Kronosaurus queenslandicus
Kronosaurus est un genre fossile de grands pliosaures ayant vécu durant les étages Aptien à Albien du Crétacé inférieur dans ce qui est actuellement l'Australie. Le premier spécimen connu est reçu en 1899 et consiste en une symphyse mandibulaire partiellement préservée, qui est d'abord vue comme provenant d'un ichthyosaure selon Charles De Vis. Ce n'est cependant qu'en 1924 qu'Albert Heber Longman (en) décrit formellement ce spécimen comme l'holotype d'un imposant pliosauridé, auquel il érige le nom scientifique de Kronosaurus queenslandicus, qui est toujours l'unique espèce reconnue à ce jour. Le nom du genre, signifiant « lézard de Kronos », se réfère à sa grande taille et à sa possible férocité pouvant rappeler le Titan de la mythologie grecque, tandis que l'épithète spécifique fait allusion au Queensland, l'État australien de sa découverte. Aux début des années 1930, le Musée de Zoologie comparée d'Harvard envoie une expédition organisée en Australie qui récupère deux spécimens historiquement attribués au taxon, incluant un célèbre squelette qui est aujourd'hui massivement restauré en plâtre. Un certain nombre de fossiles attribués ont été découverts ultérieurement, incluant deux grands squelettes plus ou moins partiels. Le spécimen holotype ne présentant pas de diagnoses pour distinguer concrètement Kronosaurus des autres pliosauridés, ces deux mêmes squelettes sont proposés comme de potentiels néotypes pour de futures redescriptions. Deux espèces supplémentaires furent proposées, mais ces dernières sont désormais vues comme peu probables ou appartenant à un autre genre.
Kronosaurus est l'un des plus grands pliosaures ayant été identifiés à ce jour. Les estimations initiales fixaient sa taille maximale à environ 13 m de long sur la base du squelette d'Harvard. Cependant, ce dernier ayant été reconstitué avec un nombre exagéré de vertèbres, les estimations publiées à partir de la fin des années 1990 réduisent la taille de l'animal de 9 à plus de 10 m de long. À l'image de tous les plésiosaures, Kronosaurus dispose de quatre palettes natatoires, d'une queue courte et, comme la plupart des pliosauridés, d'une tête allongée et d'un cou court. Les plus grands crânes identifiés de Kronosaurus surpassent en taille ceux des plus grands dinosaures théropodes connus. L'avant du crâne est allongé en un rostre qui constitue le museau. La symphyse mandibulaire, là où les extrémités situées sur l’avant de chaque côté de la mandibule fusionnent, est allongée chez Kronosaurus et contient jusqu'à six paires de dents. Les grosses dents de formes coniques de Kronosaurus aurait été utilisée dans le carde d'un régime alimentaire constitués de grosses proies. Les dents situées à l’avant sont plus grandes que les dents à l'arrière. Les membres de Kronosaurus sont en forme de nageoires, les palettes natatoires arrière étant plus grandes que celles situées en avant. Les palettes natatoires auraient donné une envergure d'environ 5 m aux plus grands représentants.
Les classifications phylogénétiques publiées depuis 2013 récupèrent Kronosaurus au sein de la sous-famille des Brachaucheninae, un lignée qui inclut de nombreux pliosauridés ayant vécu durant différents étages du Crétacé. D'après sa répartition stratigraphique dans les archives fossiles, Kronosaurus habitait la mer d'Eromanga (en), une ancienne mer intérieure qui couvrait une grande partie de l'Australie au début du Crétacé. Cette mer intérieure atteignait des températures froides proches du point de congélation. Kronosaurus aurait probablement été un superprédateur au sein de cette mer, des preuves fossiles montrant qu'il s'est attaqué envers des tortues de mer et à d'autres plésiosaures. Des estimations quant à sa force de morsure suggèrent que l'animal aurait atteint entre 15 000 à 27 000 newtons, surpassant le placoderme Dunkleosteus et rivalisant avec Tyrannosaurus, mais étant largement dépassé par le mégalodon. Le crâne d'un spécimen juvénile montre qu'il aurait été attaqué par un adulte, indiquant une agression intraspécifique voire une potentielle preuve de cannibalisme au sein du genre. Kronosaurus aurait fait face à la compétition interspécifique avec d'autres grands prédateurs au sein de cette mer, un spécimen attribué montrant des traces de morsures d'un requin semblable à Cretoxyrhina.
En 1899, un fossile partiel provenant d'un reptile marin est envoyé de la part d'un certain Andrew Crombie au Queensland Museum (en), à Brisbane, en Australie, et est reçu par le zoologue Charles De Vis, qui est alors le directeur du musée lors de cette époque[1],[2],[3]. Aucune information concernant la localité d'origine du fossile n'est connue[4],[3],[5],[6], mais il semblerait qu'il aurait été vraisemblablement découvert près d'Hughenden, dans le Queensland, ville d'où provient Crombie[1],[7]. Les archives du Queensland Museum montrent que De Vis a même envoyé une lettre à Crombie pour l'informer qu'il fut mis au courant de la réception du matériel[8]. Le fossile en question, catalogué QM F1609[3],[6], consiste en une symphyse mandibulaire partielle portant six dents coniques[1]. Sur la base de ses observations, De Vis considère le fossile comme provenant d'un représentant des Enaliosauria, un taxon aujourd'hui obsolète qui regroupait les plésiosauriens et les ichthyosaures. De Vis pensait initialement que le spécimen proviendrait d'un ichthyosaure, et plus particulièrement d’Ichthyosaurus australis[3], qui semble aujourd'hui être placé dans le genre Platypterygius[9],[10]. Cependant, la dentition particulière de ce spécimen le fait vite changer d'avis quant à son appartenance à cette espèce précise. Le fossile est officiellement décrit par le directeur succédant à De Vis, Albert Heber Longman (en), dans un article scientifique publié en 1924 par le journal du Queensland Museum. Longman en déduit que le fossile provient d'un grand pliosaure, auquel il érige le nom de genre et d'espèce Kronosaurus queenslandicus[1],[7],[3]. Le nom générique provient de Kronos, un Titan de la mythologie grecque, et du grec ancien σαῦρος / saûros, « lézard », pour donner littéralement « lézard de Kronos ». Longman aurait créé ce nom générique en référence à la taille imposante et à la possible férocité de l'animal, qui pourrait rappeler l'histoire de Kronos, qui est connu dans la mythologie grecque pour avoir dévoré ses propres enfants, notamment Zeus[11],[12],[3],[5],[13]. L'épithète spécifique queenslandicus est nommé d'après le Queensland, l'État australien où fut très probablement découvert le spécimen holotype[11],[13],[5].
