Né à Paris, Jean-Pierre Faye (prix Renaudot en 1964 pour L'Écluse et prix Bernard-Lecache 1993 pour La Déraison antisémite) passe, pour cause d'exode, son adolescence près d'Hendaye, où il est marqué à la fois par l'afflux des réfugiés républicains de la guerre d'Espagne et par les récits (journaux, radio) des premiers bombardements du Troisième Reich en Pologne, événements vus, lus ou entendus, qui lui « racontent l'histoire en train de se faire »[1] et sont les éléments déclencheurs de ses premiers poèmes dont certains seront publiés en 1945 par Les Cahiers de la Table ronde[2]. Licencié en droit et sciences économiques (1947), Diplôme d'études supérieures (1948 avec Gaston Bachelard), Jean-Pierre Faye obtient, en 1950, son agrégation de philosophie (il y est reçu deuxième[3]), puis son doctorat d'État en 1972[4]. Il a également été l'élève de Claude Lévi-Strauss et André Leroi-Gourhan au Musée de l'Homme.
De 1963 à 1967, il est membre du comité de rédaction de la revue Tel Quel et fait partie de « l'avant-garde littéraire en rupture avec Sartre »[6], auquel il reproche, entre autres, « de ne pas connaître Saussure »[7]. En désaccord personnel avec Philippe Sollers[8] et avec ce qu'il nomme « la dictature structuraliste »[9] de cette publication, il la quitte pour créer, en 1967, la revue Change[10] avec Maurice Roche et Jacques Roubaud. La dispute Sollers-Faye se poursuivra de longs mois, notamment dans les colonnes de L'Humanité en , chacun accusant l'autre d'inspiration « fasciste » et revendiquant « la légitimité d’une référence à Derrida et, à travers lui, à Heidegger »[11].
À Change, Faye est rejoint par Philippe Boyer, Jean-Claude Montel, Jean Paris, Léon Robel, Mitsou Ronat, Saúl Yurkievich, Geneviève Clancy et Félix Guattari, il en est le directeur jusqu'en 1985. En se réclamant des formalistes russes et des linguistes tchèques; en ouvrant ses pages à la grammaire générative de Noam Chomsky, il y développe le « Mouvement du change des formes », base de regroupements transversaux et de variations théoriques dont le but se comprend autour de cette formule : « La langue, en se changeant, change les choses. »
Jean-Pierre Faye, octobre 2010
Le , Jean-Pierre Faye fonde l'Union des écrivains aux côtés notamment d'Alain Jouffroy, Bernard Pingaud, Catherine Claude, Nathalie Sarraute, et Michel Butor. Ce regroupement de quelque 200 écrivains est conçu à la fois comme un mouvement solidaire des écrivains tchèques à Prague, soumis à une censure totale, et comme un lieu de réflexion sur le sens de la littérature dans un monde en crise[12]. Il en deviendra président en 2000, après la mort de Catherine Claude qui occupait cette fonction jusqu'alors.
En 1977, il analyse encore le Printemps de Prague de 1968 essentiellement sous l'angle des conseils ouvriers[13]. La même année, il cosigne dans Le Monde une tribune minimisant la gravité d'actes pédophiles[14].
En 2013, lors des 30 ans du Collège international de philosophie, Jean-Pierre Faye suscite un esclandre en affirmant dans une Lettre sur Derrida (éd. Germina) que dès ses commencements « le nazi Heidegger devient le maître à penser du Collège international de philosophie »[16]. Un collectif de philosophes condamne ce qu'il nomme un « brûlot » et « une démonstration... aussi inconsistante que rapide ». Selon ces philosophes, « une rancune macérée depuis trente ans [à l'égard de Derrida] balaye la plus élémentaire précaution d’analyse »[17].
Spécialiste de la philosophie allemande, Jean-Pierre Faye est aussi auteur d'essais sur les fonctions sociales et politiques du langage tels que Langages totalitaires (étude de la formation du système de discours propre aux idéologies fascistes), La raison narrative (réflexion sur les entrelacs entre énoncé philosophique et logique de la narrativité) ou encore Migrations du récit sur le peuple juif (analyse des invariants sur le judaïsme, de la chrétienté médiévale aux temps modernes). Son œuvre se répartit également entre fictions éclatées sous l'appellation Hexagramme (Entre les rues, La Cassure, Battement) qui explorent la transformation des lieux[18], théâtre (Les grandes journées du Père Duchesne) et poésie (Fleuve renversé, Couleurs pliées, Verres, Syeeda).
« Ce que Change a fait », revue Faire Part no 16/17, 2005, 178 p.
« Jean-Pierre Faye et la philosophie », revue Concepts no 7, Éditions Sils Maria, 2004, 206 p. (contient 2 inédits de Jean-Pierre Faye : Goering et Carl Schmitt dans le IIIe Reich et un texte d'une soixantaine de pages, Le transformat, le littoral)
Marie-Christine Balcon, Lire Jean-Pierre Faye, L'œuvre narrative, entre poésie et philosophie : un terrain d'aventure. (Fragments recueillis), L'Harmattan, coll. « Espaces littéraires », 2008, (ISBN2-7475-9882-9), 302 p.
Patrick Combes, Mai 68, les écrivains, la littérature, L'Harmattan, 2008, 350 p., (chapitres II et VI sur Jean-Pierre Faye et l'Union des écrivains en 1968), (ISBN978-2-296-06340-2)