « Signares du Sénégal », sur Libération, (consulté le )
  8. « Sénégal : les signares, ou la mémoire malmenée de métisses qui ont réussi », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. « Page de Rosalie Aussenac sur senegalmetis.com » (consulté le )
  10. « Page de Catherine Cathy Louët sur senegalmetis.com » (consulté le )
  11. « Page d'Anne Pépin sur senegalmetis.com » (consulté le )
  12. « Page de Caty de Rufisque sur senegalmetis.com » (consulté le )
  13. « Page Généalogie du site senegalmetis.com » (consulté le )
  14. a et b Jean-Luc Angrand, Céleste ou le temps des Signares, Anne Pépin, , 288 p. (ISBN 2916680004), p. 120

Articles connexes

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Liens externes

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  • senegalmetis.com : site relatif aux métis sénégalais, page sur les signares.
  • signares.fr : site consacré aux signares (bibliographie, sources, ressources en ligne, portfolio comprenant plusieurs dizaines de représentations de signares,...).