En , quinze fossiles[14] plus ou moins partiels sont découverts à près de 3,2 km au sud d'Hughenden[3]. Ces mêmes fossiles, tous enregistrés sous la numérotation QM F2137[5],[15], sont identifiés comme provenant de la formation de Toolebuc (en), datant de l'étage Albien du Crétacé inférieur, l'holotype ayant très probablement été également découvert dans cette même unité stratigraphique[16]. La majorité du matériel récupéré est alors très incomplet, les deux seuls pouvant être concrètement décrits étant des parties proximales de propodiums (des os supérieur des membres)[5],[3], qui sont analysés plus en détails l'année suivante, et ce à nouveau par Longman[14]. En 1932, dans le but de rendre les fossiles de l'animal « attrayants », Longman publie l'une des plus anciennes reconstitutions connues de Kronosaurus. L'illustration fut dessinée en 1931 par un certain Wilfrid Morden, qui s'est inspiré notamment des traits anatomiques de Peloneustes pour combler les parties encore inconnues de l'animal[17]. En mai et en avril 1935, un certain J. Edgar Young du Queensland Museum, collecte plusieurs fossiles provenant de la formation de Toolebuc, plus précisément dans la station de Telemon, à environ 30 km à l'ouest d'Hughenden[18]. Parmi tous les fossiles à l'exhumation desquels Young a participé, figurent des restes supplémentaires attribués à Kronosaurus, incluant les premières parties crâniennes un peu plus complètes identifiées au sein du genre. Dans son article publié en , Longman, en raison du nombre élevé de fossiles, suggère qu'ils proviendraient d'au moins deux ou trois individus. Notant que les fossiles n'ont pas été entièrement préparés au moment de sa description, il les décrit à titre préliminaire[19]. Le spécimen le plus notable, catalogué QM F2446[20],[5],[4], consiste en un milieu partiel du crâne qui préserve un condyle occipital, l'arrière du neurocrâne, les narines externes ainsi que les orbites[18].
En 1931, le musée de Zoologie comparée d'Harvard envoie une expédition en Australie dans le double but de se procurer des spécimens d'animaux aussi bien vivants qu'éteints[16], et en particulier des mammifères marsupiaux[21]. Cette décision venait du fait que le musée possédait relativement peu d'animaux australiens et souhaitait donc en collectionner plus. C'est alors que l'expédition australienne d'Harvard (en) débute, et est entreprise par une équipe de six hommes. L'équipe se composait du coléoptérologue P. Jackson Darlington Jr. (en), du zoologue Glover Morrill Allen et son étudiant Ralph Nicholson Ellis, le médecin-chef Ira M. Dixon, du paléontologue William E. Schevill (en) ainsi que de leur chef, l'entomologiste William Morton Wheeler[22],[11],[21]. L'année suivante, en 1932, c'est Schevill qui acquiert le titre de chef d'expédition, effectuant de longs voyages et recrutant des aides locales lorsqu'il le peut. Le Queensland Museum fut d'ailleurs invité à participer à cet expédition, mais cela n'a jamais été approuvé en raison du manque de fonds et/ou d'intérêt de la part du gouvernement de l'État. Cependant, Longman, qui avait décrit les premiers fossiles connus de Kronosaurus, apporte son aide à l'expédition, stockant les spécimens au fur et à mesure qu'ils lui sont envoyés, fixant les permis de collecte et entretenant une correspondance avec Schevill[7]. Schevill s'aventure alors dans le groupe géologique de Rolling Downs (en), au nord de la ville de Richmond, où il collecte deux spécimens de pliosaures de grande taille[16]. Ces mêmes spécimens sont récoltés dans le membre Doncaster de la formation de Wallumbilla (en), datant d'environ 112 millions d'années[18]. Le premier spécimen qu'il exhume, catalogué MCZ 1284 et découvert dans une propriété appelée Grampian Valley, consiste en un morceau bien conservé du rostre antérieur étroitement relié à l'ensemble de la symphyse mandibulaire, en plus de plusieurs autres morceaux fragmentaires[16],[23],[24].
L'histoire concernant la découverte, l'exhumation et l'exposition du second spécimen, catalogué MCZ 1285, est bien plus détaillée dans de nombreuses sources historiques[23],[24],[11],[7],[25],[21],[16]. Ce spécimen a été découvert bien avant que l'expédition d'Harvard ne soit même lancée, par un rancher du nom de Ralph William Haslam Thomas[26], dans une localité connue sous le nom d'Army Downs[19],[24],[16]. Ce dernier était au courant depuis de nombreuses années de la présence de « quelque chose d'étrange sortant du sol » dans un petit enclos pour chevaux[7],[21]. Ces « choses étranges » étaient en réalité une rangée de vertèbres contenues dans des nodules[26]. Constatant sa découverte, Thomas informe donc les membres de l'expédition d'Harvard[26], et intéresse en particulier Schevill[7],[21],[16]. Ce dernier contacte alors un migrant britannique formé à l'utilisation d'explosifs, surnommé « The Maniac » par les résidents locaux[N 1],[7],[27],[28],[21],[16], afin d'extraire le spécimen de 4,5 tonnes de roches qui constituent sa matrice géologique[29]. Lorsque le spécimen fut déterré, ses fossiles sont alors envoyés aux États-Unis dans 86 caisses pesant au total 6 tonnes[11],[26],[21]. D'après le permis d'exportation, le spécimen aurait été transporté à bord du SS Canadian Constructor (en) vers le [26]. Une fois arrivés à Harvard, les fossiles, qui représentent environ 60 % du squelette, mirent plusieurs années à être extraits du calcaire[21]. Le manque d'argent, de main d'œuvre et d'espace au sein du musée est à l'origine des longs délais, et il faudra atteindre 1939 pour que le crâne seulement soit monté et exposé[11]. Une première description scientifique du crâne est cependant réalisée par Theodore E. White (en) en 1935[23]. En 1934, Schevill demande à Longman d'envoyer un moulage de la symphyse mandibulaire holotype afin de le comparer avec le nouveau spécimen. C'est alors l'assistant de Longman, un certain Tom Marshall, qui se charge de réaliser le souhait de Schevill[7]. Les chercheurs se rendent alors compte que les caractères de l'holotype (QM F1609) sont identiques à celui du spécimen d'Harvard (MCZ 1285)[29]. Longman, dans les lettres qu'il envoie à Schevill, laisse entendre qu'il aurait apprécié voir le spécimen durant sa préparation lors de la fin des années 1930, mais ce dernier n'a jamais quitté le territoire australien[7].
