Premier secrétaire de la Conférence | |
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Président Union internationale des étudiants | |
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Nom de naissance |
Jacques Camille Raymond Vergès |
Surnoms |
Le Salaud lumineux, L'avocat de la terreur, L'avocat du diable |
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Famille | |
Père | |
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Khang Pham-Thi (d) |
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Conjoint |
Djamila Bouhired (de à ) |
Parentèle |
Françoise Vergès (nièce) Laurent Vergès (neveu) Pierre Vergès (neveu) |
Parti politique | |
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Jacques Vergès, né le au Laos, officiellement le à Ubon Ratchathani, au Siam (actuelle Thaïlande)[note 1], et mort le à Paris, est un avocat, militant politique et écrivain franco-algérien.
Après avoir été résistant, il devient célèbre en raison de ses convictions anticolonialistes (il défend puis épouse Djamila Bouhired, militante du FLN) et pour avoir été l'avocat de personnes ayant commis des crimes particulièrement graves, telles que le nazi Klaus Barbie, jugé à Lyon en 1987, ou le terroriste international Carlos.
Fils du docteur Raymond Vergès, consul de France à Ubon Ratchathani (Siam) et de Pham Thi Khang, institutrice vietnamienne, Jacques Camille Raymond Vergès est le frère aîné (ou demi-frère)[1] de l'homme politique Paul Vergès[note 2],[2]. Un des biographes de Jacques Vergès, Bernard Violet, a révélé que son père aurait fait un faux en déclarant la naissance des deux frères le même jour (5 mars 1925) alors qu’ils avaient en réalité une année d’écart, Jacques Vergès étant sans doute né le , non au Siam comme son frère, mais au Laos ; Raymond Vergès aurait profité de sa position de consul pour réaliser un « vrai-faux » état civil, afin de cacher une relation adultère avec Pham Thi Khang, alors que sa première épouse Jeanne-Marie Daniel, avec qui il avait déjà deux enfants, était encore vivante (elle meurt en 1923). L'intéressé a toujours entretenu le mystère sur sa réelle date de naissance[3],[4].
Membres notables de la famille Vergès
Raymond Vergès 1882 – 1957 | |||||||||||||||||||||||
Jacques Vergès 1924 – 2013 | Paul Vergès 1925 – 2016 | ||||||||||||||||||||||
Françoise Vergès 1952 | Laurent Vergès 1955 – 1988 | Pierre Vergès 1958 | |||||||||||||||||||||
À compter de la mort de leur mère, survenue alors qu'il a trois ans en 1928 et jusqu'au retour de son père à La Réunion en 1932, il est élevé par sa tante paternelle avec son frère Paul[5],[6],[7]. Durant cette période, il vit à La Réunion, où une partie de ses ancêtres sont établis depuis la fin du XVIIe siècle et effectue parfois depuis cette île quelques brefs séjours à Madagascar. La famille s'installe d'abord à Saint-Denis, puis à Hell-Bourg et enfin à Saint-André.
Il est sensibilisé très tôt à la politique : à l'âge de douze ans, il participe avec son frère à un grand défilé du Front populaire qui le marque, au Port. Sa jeunesse est en outre l'occasion de fréquenter de futurs dirigeants. Enfant, il a pour camarade de classe Monique Payet, fille de Roger Payet, président du Conseil général de 1949 à 1966[8] et future épouse de l'homme politique Pierre Lagourgue. Plus tard, il est scolarisé au lycée Leconte-de-Lisle, dans la même classe que Raymond Barre, à qui il dispute, sans succès, la place de premier[9].
Il obtient son baccalauréat à seize ans et sa première année de droit l'année suivante. Il quitte la Réunion à dix-sept ans et demi pour s'engager dans la Résistance, en 1942, puis passe en Angleterre, où il s'engage dans les Forces françaises libres (FFL), le . Plusieurs fois médaillé, il se bat notamment en Italie puis en France, avec le rang de sous-officier. Il reste toujours profondément gaulliste et attaché à la personne du général de Gaulle : il est qualifié de « gaullo-communiste », idéologiquement.