Le reste du squelette est gardé dans les sous-sols du musée pendant plus d'une quinzaine d'année. Cet intérim prend fin lorsque les fossiles attirent l'attention de Godfrey Lowell Cabot (en), un industriel de Boston, philanthrope et fondateur de la Cabot Corporation. La famille de Cabot avait des antécédents d'observation de grands serpents de mer dans les eaux côtières autour de la ville d'où il vient. En interrogeant le directeur du musée, Alfred Sherwood Romer, sur l'existence et les rapports de serpents de mer, il est donc venu à l'esprit de Romer de parler à Cabot du squelette conservé dans les sous-sols du musée[11],[30]. Cabot s'intéresse donc au coût d'une restauration et Romer répond « environ 10 000 $ ». Romer n'était peut-être pas sérieux, mais Cabot l'était clairement parce que le chèque pour ladite somme est venu peu de temps après[11],[21]. Étant donné que Romer avait comme principal intérêt l'étude des synapsides non mammaliens, il est possible qu'il ne se souciait que peu du squelette en tant que sujet d'étude scientifique[31]. Après deux ans de minutieuses préparations faites avec des burins et de l'acide par Arnold Lewis et James A. Jensen sous la direction de Romer, leur travail coutera finalement légèrement plus que celui promis par le chèque de base de Cabot[11],[21]. Le squelette d'Harvard est alors exposé pour la première fois le [11], et est suivi par une description scientifique détaillée effectuée par Romer et Lewis, qui est publiée l'année suivante par le journal du musée[24],[30]. Lors de l'annonce de la finalisation du spécimen dans la presse australienne, Longman, qui est pourtant le descripteur du taxon, n'est alors pas mentionné. En réponse, le professeur et géologue Walter Heywood Bryan (en) envoie un message via un télégraphe pour informer les journalistes qu'il serait regrettable qu'une annonce aussi importante ne fasse aucune mention de Longman et à l'interprétation du matériel fossile initialement fragmentaire[7]. À l'âge de 93 ans, Thomas, le découvreur originel du spécimen, a pu voir le squelette monté de ce qu'il considérait comme « son dinosaure », ainsi que de rencontrer à nouveau le chef de l'ancienne expédition du musée, chacun pensant que l'autre était mort depuis longtemps[26].
L'arrivée des nouvelles connaissances dans le domaine de la paléontologie remettent ultérieurement en question la reconstitution du squelette tel que proposée par Romer. En effet, à cause de nombreux os incomplets, ce dernier ordonna à Lewis et Jensen d'ajouter du plâtre là où il le jugeait nécessaire. Cette dernière décision a rendu difficile l'accès aux véritables fossiles pour les paléontologues[21], au point où certains d'entre eux utilisent le surnom de « Plasterosaurus » pour désigner le spécimen[32],[33],[34],[35]. De plus, il semblerait que le squelette aurait été reconstitué avec de mauvaises proportions. Selon le paléontologue australien Colin McHenry, le spécimen a 8 vertèbres ajoutées en trop à la colonne vertébrale[21] et le crâne n'est pas censé avoir une crête sagittale de forme bulbeuse sur le dessus[36]. En 2009, dans sa thèse révisant le genre Kronosaurus, McHenry qualifie le squelette d'Harvard comme une « restauration plutôt décevante de ce qui devait être un excellent spécimen fossile »[31]. Pour cette raison, de nombreux chercheurs expriment leur souhait d'analyser les véritables fossiles à l'aide de scans tomodensitométriques[34],[35].
Étant donné que le spécimen holotype de K. queenslandicus (QM F1609) est fragmentaire et ne présente aucune caractéristiques uniques qui permettent de qualifier le genre comme distinct des autres pliosaures, la validité de ce taxon a donc été mise en doute. Dès 1962, Samuel Paul Welles considère Kronosaurus comme un nomen vanum et recommande la désignation d'un spécimen néotype provenant de l'université d'Harvard qui préserverait la validité du genre[39],[40],[N 3]. À partir de 1979[7], bon nombre de fossiles provenant de grands pliosaures sont découverts dans diverses localités d'Australie, majoritairement dans les strates géologiques de la formation de Toolebuc, formation où les premiers fossiles attribués au genre ont été découverts[41]. Dans les autres formations, seul un spécimen supplémentaire attribué a été découvert dans le membre Doncaster de la formation de Wallumbilla[42], tandis que trois spécimens, incluant un attribué à l'espèce type, ont été découverts dans la formation d'Allaru (en)[43],[44],[45],[37]. Deux autres spécimens sans affiliation spécifiques ont quant à eux été identifiés dans le Bulldog Shale (en)[46],[45],[37]. Dans sa thèse publiée en 2009, McHenry décrit en détail de nombreux fossiles attribués à Kronosaurus, en incluant la plupart des nouveaux spécimens qu'il juge comme pouvant appartenir à ce genre[N 4]. Sur les nombreux spécimens fossiles qu'il analyse, McHenry propose que deux squelettes partiels, catalogués QM F10113 et QM F18827, qui proviennent tous les deux de la formation de Toolebuc, pourraient être des néotypes candidats, car présentant des traits qui semblent coller à l'holotype[47]. Cependant, aucune pétition formelle du CINZ pour désigner un néotype ne fut soumise. En 2022, Leslie Francis Noè et Marcela Gómez-Pérez révisent la plupart des spécimens historiquement attribués à Kronosaurus. Les deux auteurs limitent Kronosaurus uniquement à l'holotype et le considèrent comme un nomen dubium. Le spécimen holotype ne possédant aucun trait permettant une diagnose, les autres fossiles attribués sont déplacés provisoirement vers un nouveau taxon que les deux auteurs nomment Eiectus longmani, en hommage à Longman, le paléontologue ayant nommé le genre d'origine. Le squelette d'Harvard historiquement attribuée (MCZ 1285) y est d'ailleurs désigné comme holotype de ce même genre proposée[38].
En 2023, Valentin Fischer et ses collègues critiquent les réaffectations même dans ces circonstances, prédisant qu'elles sont contraires aux articles 75.5 et 75.6 du CINZ[N 5] et que la possibilité d'espèces multiples susmentionnée ne peut justifier une réaffectation provisoire de tous les spécimens à Eiectus. Les auteurs de cette étude choisissent donc de désigner tous les fossiles pertinents sous le nom de Kronosaurus-Eiectus[49]. La même année, Stephen F. Poropat et ses collègues maintiennent K. queenslandicus comme un taxon nominalement valide qui comprend tous les fossiles de la formation de Toolebuc et d'Allaru en attendant une pétition officielle du CINZ, recommandant le spécimen QM F18827 comme néotype[50]. Les auteurs critiquent également la réaffectation des spécimens de Toolebuc, au motif que Noè et Gómez-Pérez ont vraisemblablement ignoré la conclusion de la thèse de McHenry de 2009 selon laquelle une seule espèce de grand pliosaure existe dans la formation et que, par conséquent, tous ces spécimens peuvent être considérés de manière fiable comme conspécifiques à l'holotype[35],[51]. Quant à Eiectus, Poropat et ses collègues le limitent uniquement à MCZ 1285 et au spécimen référé MCZ 1284, mais leur affectation sans redescription formelle reste également sujet à débat, étant donné que l'holotype est si massivement restauré avec du plâtre que toutes les caractéristiques diagnostiques apparentes ne sont probablement pas fiables sans tomodensitométrie complète[35].
Bien que l'unique espèce actuellement reconnue de Kronosaurus est K. queenslandicus, plusieurs auteurs ont suggéré l'existence d'espèces supplémentaires au sein de ce même genre[52]. En 1982 puis encore en 1991, Ralph Molnar (en) émet des doutes quant à l'appartenance du squelette d'Harvard (MCZ 1285) à l'espèce K. queenslandicus, étant donné qu'il fut découvert dans une localité distincte de celle des premiers spécimens connus, à savoir dans la formation plus ancienne de Wallumbilla. L'auteur suggère donc que ce spécimen appartiendrait à une autre espèce de Kronosaurus caractérisée par un crâne plus profond et plus robuste que ceux provenant de la formation de Toolebuc[53],[54],[55],[31]. Une étude publiée en 1993 attribue d'ailleurs le spécimen sous le nom de Kronosaurus sp., les auteurs suivant le même avis que Molnar[27]. Cependant, comme l'indique White dans sa description du spécimen publiée en 1935, une grande partie du toit crânien n'est pas préservée et est majoritairement restaurée en plâtre[23], les vraies proportions étant par conséquent incertaines[55],[6]. Dans sa thèse publiée en 2009, McHenry continue néanmoins de référer le spécimen à K. queenslandicus en raison de sa distribution taphonomique et de certains traits qui peuvent coller à d'autres spécimens découverts dans la formation de Toolebuc[56]. Afin de déterminer si cette affirmation est avérée, seule une tomodensitométrie pourrait révéler la présence des véritables différences notables au sein de ce spécimen reconstruit en plâtre[34],[35].
En 1977, un squelette presque complet d'un grand pliosaure est découvert par des résident locaux de la ville de Villa de Leyva, en Colombie. Le spécimen, surnommé « El Fósil » et datant de l'Aptien supérieur de la formation de Paja (en), est d'abord provisoirement référé au genre Kronosaurus deux ans plus tard, en 1979[57]. C'est en 1992 que le paléontologue allemand Olivier Hampe érige une seconde espèce du genre sous le nom de K. boyacensis, l'épithète spécifique faisant référence au Boyacá, département entourant le site de la découverte[58]. Cependant, ces descriptions ont été réalisées à partir de photographies et de techniques d'imagerie à distance, à cause notamment du fait que l'accès au spécimen était interdit par la communauté locale[38]. De plus, l'état de préservation du spécimen ainsi que des caractéristiques anatomiques différentes de ceux de K. queenslandicus suggéraient également des doutes quant à l'affiliation de cette espèce à ce genre[37],[59]. C'est donc en 2022 que Noè et Gómez-Pérez redécrivent ce spécimen et découvrent qu'il appartient à un genre distinct, qu'ils nomment Monquirasaurus, en référence au Monquirá, la division administrative où le spécimen à été découvert[38].
En raison du fait que le spécimen holotype de Kronosaurus est non diagnosticable, la majorité des descriptions anatomiques sont basées sur les observations réalisées à partir de fossiles plus complets attribués ultérieurement au genre. La majorité des descriptions provient de la thèse de McHenry publiée en 2009, bien que certains spécimens ont été décrits dans d'autres travaux[37],[35]. Kronosaurus à une morphologie typique des pliosauridés du groupe des thalassophonéens, qui possèdent un grand crâne allongé relié à un cou court, contrairement à de nombreux autres plésiosaures, qui ont un long cou et une petite tête. Comme tous les plésiosaures cependant, Kronosaurus possède une queue courte, un tronc massif et deux paires de grandes palettes natatoires[60],[61],[37][62].