Arrivé à Paris, Jacques Vergès adhère, en 1945, au Parti communiste français (PCF). Le , Alexis de Villeneuve, qui se présente aux élections législatives sous l'étiquette MRP face à son père, Raymond Vergès, est assassiné d'un coup de revolver devant la cathédrale de Saint-Denis de La Réunion. L'arme utilisée appartient à Raymond Vergès[9]. L'année suivante, Paul Vergès est condamné à cinq ans de prison avec sursis pour blessures mortelles sans intention de donner la mort. Les circonstances de cet assassinat ne sont pas élucidées ; l'hypothèse que Paul Vergès ait cherché à protéger son frère Jacques — qui serait le véritable assassin — circule, d'autant plus que celui-ci quitte La Réunion à la suite de cet épisode[9].
En 1950, Jacques Vergès est élu à Prague membre du bureau du Congrès de l'Union internationale des étudiants comme représentant de la Réunion et non de la France[10], ce qui lui vaut quelques remarques du PCF. En 1952, il devient secrétaire du mouvement, où, sous l'impulsion du soviétique Alexandre Chélépine, futur chef du KGB[11], il pousse les feux de l'anticolonialisme. Il reste sur place jusqu'en 1954. Il y obtient sa deuxième année de droit. De retour en métropole, il obtient sa troisième année en 1955. Il s'inscrit alors au barreau de Paris après avoir passé le CAPA. L'année suivante, il se présente au concours de la conférence du barreau de Paris, appelé aussi concours de la conférence du stage et devient premier secrétaire de la conférence (promotion 1956-1957), où il rencontre Edgar Faure et Gaston Monnerville, entre autres.
Se qualifiant de « petit agitateur anticolonialiste au Quartier latin », il est à la tête de l'association des étudiants réunionnais, où il se lie d'amitié avec le Tunisien Mohamed Masmoudi et les futurs chefs khmers rouges Saloth Sâr (plus connu ensuite sous le nom de Pol Pot) et Khieu Samphân, dont il reconnait avoir « participé, dans un certain sens, à la politisation »[12],[2]. Proche de la Fédération des étudiants d'Afrique noire en France, il y soutient, à l'occasion de son 5e congrès, en , dans un débat qui l'oppose au député sénégalais Senghor, l'unité et l'internationalisme dans la lutte pour l'indépendance plutôt que la création d'organes législatifs dans chaque colonie et remporte le soutien de l'association[13]. Le jeune avocat demande au PCF et au PSU de s'occuper d'affaires en Algérie.
Il milite pour le Front de libération nationale (FLN) et défend leurs combattants, se voyant ainsi surnommé « Mansour » (« le victorieux »)[14]. Il est notamment l'avocat de l'emblématique Djamila Bouhired, militante du FLN capturée par les parachutistes français, torturée puis jugée et condamnée à mort pour attentat à la bombe durant la bataille d'Alger, notamment au Milk-Bar (cinq morts et soixante blessés, dont beaucoup de civils). Il écope d'un an de suspension pour indiscipline[15] en 1961[2] et réchappe d'une tentative d'assassinat[16]. Sa cliente devient pour quelques années son épouse[17] et ils ont deux enfants : Meriem (née en 1967) et Liess (né en 1969)[note 3] ; il se convertit également à l'islam[18], avant de retourner au catholicisme[réf. nécessaire]. Il quitte le PCF en 1957, jugeant le parti « trop tiède » sur la question algérienne[3].
À l'indépendance de l'Algérie, en 1962, Jacques Vergès s'installe à Alger, prend la nationalité algérienne[19] et devient le chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères. Il fonde alors avec Djamila Bouhired, sa femme, une revue tiers-mondiste financée par le FLN, Révolution africaine. Jacques Vergès rencontre Mao Zedong en et se rallie très rapidement aux thèses maoïstes. Il est alors destitué de ses fonctions et doit rentrer à Paris. Au mois de septembre, il crée une nouvelle revue, Révolution, qui est alors le premier journal maoïste publié en France. En 1965, la destitution du président Ben Bella permet à Jacques Vergès de rentrer en Algérie. Il met fin alors à la revue Révolution. Il est avocat à Alger jusqu'en 1970.