Kronosaurus est l'un des plus grands pliosaures ayant été identifiés à ce jour[63], mais plusieurs estimations quant à sa taille exacte ont été proposées au fil des recherches. Dès 1930, Longman, dans sa description des propodiums, considère que Kronosaurus aurait dépassé en taille l'imposant Megalneusaurus, un pliosauridé nord-américain datant du Jurassique supérieur[14],[3],[13]. Après la collecte des fossiles attribués au genre par l'expédition d'Harvard, la taille maximale de Kronosaurus fut généralement fixée à 12,8 m de long sur la base du spécimen MCZ 1285[24],[64],[26],[65],[21]. Kronosaurus était alors considéré comme le plus grand reptile marin connu jusqu'en 1995, année où Theagarten Lingham-Soliar suggère que le squamate aquatique du Crétacé supérieur Mosasaurus hoffmannii atteindrait environ 18 m de long[66],[67], ce dernier ayant une taille réduite à environ 11 m selon les estimations plus récentes[68]. À l'heure actuelle, le plus grand reptile marin ayant été identifié est l'ichthyosaure du Trias supérieur Ichthyotitan, qui aurait vraisemblablement atteint environ 25 m de long[69]. La reconstitution du squelette d'Harvard étant erronée, McHenry donne une taille plus réduite de ce spécimen à entre 9 et 10,5 m de long[21] pour une masse corporelle atteignant 11 tonnes[70]. Ces mêmes mensurations sont vues comme les estimations maximales possibles du genre dans son ensemble[71]. Avant même que la thèse de McHenry ne soit publiée, le paléontologue Benjamin P. Kear et le biologiste marin Richard Ellis proposent dans leur travaux respectifs tous deux publiés en 2003 des estimations comparables, allant de 9 m selon Kear[63] à 10,6 m selon Ellis[65]. En 2024, Ruizhe Jackevan Zhao révise les mensurations du spécimen MCZ 1285 à 10,3 m de longueur[72].
D'autres spécimens ont reçu des estimations corporelles bien que certains d'entre eux ne soient connus qu'à partir de restes fossiles plus limités[N 6]. Le spécimen holotype, QM F1609, bien que très fragmentaire, aurait mesuré 5,9 m de long pour une masse corporelle de 1,9 tonne. Le spécimen néotype proposé QM F18827 aurait atteint une longueur de 8,9 m pour une masse corporelle de 6,7 tonnes[73]. Le spécimen attribué le plus complet connu, QM F10113, aurait quant à lui atteint des mensurations légèrement plus petites, à savoir 8,6 m de long pour une masse corporelle de 5,7 tonnes[74]. Les plus grands spécimens de Kronosaurus ayant été découverts dans la formation de Toolebuc, QM F2446 et QM F2454, auraient atteint des mensurations quasi-identiques à celles du squelette d'Harvard[75]. Respectivement, ces deux spécimens auraient atteint 10,2 à 10,5 m de long pour des masses corporelles estimées de 9,9[73] à 15,5 tonnes[76].
Étant donné que l'holotype de K. queenslandicus (QM F1609) ne consiste qu'en une symphyse mandibulaire partielle, très peu de choses peuvent en être dite sur ce dernier. Cependant, des crânes fossiles plus complets qui sont attribués au taxon montrent des traits uniques[63],[47],[50]. Les crânes des divers spécimens connues de Kronosaurus varient en taille. L'holotype, qui bien qu'étant partiel et fragmentaire, provient d'un crâne qui aurait mesuré au total 1,31 m de long. Les spécimens néotypes candidats QM F10113 et QM F18827 ont des longueurs crâniennes atteignant respectivement 1,87 à 1,98 m[77]. Le crâne du squelette d'Harvard est estimé à 2,85 m de long[78],[N 7]. Les mensurations crâniennes des trois derniers spécimens précédemment cités surpassent en taille le crâne de n'importe quel dinosaures théropodes connus[81]. Le museau et le rostre mandibulaire sont de formes longues et étroites[63]. Le rostre en général s'avère être de forme voûtée et est relativement allongé, possédant une crête médiane et dorsale distincte. Les orbites sont orientées vers l'arrière, où ils sont situées latéralement sur la moitié antérieur du crâne. Les fosses temporales sont très grandes[82], mais ne possède pas de vacuité interptérygoïdienne antérieure[63].
Un des nombreux traits identifiées comme uniques chez Kronosaurus est que le prémaxillaire contient 4 dents caniniformes[N 8],[63],[82],[37],[50]. Les os frontaux n'entrent pas en contact avec la marge des orbites en raison de leur liaisons entre les os postfrontaux et préfrontaux. Les os frontaux n'entrent également pas en contact avec la partie médiane du toit crânien en raison de leur liaisons entre les os pariétaux et les processus faciaux des prémaxillaires. Les préfrontaux sont grands et entrent en contact avec la partie antéro-médial des orbites ainsi que du bord postérieur des narines. Les os lacrymaux sont présents chez les petits spécimens, mais ont tendance a être fusionnées chez les adultes. La surface dorsale de la crête médiane dorsale est formé par les prémaxillaires et les os nasaux, duquel chez les adultes sont fusionnées[83]. Les os hyoïdes sont robustes[4].
La symphyse mandibulaire de Kronosaurus est allongé et spatulée (en forme de cuillère), et comme ses proches parents que sont Brachauchenius et Megacephalosaurus, elle contient jusqu'à 6 paires de dents[63],[84],[37]. Chaque os dentaires (l'os portant les dents dans la mandibule chez les diapsides), ont jusqu'à 26 dents. La glène mandibulaire, la prise de l'articulation de la mâchoire, est en forme de rein et inclinée vers le haut et vers l'intérieur[37]. La principale autapomorphie des dents de Kronosaurus est qu'ils sont de formes coniques, grossièrement striées et manquant de carènes distinctes[63],[44],[37]. La dentition de Kronosaurus est hétérodonte, c'est-à-dire que les dents sont de formes différentes. Les plus grandes dents sont caniniformes et sont situées à l'avant des mâchoires, tandis que les petites dents sont plus nettement recourbées, robustes, et situées plus en arrière[85],[37].
Le squelette d'Harvard historiquement attribué à Kronosaurus a eu droit à une étude détaillant son anatomie postcrânienne par Romer et Lewis en 1959[24]. Cependant, comme ce dernier fut massivement restauré en plâtre, il est actuellement difficile de le discerner avec le vrai matériel fossile[33]. De plus, le spécimen est temporairement référé à Eiectus, et ce n'est qu'une question de temps avant que des analyses tomodensitométriques ne puissent révéler si le spécimen appartient ou non à Kronosaurus[35]. De nombreux autres spécimens de Kronosaurus préservent du matériel postcrânien[86]. Le spécimen le plus complet connu, catalogué QM F10113, préserve une importante partie de l'anatomie postcrânienne qui préserverait des informations importantes quant à une diagnose plus approfondie du taxon[87],[37]. Ce spécimen précis devrait d'ailleurs être décrit plus en détail dans une future étude[88]. Quelques traits concernant l'anatomie postcrânienne du genre ont toutefois étés notés, aussi bien dans la thèse de McHenry que dans d'autres articles[89],[90],[80].
Sur la base des différents spécimens analysés, McHenry estime que Kronosaurus aurait eu au moins 35 vertèbres pré-sacrées, parmi lesquelles figuraient 13 vertèbres cervicales et 5 vertèbres pectorales[90]. Contrairement à Pliosaurus, les centra (corps vertébraux) cervicaux sont plus larges que les dorsales[80]. Les vertèbres dorsales antérieures sont néanmoins plus hautes que larges[91]. Les zygapophyses auraient été visiblement absentes des vertèbres dorsales antérieure et dans les vertèbres caudales[4]. Au niveau de la région thoracique, les côtes auraient été robustes, comme suggèrent les processus transversaux qui le sont tout autant[91]. Les côtes auraient d'ailleurs chacune des têtes uniques[63]. Bien que la queue de Kronosaurus soit inconnue[92], le bout les vertèbres caudales aurait supporté une petite nageoire caudale à l'image d'autres plésiosaures[93],[94]. Le coracoïde et le pubis sont tous deux allongés d'avant en arrière[4]. Les membres postérieurs de Kronosaurus sont plus longs que ses membres antérieurs, le fémur étant plus long et robuste que l'humérus[91]. Cela suggère que les plus grands représentants de Kronosaurus aurait eux des palettes natatoires arrière qui auraient formé une envergure dépassant les 5 m[95].
De Vis suggérait initialement que le spécimen holotype de Kronosaurus appartiendrait à un ichthyosaure. Cependant, lorsque Longman décrivit ce taxon en 1924, il le classa dans la famille des Pliosauridae sur la base de multiples caractéristiques anatomiques[1], une affiliation qui sera majoritairement reconnue tout au long du XXe siècle comme au XXIe siècle par la communauté scientifique[63]. Cependant, quelques classifications alternatives ont été proposées au fil des recherches. Par exemple, en 1962, Welles suggère que Kronosaurus appartiendrait possiblement à la famille des Dolichorhynchopidae[96],[57]. Cependant, cette famille est aujourd'hui reconnue comme polyphylétique (non naturelle) et est vue comme non valide[63].
Le positionnement phylogénétique exact de Kronosaurus au sein des Pliosauridae a également été débattue. En 1992, Hampe propose de classer Kronosaurus avec son proche parent Brachauchenius dans la famille proposée des Brachaucheniidae[58]. Kenneth Carpenter partage l'avis d'Hampe en 1996, bien que notant quelques différences crâniennes notables entre les deux genres[40],[N 9]. La famille des Brachaucheniidae fut originellement érigée en 1925 par Samuel Wendell Williston afin d'inclure uniquement Brachauchenius[98],[99],[63]. En 2001, F. Robin O’Keefe révise la classification des Pliosauridae et classe Kronosaurus en tant que représentant basal lointainement apparenté à Brachauchenius[100]. En 2008, deux études et une thèse proposent des classifications alternatives pour Kronosaurus. Patrick S. Druckenmiller et Anthony P. Russell classent Kronosaurus en tant que pliosauridé dérivé, Hilary F. Ketchum le classant d'ailleurs toujours en taxon frère de Brachauchenius dans cette famille[101]. Adam S. Smith et Gareth J. Dyke reclassent les deux genres au sein des Brachaucheniidae, mais la famille est vue comme le taxon frère des Pliosauridae[102]. McHenry suggère que si la proposition de Ketchum s'avère valide, il serait alors préférable de reléguer les Brachaucheniidae en tant que sous-famille des Pliosauridae, étant par conséquent renommé Brachaucheninae[103]. McHenry maintient néanmoins le nom Brachaucheniidae dans sa thèse détaillant plus en détail Kronosaurus, en attendant les résultats phylogénétiques ultérieurs[104]. En 2013, Roger B. J. Benson et Druckenmiller nomment un nouveau clade au sein des Pliosauridae, appelé Thalassophonea. Ce clade comprend les pliosauridés « classiques » à cou court tout en excluant les formes antérieures à long cou plus gracile. Les auteurs déplacent ainsi la famille des Brachaucheniidae en tant que sous-famille, la renommant Brachaucheninae, et y classent de nombreux pliosauridés du Crétacé, incluant Kronosaurus. Au sein de cette sous-famille, Kronosaurus s'avère être un des représentants les plus dérivés, étant généralement placé dans un clade incluant Brachauchenius et plus récemment Megacephalosaurus[105]. Des études ultérieures découvrent une position similaire pour Kronosaurus[78],[106],[107],[97],[49].