Le premier dossier que Jacques Vergès a géré en tant qu'avocat concerne la Sonacotra. Il s'engage dans une « défense de rupture » (appelée aussi « stratégie de rupture »), plutôt que ce qu'il appelle la « défense de connivence », qui était classiquement plaidée : l'accusé se fait accusateur, considère que le juge n'a pas compétence ou que le tribunal n'a pas la légitimité, prend l'opinion à témoin. La défense de rupture se distingue également de la « présence offensive », développée par Bernard Ripert. Si cette méthode est peu efficace sur le plan judiciaire, elle participe à créer un courant de sympathie dans l'opinion : cela lui a notamment permis, lors de la guerre d'Algérie, d'éviter la peine de mort à plusieurs de ses clients, même s'ils écopent de lourdes peines. Concernant sa postérité, les nouveaux moyens de communication ont rendu la technique obsolète[20].
Depuis, au carrefour du politique et du judiciaire, Jacques Vergès a associé son nom à de nombreux procès médiatisés, notamment ceux des personnalités suivantes :
Il déclare à plusieurs reprises que « plus l'accusation est lourde, plus le devoir de défendre est grand, comme un médecin doit soigner tout le monde » et se dit prêt à défendre des personnalités comme George W. Bush ou Ariel Sharon, à condition qu'ils plaident coupables[3] (et ce alors qu'il défendit, par exemple, Klaus Barbie qui refusa obstinément de reconnaître ses crimes, refusant même d'assister à son procès). Il apparaît souvent mis en scène dans son bureau en bois de fer, véritable bric-à-brac décoré de nombreux objets africains et notamment de lithographies d'Antoine Louis Roussin. Il est par ailleurs collectionneur de jeux d'échecs.
De 1970 à 1978, Jacques Vergès disparaît. Il a toujours entretenu le mystère sur cette période.
Aux journalistes qui lui demandaient s'il était au Liban, à Moscou ou s'il travaillait pour les Khmers rouges au Cambodge, il a répondu qu'il était « très à l'est de la France » et « avec des amis qui sont encore vivants, dont certains ont des responsabilités importantes. »
« Les événements, ajoute-t-il, que nous avons vécus ensemble sont connus. C'est notre rôle qui ne l'est pas ; non pas réellement le mien, qui fut modeste, mais le leur. Il ne m'appartient pas d'en parler[29],[3]. »
Bernard Violet, l'un de ses biographes controversés, avance l'hypothèse d'une affaire de gros sous au Katanga (qui n'est cependant pas « très à l'est de la France »). Le juge Thierry Jean-Pierre, qui a écrit un livre sur les frères Vergès, argue d'une fuite en avant : « À l'époque, il est mal. Michel Debré veut sa peau, et le Mossad veut le tuer, car il défend des Palestiniens. Il part du jour au lendemain, en Asie, agent des services secrets chinois. Ils l'utilisent au Cambodge et au Viêt Nam[réf. à confirmer][30]. » Robert Chaudenson estime, quant à lui, que « si les menaces qu'il craignait étaient venues, par exemple, du Mossad, comme certains l'ont supposé, on connaît assez le personnage pour savoir que, depuis bien longtemps, il l'aurait proclamé urbi et orbi, dans tous les médias dont il est si familier et si friand[31]. »
Dans le documentaire L'Avocat de la terreur, de Barbet Schroeder, Jacques Vergès reconnaît avoir ponctuellement séjourné incognito à Paris pendant cette période. Le cinéaste retient également la thèse d'un problème financier personnel comme seule cause de sa disparition. Toujours est-il que, lorsqu'il reparaît à Paris en 1978, il dispose de moyens financiers importants, dont l'origine est inconnue. En 2017, le réalisateur affirme qu'il a séjourné avec le chef terroriste Wadie Haddad, en Palestine[32].