Le cladogramme du clade Thalassophonea ci-dessous est basée d'après Madzia et al. (2018)[97] :
◄ Thalassophonea |
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La sous-famille des Brachaucheninae rassemble la majorité des pliosauridés datant du Crétacé, les analyses phylogénétiques les réunissant souvent au sein de ce clade. Cependant, il est possible que ce ne soit pas la seule lignée de thalassophonéens à avoir survécu après le Jurassique. En effet, des dents de pliosaures du Crétacé inférieur, présentant des caractéristiques distinctes des Brachaucheninae, suggèrent qu'au moins une autre lignée aurait traversé la limite Jurassique-Crétacé[37],[97],[108],[109]. Les genres de Brachaucheninae sont variables et une seule caractéristique commune est connue, à savoir la possession de dents de forme quelque peu circulaire plutôt que de dents pleines ou trièdres observées chez certains pliosaures du Jurassique. Parmi les caractéristiques dérivées partagées par la plupart des Brachaucheninae, on trouve la forme du crâne adaptée à la saisie de proies plus petites (comme un museau allongé, un rostre gracile et des dents de taille constante). Kronosaurus est l'un des rares représentants de ce groupe à ne pas partager l'un de ces traits, car ayant des dents de formes différentes. Ce type de dentition indique donc que Kronosaurus était un genre spécialisé dans la chasse de grandes proies, contrairement à la plupart des autres représentants de ce groupe[108],[37].
Les plésiosaures furent bien adaptés à la vie marine[110],[111]. Ils ont grandi à des taux comparables à ceux des oiseaux et avaient des métabolismes élevés, indiquant une possible homéothermie[112] et peut-être même de l'endothermie[110]. L'éventualité de l'endothermie est d'ailleurs fort probable chez les plésiosaures ayant vécu en Australie, incluant Kronosaurus, les zones les plus au sud ayant eu des températures particulièrement froides[44],[110]. Une étude réalisée en 2019 par la paléontologue Corinna Fleischle et ses collègues révèlent que les plésiosaures avaient des globules rouges agrandis, en fonction de la morphologie de leurs canaux vasculaires, ce qui les aurait aidés lors de la plongée[111]. La queue courte des plésiosaures, bien qu'il soit peu probable qu'elle ait été utilisée pour nager, aurait pu aider à stabiliser ou à diriger l'animal[93],[94].
Du fait de sa taille imposante, de sa morphologie et de sa répartition, Kronosaurus aurait été très probablement le superprédateur de l'ancienne mer intérieure d'Eromanga (en)[113],[37]. Du contenu stomacal a été trouvé chez certains spécimens de Kronosaurus[114]. Le plus notable d'entre eux est le spécimen QM F10113, le plus complet connu, qui contient les restes d'une tortue marine. La position de la tortue au niveau du squelette indique que le spécimen serait mort étouffé après avoir gobé sa proie[115]. Les restes fossiles sont trop fragmentaires pour déterminer à quel genre appartient cette tortue, mais ses mensurations sont semblables au protostégidé Notochelone[116], qui est la tortue marine la plus répandue des strates de l'Albien du Queensland[55],[117]. En 1993, Tony Thulborn et Susan Turner analysent le crâne sévèrement écrasé d'un élasmosauridé[27], qui est aujourd'hui reconnu comme appartenant à Eromangasaurus[118]. Dans leur étude, les auteurs découvrent la présence de multiples traces de morsures faites par de grandes dents. Ces mêmes traces correspondent à la dentition des spécimens référés à son contemporain Kronosaurus, prouvant sa prédation envers cet animal. Il s'agit également de la toute première évidence rapportée d'une attaque de pliosaure envers un élasmosauridé[27],[119]. Les élasmosauridés ayant un cou très allongé et une petite tête, les blessures trouvées chez Eromangasaurus suggèrent que Kronosaurus se serait régulièrement attaqué à cette région du corps. Bien qu'aucune preuve fossiles directe d'alimentation ne soit connue, l'animal se serait vraisemblablement aussi attaqué aux leptocleididés[120].
Le plus petit spécimen attribué à Kronosaurus, catalogué QM F51291, présente des traces de morsures au niveau du crâne[37],[121]. Dans sa thèse publiée en 2009, McHenry souligne que la taille maximale possible de Kronosaurus est de 10,5 m, et suggère que les trois spécimens connus n'atteignant pas la taille minimum de 7 m représenteraient des juvéniles ou des subadultes[122]. Après analyse, il suggère donc que ce spécimen aurait été un juvénile qui aurait été tué par la morsure d'un adulte, indiquant une agression intraspécifique voire de cannibalisme chez Kronosaurus. Il étaye cette hypothèse sur la base d'observations communes sur de nombreux crocodiliens adultes n'hésitant pas à s'attaquer à des juvéniles. Cependant, McHenry suggère qu'il est également possible que les morsures aient été faites peu de temps après que le spécimen soit mort d'une autre cause[121].
Une importante partie de la thèse de McHenry publiée en 2009 est dédiée à la force de morsure de Kronosaurus via l'aide d'analyses biomécaniques. En utilisant ces techniques, McHenry découvre que Kronosaurus dépasse la force de morsure de n'importe quel animal vivant, n'étant lui-même dépassé légèrement que dans certaines estimations par le célèbre Tyrannosaurus[123]. Sur la base du spécimen QM F10113, la force de morsure de Kronosaurus est estimée entre 16 000 et 23 000 newtons[124]. Toujours sur la base du même spécimen, une étude de 2014 menée par Davide Foffa et ses collègues réévalue la force de morsure à entre 15 000 et 27 000 newtons, correspondant à son proche parent du Jurassique Pliosaurus kevani. Les estimations de cette étude quant à la force de morsure de ces deux pliosauridés dépassent celui du placoderme Dunkleosteus mais sont loin d'égaler celle du mégalodon ; ce dernier aurait atteint entre 93 000 et 182 000 newtons[125].