Dans une interview accordée au Point en , Jacques Vergès déclare :
« Un soir de mars, ma porte s'est ouverte et le vent m'a soufflé : « Pars ! » Et je suis parti pour des aventures qui ont duré neuf ans. […] J'étais un peu partout. Parti vivre de grandes aventures qui se sont soldées en désastre. Nombre de mes amis sont morts, et, pour les survivants, un pacte de silence me lie à eux[33]. »
La même année, dans une longue interview au journal Sud Ouest, Jacques Vergès donne davantage de précisions ː
« J'étais un peu partout pendant ces années, en rapport avec le fils Bhutto, avec Camilo Torres, avec Salameh, l'auteur présumé des attentats des JO de Munich, qui me considérait comme un grand avocat et un ami. Je n'étais pas avec Pol Pot[34]. »
Son ami Roland Dumas, cité dans le journal Le Monde daté du , affirme que, vers la fin de sa vie, Jacques Vergès lui a confié être parti « en Chine », sans plus de précisions, toutes ces années-là[35].
Selon l'avocat Emmanuel Ludot dans un entretien daté du , il a séjourné longuement à Cuba durant ces années-là[36].
Selon l'avocat François Gibault, Jacques Vergès a détruit toutes les archives relatives à sa période de disparition[37].
Durant son absence, Djamila Bouhired obtient le divorce[38].
En 2002, il qualifie l'ancien dirigeant serbe Slobodan Milošević d'« extrêmement sympathique »[39]. En , il apporte son soutien en personne à Tomislav Nikolić, dirigeant nationaliste du Parti radical serbe[40]. La même année, il débute au théâtre, dans Serial Plaideur, au théâtre de la Madeleine, à Paris[41].
En , il se rend en Côte d'Ivoire, avec Roland Dumas, apporter son soutien à Laurent Gbagbo, dont il est l'avocat, à la suite de l'élection présidentielle et la reconnaissance d'Alassane Ouattara comme Président par la communauté internationale. Il est cependant écarté de la défense de l'ancien président et de son épouse, vraisemblablement pour avoir fait preuve de légèreté lors de son déplacement à Abidjan, le , pour assister à la première audition de Laurent Gbagbo[42]. Il est refoulé à l'aéroport, son visa n'étant pas valable[43]. Il aurait néanmoins touché 100 000 € avec Roland Dumas pour avoir assuré la défense politique de Laurent Gbagbo jusqu'à son arrestation[44], laquelle a compris la publication d'un livre, Crimes et fraudes en Côte d'Ivoire[45][source insuffisante].
En , il se rend à Tripoli avec Roland Dumas et s'y porte volontaire pour soutenir une plainte des familles des « victimes des bombardements de l'OTAN » contre le président Nicolas Sarkozy, dont le pays participe aux opérations de la coalition internationale en Libye. Il y dénonce une « agression brutale contre un pays souverain », et affirme qu'il serait prêt à défendre le colonel Mouammar Kadhafi au cas où il serait jugé par la Cour pénale internationale[46].
Le , alors hébergé chez sa compagne Marie-Christine de Solages (1950-2020) à l'hôtel de Villette, Jacques Vergès succombe à une crise cardiaque[47],[48] dans la chambre même qui vit mourir Voltaire[49]. Son état de santé s'était dégradé dans l'année après une chute, bien que son état intellectuel fût intact[2],[50].
Ses obsèques sont célébrées le en l'église Saint-Thomas-d'Aquin, par le père Alain de la Morandais, l'un de ses proches amis[51]. Jacques Vergès est enterré au cimetière du Montparnasse, à la proximité immédiate du comédien Bruno Cremer[52].
Jacques Vergès envisageait de se marier avec sa dernière compagne, Marie-Christine de Solages[15],[53].
Vergès meurt ruiné, laissant derrière lui 600 000 euros de dettes diverses[54] : notamment, il ne réglait plus ni ses loyers ni ses impôts[54]. Son vieux compère Roland Dumas confirme : « À la fin, je lui prêtais de l'argent. Il en devait au fisc, à la Sécurité sociale. Il m'appelait pour me demander de l'aider. »[54]. Le montant de ses obsèques (20 000 euros)[54] aurait été réglé par l'ordre des avocats de Paris[54]. Les deux enfants de l'avocat, Meriem et Lies, renoncent à l'héritage[54].