Toutes les formations géologiques où les fossiles attribués à Kronosaurus ont été découverts sont situées dans le Grand bassin artésien[126]. Lors du Crétacé inférieur, cette zone géographique était submergée par une mer intérieure aujourd'hui connue sous le nom de mer d'Eromanga (en)[127],[128]. Les archives sédimentaires montrent que cette mer était relativement peu profonde, boueuse et stagnante[127]. Les températures au sein de la mer auraient été particulièrement froides, proches du point de congélation[127],[129], et de la glace saisonnière peut s'être formée dans certaines régions[130]. Les températures de la mer durant l'Albien auraient été néanmoins plus chaudes que durant l'Aptien[131].
De nombreux invertébrés sont connus dans les archives fossiles datant de l'Aptien supérieur à l'Albien supérieur du Grand bassin artésien, principalement représentés par des mollusques. Parmi les organismes nageant librement figurent les céphalopodes, qui incluent de nombreux ammonites, bélemnites et calmars. Les zones benthiques sont principalement dominées par les bivalves, les gastéropodes et les scaphopodes étants moins diversifiées. D'autres types d'invertébrées sont connues, tels que des échinodermes crinoïdes, des crustacés décapodes, des brachiopodes, des annélides polychètes et une espèce d’éponge siliceuse[131],[132]. La diversification des poissons au sein de la mer d'Eromanga semble varier selon les périodes géologiques, vu qu'il sont peu présents dans les strates de l'Albien mais sont abondants dans les archives de l'Aptien, en particulier de l'Aptien supérieur[133]. Ceux-ci incluent les actinoptérygiens tels qu’Australopachycormus (en), Richmondichthys (en) Flindersichthys (en), Cooyoo (en) et Pachyrhizondontus. Les uniques sarcoptérygiens connus sont les dipneustes Ceratodus et Neoceratodus[134]. Des chondrichtyens sont également présents, représentés par Archaeolamna, Carcharias, Cretolamna, Cretoxyrhina, Edaphodon, Echinorhinus, Leptostyrax (en), Microcorax, Notorynchus, Pseudocorax (en), Pristiophorus, Scapanorhynchus et plusieurs espèces d’orectolobiformes et de palaeospinacidés[135]. Ces poissons comprennent des variétés de surface, pélagiques et benthiques de différentes tailles, dont certaines sont assez grandes. Ils remplissent une variété de niches, incluant des mangeurs d'invertébrés, des piscivores et, dans le cas de Cretoxyrhina, des grands superprédateurs[136].
La mer d'Eromanga est connue pour sa grande diversification de reptiles marins[45]. Le tortues marines identifiées incluent les protostegidés Cratochelone, Bouliachelys et Notochelone[137],[138],[45], ce dernier étant le plus diversifié au sein de la mer intérieure[139],[117]. Plusieurs fossiles d’ichthyosaures ont été découverts dans le Queensland et furent historiquement attribués à plusieurs genres différents[9]. On sait maintenant que ces fossiles appartiennent probablement à l'espèce Platypterygius australis[N 10], qui est l'un des plus récents ichthyosaures connus dans les archives fossiles[9],[140],[45]. D'autres fossiles attribuables à cette espèce ont été découverts dans d'autres formations du Grand bassin artésien, notamment dans le Bulldog Shale (en), mais ils s'avèrent être trop fragmentaires pour déterminer une diagnose claire[141]. Plusieurs plésiosauriens ont été identifiés, mais la plupart des fossiles sont soit trop fragmentaires soit non diagnostiques pour que ces derniers puissent être assignés à un genre ou à une espèce précise[142],[143],[45]. Kronosaurus est le plésiosaurien le plus répandu stratigraphiquement en Australie[45], et serait l'unique grand représentant de pliosauridé connu à ce jour au sein du pays[144], si on exclut le genre proposé Eiectus[38],[35]. De nombreux plésiosauroïdes sont connus, les fossiles appartenant à des spécimens provenant de familles différentes[9],[44],[45]. L'unique cryptoclididé connu est Opallionectes[44],[45],[145]. Les élasmosauridés incluent Eromangasaurus et de nombreux représentant indéterminés[146],[44],[45],[118]. Certains représentants du clade des Leptocleidia, qui incluent les Leptocleididae et les Polycotylidae, sont connus. Les leptocleididés incluent Leptocleidus, Umoonasaurus, ainsi que quelques spécimens aux attributions indéterminées[147],[45],[148]. Les polycotylidés ne sont quant à eux connus uniquement via des spécimens indéterminés ou pas encore décrits, le plus notable d'entre eux étant le spécimen de Richmond[149],[44],[150],[45],[118].
Certains archosaures de divers groupes ont été également identifiés dans les archives fossiles de la mer d'Eromanga. Des nombreux restes fragmentaires de dinosaures venant de spécimens ayant probablement péri après s'être noyés dans les eaux d'Eromanga sont connus, ceux-ci étant identifiés comme provenant du sauropode Austrosaurus, de l'ankylosaurien Minmi et de l'ornithopode Muttaburrasaurus. En plus des dinosaures, de nombreux fossiles de ptérosaures sont connus, et ces derniers pourraient avoir été des prédateurs comparables aux nombreux oiseaux maritimes actuels. Cependant, les fossiles concernés sont souvent fragmentaires, et peu de taxons ont été nommés[151],[128]. Parmi les genres érigés, ont retrouve Aussiedraco (en), Mythunga (en) et Thapunngaka (en)[152].
Malgré son statut de superprédateur, Kronosaurus aurait été quelquefois attaqué par d'autres prédateurs contemporains. En effet, une mandibule cataloguée KK F0630, représentant possiblement un grand subadulte ou un petit spécimen adulte, présente des traces de morsures qui auraient été faites par des requins lamniformes appartenant à la famille des Cretoxyrhinidae. Les blessures de ce type ne sont pas improbables, car plusieurs requins attribués à cette famille ont été identifiés dans diverses formations géologiques où Kronosaurus est connu. Les rainures présentant les marques de morsures étant entourées de croissances osseuses surélevées et aberrantes indiquent que le spécimen aurait néanmoins guéri de ses blessures[37].
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